L'édition 2017 des Entretiens du Trésor a  porté  sur le  thème « Ouverture commerciale, croissance et inégalités ».  Cette conférence a visé à alimenter de manière constructive, objective et nouvelle, le débat sur l’ouverture commerciale, à mettre en lumière ses conséquences sur l’accroissement des inégalités, et à nourrir les réflexions sur les politiques à entreprendre.

Joseph Stiglitz, professeur à l’université de Columbia et prix Nobel d’économie, souligne que l’idée selon laquelle le commerce international serait un jeu à somme positive est, lorsque ses externalités négatives ne sont pas traitées, remise en cause depuis une trentaine d’années dans le monde académique. En l’absence de plein emploi dans les pays développés, le libre-échange peut entrainer des destructions d’emplois à un rythme plus rapide que les créations d’emplois. Ces gains limités de l’ouverture commerciale sont de plus en plus inégalement répartis : les travailleurs les moins qualifiés sont ceux qui en bénéficient le moins. La répartition des richesses devient d’autant plus inégalitaire que le pouvoir de négociation des salariés s’amoindri. Des mesures sociales d’accompagnement sont donc nécessaires pour compenser les effets négatifs du libre-échange.

Même si les gains nets anticipés des nouveaux accords commerciaux sont faibles, Stiglitz défend l’idée d’une intégration économique approfondie. En raison de l’interconnexion des économies par le biais de la division du processus de production, toute mesure protectionniste pourrait représenter un coût substantiel, tant au niveau national que pour l’économie mondiale.

La question qui se pose actuellement pour la communauté internationale est de savoir quelle réponse apporter face à la montée du protectionnisme américain. Selon Joseph Stiglitz, il appartient au reste du monde de renforcer les règles du droit commercial international pour répondre à ce repli outre-Atlantique.

Les Entretiens du Trésor 2017

Roberto Azevêdo, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, a rappelé que lors du sommet du G20, les chefs d’État avaient exprimé leurs inquiétudes sur les risques que peuvent représenter l’ouverture commerciale mondiale. Ces difficultés objectives ne doivent pas faire oublier les bénéfices de cette ouverture commerciale. Elle génère des emplois (en France par exemple, 20% des emplois sont liés aux exportations), elle permet de maintenir les prix bas et soutient par conséquent la consommation. Elle a soutenu l’augmentation du niveau de vie des plus pauvres (1 milliard de personnes seraient sorties de la pauvreté grâce au commerce international).

L’ouverture commerciale est souvent identifiée comme la seule responsable de l’accroissement des inégalités. En réalité, 80% des emplois ont été détruits ces dernières années en raison du progrès technologique. Ce diagnostic est essentiel pour mener les politiques économiques adaptées à la lutte contre l’accroissement des inégalités. Sans une attention forte portée aux politiques redistributives, les gains induits par l’ouverture commerciale continueront d’être répartis de manière inégale.

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Marie-Ange Debon, directrice générale adjointe du groupe Suez, souligne qu’il est important de ne pas limiter le débat sur l’impact du libre-échange au seul commerce des marchandises mais qu’il faut également prendre en compte l’impact du commerce des services et des flux de capitaux.

Le secteur des infrastructures, notamment les infrastructures environnementales sont un exemple de l’impact positif de l’intégration commerciale sur le développement et la réduction des inégalités.

Par ailleurs, elle indique que la notion de pays n’est pas toujours la plus pertinente pour penser le commerce international ; il faut plutôt réfléchir en termes de territoires ce qui complexifi encore les négociations internationales. La notion d’infrastructure en particulier doit être pensée plutôt multi-pays. Les territoires, mais aussi les villes prennent de plus en plus de poids par rapport aux pays dans ces échanges.

Branko Milanovic, économiste et auteur de Global inequality a new approach for the Age of Globalization, montre que parallèlement au phénomène de mondialisation depuis les années 1980, deux groupes sociaux se sont enrichis : les classes moyennes des pays émergents et les 1% les plus riches des pays développés. Ceux qui en ont le moins bénéficié sont les classes moyennes inférieures des pays développés. On observe donc deux phénomènes conjoints : d’un côté une certaine convergence des niveaux de vie entre pays en voie de développement et pays développés, et de l’autre un accroissement des inégalités à l’intérieur des pays développés. Cela s’explique selon lui notamment par une redistribution pas assez plate des gains de l’ouverture commerciale.

