AFRIQUE DU SUD
Observatoire de la conjoncture (juillet 2019)
- Une croissance atone en 2018, avec de faibles perspectives de reprise en 2019 – en particulier, dans les deux plus grandes économies de la zone
En 2018, la reprise économique attendue en Afrique australe ne s’est pas matérialisée. Alors qu’au mois d’avril 2018 la croissance attendue était de 1,9%, les chiffres définitifs publiés par le Fonds Monétaire International (FMI) indiquent une nette révision à la baisse à 0,8% – après 1,4% en 2017.[1]
Ce ralentissement s’explique en grande partie par les mauvaises performances enregistrées en Afrique du Sud et en Angola qui représentent plus de 80% du PIB de la zone. L’Afrique du Sud a connu une période de récession au premier semestre, et pour 2018 son taux de croissance a atteint 0,8% – soit près de deux fois moins que son niveau de 2017 et deux fois moins que le taux anticipé en début d’année. En Angola, la récession s’est prolongée pour une troisième année consécutive et la situation s’est encore dégradée avec un taux de croissance de -1,7%, contre -0,2% en 2017. Ces mauvaises performances pèsent sur les autres économies de la zone qui en sont très dépendantes – baisse de la demande adressée et des exportations, baisse des recettes douanières issues de la Southern African Custom Union (SACU – elles-mêmes très dépendantes du commerce sud-africain), ancrage monétaire avec le rand, etc.
La plupart des autres pays enregistrent ainsi également un ralentissement de leur croissance par rapport à 2017. C’est notamment le cas du Zimbabwe (de 4,7% à 3,4%), du Mozambique (de 3,7% à 3,3%), de l’Eswatini (de 1,9% à 0,2%) et du Malawi (de 4% à 3,2%). Par ailleurs, l’économie namibienne s’est à nouveau contractée : -0,1% en 2018 après -0,9% en 2017. La croissance de la Zambie s’est stabilisée aux alentours de 3,5%. Enfin, le Lesotho enregistre une reprise timide de son activité (de -1,6% à 1,5%), tandis que la croissance du Botswana rebondit après une année 2017 décevante – de 2,9% à 4,6% en 2018.
En 2019, les perspectives de croissance se détériorent. En effet, sur les dix pays considérés, trois devraient afficher une contraction de leur activité en 2019. C’est notamment le cas du Zimbabwe, qui devrait entrer en récession suite à de multiples chocs internes (crise de change et crise monétaire) et externes (sécheresse, passage du cyclone Idaï). De plus, la récession devrait se poursuivre pour une troisième année consécutive en Namibie et une quatrième en Angola. L’économie sud-africaine devrait continuer à ralentir – avec des perspectives de croissance réduites de moitié depuis janvier – de 1,4% à 0,7%, après un épisode de délestage électrique au premier trimestre qui a fortement affecté l’activité. L’économie du Botswana et de la Zambie devrait aussi ralentir en 2019, passant respectivement sous la barre des 4% et des 3%, confirmant la volatilité de leurs performances économiques qui s’installe depuis plusieurs années. Finalement, seuls trois pays devraient voir leur croissance rebondir en 2019 : le Mozambique (de 3,3% à 4%) et les petits pays enclavés que sont le Malawi et le Lesotho – tous les deux aux alentours de 4%.
Quels qu’ils soient, tous les pays de la zone enregistrent des taux de croissance relativement faibles (et peu dynamiques) au regard de leur potentiel. La croissance est insuffisante (compte tenu de la croissance démographique notamment) pour réduire le taux de chômage et s’attaquer à la pauvreté, aux inégalités et aux problèmes sociaux qui restent très prégnants dans la région.
- A l’origine de ces mauvaises performances, le ralentissement de la croissance mondiale, la faiblesse de l’investissement dans les pays et leurs difficultés budgétaires
Tout d’abord, le ralentissement de l’activité mondiale, qui reste plombée par les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, continue de peser sur la croissance des pays la zone. Les perspectives de croissance au niveau mondial ont encore été revues à la baisse en juillet, pour atteindre 3,3% en 2019 – contre 3,6% en 2018 et 3,8% en 2017. Ce ralentissement participe à la baisse de la demande adressée aux pays d’Afrique australe. Il affecte d’autant plus les pays de la zone, qu’il est particulièrement marqué pour les émergents – gros consommateurs de matières premières importées dont les premiers sont très dépendants. En effet, les économies sud-africaine (charbon, or, fer, platine – environ 10% du PIB), zambienne (cuivre – environ 15% du PIB et 75% des recettes d’exportation ces dernières années), namibienne (diamant, uranium – plus de 15% du PIB et 45% des exportations), zimbabwéenne (pierres et métaux précieux, nickel, minerai de fer – 7% du PIB et 60% des recettes d’exportations) et botswanaise (diamant – 20% du PIB et 80% des exportations) reposent largement sur les industries extractives. L’économie angolaise est quant à elle très dépendante des hydrocarbures (environ 30% du PIB et 90% des exportations). Par ailleurs, le Mozambique est appelé à devenir une puissance gazière de premier plan dans les prochaines années.
