Les bioénergies au Japon : état des lieux et politique de développement
Après l’adoption de tarifs d’achat avantageux pour les énergies renouvelables en 2012, l’énergie biomasse, produite à partir de déchets de bois et autres matériaux organiques inutilisés, a bénéficié d’un regain d’intérêt du secteur privé et les projets de centrales biomasses se sont multipliés sur le territoire japonais. Alors que les tarifs de rachat pour le solaire sont en baisse pour la 3ème année consécutive au Japon, les entreprises japonaises confirment leur intérêt pour le secteur biomasse qui est considéré comme porteur d’opportunités. Le gouvernement japonais compte sur l’engouement et les investissements du secteur privé pour réaliser les objectifs à l’horizon 2030.
1. Stratégie de développement de l’énergie biomasse au Japon
1.1 La biomasse au Japon représente 1,5% du mix électrique en 2014, avec un objectif de 3,7% - 4,6% en 2030. Le Japon dispose de 3,9 GW de capacités totales installées à jour de 2017. Selon le scénario d’évolution de l’énergie biomasse établi par le METI, la production d'électricité à partir d'énergie biomasse au Japon devrait augmenter d'au moins 50% jusqu'à 4,8 GW d'ici 2020 et représenter au moins 3% de la consommation nationale d'électricité, avec des investissements prévus de plus de 700 Mds JPY. A l'horizon 2020, les centrales biomasses devraient pouvoir répondre aux besoins en électricité d'au minimum 9 millions de ménages, une évolution qui illustre parfaitement la montée en popularité de l'énergie biomasse au Japon. Si on compare le solaire et la biomasse, l'électricité solaire a bénéficié de tarifs d’achat particulièrement avantageux, mais est confrontée à une baisse régulière de ces tarifs en raison du coût qu’ils finissent par représenter pour les consommateurs et au problème d’intermittence de la production (qui nécessite d’être compensé par du stockage, encore en développement). A l’inverse, la production d’énergie à partir de biomasse ne souffre d’aucune intermittence, et est contrôlable au même titre que la production à partir de gaz ou charbon. Le gouvernement japonais espère en conséquence tripler la production électrique nationale générée à partir de biomasse jusqu’à 7,28 GW, soit l’équivalent de l’électricité produite par 7 réacteurs nucléaires, entre 2013 et 2030.
1.2 Les initiatives du gouvernement pour le développement de la biomasse passent par l’adoption d’un Plan national (i) et l’établissement de solutions alternatives aux tarifs de rachat pour stimuler les investissements privés (ii).
(i) Afin d’atteindre l’objectif 2030, le gouvernement japonais a présenté en septembre 2016 un Nouveau Plan fondamental pour la promotion et la valorisation de la biomasse. Ce Plan vise également à encourager les collectivités locales japonaises à établir des stratégies locales pour le développement de la biomasse avec pour objectif d’appuyer la revitalisation régionale. Il y a actuellement 374 projets biomasse dans 18 départements et 42 collectivités locales, l’objectif étant de mobiliser 600 collectivités en 2025 (1/3 des collectivités locales japonaises). Le Nouveau Plan pour la valorisation de la biomasse prévoit également une augmentation de la rentabilité des projets biomasse en prévoyant une utilisation de la chaleur générée. L’objectif fixé est de développer des technologies permettant une utilisation efficace de la chaleur et du modèle de cogénération. La chaleur produite pourrait être utilisée sur les sites de production agricole ou pour chauffer des infrastructures publiques.
(ii) Le gouvernement japonais envisage également de mettre en place un système d'enchères pour l'électricité produite à partir de biomasse, afin de réduire les coûts dans un contexte de hausse des demandes d'ouverture de nouvelles installations, de la part d'entreprises qui cherchent à tirer profit de l'actuel système de tarifs d'achat bonifiés (feed-in-tariff). La capacité de production électrique à partir de biomasse (installations existantes ou approuvées) s'établissait fin mars 2017 au double de l'objectif 2030 du gouvernement, et cette capacité a encore augmenté en avril. Cette capacité représente un coût pour les consommateurs d'électricité, auprès desquels les compagnies électriques répercutent le tarif d'achat bonifié. Globalement, le poids des renouvelables a augmenté de 250% entre 2014 et 2017, sur la facture d'électricité d'un foyer moyen. Afin de réduire la charge, le METI envisage plusieurs solutions, dont la mise en place d'un système d'enchères, dans lequel les producteurs d'électricité biomasse indiquent combien ils vendent leur électricité, et celle-ci est achetée au moins disant. Il a déjà été décidé d'appliquer ce système aux centrales solaires de plus de 2MW à partir d'octobre 2017. Le METI s’efforce également de trouver des solutions pour garantir un approvisionnement stable en biomasse et renforcer l'incitation à passer du charbon à la biomasse.
