La dette publique mexicaine a quasiment doublé en montant au cours du sexennat d’Enrique Peña Nieto (EPN), suite à une dégradation des finances publiques mexicaines particulièrement marquée entre 2012 et 2015, sans que cette augmentation de la dette ne s’accompagne d’un accroissement du rythme de la croissance, d’une amélioration des infrastructures ou d’une réduction de la pauvreté. Le pays a connu en parallèle une hausse significative du coût du service de la dette qui pèse sur les arbitrages budgétaires du pays. Si l’on observe une amélioration des finances publiques au cours des deux dernières années de mandat du Président actuel, cette dernière s’est faite au détriment de l’investissement public. Le Président élu, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), s’est quant à lui fermement engagé à n’augmenter ni la dette ni les impôts, ce qui lui laisse peu de marges de manœuvre budgétaires. La capacité du Président élu à financer son programme social (11 Mds EUR environ) et d’infrastructures (21 Mds EUR) grâce à une réallocation des dépenses existantes et à une mobilisation du secteur privé sera déterminante pour le maintien des équilibres actuels ; la présentation du budget 2019 en sera le premier test.

Rédigée le 11 septembre 2018

 

Un sexennat marqué par le quasi-doublement de la dette publique mexicaine en montant

La dette publique mexicaine a quasiment doublé en montant au cours du sexennat d’Enrique Peña Nieto, passant de 5 500 Mds MXN (250,6 Mds EUR)[1] en décembre 2012 à près de 10 500 Mds MXN (475 Mds EUR) en juin 2018, soit un montant égal à 46,4% du PIB[2] contre 34,8 % du PIB en 2012 (incluant à la fois la dette du Gouvernement Fédéral et des organismes et entreprises publiques, notamment Petróleos Mexicanos – Pemex et la Comisión Federal de Electricidad – CFE[3]). Le niveau d’endettement du Mexique a gagné 12,4 points de pourcentage depuis 2012 – avec une augmentation annuelle moyenne de 3,7 pp entre 2012 et 2016.

La dégradation des finances publiques mexicaines a été particulièrement marquée entre 2012 et 2015, avec un déficit budgétaire compris entre -2,3 % en 2013 et -3,3% en 2015. Le Gouvernement pariait alors sur une augmentation du taux de croissance du pays à 4 % sous l’effet des réformes structurelles, taux qui aurait permis d’absorber l’augmentation de la dette ; cette accélération de la croissance ne s’est de fait pas produite (le taux de croissance étant resté relativement stable, autour de 2,5 % en moyenne sur la période), conduisant à une augmentation du ratio dette/PIB. La dette a ainsi atteint 49,4 % du PIB fin 2016. Depuis 2017 et sous l’effet des mesures de coupes budgétaires, on assiste à une diminution du ratio dette/PIB à 47,2 % fin 2017 et 46,4 % en juin  2018.

En conséquence, le pays a connu une hausse significative du coût du service de sa dette, lequel devrait représenter 2,8 % du PIB (contre 1,9 % en 2012), soit une croissance de 112% à la fin du sexennat.  L’augmentation du coût de la dette est principalement due à celle des entreprises publiques (entre 2017 et 2018 : PEMEX +16,8% ; CFE +16,5% / sur le mandat d’EPN : PEMEX +163% ; CFE +127%). La croissance du coût du service de la dette a surtout été visible sur la dette externe (+160% vs. +91% pour la dette interne), sous l’effet de la hausse des taux d’intérêt (notamment en 2016 et 2017 ; +0,3pts et +1,1pts sur le taux d’intérêt à long terme) et de la dépréciation du MXN (notamment en 2015 et 2016 avec des dépréciations de 16% et 14% respectivement). 

En dépit de l’augmentation du niveau de dette au cours des 6 dernières années, il convient de noter que les niveaux de dette et la composition de cette dernière restent maîtrisés et sans risque immédiat pour le pays, notamment au regard de la situation des autres émergents. Le Mexique fait partie des émergents ayant la part des non-résidents dans la base des investisseurs la plus faible[4] (légèrement au-dessus de 30% et très stable sur 26 derniers mois selon nos interlocuteurs chez Banxico). Le constat est similaire pour la part de la dette issue en devises étrangères (autours de 17%[5]). Les risques associés à une dépréciation du peso face au dollar ou du fait d’une part importante des non-résidents investisseurs lors du roll-over de la dette existante sont relativement faibles et inférieurs aux risques moyens des autres émergents.

