Tableau de bord conjoncturel de l'Afrique australe (avril 2021)

La plupart des économies d’Afrique australe ont abordé la crise du Covid-19 dans une situation difficile. Du fait de fragilités structurelles persistantes, et pour avoir géré la crise sanitaire avec une extrême prudence, la sous-région est celle qui a le plus souffert de la crise en Afrique sub-saharienne. C’est aussi celle qui devrait rebondir le moins fort. Dans ce contexte, la dégradation des finances publiques est une préoccupation majeure (quatre pays sur dix atteignent un niveau d’endettement critique et les dynamiques sont très préoccupantes dans la plupart des autres pays), faisant craindre que ces économies s’enfoncent dans des crises durables, et que les progrès sociaux réalisés depuis plusieurs décennies soient en bonne partie remis en cause.

 

  • L’Afrique australe est la sous-région la plus touchée économiquement par la crise en Afrique sub-saharienne.

En 2020, le PIB des économies de la sous-région s’est contracté de 6% en moyenne, loin du résultat enregistré pour l’Afrique Sub-saharienne dans son ensemble (-1,9%). C’est aussi 5,3 points de moins qu’en Afrique de l’Ouest ou 7,2 points de moins qu’en Afrique de l’Est. Parmi les quinze pays d’Afrique subsaharienne où la récession a été la plus forte, sept sont situés en Afrique australe : du Botswana (-8,3%) à la Zambie (-3,5%). Cette position en queue de peloton s’explique tout d’abord par un effet mécanique : du fait du poids des économies sud-africaine (66%) et angolaise (14%) dans le PIB de la sous-région, deux pays qui ont particulièrement souffert de la crise (-7% et -4%, respectivement). Par ailleurs, plusieurs pays de la zone dépendent du marché sud-africain comme débouché pour leurs exportations (Zimbabwe, Lesotho, Mozambique). La contreperformance du pays a aussi pesé sur la croissance de la sous-région par ce canal.[1] Ensuite, compte tenu de leur forte spécialisation dans les industries extractives, les économies d’Afrique australe ont été touchées très tôt par la chute de la demande internationale et des cours des matières premières. En fonction des produits exportés et des débouchés, la reprise du secteur a été plus ou moins rapide et plus ou moins marquée. Sur ce plan, l’impact de la crise a été moins important en Angola (pétrole – 30% du PIB et 90% des exportations ces dernières années), en Afrique du Sud (or, platine, diamant, ferrochrome, charbon – environ 8% du PIB), en Zambie (cuivre – 15% du PIB et 75% des exportations) et au Zimbabwe (pierres et métaux précieux, nickel, minerai de fer – 7% du PIB et 45% des exportations). Tandis que le coût est très élevé pour le Botswana (diamant – 20% du PIB et 90% des exportations) et la Namibie (uranium et diamant – 12% du PIB et plus de 60% des exportations). Toutefois, le facteur qui explique le mieux l’ampleur avec laquelle les économies d’Afrique australe ont été touchées par la crise, est la dureté des mesures de confinement mises en œuvre lors de la première vague de l’épidémie. Dans le sillage de l’Afrique du Sud, la plupart des gouvernements ont pris des mesures très strictes, très tôt et dont les pays ne sont sortis que très progressivement (arrêt des activités non essentielles, couvre-feu, arrêt des vols internationaux et domestiques, etc.) – Angola, Botswana, Namibie, Zimbabwe. Le Malawi, le Mozambique ou encore la Zambie ont pris des mesures sensiblement moins restrictives. Les économies les plus dépendantes du tourisme ont été fortement affectées par la fermeture des frontières et la suspension des liaisons aériennes – avant le déclenchement de la crise, le tourisme représentait un peu plus de 10% du PIB au Botswana et en Namibie, un peu moins de 10% en Afrique du Sud, au Malawi, au Mozambique, en Zambie et au Zimbabwe. Enfin, les deux pays qui ont enregistré les meilleures performances en 2020 sont ceux qui dépendent le plus du secteur agricole : le Malawi et le Mozambique – plus du quart du PIB. D’un point de vue général, après plusieurs années de sécheresse, le secteur agricole a permis de soutenir la croissance dans tous les pays de la sous-région

 

  • Le rebond de la croissance attendu en 2021 sera aussi plus faible en Afrique australe, du fait de fragilités structurelles persistantes