Capacités approuvés pour les installations biomasse / Comparaison avec l’objectif 2030 du gouvernement ; Source : site du METI/ANRE
2. Les stratégies de développement des biocarburants et biogaz
2.1 Bien que plusieurs ministères japonais soient concernés par les politiques afférentes aux biocarburants, les deux principaux ministères impliqués dans le développement de ces ressources sont le METI, qui s’y intéresse comme source alternative de carburants au Japon, et le MOE qui aspire à utiliser les biocarburants en vue de lutter contre le changement climatique et réaliser les engagements japonais pour la réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Le METI travaille en coopération avec l’industrie pétrolière pour organiser l’introduction des biocarburants sur le marché japonais.
2.2 Le gouvernement japonais maintient dans le Basic Energy Plan son ambition définie en 2010 d’introduire 500 million de litres (équivalent en pétrole brut) de biocarburants d’ici 2017 et a mandaté l’industrie pétrolière de réaliser cet objectif. Nous n’avons pas encore d’indication sur la réalisation de cet objectif. Plus de 99% de l’éthanol utilisé au Japon comme biocarburants est importé. En 2017, le Japon a dévoilé sa stratégie pour la période 2018-2022 et son intention de maintenir l’importation de 500 millions de litres. Le gouvernement japonais envisage également de commencer à s’approvisionner auprès des Etats-Unis en éthanol produit à partir de maïs et auprès du Brésil en éthanol produit à partir de cannes à sucre, et prendra une décision fin 2017. Comme la demande en biodiesel est très limitée, cette ressource tient un rôle presque inexistant dans la réalisation des objectifs de 2022. Le Nouveau plan pour la valorisation de la biomasse fait référence à la promotion de la R&D pour les bio-carburants à base de micro-algues avec un objectif de commercialisation. La NEDO soutient aussi la R&D pour l’éthanol cellulosique, un biocarburant produit à partir de déchets agricoles et de plantes, et pour la biomasse cellulosique à partir de bois. Le MOE a enfin mis en place un Conseil de promotion de l’utilisation des bio-carburants.
2.3 Le secteur privé japonais et la communauté scientifique japonaise, dont les universités et les institutions de recherches publiques et privées, coopèrent pour développer des biocarburants de pointe. Les projets de recherche sont centrés sur les matières cellulosiques et à base d’algues, et le développement des biocarburants pour un usage commercial et durable. Plusieurs projets de recherche visent la production de biocarburants à base d’algues pour avions en vue d’une commercialisation à grande échelle d’ici 2030. Le gouvernement japonais souhaite néanmoins introduire des biocarburants qui seront utilisés pour des vols commerciaux dès 2020, année de lancement des Jeux Olympiques de Tokyo. Un «Comité pour l'introduction du biocarburant pour les Jeux Olympiques et Paralympiques d'été 2020 à Tokyo» a été créé en 2015 conjointement par le METI et le MLIT. Ce Comité est composé de deux groupes de travail étudiant respectivement la chaîne d'approvisionnement en biocarburant et la production des biocarburants. Le Comité envisage notamment d'importer du biocarburant si la production nationale s'avère insuffisante. Le volume de la production japonaise de biocarburant en 2020 fait l’objet d’estimations ambitieuses : entre 100 000 et 1 million de litres (biocarburant pur). Une joint-venture basée à Tokyo, dont l’un des membres fait partie du Comité, a lancé la construction d’une usine à Yokohama pour produire et commercialiser du biocarburant d'ici 2020. Le combustible sera fabriqué à partir d'algues vertes cultivées sur l'île d'Ishigaki (Préfecture d'Okinawa). L'installation devrait être opérationnelle au premier semestre de 2019 et aura une capacité de production annuelle de 125 000 litres de biocarburant.
2.4 Les biogaz sont quasiment absents des feuilles de route du gouvernement et les objectifs concrets pour 2030 du METI sont difficiles à trouver, s’ils existent. Les biogaz ne sont pas valorisés dans les politiques japonaises contrairement à la part qui en est faite dans les stratégies françaises. En effet, le biogaz a été identifié par la Loi de transition énergétique pour la croissance verte comme une filière contribuant pleinement aux objectifs bas-carbone français, avec un objectif de 10% de biogaz dans la consommation française de gaz naturel en 2030.