 

Une amélioration des finances publiques confirmée pour la dernière année de mandat d’EPN

Les finances publiques mexicaines ont connu un assainissement depuis 2016, au détriment de l’investissement public. La balance primaire a connu une amélioration significative depuis 2016 (déficit de 1,2% du PIB en 2015, ­‑0,1% en 2016), atteignant pour la 1ère fois en 2017 un excédent (1,4% du PIB), permettant une diminution du ratio dette/PIB en 2017. Il convient toutefois de noter que l’excédent enregistré en 2017 provient en totalité du versement par la Banque centrale du Mexique du montant correspondant à son solde d’opérations de marché (321,653 Mds MXN soit 14,7 Mds EUR). Sans l’intervention de Banxico, le déficit primaire aurait été de 0,07% du PIB. Cet assainissement s’est par ailleurs fait au détriment de l’investissement public, lequel est passé de 4,3% du PIB en 2012 à 2,6% en 2017, soit un montant quasi équivalent aux dépenses liées au service de la dette.

L’objectif de surplus primaire du Gouvernement pour 2018 devrait être atteint. Si la performance établie entre janvier et juin 2018 se confirme sur le second semestre  (121,1 Mds MXN soit 5,5 Mds EUR de surplus primaire sur le 1er semestre), les experts prévoient que le Gouvernement atteigne son objectif de surplus primaire de 0,8% du PIB, et ce même en l’absence d’apport du solde d’opérations positif pour Banxico en 2018[6].

Des risques exogènes persistent néanmoins et pourraient compliquer la gestion des finances publiques mexicaines pour la fin 2018 et pour 2019. En premier lieu, le Mexique a enregistré au 2ème trimestre une croissance économique inférieure aux prévisions (diminution de 0,1% g.t ; 1,6% en g.a), générant une diminution des recettes fiscales sur le trimestre. En second lieu, la normalisation de la politique monétaire des États-Unis impacte le coût du service de la dette mexicaine (même si cet impact est moins important pour le Mexique que pour les autres émergents, compte tenu de la part relativement faible de la part de la dette libellée en USD, cf. supra). La situation des finances publiques mexicaines dépend par ailleurs des situations financières de Pemex et de la CFE ; or Pemex a enregistré des pertes nettes pour un total de 163 Mds MXN (7,4 Mds EUR) sur le 1er semestre de l’année. Les projets du futur Gouvernement pourraient par ailleurs impacter négativement les finances de l’entreprise, en cas de retour en arrière s’agissant de la réforme énergétique d’après Moody’s et S&P.

 

Un engagement ferme du Président élu de n’augmenter ni la dette ni les impôts, qui laisse à ce dernier peu de marges de manœuvre budgétaire

Le Président élu s’est engagé à maintenir des finances publiques saines et à n’augmenter ni la dette ni les impôts. La future administration a annoncé qu’elle maintiendrait un surplus primaire permettant de garder le niveau de dette inchangé. Le Président élu a mis en place pour ce faire une équipe jouissant d’une forte légitimité : Carlos Urzua, docteur en économie et ancien Ministre des Finances de la Ville de Mexico lorsqu’AMLO en était le Maire, Gerardo Esquivel, docteur en économie, en tant que Vice-Ministre en charge des dépenses, et Arturo Herrera, ancien de la Banque Mondiale, également ancien Ministre des finances de la Ville de Mexico, comme futur Vice-Ministre des Finances. Le Président élu s’est par ailleurs engagé à créer un conseil fiscal indépendant, appelé de leurs vœux par le FMI, l’OCDE et plusieurs think-tanks mexicains.

Le financement des dépenses sociales et d’infrastructures annoncées par le Président élu devrait ainsi être assuré grâce à une réallocation des dépenses existantes et à une mobilisation du secteur privé. Du côté des dépenses sociales, ce sont près de 11 Mds EUR de dépenses qui ont été annoncées : mise en place d’un programme de bourse et d’apprentissage, doublement des pensions aux personnes âgées et programme de soutien aux communautés indigènes pour respectivement 105,2 Mds MXN, 120 Mds MXN et 15,840 Mds MXN, soit un total de 241 Mds MXN (10,99 Mds EUR). Du côté des infrastructures, et hors chantier du nouvel aéroport (dont le sort reste incertain), ce sont plus de 21 Mds EUR qui devront être mobilisés, notamment grâce au soutien du secteur privé, pour la réhabilitation des 6 raffineries existantes (50 Mds MXN), la construction de 2 nouvelles raffineries (160 Mds MXN), le projet de « train Maya » (120,15 Mds MXN) et le développement de l’Isthme de Tehuantepec (134 Mds MXN). Le futur Gouvernement envisage par ailleurs de réduire la TVA dans la région frontalière entre les États-Unis d’Amérique et le Mexique ce qui générait un manque à gagner fiscal de l’ordre de 38 Mds MXN (1,73 Mds EUR).