Le fait que l’ouverture commerciale soit bénéfique de manière agrégée ne permet en aucun cas de répondre au scepticisme de cette « génération perdue » qui a perdu son emploi et ne pourra en retrouver. La majeure partie du choc lié à cette ouverture commerciale semble cependant derrière nous, 15% des emplois étant touchés aujourd’hui contre 30% pour la période précédente.

Philippe Jahshan, président de l’ONG Coordination Sud, se propose de relayer la perception de l’ouverture commerciale par la société civile. Du point de vue du développement durable on peut constater des effets plutôt négatifs. L’ouverture commerciale a mis en concurrence les classes moyennes des pays en voie de développement avec les classes moyennes des pays développés, mettant par là même en concurrence les différents systèmes sociaux. Entre l’Occident et l’Asie, elle s’est faite au détriment des classes moyennes occidentales. Cette concurrence se fait bien souvent au bénéfice des modèles sociaux les moins soutenables avec des risques de dumping fiscal accrus. Cela, ajouté à un contexte de fraude fiscale non jugulée, détériore les finances publiques des pays partenaires et nuit à la capacité des États à mener des politiques sociales ambitieuses. L’impact est également négatif en ce qui concerne le climat, favorisant notamment l’accroissement des circuits longs et le poids du transport maritime par exemple, qui demeure très polluant. L’impact est encore plus net dans les pays en développement, où l’ouverture au commerce touche et appauvrit les paysans locaux et les agricultures familiales fondamentales pour la subsistance et la résilience de populations entières. Toute libéralisation commerciale produit des gagnants et des perdants. Or les moyens de compensations pour les perdants sont très insuffisants au regard des besoins et des inégalités massives par conséquent se développent.

Les accords de nouvelle génération accentuent ces effets en voulant davantage s’attaquer aux volets réglementaires et en introduisant des instances juridiques privées pour régler les différends, empiètent sur la capacité des États à réguler.

La démocratie est la question la plus fondamentale mise en avant par la polémique autour des accords commerciaux. Après une période où le libre-échange a pu produire de la libéralisation politique, il y a à craindre qu’une poursuite d’une mondialisation dérégulée ne produise désormais un affaiblissement démocratique et un retour autoritaire.

La fermeture n’est cependant pas la solution. Mais pour rester ouvert, il faut reconsidérer la politique commerciale non pas comme une fin mais comme un moyen d’atteindre des objectifs plus élevés, comme ceux du Développement durable (ODD). Le droit commercial ne doit pas prendre le dessus sur tous les autres. Par conséquent ces accords doivent être signés en cohérence avec les différents accords internationaux ou normes sociales et environnementales (COP, OIT, …) afin de s’assurer que le commerce est bien au service d’un projet politique juste et durable.

Paul Romer, chef économiste de la Banque mondiale, a expliqué que les débats théoriques autour de l’impact économique de l’ouverture commerciale, source de transformations socio-économiques, suscitent des réactions ambivalentes. Il est essentiel de se concentrer plutôt sur ses effets concrets. Le commerce international a permis aux pays en voie de développement, en aidant à la diffusion des nouvelles technologies, l’amélioration de leur niveau de vie. Aucun pays n’est prêt à renoncer à ces avancées. Par conséquent, il y a fort à parier que les pays en voie de développement ne suivront pas la voie protectionniste vers laquelle se tournent certains pays développés.

Le commerce n’est pas seul responsable de l’accroissement des inégalités, et il existe une large palette de politiques publiques à la disposition des États pour faire face à ces dommages collatéraux. Les États-Unis et le Danemark ont été confrontés depuis les années 1990 aux mêmes mutations économiques mais n’ont pourtant pas connu les mêmes évolutions en matière d’inégalités. Les inégalités ont baissé au Danemark (le coefficient Gini est passé de 31% à 21%) alors qu’elles se sont accrues aux États-Unis (le coefficient Gini a cru de 43% à 47%). En choisissant la voie du protectionnisme, les États renoncent à affronter ces enjeux fiscaux de redistribution.

