Point coronavirus en Afrique australe (avril 2020)

Nombre de cas (Johns Hopkins – au 3 avril) : Afrique du Sud : 1 462 et 5 décès // Angola : 8 et 2 décès // Botswana : 4 et un décès // Eswatini : 9 // Lesotho : 0 // Malawi : 3 // Mozambique : 10 // Namibie : 14 // Zambie : 39 et un décès // Zimbabwe : 9 et un décès

1. Contexte

En 2019, la croissance moyenne pondérée de la zone a atteint 0,6%, contre 0,9% en 2018, poursuivant une tendance baissière entamée en 2012. Cette évolution reflète largement les difficultés rencontrées ces dernières années par l’Afrique du Sud (0,3% de croissance en 2019) et dans une moindre mesure par l’Angola (-0,3% – soit une quatrième année consécutive de contraction de l’activité). En 2019, parmi les dix pays enregistrant les taux de croissance les plus faibles d’Afrique sub-saharienne, sept font partie de la zone australe. Ainsi, outre l’Angola, deux autres pays sont en récession : le Zimbabwe, qui traverse une crise profonde (-7%) et la Namibie (-0,2% – contraction pour la troisième année consécutive). Suivent l’Eswatini (1,3%), le Mozambique (1,8%) et la Zambie (2%).

2. Mesures de confinement/liées à la circulation

 L’Afrique du Sud a été précurseur dans la mise en place d’un confinement strict. La Namibie, l’Angola et le Zimbabwe ont déjà suivi. Ils seront rejoints demain par le Botswana. On peut penser que les autres pays vont s’aligner rapidement. Toutefois, le confinement est appliqué de manière plus ou moins stricte selon les contextes. Comme dans la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne, on observe dans la sous-région des zones de population très denses, avec une grande difficulté pour les autorités à mettre en place un confinement strict et le risque de réactions autoritaires dans plusieurs pays (Angola et Zimbabwe notamment). 