AMLO prévoit pour ce faire l’adoption d’un programme d’«austérité républicaine», qui devrait permettre d’économiser entre 18,82 et 22,8 Mds EUR , à travers la centralisation des achats publics (réduction de la corruption et économies d’échelle substantielles), la révision de 150 programmes sociaux (focalisation sur les programmes ayant un impact confirmé, suppression des doublons), la réduction du budget de fonctionnement de l’État (notamment la réduction des salaires et avantages des hauts fonctionnaires) et des transferts vers les collectivités locales.

Au-delà de la difficulté à mettre en œuvre les mesures d’économies prévues, il n’est pas exclu que certaines dépenses aient été sous-estimées et certaines économies surestimées. A titre d’exemple, du côté des recettes, les retombées de la lutte contre la corruption via la centralisation des appels d’offres publics sont difficilement estimables. S’agissant des dépenses, les analystes du secteur estiment plutôt à 112 à 150 Mds MXN (entre 5,1 Mds EUR et 6,8 Mds EUR) le coût de construction d'une raffinerie, soit un coût total d'au moins 225 Mds MXN (10,26 Mds EUR). Il semble par ailleurs très ambitieux de s’attendre à une réalisation complète de ces économies pour le budget 2019 : la BID estime par exemple à au moins 6 mois le temps nécessaire à une première révision des programmes sociaux.

Par ailleurs, la mobilisation attendue du secteur privé semble également ambitieuse s’agissant du financement des infrastructures et la principale incertitude à ce stade concerne l’engagement des deniers publics. Plusieurs schémas ont été évoqués par le Gouvernement : cofinancement des projets entre le secteur public et le secteur privé selon la clé de répartition suivante : 20%  public ; 80 % privé, voire plus (le Ministre des Transports envisageait quant à lui un schéma selon lequel pour un peso investi par le secteur privé, 20 pesos viendraient du secteur privé). De l’avis de certains analystes (Moody’s notamment), il n’est pas certain que le Gouvernement ait la capacité de mettre en œuvre l’ensemble des projets d’infrastructure annoncés.

La présentation du projet de budget du futur Gouvernement sera à cet égard déterminante. Selon le directeur des opérations de Banxico rencontré le 20/8 dernier, les économies annoncées par AMLO et son équipe ne seront pas suffisantes pour faire face aux dépenses envisagées ; l’économiste en chef de Banorte estime quant à lui que la suppression du Ramo 23 (transferts aux collectivités locales) devrait permettre au gouvernement de présenter un budget équilibré pour l’année 2019, mais pas au-delà. Gerardo Esquivel, futur Ministre des Finances en charge des dépenses a quant à lui estimé que si les économies attendues ne se matérialisaient pas (ou pas suffisamment), l’ambition des programmes sociaux serait revue à la baisse (à titre d’exemple le programme Jóvenes Construyendo el Futuro).

 

Si le niveau de dette publique mexicaine et la composition de cette dernière font du Mexique un des émergents au profil de risque le plus faible, la trajectoire de croissance de la dette enregistrée sous le mandat d’Enrique Peña Nieto d’une part, les engagements du Président élu d’autre part, limitent les marges de manœuvre budgétaire du prochain Gouvernement. A cet égard, la rentrée 2018 sera déterminante, avec la présentation en septembre des critères de politique économique, puis avant le 15 décembre du budget de l’Etat. La capacité du Président élu à respecter ses engagements, en dépense comme en recettes, sera à n’en pas douter scrutée par les marchés, les investisseurs et détenteurs de dette mexicaine.

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[1] Pour la suite du document, le taux de change est de 21,9337 MXN/EUR le 22 Août 2018 à l’ouverture (Bloomberg).

[2] Chiffres du Ministère des Finances mexicain, qui diffèrent de ceux du FMI dans leur calcul. Le FMI l’estime à 53,5% en 2017.

[3] En excluant les entreprises publiques, la dette atteint 36,1% du PIB en 2017.

[4] Source : Institute for international finance (IIF). Les Gouvernements ayant une part inférieure sont la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Egypte, la Russie et la Malaisie.

[5] Les Gouvernements ayant une part inférieure sont la Chine, la Malaisie, l’Inde, le Brésil, l’Egypte et l’Afrique-du-Sud.

[6] Cf. analyse du Centre d’Études Économiques du Secteur Privé (CEESP)