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Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne, indique que les accords commerciaux sont un moyen de réguler la mondialisation en intégrant de nouveaux sujets comme les bonnes pratiques et la coopération réglementaire, la dimension sociale et environnementale, la protection de la propriété intellectuelle et des investissements ou encore la concurrence. Dans une large mesure, contrôler les normes revient à contrôler les marchés (même si la coopération réglementaire n’est pas de la co-législation), dont l’accès reste un aspect déterminant des négociations commerciales. Si le développement du commerce fait des perdants, il est incontestablement un jeu à somme positive et ce n’est pas le rôle de la politique commerciale de traiter cette question, qui doit toutefois l’être par ailleurs par des politiques d’accompagnement ciblés en matière de formation et de protection sociale. Les préoccupations démocratiques des sociétés civiles au regard de la transparence des négociations commerciales doivent être également prises en compte. La défense de nos intérêts dans les objectifs de politique commerciale se traduit par des effets positifs sur la croissance et l’emploi.

Sébastien Jean, directeur général du CEPII, interroge dans son propos la légitimité des accords commerciaux, dits de « nouvelle génération » qui disposent de clauses non commerciales (clauses sociales, environnementales, fiscales). Ces clauses peuvent se justifier par la capacité du commerce à être utilisé comme levier pour accroître la coopération dans d’autres domaines, mais également par le fait qu’une plus grande facilité de commerce entre deux pays tend à rendre plus coûteux des écarts de régulation dans d’autres domaines. Cependant, ces clauses non commerciales peuvent présenter l’inconvénient d’aboutir à une surcharge voire à une paralysie des négociations – notamment en renforçant le caractère non mixte des accords –, et portent le risque d’une ingérence dans les affaires nationales. Il paraît donc nécessaire de rechercher une meilleure intégration des clauses non commerciales dans les accords. Plusieurs pistes peuvent ainsi être explorées : privilégier une approche en termes de minima et de principes de base garantis ; s’accorder sur des éléments qui soient vérifiables ; adopter des engagements automatiques ; et accepter de renoncer à des engagements commerciaux s’ils entrent en confrontation avec d’autres objectifs –, le commerce n’étant qu’un outil et non une fin en soi.

Yann Delabrière, président de Faurecia, souligne l’importance de la préservation des grands accords régionaux, notamment de l’ALENA, au regard du contexte actuel : toute rupture des tarifs intrarégionaux aura des impacts dommageables sur l’industrie US : la Russie et le Brésil, protectionnistes pour leur marché automobile afin de favoriser une industrie locale, ont abouti à des échecs. Or, 15-20% de la production automobile d’Amérique du Nord est déjà réalisée au Mexique ainsi que 50% de la production de composants automobiles. Par ailleurs, la Grande-Bretagne est un producteur automobile plus important que la France.. Les enjeux liés aux normes (électriques, de connectivité…) vont prendre également de l’importance compte tenu du marché en croissance des voitures connectées/autonomes.

Enfin, en termes de priorités, l’essentiel de la croissance de l’industrie automobile a lieu désormais en Asie du Sud-est (Philippines, Indonésie, Thaïlande) et 60% du marché des véhicules sera en Chine en 2030 : l’UE doit orienter ses réflexions vers l’Asie, notamment les pays d’Asie du Sud-est et l’ASEAN.

Yann Delabrière insiste également sur le fait que le commerce international n’est pas la cause des diffcultés de secteurs manufacturiers aux États-Unis et en Grande-Bretagne et que l’Allemagne ne doit pas être absente du débat : au cours des 15 dernières années , 1,5 millions de voitures ont été produites en moins en France, mais l’Allemagne en a produit autant en plus, avec pourtant les mêmes règles de commerce international. Enfin, l’éduction et l’interaction des recherches public-privé doivent être pris en compte.

