Les standards applicables en matière de contrôle des concentrations permettent aujourd’hui à certaines opérations d’échapper au contrôle des autorités de concurrence, alors même qu’elles ont potentiellement d’importants effets restrictifs de concurrence. C’est le cas en particulier des joint-ventures.

 Afin d’entreprendre une activité économique commune, deux ou plusieurs entreprises peuvent créer une structure commune, appelée coentreprise ou encore joint-venture. Elle peut être formée pour réaliser un seul projet ou au contraire aux fins d’une coopération plus durable entre les différentes parties. Les joint-ventures revêtent des formes très diverses et leurs objectifs sont multiples, mais toutes ont en commun de permettre potentiellement d’importants gains d’efficacité. Ainsi, les joint-ventures de recherche et développement (R&D) mettent en commun les expertises et les savoir-faire des parties prenantes et développent des synergies entre industries connexes, ce qui peut être favorable à la promotion de l’innovation. Les joint-ventures de production mutualisent les coûts fixes et peuvent permettre de réaliser d’importantes économies d’échelle. Les joint-ventures entre entreprises de réseau telles que les compagnies aériennes ou les systèmes de cartes bancaires jouent sur les effets d’externalités. Les joint-ventures financières diversifient les risques. Les joint-ventures internationales, c’est-à-dire entre sociétés issues de pays différents, permettent de faciliter la pénétration d’un marché étranger : elles simplifient les négociations et les formalités administratives, chaque entreprise bénéficiant de l’expérience de marché de ses partenaires et de leur connaissance de la réglementation, ainsi que des conditions et des besoins spécifiques du marché étranger.

En droit français, le terme de joint-venture ne correspond à aucune réalité juridique précise et désigne de manière assez générale toute forme de collaboration entre entreprises. Au niveau communautaire, les standards actuels en matière de contrôle des concentrations sont tels que seule la création d’une « entreprise commune de plein exercice » nécessite une notification auprès des autorités de concurrence. Le caractère de plein exercice se définit notamment à travers l’autonomie de l’entreprise vis-à-vis des sociétés mères1. Lorsqu’elles ne rentrent pas dans ce cadre, les joint-ventures ne peuvent faire l’objet que d’un contrôle a posteriori et éventuellement être sanctionnées au regard des articles 101 et 102 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne. Toutefois, la création d’une joint-venture peut avoir des effets anticoncurrentiels sans que celle-ci ne constitue une « entreprise commune de plein exercice ». En particulier, la collaboration peut réduire les incitations des partenaires à se faire concurrence. La structure commune peut être un important vecteur d’échange d’informations et faciliter les comportements collusifs ; elle peut ainsi entraver la liberté et l’autonomie des partenaires et devenir à l’extrême une plateforme de coordination des activités, conduisant à des politiques de fixation des prix ou de partage du marché.

Les prises de participation minoritaire soulèvent le même type de questions. Aujourd’hui, une prise de participation minoritaire dans une entreprise, si elle ne confère pas un contrôle actif au sens du droit national et communautaire2, n’entraîne pas de contrôle préalable des autorités de concurrence. Pourtant, la participation minoritaire dans le capital d’une entreprise peut potentiellement générer d’importants effets anticoncurrentiels. Même si elle ne dispose pas d’un droit formel de veto sur les décisions, l’entreprise actionnaire minoritaire peut dans certains cas se révéler particulièrement influente dans les choix stratégiques de l’entreprise. C’est le cas notamment pour des entreprises qui disposent d’une expertise technique ou d’un savoir-faire particulièrement reconnu dans le secteur. L’influence exercée par une telle entreprise pourrait en pratique l’amener à exercer un contrôle conjoint de telle sorte que sa prise de position devrait relever du contrôle des concentrations. Par ailleurs, l’actionnaire minoritaire pourrait être moins incité à concurrencer une entreprise dont il détient une partie du capital : dans ce cas, la prise de participation risquerait d’avoir pour effet d’aligner les intérêts d’entreprises qui sinon auraient des objectifs conflictuels intensifiant la concurrence. Cette participation pourrait enfin faciliter les échanges d’informations sensibles puisque l’actionnaire minoritaire intervient au sein des organes de direction et de contrôle. C’est pourquoi, certains pays se sont déjà dotés de dispositifs permettant de contrôler de telles opérations. C’est le cas du Royaume-Uni qui a mis en place un test dit de la « material influence » ou encore les Etats-Unis avec le test de la « partial acquisition ».

Dans quelle mesure les créations de joint-ventures qui ne sont pas de plein exercice devraient-elles être soumises au contrôle des concentrations ? Un contrôle a priori renforcé ne risquerait-il pas de freiner à l’excès les gains d’efficacité liés à ces pratiques ? Faut-il suivre les exemples américains et britanniques et se doter de dispositifs de contrôle des prises de participation minoritaire ?

Intervenants

  • Jacques-Philippe Gunther (avocat associé chez Willkie Farr & Gallagher LLP)
  • Laurent Flochel (Vice-président au cabinet de conseil en économie CRA Charles River Associates). 

Le débat a été animé par Anne Perrot, Vice-présidente de l’Autorité de la concurrence.Il a été complété par une discussion d’une part autour de la jurisprudence Société France Antilles du Conseil d’État et d’autre part autour de l’affaire Ryanair /Aer Lingus.