3. Impact sectoriel
  •  Pour ce qui concerne la première phase de la crise, compte tenu de leur forte spécialisation dans les industries extractives et de leur forte dépendance vis-à-vis de ce marché, les pays de la zone ont été très affectés par l’arrêt de l’activité en Chine, qui s’est traduite par la baisse de la demande et la chute des cours. Afrique du Sud (charbon, or, fer, platine – environ 10% du PIB), Zambie (cuivre – environ 15% du PIB et 75% des recettes d’exportations ces dernières années), Namibie (diamant, uranium – plus de 15% du PIB et 45% des exportations), Zimbabwe (pierres et métaux précieux, nickel, minerai de fer – 7% du PIB et 60% des recettes d’exportations) et Botswana (diamant – 20% du PIB et 70% des exportations). Le cours du charbon, du cuivre et du platine a ainsi chuté de près de 25% depuis le début de l’année, -20% pour le nickel. L’économie angolaise est quant à elle très dépendante des hydrocarbures (environ 30% du PIB et 90% des exportations ces dernières années). Sur le plan des matières premières, on observe cependant un effet bénéfique sur les producteurs d’or, valeur refuge dont le cours a augmenté de près de 10% depuis le début de l’année et sur les pays importateurs nets de pétrole – sans toutefois que cela ne contrebalance les forts effets négatifs de la crise. L’industrie manufacturière sud-africaine est aussi affectée par la désorganisation des chaines d’approvisionnement mondiales, en particulier le secteur automobile qui dépend d’intrants chinois et thaïlandais – pour ces raisons, Nissan a par exemple dû mettre ses chaines de production à l’arrêt.
  • Dans la seconde phase de la crise, l’Afrique du Sud, l’économie la plus industrialisée du continent, a été affectée par la chute de la demande en Europe, en particulier à nouveau le secteur automobile. Les constructeurs allemands, notamment BMW, qui représentent 10 % du total des exportations sud-africaines, ont ainsi mis à l’arrêt pour un mois minimum leurs usines. La fermeture progressive des frontières et l’arrêt de l’activité des compagnies aériennes pénalisent le secteur du tourisme, qui sera sans conteste le plus touché au niveau global. Ce secteur est clef pour de nombreux pays de la zone, en particulier la Namibie, l’Afrique du Sud, le Botswana et la Zambie (environ 10% des revenus d’exportation de biens et services). Par ailleurs, de nombreuses questions se posent sur le redémarrage de la compagnie South African Airways, en grande difficulté, alors que les petites compagnies des autres pays de la région sont des acteurs fragiles qui devront être soutenus à bout de bras par les Etats.
  • Une troisième phase s’est ouverte avec la mise en œuvre de mesures de confinement et le durcissement des restrictions aux frontières. L’arrêt des activités non-essentielles aura un fort impact sur la santé financière des entreprises, sur le chômage et sur les économies en général. Dès le début du confinement, plusieurs entreprises sud-africaines qui étaient déjà en difficulté ont émis des alertes quant à leur capacité à honorer leurs obligations vis-à-vis des fournisseurs et des créanciers, faisant peser le risque de dépôts de bilan en cascade. Plus globalement, suite à la mise en place de restrictions au passage des frontières pour les personnes et les marchandises, il existe un fort risque de désorganisation de la chaine logistique. Ces mesures sont de nature à affecter les petites économies de la zone, très dépendantes de la production sud-africaine (Namibie, Lesotho, Eswatini, mais aussi Mozambique), qui risquent de rencontrer des problèmes d’approvisionnement, y compris pour les produits les plus essentiels notamment alimentaires ou de santé qui sont censés ne pas être concernés. Il est évident, par ailleurs, que les PME et le secteur informel auront le plus grand mal à résister à une période de cessation d’activité durable. En Angola, les sociétés pétrolières ont trouvé un accord avec les autorités pour permettre la rotation des travailleurs du secteur pétrolier, largement constitués d’expatriés, afin de stabiliser la production déjà mise à mal par des années de sous-investissement. Dans ce secteur, de très nombreux expatriés considérés comme non indispensables sur place sont rentrés avec leur famille. Toutes les activités de prospection et tous les investissements nouveaux dans ce secteur sont stoppés. Les représentants des grandes entreprises françaises en Afrique du Sud (CCEF) ont mis à l’arrêt leurs usines (à l’exception de l’agroalimentaire, de l’énergie, de la santé, de la maintenance et de la logistique). Elles continuent d’assurer les services supports grâce au télétravail. Pour la plupart, elles estiment pouvoir assurer le paiement des salaires et ne pas procéder à des suppressions d’emploi jusqu’à fin avril. Pour cela, elles vont recourir à l’utilisation des congés payés acquis ou anticipés. Selon la durée de la crise, des gels ou réductions de salaires, voire du chômage partiel ou des licenciements ne sont pas à exclure par la suite. Enfin, les projets gaziers au Mozambique, déterminants pour la croissance et les équilibres financiers du pays à moyen et long terme, seront probablement retardés par la crise mais pas abandonnés. Compte tenu du caractère stratégique de ces projets, les majors (y compris Total) ont provisionné les lignes d’investissement nécessaires. 
4. Impacts budgétaires

Compte tenu des multiples canaux de transmission (chute de la croissance et des revenus fiscaux, chute des royalties issus des secteurs pétrolier et minier, chute des transferts de recettes douanières issues de la Southern African Customs Union pour les petites économies de l’union douanière, augmentation des dépenses sociales, plans d’amortissement de la crise), il est actuellement impossible d’avoir une vision claire de l’impact budgétaire de la crise. Moody’s table sur un déficit public de -8,5% du PIB en Afrique du Sud en 2020, contre -6,8% inscrit dans la loi de finances. Le gouvernement zambien rapporte une baisse des revenus fiscaux de 40% en mars. Les calculs réalisés pour l’Angola, avec un prix du pétrole de référence de 40 USD, montrent que le gouvernement pourrait faire face à une diminution du quart de ses ressources escomptées pour l’exercice budgétaire en cours. Une loi de finance rectificative est en préparation, qui devrait être votée mi-mai, elle prévoit une réduction de 30% des dépenses de fonctionnement, la suspension des recrutements et des projets d’investissement non essentiels, l’arrêt des remboursements des arriérés de l’Etat, etc.