Pervenche Berès, députée européenne, estime que le commerce international fonctionne par cycle : nous sommes aujourd’hui à un changement de modèle. Elle ne se dit pas prête à renoncer à une certaine création de richesses via le commerce, et à sa distribution. Simplement, le contexte a profondément changé :
1/ l’OMC n’a pas traduit les espoirs initiaux même si cela ne condamne pas toutes les négociations multilatérales à l’échec : la COP a été un succès ; c’est une source d’espoir ;
2/ l’enjeu de la définition des normes : l’émergence de nouveaux acteurs comme la Chine a déjà conduit depuis des années les pays développés à chercher au FMI, par exemple, à définir des normes acceptées par les émergents avec un résultat mitigé ;
3/ le développement de nouveaux domaines d’échanges commerciaux : les biens matériels ou les données informatiques ne sont pas comparables : la question nouvelle de la protection des données personnelles est jusqu’ici sous-évaluée ;
4/ l’arrivée au pouvoir de Donald Trump va donner un coup de frein au commerce ;
5/ le Brexit : Theresa May a été cohérente avec son camp : elle demande à recouvrer sa capacité à négocier seule des ALE.
Pascal Lamy estime qu’il s’agit du passage d’accords de protection à des accords de précaution. L’agenda offensif de l’Union, c’est celui des normes pour le secteur de l’automobile. La Commission européenne doit prendre conscience de ce nouvel âge et proposer une nouvelle doctrine.

Celle-ci doit:
1/ tenir compte des NSE, des IG, SPS ;
2/ se saisir de la problématique fiscale ;
3/ exiger des listes positives de marchés publics ;
4/ disposer de mécanismes de règlements des différends, cour permanente ou autres modalités ;
5/ le refus de la coopération réglementaire car la capacité des États à légiférer est fondamentale.
Ces conditions ne sont pas réunies dans le CETA. La question d’accès au marché n’est pas la seule : c’est une question qui intéresse le législateur et la transparence est critique. Aussi, il faut refonder la doctrine du commerce international et réagir à la menace de dumping fiscal du Royaume-Uni. Pervenche Berès ajoute : « il faut enfin faire vivre le concept de juste échange, qui est un concept plus riche que celui de libre échange ».

Guntram Wolff, directeur de l’institut Bruegel, a indiqué que l’intégration économique a bénéficié à de nombreux pays. En Europe par exemple, on a observé suite à la dynamique d’intégration de l’Union européenne et le rattrapage économique des pays d’Europe de l’est, une réduction des inégalités entre pays et une convergence des niveaux de vie. Ce modèle social européen a été plus efficace que le modèle anglo-saxon dans la réduction des inégalités.

Donald Trump semble vouloir revitaliser le vivier d’emplois dans le secteur manufacturier grâce à des mesures protectionnistes. À long terme cette politique ne servira en réalité pas l’économie américaine. Cela pourrait d’ailleurs avoir des conséquences dommageables pour l’économie européenne. La baisse des flux commerciaux entre les États-Unis et l’Europe pourrait conduire à une contraction du PIB de 0,4% et la destruction de 240 000 emplois d’après l’étude récente menée par Hylke Vandenbussche (ces chiffres semblent sous-estimer la vulnérabilité de l’Europe aux flux de capitaux américains, insuffisamment pris en compte par le modèle). L’OMC devrait concentrer ses efforts sur la lutte contre les risques croissants de l’augmentation des tarifs douaniers américains vis-à-vis de l’Europe. Parallèlement l’Europe devrait se doter de mesures notamment fiscales pour être prête à faire face à des politiques américaines non compatibles avec les règles de l’OMC.

Philippe Aghion, professeur au Collège de France, a présenté synthétiquement son analyse économique sur les relations entre le commerce, la croissance et l’innovation, fondée sur la théorie de la croissance schumpétérienne. Dans les pays développés, la croissance à long terme est portée par l’innovation. Le commerce peut contribuer à renforcer la croissance par l’innovation pour au moins trois raisons : il accroît le volume du marché (effets de taille de marché), augmentant ainsi le volume des rentes pour les innovateurs ; il stimule la concurrence (effet de concurrence) ; enfin il facilite les transferts de technologie (effet de diffusion des connaissances). D’un autre côté, le commerce génère de l’inégalité et fragilise notamment les personnes peu qualifiées ou les personnes qui n’ont pas la possibilité de se réadapter. Il est de ce fait essentiel de veiller à ce que la libéralisation de l’économie et des échanges s’appuie sur un système éducatif pleinement inclusif ainsi que sur une réforme du marché du travail conduisant à une véritable sécurisation des parcours professionnels. Ce serait une grave erreur que de ne pas accompagner la libéralisation des échanges de politiques actives d’éducation, de formation, et de protection des individus contre les risques liés au processus de destruction créatrice. Les politiques de libéralisation à « la Reagan » ou à « la Thatcher », qui ont oublié la dimension inclusive, ont conduit à des impasses populistes aux États-Unis (avec Trump) et en Grande-Bretagne (avec le Brexit). 

