Depuis le mois d’août, le paradigme de la situation économique turque a changé. D’abord, parce que la dépréciation du taux de change n’est plus perçue comme un élément transitoire mais s’inscrit au contraire dans la durée. Ensuite, parce que la croissance du crédit a brutalement ralenti du fait notamment de la diminution de l’offre par les banques, lesquelles préfèrent diminuer leur exposition en prévision d’une hausse de leurs coûts de refinancement et de leurs risques. Les prêts sont assortis de conditions très sélectives (taux d’intérêt autour de 30-40%). Enfin, parce que le ralentissement économique est déjà très sensible : une contraction du PIB des deux derniers trimestres 2018 constitue désormais le scénario central des économistes.

Cela étant, la capacité de résilience de l’économie turque est avérée et la situation paraît gérable si des mesures ambitieuses sont mises en oeuvre à très brève échéance. D’abord, parce que le financement de l’endettement extérieur tant de l’Etat que du secteur privé n’est pas un sujet à court terme. Ensuite, parce que le secteur financier reste solide et les sources de financement en devises restent stables. Enfin, parce que les autorités publiques ont montré leur capacité à prendre des mesures ambitieuses et crédibles. La Banque centrale a ainsi augmenté son taux directeur de 625 pdb en le portant à 24%, un niveau à la fois supérieur aux anticipations des marchés et crédible pour lutter contre la dérive des prix. La devise turque s’est appréciée de 2,3% dans le sillage de cette décision. La publication du Plan de moyen terme d’ici la fin septembre sera suivie par les acteurs économiques, qui attendent des mesures tout aussi ambitieuses dans le domaine budgétaire et en termes de réformes structurelles.

La dépréciation marquée de la livre turque commence à avoir des conséquences sur l’économie réelle de la Turquie via notamment une hausse de l’inflation (18% en août en g.a.) et un resserrement du crédit. Au-delà de facteurs généraux susceptibles d’affecter les entreprises locales, ces dernières ne sont touchées ni de la même manière, ni avec la même intensité.

Dans ce contexte, une approche à la fois prudente et différenciée peut être préconisée aux entreprises françaises dans leurs relations avec leurs partenaires turcs. Même si une approche au cas par cas semble pertinente, une vigilance accrue paraît nécessaire concernant la question des délais de paiement qui ont tendance à se rallonger et des demandes de remises commerciales soit qu’elles proviennent d’entités fragilisées par le ralentissement économique, soit qu’elles reflètent un effet d’aubaine de la part d’entreprises prétextant de la morosité économique pour faire pression sur les prix ou ne pas payer leurs fournisseurs.

Les échanges commerciaux bilatéraux ont connu une bonne dynamique (+5%) au cours du premier semestre de cette année. L’évolution du contexte économique pourrait peser sur les flux dans un certain nombre de secteurs d’activité au cours des prochains mois. Pour autant, le pays demeure très attractif pour les entreprises françaises sur le moyen terme et l’amélioration de l’environnement des affaires une priorité des autorités françaises, rappelée lors des derniers entretiens avec les Ministres du nouveau gouvernement turc (entretien à Paris entre le Ministres français de l’économie et des finances, M. Bruno Le Maire, et son homologue turc le 27 août 2018, entretien, en marge du G20 Commerce et Investissement, entre le Secrétaire d’Etat au Commerce Extérieur, M. Jean-Baptiste Lemoyne, et la Ministre du Commerce, Madame Peckcan, le 14 septembre 2018).

Daniel GALLISSAIRES, Chef du Service économique régional d’Ankara