  • Les pays abordent cette crise dans une situation difficile, avec des déficits qui ont atteint des niveaux élevés ces dernières années (supérieur à 6% du PIB en Afrique du Sud et au Mozambique en 2019 ; aux alentours de 5% du PIB en Namibie et en Zambie), limitant la possibilité de recourir à des plans de soutien à l’activité et de relance massifs. Le plan sud-africain se chiffre à environ 770 MEUR sur les aspects fiscaux et fait appel à la générosité des entreprises et des grandes fortunes. Les plans mozambicain et zambien s’élèvent respectivement à 50 MEUR et 35 MEUR. Le soutien financier des bailleurs sera crucial dans la plupart des pays, même ceux qui y étaient jusque-là très réfractaires – Afrique du Sud et Namibie.
  • La dynamique de la dette interdit également le recours à l’endettement externe. La situation est particulièrement préoccupante (i) au Mozambique, classé en situation de surendettement par le FMI – dont la dette publique est passée d’environ 40% du PIB début 2010 à 110% en 2019 ; (ii) en Zambie, classée en risque élevé de surendettement – augmentation de la dette publique de 36% du PIB en 2014 à plus de 90% fin 2019 et (iii) au Zimbabwe, également classé en surendettement, mais surtout totalement exclu de l’aide de la communauté financière internationale pour cause d’arriérés de paiement vis-à-vis de bailleurs multilatéraux et des pays créanciers du club de Paris. Les notations souveraines des pays sont placées très loin en territoire spéculatif (-6 ou 7 échelons pour l’Angola, le Mozambique et la Zambie) et dans une moindre mesure pour la Namibie (-2 échelons). Moody’s qui était la seule agence à maintenir l’Afrique du Sud en catégorie « investissement » a annonce samedi 28 mars la dégradation de la notation souveraine du pays, engendrant de nouvelles turbulences sur le rand et sur le rendement des obligations souveraines. Standard & Poors vient de dégrader la notation du Botswana, désormais le seul pays de la zone a encore se placer en catégorie « investissement ». 
5. Impacts financiers et monétaires

Même si l’impact est impossible à quantifier précisément compte tenu de la disponibilité des données, on observe des sorties de capitaux plus ou moins massives selon les pays, les investisseurs se tournant vers des marchés et des actifs plus sûrs dans ce contexte de fortes incertitudes.

Avec la détérioration des comptes courants, ces flux sortants accroissent les pressions qui s’exercent sur les monnaies de la région, dont plusieurs souffrent déjà d’un manque de confiance lié à un environnement domestique dégradé (faiblesse de la croissance, endettement public élevé, détérioration et instabilité du climat des affaires, etc.). C’est notamment le cas de la Zambie dont la monnaie s’est fortement dépréciée en 2019, comme celle de l’Angola qui fait l’objet d’un réajustement depuis la libéralisation du taux de change. Ainsi, depuis le 20 février et l’accélération de la propagation de l’épidémie hors des frontières chinoises, les devises dont le taux de change est flexible ont dévissé. En un peu plus d’un mois, le rand sud-africain a perdu 16% de sa valeur face à l’euro, le kwanza angolais plus de 10% et le kwacha zambien près de 20%. Ce mouvement de dépréciation va particulièrement peser sur l’endettement des deux derniers pays cités, fortement endettés en devises étrangères. Le metical mozambicain a mieux résisté, avec une dépréciation de 4%, de même que le pula botswanais jusqu’à la dégradation de sa notation souveraine le 27 mars (-7,5%).

Les fortes incertitudes qui pèsent sur l’économie mondiale se sont aussi traduites par une hausse des rendements des obligations souveraines, à l’exception de celles du Botswana – protégée par des relativement bons fondamentaux macroéconomiques. En quinze jours, le rendement des obligations souveraines à 10 ans a ainsi grimpé de 1,8 point en Afrique du Sud (à 11,9%), de 2,1 points en Namibie (13,1%) et de 2,5 points en Zambie (37,4%). L’augmentation des taux va immanquablement peser sur la consommation des ménages (biens durables, immobilier), sur les entreprises (avec des risques de défauts et de dépôts de bilan) et sur la capacité de financement des Etats (augmentation du service de la dette et réduction des marges de manœuvre budgétaires déjà très limitées). Pour les pays les plus en difficulté, l’augmentation des taux d’intérêt, ajoutée à la forte baisse des recettes en devises, est de nature à compliquer le remboursement des échéances des dettes souveraines. De ce point de vue, le cas de la Zambie est à nouveau particulièrement préoccupant, avec une échéance d’Eurobonds dès 2022 – le cas de la Namibie (échéance en 2021) ne l’est pas à ce stade. Le gouvernement zambien a d’ores et déjà fait appel à ses banques créancières pour négocier un réaménagement de sa dette.

Enfin, ces mouvements de capitaux ont entrainé des tensions sur les marchés monétaires et sur la liquidité, contraignant les banques centrales à prendre des mesures rapides – mais illustrant également la faiblesse des marges de manœuvre budgétaires.

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