Selon les dernières prévisions du FMI, le taux de croissance moyen en Afrique australe devrait atteindre 2,6%, contre 3,4% en Afrique sub-saharienne. Avant le déclenchement de la crise, la plupart des économies de la zone étaient déjà dans une situation difficile. En 2018 et en 2019, la croissance moyenne de la zone a été nulle, poursuivant une tendance à la baisse entamée au début de la décennie 2010. Les deux plus grandes économies de la région rencontrent des difficultés particulièrement importantes. L’Afrique du Sud est durablement fragilisée par les présidences de Jacob Zuma : corruption, dysfonctionnement des entreprises publiques et dégradation du climat des affaires. L’Angola est en récession depuis 2016, fortement affectée par la fin du super cycle des matières premières – une économie à bout de souffle après quarante ans de présidence Dos Santos (absence de diversification de l’économie, sous-investissement dans le secteur pétrolier, corruption, etc.) – les réformes mises en œuvre depuis 2017 par le président Lourenço pour solder ce passif ont aussi eu un fort impact récessif. Les économies de la zone sont dépendantes des industries extractives et donc vulnérables aux variations des cours des matières premières – plutôt orientés à la baisse depuis 2015/2016, exacerbé par un environnement peu favorable ces dernières années, sur fond de conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine. Une autre explication majeure des faibles taux de croissance enregistrés ces dernières années en Afrique australe est la baisse préoccupante de l’investissement dans la plupart des pays de la zone. En 2019, le taux d’investissement était inférieur à 20% du PIB en Afrique du Sud, en Angola et en Namibie. Si le taux d’investissement reste élevé au Botswana (33% du PIB), il a perdu 8 points en dix ans. Cette chute des investissements s’explique par une dégradation de l’environnement économique général dans la sous-région, par la dégradation du climat des affaires et par celle des finances publiques, qui ont pesé sur la confiance des investisseurs. A noter, les cas particuliers du Mozambique (taux d’investissement de 42% en 2019, mise en œuvre des mégaprojets gaziers dans le nord du pays) et de la Zambie (40% du PIB – programme d’investissement dans les infrastructures, mal dimensionné et largement à l’origine de la situation de surendettement du pays). Les pays de la zone sont aussi particulièrement fragiles vis-à-vis des phénomènes climatiques extrêmes. Plusieurs années de sécheresse ont fortement affecté les secteurs agricoles des pays de la sous-région. La sécheresse s’est aussi traduite par une chute des capacités de production d’électricité en Zambie et au Zimbabwe (la production locale dépendant presque uniquement de l’hydroélectricité), avec un fort impact sur l’activité. Le Mozambique, le Malawi et le Zimbabwe ont aussi été touchés très durement par le passage des cyclones Kenneth et Idaï (2019) puis Eloïse (2021). Rappelons enfin que chaque pays fait face à des difficultés qui lui sont propres. Le Mozambique est déstabilisé par des problèmes sécuritaires majeurs dans le nord du pays (Cabo Delgado), qui ont entraîné la mise à l’arrêt durable du projet de Total (23,5 Mds USD d’investissement). Le Zimbabwe traverse une crise monétaire et une crise de change sans précédent depuis octobre 2018. Une dernière explication au faible rebond de la croissance du PIB attendu dans la région en 2021 est le retard pris dans la mise en œuvre de programmes de vaccination, qui pourrait se traduire par une troisième voire une quatrième vague de l’épidémie.[2]

 

  •  La crise a eu un impact massif sur les finances publiques des pays, qui ont toutefois bénéficié du soutien des Institutions Financières Internationales (IFIs) pour combler une partie de leurs besoins de financement