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Martin Kaufman, directeur adjoint du Département de la stratégie, de la politique et d’examen au FMI, a souligné que l’on s’est dernièrement davantage concentré sur l’intégration commerciale, aussi bien au niveau régional que mondial, compte tenu de barrières commerciales persistantes (e.g., barrières non tarifaires, harmonisation réglementaire, la protection des investissements), l’avènement des chaines de valeur mondiales, et du défi posé par le développement des flux de services. L’enjeu majeur est aujourd’hui celui de poursuivre l’intégration commerciale dans un nouveau contexte de défiance vis-à- vis de la mondialisation dans de nombreux pays, et d’éviter l’escalade des tensions commerciales. Cela pousse à remettre certaines questions en perspective : comment rendre le commerce plus inclusif ? Comment endiguer les potentielles fragmentations commerciales ? Comment faciliter une réallocation plus efficace des travailleurs et des ressources dans les secteurs en expansion ? Comment insérer ces problématiques dans nos futures initiatives en matière commerciale ?

Liina Carr, secrétaire confédérale à la confédération européenne des syndicats, a expliqué que le CES n’est pas anti-commerce. Toutefois les négociations commerciales ne peuvent pas être soutenues par le monde syndical dans leur forme actuelle et ce pour deux principales raisons : i) les négociations commerciales sont conduites en secret en particulier TiSA et CETA et malgré les avancées s’agissant de la négociation du TTIP, il n’est toujours pas possible d’avoir accès aux positions américaines ; ii) les négociations commerciales, qui vont aujourd’hui bien au-delà de la levée des droits de douanes, ne tiennent pas compte des besoins et aspirations des syndicats et des citoyens en particulier s’agissant de la protection des services publics et de la protection du droit à réguler des États (les droits des travailleurs et les conditions de travail, les normes sociales et environnementales, santé et protection des consommateurs) qui est mis à mal par les mécanismes spéciaux de règlement des différends investisseurs/États (ISDS) qui supposent la mise en place d’un système juridictionnel séparé.

De manière plus transversale elle suggère une coopération plus étroite entre l’OMC et l’OIT. En effet la mondialisation doit aussi tenir compte des questions relatives aux droits de l’homme, droits environnementaux et sociaux. Mme Carr souligne également l’importance d’une cohérence et d’une meilleure articulation entre le commerce international, les besoins spécifiques et le modèle social de chaque pays, en particulier les pays les moins avancés (PMA). Mme Carr évoque enfin les questions fiscales qui, même si elles sont régulées au niveau national, elles ont des implications internationales touchant directement les travailleurs et peuvent mettre à mal la concurrence équitable dès lors que les multinationales peuvent obtenir des avantages fiscaux.

Sur la base de l’expérience du Mexique, Juan Manuel Gomez Robledo, ambassadeur du Mexique en France, a expliqué en quoi l’articulation entre le système commercial multilatéral et les accords régionaux est satisfaisante et facilite la régulation des conflits commerciaux. Le Mexique a adhéré au GATT en 1986 et a ensuite conclu de nombreux accords de libre-échange régionaux et bilatéraux (46), tandis que des négociations sont en cours avec la Jordanie, la Turquie, le Brésil et l’Argentine. Le Mexique a aussi négocié des accords de protection des investissements, qui ont permis de renforcer la crédibilité et l’attractivité du pays pour les investisseurs internationaux.

L’ambassadeur estime que les approches multilatérale et régionale sont complémentaires. D’une part, les accords régionaux permettent une croissance plus rapide des flux commerciaux mais ne vont pas à l’encontre des règles de l’OMC. À l’époque, certains juristes avaient le sentiment que la multiplication des accords allait conduire à un désordre juridique. Dans la pratique, ce risque ne s’est pas réalisé. Le Mexique, qui a eu recours de nombreuses fois aux procédures de règlement des différends comme plaignant ou défendeur – à l’OMC ou dans les accords régionaux - estime que ces mécanismes sont très efficaces et offrent des solutions stables aux conflits commerciaux.