Ensuite, la croissance des pays d’Afrique australe souffre également de la faiblesse des investissements. D’une part, on observe que les investissements domestiques sont moins importants que dans d’autres parties du continent. Cela s’explique notamment par le fait que les taux d’intérêts sont particulièrement élevés dans la zone. En effet, pour faire face à des chocs externes importants et stabiliser leur cadre macroéconomique, plusieurs pays ont opté pour un resserrement drastique de leur politique monétaire. C’est le cas de la Zambie (chute des prix du cuivre en 2015 et 2016), du Mozambique (révélation du scandale des dettes cachées en 2016), de l’Angola (retournement du marché du pétrole en 2016) ou encore du Malawi. Dans ces pays, les taux d’intérêt directeurs ont atteint des taux supérieurs à 15% – voir même 20% au Mozambique entre 2016 et 2017. Bien que l’on observe un desserrement de la contrainte depuis 2017, les conditions de financement continuent de pénaliser l’investissement interne dans ces pays. D’autre part, les pays de la zone souffrent de la faible appétence des investisseurs étrangers. En moyenne, sur les cinq dernières années, les flux d’Investissements Directs Etrangers (IDE) entrants n’ont représenté que 3,4% du PIB – contre 5,2% en Afrique de l’Est, à titre de comparaison, et exception faite du Mozambique qui enregistre des IDE records dans le cadre du développement des projets gaziers d’une ampleur inégalée en Afrique sub-saharienne. Sur l’ensemble des pays du continent, les deux économies les plus importantes de la sous-région (Angola et Afrique du Sud) figurent parmi les dix pays les moins attractifs pour les investisseurs étrangers, avec des flux d’IDE entrants représentant difficilement 1% du PIB ces dernières années. Par ailleurs, d’un point de vue général, les incertitudes croissantes au sein des économies de la zone ont également été préjudiciables à l’investissement et à la croissance en Afrique australe : sortie difficile de l’ère Zuma en Afrique du Sud, catastrophes naturelles au Mozambique et dans certains pays alentours, grave crise monétaire au Zimbabwe, surendettement en Zambie – dans le contexte global du Brexit, alors que la plupart des pays ont des relations économiques privilégiées avec le Royaume-Uni. Au rang des facteurs externes, la remontée des taux d’intérêt américains a aussi affecté l’attractivité de l’ensemble des pays émergents et en développement (en donc d’Afrique australe), avec comme conséquence de drainer l’épargne mondiale hors de ces pays.
Enfin, les difficultés budgétaires et les efforts de consolidation engagés dans plusieurs pays ont également fortement affecté l’activité et la croissance dans la zone – Angola, Namibie, Zimbabwe et dans une moindre mesure Afrique du Sud. Par ailleurs, en Angola, en Zambie, au Mozambique, les arriérés de paiement de l’Etat qui représentant plusieurs points de PIB pèsent sur les comptes et l’activité du secteur privé.
- Des déficits budgétaires chroniques alimentent les dettes publiques en forte croissance – point de préoccupation majeur pour la plupart des pays, et principaux facteurs de la dégradation de leurs notations souveraines
Tous les pays de la zone, exception faite de l’Angola, ont enregistré un déficit public en 2018. Pour la quasi-totalité des pays, les déficits sont supérieurs à 4% du PIB, comme par exemple en Afrique du Sud, à -4,4% du PIB ou en Zambie à -6,5% du PIB. Il convient de noter que le déficit se creuse au Mozambique (de -3,4% du PIB en 2017 à -5,3%), en Namibie (de -4,8% du PIB à -5,9%), au Botswana (pour la seconde année consécutive, alors que le pays enregistre historiquement des excédents budgétaires – de -1,0% du PIB à -3,1%). C’est aussi le cas pour les petits pays : Lesotho (avec un déficit public à -4,9% du PIB) et de l’Eswatini, avec un point de vigilance particulier (-10% du PIB). Seul le solde budgétaire de l’Angola revient donc en territoire positif avec un excédent représentant 2,4% du PIB en 2018, après avoir enregistré des niveaux élevés ces dernières années – le pays réalisant un ajustement conséquent en lien avec le démarrage du programme d’aide du FMI fin 2018 – ce qui pèse toutefois fortement sur sa croissance.
Sauf cas particuliers, le FMI prévoit un maintien des déficits budgétaires à des niveaux élevés en 2019. C’est notamment le cas pour la Namibie (-8%), le Mozambique (-5,3%), l’Afrique du Sud (-5,1% du PIB) et le Botswana (-3,5% du PIB) – qui ont pour point commun de voir des élections générales se dérouler en 2019, contexte peu favorable à la mise en œuvre de mesures d’assainissement budgétaire. Par ailleurs, la situation de la Zambie continue d’être préoccupante, avec un déficit publique anticipé à -5% du PIB. Finalement, seul l’Angola devrait à nouveau atteindre l’équilibre (+0,1%). Le cas du Zimbabwe est particulier, avec des chiffres peu fiables et peu prédictibles, compte tenu de la crise qui sévit dans le pays depuis octobre 2018 – voir l’encadré ci-dessous.