Avant le déclenchement de la crise, on observait depuis plusieurs années une dégradation significative des finances publiques dans la plupart des pays de la zone. Certains pays comme la Zambie ont continué à laisser filer le déficit public – 8,3% du PIB en moyenne sur la période 2015-2019. D’autres pays ont tenté de mettre en œuvre des mesures d’ajustement avec plus ou moins de réussite : (i) En Angola des excédents ont été dégagés en 2018 et en 2019 ; (ii) En Namibie, le déficit s’est maintenu au-delà de 5% du PIB sur la période – dans les deux cas avec un fort impact récessif ; (iii) En Afrique du Sud, malgré la volonté de mieux maîtriser le déficit depuis 2018, il a dérapé tous les ans depuis 2018 (-4,5% du PIB en moyenne sur 2015-2019). La situation du Botswana est relativement meilleure (-3,5% du PIB), mais avec un fort dérapage en 2019, année des dernières élections générales. Sur ce socle fragile, la crise du Covid-19 a eu un impact massif, du fait principalement de la chute des recettes fiscales, alors que la réponse budgétaire de la plupart des pays a été très limitée dans un contexte où les finances publiques étaient déjà contraintes. Seul le plan de soutien économique et social du gouvernement sud-africain a été à la hauteur de ceux des pays développés : annoncée à hauteur de 10% du PIB – mais en réalité nettement en deçà. Ainsi, en 2020, le déficit public a été supérieur à 12% du PIB au Botswana, en Zambie, au Malawi et en Afrique du Sud – il devrait se maintenir à des niveaux élevés à moyen terme. Si la réponse budgétaire a été limitée, celle des banques centrales a été à la hauteur, avec des baisses de taux importantes. Au-delà, elles ont aussi facilité l’accès des banques à la liquidité, assoupli la règlementation prudentielle, sont intervenues sur le marché obligataire secondaire, etc. Pour aider les pays à faire face à des besoins de financement très importants, dans certains cas à des besoins de financement externe (creusement du déficit courant en Angola, au Botswana, au Lesotho, au Malawi ; et/ou sorties nettes de capitaux) et pour soutenir le niveau des réserves de change, les IFIs ont apporté un soutien financier sans précédent aux pays de la zone, comme à l’ensemble des pays en développement. Le FMI a ainsi apporté des financements d’urgence à l’Afrique du Sud, à l’Eswatini, au Lesotho, au Mozambique et à la Namibie. Les programmes en cours avec l’Angola et le Malawi se sont poursuivis. La Banque Mondiale a aussi apporté des financements ponctuels pour aider les pays à lutter contre la pandémie et ses conséquences sociales : Eswatini, Lesotho, Malawi, Mozambique, Zambie et Zimbabwe. Pour soutenir leurs liquidités, cinq pays de la zone ont aussi bénéficié de l’initiative de suspension du service de la dette (Debt Service Suspension Initiative – DSSI) mise en œuvre par les pays membres du G20 et du Club de Paris. Selon les estimations de la Banque Mondiale, l’Angola a été le principal bénéficiaire de la DSSI dans la région, et le second au niveau mondial, suivi du Mozambique, de la Zambie, du Malawi et du Lesotho.

 

  • L’impact massif de la crise sur les finances publiques a fait bondir l’endettement, le risque de surendettement, voire celui d’une crise de la dette

Les déficits budgétaires chroniques, qui se sont maintenus à un niveau élevé ces dernières années, ont eu pour effet de gonfler les dettes publiques. La crise a nettement accéléré cette dynamique – encore exacerbée par la dépréciation des monnaies locales pour les pays fortement endettés en devises (Angola, Mozambique, Zambie). En Namibie, la dette publique est ainsi passée de 15% du PIB en 2010 à 60% du PIB en 2019, plus 17 points en 2020. En Afrique du Sud, elle est passée de 35% en 2010 à 62% en 2019, plus 15 points en 2020. La bonne tenue de l’endettement au Botswana est à signaler (20% du PIB fin 2020), grâce à une gestion prudente de la rente diamantifère. Alors que la situation était déjà particulièrement préoccupante en Angola, au Mozambique et en Zambie avant la crise, elle est aujourd’hui critique. En Angola, la dette publique a atteint 127% du PIB fin 2020 (+20 points au cours de l’année) : si elle est jugée soutenable par le FMI, ce n’est qu’au prix des gros efforts de réforme réalisés dans le cadre du programme FMI mis en œuvre depuis décembre 2018 (lutte contre la corruption, libéralisation du régime de change, privatisation, assainissement du secteur bancaire, etc.). En 2020, le gouvernement angolais a trouvé un accord avec ses créanciers chinois pour le rééchelonnement de la partie souveraine de sa dette. Au Mozambique, la dette publique a atteint plus de 120% du PIB (+19 points au cours de l’année), la dette est jugée soutenable par le FMI, mais à « titre prospectif » – c’est-à-dire en prenant en compte les revenus à venir des projets gaziers – ce qui pourrait être remis en cause par la dégradation du contexte sécuritaire. Le gouvernement est actuellement en discussion avec le FMI pour la conclusion d’un programme de financement pluriannuel visant à soutenir la mise en œuvre des réformes. L’Etat zambien a fait défaut en novembre 2020. Depuis cette date il ne rembourse plus les intérêts dûs sur les Eurobonds qu’il a émis. Le gouvernement est actuellement en discussion avec ses principaux créanciers (la Chine et les détenteurs d’Eurobonds – pour avancer sur les termes d’une restructuration de sa dette) et avec le FMI pour bénéficier d’un programme de financement. Dans ce contexte particulièrement difficile, les notations souveraines de presque tous les pays de la zone ont été dégradées en 2020. Les trois agences ont dégradé la notation souveraine sud-africaine, en particulier Moody’s, qui était la seule à maintenir le pays en catégorie « investissement » et qui l’a dégradé de deux crans depuis mars. L’Angola a aussi été dégradée au moins une fois par les trois agences l’an passé, le pays se classe désormais sept crans en territoire spéculatif, juste avant le défaut. Les notations du Mozambique n’ont pas été modifiées, elles se plaçaient avant la crise à une position équivalente à celles de l’Angola. La Zambie est classée en défaut sélectif depuis l’automne 2020. A noter que le Botswana est le seul pays de la zone dont la notation se situe encore en catégorie « investissement ». Enfin, la situation financière du Zimbabwe est particulièrement difficile : le pays est en situation d’arriérés de paiement vis-à-vis de plusieurs IFIs (Banque Mondiale et Banque Africaine de Développement, en particulier – pour 2,1 Mds USD – ce qui le coupe des financements internationaux) et de nombreux créanciers souverains.

