Plus de trois millions de réfugiés syriens sont actuellement sur le territoire turc, faisant de la Turquie le plus grand pays d’accueil dans le contexte de la guerre en Syrie. Leur apport à l’économie turque est ambivalent, apportant surcroît de main d’œuvre et soutien à la demande interne tout en constituant un stress pour les finances publiques. L’intégration des réfugiés au marché du travail et à la société turque constitue une priorité pour transformer ce défi en réussite économique.

1. La Turquie est le plus grand pays d’accueil des réfugiés syriens

Sur 5,4 millions de réfugiés syriens, près de 3,4 millions sont en Turquie, premier pays d’accueil de réfugiés au monde. La moitié d’entre eux sont des enfants. La Turquie a été le premier pays impliqué dans la crise des réfugiés syriens depuis 2011 et le gouvernement a adopté une politique d’ouverture avec la construction de 21 camps d’accueil. La quasi-totalité des réfugiés (90%) vivent en dehors des camps, principalement dans des villes frontalières de la Syrie telles que Şanlıurfa, Hatay et Gaziantep. La métropole d’Istanbul accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens (538 000).

Depuis 2016, les réfugiés syriens sont soumis à des restrictions de visa s’ils arrivent en Turquie par avion ou bateau d’un pays tiers. Les migrants syriens ne bénéficient pas du statut de réfugié, la Turquie ayant ratifié la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés qui limite le « statut de réfugié » aux personnes qui fuient des « événements survenus en Europe ». Ils sont donc sous « protection temporaire » depuis 2014, ce qui leur facilite l’accès aux services publics comme la santé et l’éducation.

Depuis janvier 2016, les réfugiés syriens sont autorisés à travailler sous certaines conditions d’effectif - ils ne peuvent constituer plus de 10% des employés d’une entreprise - et de lieu, avec un permis de travail spécifique à leur lieu d'immatriculation. Environ 15 000 permis de travail ont été délivrés à des réfugiés syriens, sur plus de 800 000 travailleurs, dont l’immense majorité évolue par conséquent dans le secteur informel.

2. L’impact sur la croissance aurait été positif bien que difficilement quantifiable

L’arrivée des réfugiés syriens, qui représentent désormais près de 4% de la population en Turquie, stimule la demande par la hausse de la consommation induite. L’effet est bénéfique pour l’économie turque dont la croissance est principalement basée sur la consommation domestique. Les réfugiés ont implanté 8 100entreprises en Turquie, dotées d’un capital moyen de 50 000 USD. Ce sont généralement des PME dans le textile, l’alimentation et la construction et emploient en moyenne 10 personnes. La base de dépôts, structurellement faible en Turquie, aurait augmenté grâce à l’arrivée des réfugiés, atteignant les 488,8 M USD à fin janvier 2017. Les réfugiés syriens ont également permis d’intensifier les exportations turques vers la Syrie, surtout depuis les villes du sud-est comme Gaziantep, Hatay, Adana et Mersin. Les produits exportés sont principalement des produits alimentaires et des matériaux de construction. Par ailleurs, les réfugiés syriens, notamment grâce à une pyramide des âges plus basse que celle de la population turque, vont permettre d’allonger et de repousser la fenêtre d’opportunité démographique. Cette dernière se caractérise par un ratio de dépendance – part de la population de moins de 15 ans et de plus de 65 ans par rapport à la population entre 15 et 64 ans – inférieur à un tiers. En Turquie, cette fenêtre devait s’ouvrir en 2025 et se clore en 2050. L’arrivée d’une population jeune modifie naturellement ce processus démographique.

En revanche, le PIB par habitant a diminué. Il était de 10 787 USD en 2016 contre 12 127 USD en 2014. Deux facteurs expliquent cette baisse : la dégradation du numérateur, le PIB, exprimé en dollars avec la dépréciation de la livre turque et l’augmentation du dénominateur, c’est-à-dire de la population, qui avec l’arrivée des réfugiés augmente plus rapidement que la production de richesse au niveau national. Enfin, une tension sur les prix des logements à la frontière syrienne est à noter, tandis que l’inflation des prix à la consommation, historiquement élevée en Turquie a atteint près de 12% en 2017.

3. Les travailleurs turcs subissent un effet d’éviction important sur le marché du travail informel

L’informalité, le travail des enfants, les longues heures de travail et les rémunérations très désavantageuses sont les caractéristiques du marché de travail des réfugiés syriens. Le revenu moyen par tête est de 1 100 TRY par mois (240 EUR) et la rotation de l'emploi est très élevée. Des problèmes linguistiques rendent aussi difficile l’intégration des Syriens sur le marché du travail.

Dans un marché du travail marqué par un chômage élevé, la répercussion de l’arrivée des Syriens varie selon le type d’emploi, informel ou formel. Pour les emplois informels, les réfugiés syriens constituent ainsi un choc « d’offre », surtout dans les secteurs de la construction, du textile et du secteur manufacturier. En moyenne six Turcs sont écartés du marché informel du travail, en particulier les femmes et les travailleurs peu qualifiés, pour dix réfugiés syriens. Sur le marché de l’emploi formel, l’impact a été relativement positif, quoique modeste, grâce à la baisse des coûts de production, permettant de stimuler la production et la création de nouveaux emplois. En moyenne, trois Turcs supplémentaires seraient employés pour dix réfugiés dans le marché formel. Cela profite surtout aux hommes ne disposant pas d’éducation secondaire.

4. L’impact de l’arrivée des réfugiés sur les finances publiques n’est pas négligeable

Les réfugiés syriens contribuent aux recettes fiscales par le biais de la consommation et du travail. Néanmoins, le montant réel de cette contribution est difficile à évaluer, d’autant plus que l’immense majorité d’entre eux évolue dans le secteur informel. En revanche les autorités turques estiment que les coûts liés à l’accueil des réfugiés syriens ont été supérieurs à 10 Mds USD depuis 2011 et représentent plus de 1% du PIB selon les estimations. En effet, la Turquie a attribué à tous les réfugiés enregistrés un accès libre à son système de santé et à l’éducation, parallèlement à la construction de camps d’accueil.

En parallèle, la Turquie reçoit des fonds de l’Union européenne pour l’accueil des réfugiés dans le cadre de l’accord de Facilité en faveur des réfugiés. L'UE s’est engagée à verser 6 Mds EUR sous la forme de deux paiements de 3 Mds EUR en échange de l’arrêt des flux de réfugiés actuellement sur le territoire turc vers la Grèce. Le financement humanitaire total fourni par l’UE à la Turquie via cette Facilité s’élève à 1,4 Md EUR. Il a été employé pour des nécessités de base telles que des transferts de fonds, des denrées alimentaires, des équipements et des vêtements d’hiver, pour la santé, et au profit de personnes particulièrement vulnérables. Dans le cadre de cette Facilité, environ 72 projets ont été choisis et mis en œuvre par l’UE, le gouvernement turc et plusieurs ministères, les Nations Unies, ainsi que des ONG locales et internationales. Des dispositifs de soutien ont aussi été annoncés par les institutions financières internationales, telles que la BEI ou la BERD.