3. Les freins au développement de l’énergie biomasse
3.1 La biomasse est à l’origine de 60% de la chaleur renouvelable produite en France alors que cette énergie est principalement utilisée pour la production d’électricité au Japon. Le gouvernement japonais a établi un système de tarif d’achat pour la biomasse qui ne s’applique qu’à la production électrique et qui n’incite pas les opérateurs à construire des centrales biomasses de cogénération. Par ailleurs, ce système applique le même tarif d’achat pour les petites et grandes installations, ce qui a conduit à une augmentation rapide des projets de centrales biomasses à grande échelle, conçues spécialement en vue de produire de l’électricité. Il existe tout de même quelques exemples de centrales biomasses japonaises utilisant le modèle de la cogénération, à l’image des centrales Green Power Generation Oita, située dans la préfecture d’Oita, et Taki Bio Power dans la préfecture de Mie.
3.2 La rentabilité d’un projet biomasse est pour le moment conditionnée par l’existence de tarifs d’achat. Or, malgré l’absence de baisse de ces tarifs pour la biomasse (contrairement au solaire), leurs mécanismes constituent un frein à la motivation du secteur privé pour investir dans cette énergie, dans un contexte d’incertitudes sur l’approvisionnement en combustible. Un enjeu de développement pour la biomasse est en effet l’approvisionnement stable et efficace en ressource primaire, et ce malgré un abondant gisement de bois au Japon (70% du pays est couvert par la forêt). Le stock forestier s’élève à 4,9 milliards de m3 en 2016 et il augmente d’environ 100 millions de m3 par an, pour une demande de 26 millions de m3 en 2016, dont 20% de bois importés, moins cher que le bois domestique. Le bois japonais est peu compétitif car il a été peu utilisé, en raison de la baisse du prix du bois importé depuis l’après-guerre et de l’interdiction des constructions en bois pour les grands bâtiments, assouplie il y a seulement quelques années (voir la note SER du 10 juillet 2017 sur la politique de construction bois du Japon). Son exploitation est donc couteuse et la quantité de résidus du bois d’ameublement et de construction n’est pas suffisante comparée à la demande, faisant grimper les prix. La concurrence d’usage sur le bois est de plus encadrée par une réglementation très stricte. Ainsi l’incertitude pesant sur la stabilité de l’approvisionnement pour les 20 prochaines années dissuadent certains investisseurs, qui craignent que la demande mondiale en bois augmente. Cette dissuasion est renforcée par le changement de procédure pour obtenir l’approbation des tarifs d’achat pour un projet de centrale biomasse. En effet, il faut maintenant fournir un plan de prévision de l’approvisionnement en carburant. Les tarifs d’achat n’incitent pas le secteur privé à lancer des projets de centrales en cogénération chaleur et électricité, le motif principal étant l’absence de politique nationale pour l’utilisation de la chaleur et le faible nombre de réseaux de chaleur au Japon.
4. Les projets du secteur privé dans le domaine de l’énergie biomasse au Japon
4.1 Selon une enquête réalisée en septembre 2017 par le Nikkei auprès de 45 entreprises, spécialisées dans la production d'énergie et l'industrie énergétique renouvelable, les 42 entreprises ayant répondu disposent d'une capacité de production combinée d'énergie biomasse de 800 MW avec des perspectives de croissance correspondant à plus de 1700 MW d'ici 2030. Les groupes eRex (fournisseur d'électricité), Okinawa Gaz, Renova et Sumitomo Forestry ont déjà commencé à investir massivement dans la production d'électricité à partir de la biomasse et à lancer des projets de développement de centrales biomasses au Japon.
4.2 En novembre 2015, Veolia a remporté, en partenariat avec Takeei – acteur majeur des services environnementaux au Japon –, les contrats d’exploitation de deux centrales biomasse dans la région de Tohoku, au nord du pays, pour une durée de 20 ans. Les deux installations situées à Hirakawa et Hanamaki, mises en route en novembre 2015 et décembre 2016 produisent 100 GWh d’électricité par an, soit l’équivalent de la consommation de 22 000 foyers. Ces deux contrats reposent sur une utilisation circulaire et locale des ressources : le bois qui alimente les chaufferies provient des industries forestières voisines. En octobre 2017, Veolia a remporté le premier contrat de concession du traitement des eaux usées du Japon, au sein d’un consortium composé de 6 groupes, parmi lesquels JFE Engineering et Orix, pour une durée de 20 ans. Le contrat prévoit la gestion des infrastructures de traitement des eaux usées de la ville de Hamamatsu et inclut l’objectif d’utiliser les boues d’épuration pour générer de l’électricité renouvelable, contribuant par ailleurs à la réduction des coûts d’exploitation.