 

  • L’impact de la crise est potentiellement dévastateur pour les populations, remettant en cause les progrès réalisés sur plusieurs décennies

Ces dernières années, la croissance du PIB (souvent inférieure à la croissance démographique) a été trop faible pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail et pour lutter contre les problèmes sociaux récurrents des pays de la zone : chômage, pauvreté, inégalités, voire insécurité alimentaire. Entre 2017 et 2019, le PIB par tête a diminué dans presque tous les pays de la zone, sauf au Botswana, au Malawi et au Mozambique – deux pays parmi les plus pauvres au monde. Sur la période, le PIB par tête a reculé jusqu’à plus de 30% en Angola et jusqu’à 15% en Zambie ou au Zimbabwe. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le taux de chômage était particulièrement important avant le déclenchement de la crise en Afrique du Sud (29% de la population active), en Namibie (20%) et au Botswana (17%) – nettement au-dessus de la moyenne pour l’Afrique sub-saharienne (6,5%). Selon les premiers chiffres disponibles, 1,3 M emplois ont été détruits en 2020 en Afrique du Sud, portant le taux chômage à 32,5% fin 2020. Selon les premières estimations de la Banque Mondiale, le taux de pauvreté (seuil de 1,9 USD par jour) a augmenté dans tous les pays de la zone. Cette augmentation est particulièrement élevée en Namibie et au Zimbabwe (+8 points, pour atteindre 45% et 50% de la population). Même si l’augmentation y a été plus faible en 2020, le taux de pauvreté est très important au Malawi (70%), au Mozambique (65%) et en Zambie (60%). Enfin, l’Afrique du Sud, la Namibie et le Botswana sont régulièrement classés comme les pays où les inégalités de revenu sont les plus élevées au monde.

 

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[1] Les pays de la région ont commencé à recevoir des vaccins de l’initiative Covax, de quoi couvrir 1,4% de la population, sur les 20% annoncés au total. Les pays de la zone vont également bénéficier des doses sécurisées par l’Union Africaine – 670 M doses, mais dont on ignore encore le calendrier de distribution. A ce stade, l’Afrique du Sud a sécurisé ses propres doses et lancé un programme de vaccination à grande échelle (environ 300 000 personnes vaccinées mi-avril). L’Angola vient d’acheter 6 M de doses du vaccin Spoutnik V à la Russie. Le Mozambique et le Zimbabwe ont bénéficié d’un don de 200 000 doses du fabricant chinois Sinopharm.

[2] Outre la dépendance commerciale, s’exercent également une dépendance monétaire (ancrage au ZAR des monnaies d’Eswatini, du Lesotho et de la Namibie dans le cadre de la Common Monetary Area) et budgétaire, compte tenu de l’importance des recettes douanières issues de la Southern Africa Custom Union (SACU) – au Botswana et en Namibie notamment.

Ce ralentissement s’explique en grande partie par les mauvaises performances enregistrées en Afrique du Sud et en Angola qui représentent plus de 80% du PIB de la zone. L’Afrique du Sud a connu une période de récession au premier semestre, et pour 2018 son taux de croissance a atteint 0,8% – soit près de deux fois moins que son niveau de 2017 et deux fois moins que le taux anticipé en début d’année. En Angola, la récession s’est prolongée pour une troisième année consécutive et la situation s’est encore dégradée avec un taux de croissance de -1,7%, contre -0,2% en 2017. Ces mauvaises performances pèsent sur les autres économies de la zone qui en sont très dépendantes – baisse de la demande adressée et des exportations, baisse des recettes douanières issues de la Southern African Custom Union (SACU – elles-mêmes très dépendantes du commerce sud-africain), ancrage monétaire avec le rand, etc.

 

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