Hendrik Bourgeois, directeur des affaires publiques de General Electric Europe, estime que si l’ouverture commerciale et la mondialisation favorisent bien l’innovation, l’entreprenariat, la concurrence et la croissance, on assiste néanmoins à une recrudescence des demandes de retour des barrières commerciales. Il semble que le commerce international serve aujourd’hui de bouc émissaire face aux critiques sur la croissance, l’emploi et la montée des inégalités alors que le problème central reste celui de la productivité. Longtemps considérée comme une matière technique (réduction des barrières tarifaires), la question du commerce international est désormais éminemment politique, et donc polémique. Cela tient notamment au fait que les accords commerciaux traitent désormais les questions de règlementation, d’environnement, etc. Dans ce contexte, il est crucial que l’UE repense la gouvernance et les mécanismes régissant sa politique commerciale. La position de la Commission, qui détient une compétence exclusive sur la question, est en effet délicate : elle a besoin d’un mandat politique solide pour conduire les négociations commerciales de manière plus légitime et plus inclusive, notamment au service de nos PME.

Si le diagnostic est très largement partagé sur le fait que le commerce international crée de la richesse, Philippe Martin, professeur d’économie à Sciences Po, indique qu’il n’en va pas de même s’agissant des moyens de réduire les inégalités induites par la mondialisation. Les politiques publiques n’ont pas su redistribuer efficacement les bénéfices du commerce au profit des « perdants » de la mondialisation que ce soit via les politiques fiscales ou par les politiques de formation professionnelle ou d’éducation. La mondialisation n’est pas soutenable politiquement si au même moment où elle contribue à augmenter les inégalités les gouvernements voient leur base taxable se délocaliser et le financement de leurs politiques publiques se réduire. L’acceptation de la mondialisation commerciale passe donc par la maîtrise de la mondialisation financière, via une lutte affirmée contre les pratiques fiscales non-coopératives et l’évasion fiscale. L’UE doit utiliser le levier des accords commerciaux pour promouvoir la coopération fiscale. Cette question du lien entre commerce et fiscalité se pose d’autant plus fortement aujourd’hui dans le contexte de la mise en place du nouveau gouvernement américain qui entend remettre à plat la fiscalité des affaires mais également dans les futures négociations autour du Brexit.

Angel Gurria, Secrétaire général de l’OCDE, souligne que nous connaissons une période critique où l’on constate une perte de confiance générale et une forte aggravation des inégalités de revenu et de patrimoine en une génération au sein de la zone OCDE (le revenu des 10% les plus riches est autour de 10 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres, contre un ratio de 7 dans les années 1980 ). Si les causes du rejet de la mondialisation sont nombreuses, les conséquences en sont claires alors que les tendances protectionnistes s’am- plifient. Il faut donc créer une mondialisation « plus inclusive », qui intègre notamment les concepts de coopération et d’engagements partagés et également rechercher une productivité plus inclusive. Dans un contexte préoccupant de ralentissement marqué de la croissance de la productivité et d’aggravation des inégalités, l’OCDE a lancé des travaux pour étudier la relation entre la productivité et les inégalités (sujet notamment discuté lors de la réunion ministérielle de l’OCDE de 2016, et a publié l’étude intitulée : « l’articulation entre productivité et inclusivité »). Les pouvoirs publics doivent reconnaître les changements mais aussi les risques liés à l’automatisation pour une certaine partie de la population (étude PIAAC de l’OCDE ; ainsi qu’un nouveau projet horizontal de l’OCDE sur la transformation numérique au service de la croissance inclusive et du bien-être). L’OCDE mène une véritable réforme fiscale pour plus de justice et de transparence. La coopération internationale en matière fiscale, notamment avec le projet BEPS ( « Base Erosion and Profit Shifting) » et l’échange automatique d‘ informations, est essentielle. La réunion ministérielle de l’OCDE qui se tiendra début juin 2017 aura pour thème « Faire de la Mondialisation l’instrument d’une vie meilleure pour tous ».

 

 

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