Dans un contexte de faible croissance, les pays de la zone sont de plus en plus dépendants des flux de financements externes pour combler leurs déficits, ce qui se traduit par une forte augmentation des dettes publiques. En effet, de nombreux pays de la zone ont pour caractéristique de s’endetter à un rythme très soutenu ces dernières années – ou de se rendetter, puisque le Malawi, le Mozambique et la Zambie ont bénéficié à partir des années 1990 de l’initiative de la communauté internationale « Pays Pauvres Très Endettés » (PPTE) et ont vu une grande partie de leur dette publique annulée. La dette publique moyenne des pays d’Afrique australe est ainsi passée de 35% du PIB en 2005 à plus de 60% en 2018. Les cas les plus préoccupants demeurent ceux (i) du Mozambique, classé en situation de surendettement par le FMI – dont la dette publique est passée d’environ 40% du PIB début 2010 à plus de 100% en 2018 ; (ii) du Zimbabwe, également classé en surendettement (et exclu de la communauté financière internationale pour cause d’arriérés de paiement vis-à-vis de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement – BAfD), mais dont le ratio d’endettement a significativement diminué en 2018, à environ 30% du PIB, en raison de l’inflation qui a réduit le poids de la dette en monnaie domestique ; et (iii) de la Zambie, classée en risque élevé de surendettement – augmentation de la dette publique de 36% du PIB en 2014 à plus de 70% à la fin de 2018. En Afrique du Sud, la dette publique a continué de progresser pour atteindre 57% du PIB (contre 53% en 2017) – les difficultés financières des entreprises publiques ayant pesé fortement sur les finances publiques. Pour l’Angola, l’envolée de la dette publique (de 40% du PIB environ en 2014 à près de 90% en 2018) est liée à l’effondrement des recettes fiscales suite à la chute des cours du pétrole. La bonne tenue du programme FMI devrait permettre une stabilisation du niveau de la dette publique autour de 90% du PIB en 2019. De même, les efforts réalisés par le Malawi dans le cadre du programme d’aide en cours ont permis une stabilisation de la dette aux alentours de 60% du PIB en 2018 (contre 40% en 2011). C’est le seul pays, qui enregistre une réduction de son ratio d’endettement avec le Botswana (passage de 14% du PIB en 2017 à 13% en 2018), un niveau remarquablement faible pour la zone et pour le continent africain dans son ensemble. L’endettement relativement contenu (à 40% du PIB fin 2018) de l’Eswatini appelle toutefois à une vigilance renforcée compte tenu des déficits élevés enregistrés ces dernières années.
La situation économique et financière au Zimbabwe
Pour rappel, le Zimbabwe traverse actuellement une double crise (de change et de confiance dans le système monétaire domestique) depuis octobre 2018, suite à la forte dégradation du cadre macroéconomique du pays. Cette crise a d’abord entrainé une accélération record de l’inflation, qui a atteint plus de 170% sur un an en juin 2019. La crise a aussi fortement affecté l’activité dans le pays, notamment en raison des pénuries, de la baisse du pouvoir d’achat et des émeutes qui ont éclaté dans le pays au début de l’année. De ce fait, les prévisions de croissance du pays ont été significativement revues à la baisse. Après un ralentissement de la croissance à 3,4% en 2018 (contre 4,7% en 2017), le FMI table sur une contraction de l’activité de 5,2% en 2019 – contre une prévision de croissance de 4,2% en début d’année.
Si l’inflation a permis de réduire le poids de la dette publique (estimée à 30% du PIB en 2018 – contre 55% en 2017), le Zimbabwe est toujours considéré en situation de surendettement, avec des arriérés de paiement atteignant près de 2 Mds USD vis-à-vis des institutions financières internationales. En mai dernier, la conclusion d’un accord avec le FMI pour la mise en œuvre d’un programme sans financement (Staff Monitored Program – axé sur les priorités suivantes : assainissement budgétaire, réforme/privatisation de certaines entreprises publiques, lutte contre la corruption et réforme de la gestion des finances publiques et amélioration du climat des affaires) a constitué un premier pas encourageant vers un réengagement de la communauté financière internationale. La bonne volonté du gouvernement et les efforts mis en œuvre dans les prochains mois, notamment sur le volet politique, seront déterminants dans le processus de normalisation de la situation du pays.
[1] Taux de croissance pour les dix pays d’Afrique australe dans la zone de compétence du SER (Afrique du Sud, Angola, Botswana, Eswatini, Lesotho, Malawi, Mozambique, Namibie, Zambie, Zimbabwe), pondérés par le poids des économies.