Le secteur des télécommunications en Ouganda

En essor rapide, le secteur des télécommunications joue un rôle majeur dans l’économie ougandaise et dans sa croissance. Organisé sur un mode duopolistique, il fait l’objet d’investissements majeurs destinés à améliorer le maillage territorial afin de fournir à la population ougandaise un accès satisfaisant à la téléphonie et à Internet. Son impact économique dépasse le seul champ d’influence des télécommunications : les fournisseurs d’accès proposent des solutions de paiement mobile largement adoptées par la population, ce qui stimule nettement son inclusion financière. Par son dynamisme, ce marché recèle des enjeux en évolution perpétuelle qui pourraient concerner les intérêts français ; toutefois, depuis le départ d’Orange en 2014, il reste difficile d’accès pour les groupes hexagonaux.

  1. Une propagation rapide des services mobiles au sein de la population ougandaise

La trajectoire d’adoption des télécommunications par la population ougandaise vérifie le modèle du « saut de grenouille ». En effet, le passage par la téléphonie fixe n’a pas eu lieu : l’accès aux télécommunications s’est majoritairement effectué par le téléphone mobile. L’adoption du téléphone est en hausse constante : entre 2016 et 2017, le nombre d’usagers de la téléphonie a augmenté de 6%, passant de 23,2 millions à 24,6 millions. Parmi les possesseurs de téléphone, on dénombre 91% d’utilisateurs actifs de la téléphonie mobile, soit 22,4 millions d’usagers. Le taux de pénétration est estimé à 65,4%. Parmi les possesseurs de téléphone mobile, 25% possèdent un smartphone tandis que 75% utilisent un téléphone cellulaire d’ancienne génération ; ainsi, l’usage du téléphone mobile reste principalement consacré à la transmission de messages et aux appels vocaux.

L’Ouganda présente toutefois un taux d’accès à Internet assez avancé puisqu’il occupe le 18ème rang en la matière à l’échelle du continent africain : en 2017, le taux de pénétration Internet était de 39%, pour 18,1 millions d’utilisateurs. Les autorités locales sont conscientes de l’importance d’Internet dans le développement économique des territoires : la ville de Kampala et ses alentours comprennent 186 points d’accès Wi-Fi publics.

Le secteur des télécommunications s’est grandement développé au cours des dernières années, sous l’impulsion de la stratégie National Backbone Infrastructure (NBI) et de l’investissement des fournisseurs d’accès privés. L’installation de la fibre optique sous-marine le long de la côte est-africaine en 2009, couplée à une concurrence de plus en plus forte entre les différents fournisseurs d’accès, a conduit à une nette amélioration du réseau tant en matière de performance que de coût. A titre d’exemple, entre 2016/17 et 2017/18, le coût par Mbps a diminué de 37% pour passer de 375 USD à 237 USD.

  1. Les opérateurs étrangers sont fortement implantés en Ouganda

Le marché ougandais des télécommunications est dominé par un duopole composé de MTN et Airtel, deux groupes respectivement sud-africain et indien. Alors que le premier revendique 10,7 millions de clients, le second en compte 10 millions ; ainsi, MTN détient 49% du marché, contre 47% pour Airtel. Le troisième opérateur, Africell, joue un rôle mineur avec environ 3% du marché. Au total, 21,8 millions d’Ougandais souscrivent à une offre de téléphonie mobile, soit environ 58% de la population totale. Le reste du marché est occupé par des opérateurs au poids négligeable (Smile Telecom, Smart Telecom, Sure Telecom, K2 Telecom).

Le développement du marché ougandais des télécommunications est profondément stimulé par l’intervention des grandes multinationales du secteur, en premier lieu desquelles Facebook et Google. Facebook a annoncé en 2017 un partenariat avec Airtel Uganda et Bandwith and Cloud Services qui a pour but d’étendre le réseau de fibre de 770 km dans les régions septentrionales du pays. Google pour sa part investit en Ouganda sous l’égide du projet Link dont l’objectif est de renforcer le réseau de fibre optique de la capitale Kampala afin d’augmenter la puissance des connections et d’en réduire le coût.

Les récentes mesures de taxation de l’utilisation des réseaux sociaux pourraient freiner le développement de l’utilisation de la téléphonie. Le 1er juillet 2018, les autorités ougandaises ont introduit une taxe d’un montant journalier de 0,05 USD (200 UGX) conditionnant l’accès à de nombreux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, WhatsApp…) afin d’améliorer ses recettes fiscales. Le gouvernement espère percevoir 73 MUSD (284 Mds UGX) grâce à ce nouveau prélèvement au cours de l’année fiscale 2018/19. Il aurait déjà levé 7 MUSD (27 Mds UGX) pour le seul mois de juillet. Toutefois, cette taxe pourrait repousser les investisseurs étrangers ; ainsi, Facebook a annoncé au régulateur (Uganda Communications Commission) son intention de réviser son plan d’investissement. En parallèle, alors que, selon le cabinet de conseil Research ICT Solutions, les Ougandais dépensent en moyenne 2,4 USD (9 000 UGX) par mois pour accéder aux appels vocaux, messages et Internet, un surcoût mensuel de 1,6 USD (6 000 UGX) pourrait assécher une part significative de la demande. Les opérateurs auraient ainsi enregistré une baisse de 20% de leurs abonnés en juillet et en août 2018. Selon Research ICT Solutions, la mesure pourrait coûter 750 M USD à l’économie ougandaise pour la seule année 2018. Les critiques dénoncent par ailleurs le caractère politique de la taxe, qui serait utilisée par le Président Museveni comme un moyen d’entraver l’action de l’opposition.

  1. Le rôle du secteur dans l’économie ougandaise s’étend au-delà des simples télécommunications

Le secteur des télécommunications ne se borne pas à la téléphonie et à Internet. En effet, il est en lien direct avec le secteur financier via la solution de paiement Mobile Money, le canal de transactions privilégié par les Ougandais outre la monnaie fiduciaire. De 2,8 millions en 2011, le nombre d’usagers réguliers des solutions de paiement mobile est désormais de 23 millions, pour une hausse annuelle moyenne de 42%. Pour la première fois depuis l’introduction de ce service en 2009, le nombre d’Ougandais enregistrés aux registres Mobile Money a diminué au T4 2017 (-1,5%). En revanche, le nombre total de transactions a nettement augmenté : de 306 millions au T3 2017, il était de 341 millions (+11%). La valeur totale des transactions, pour sa part, a crû de 8% pour atteindre 4,75 Mds USD (18 136 Mds UGX). Cette hausse coïncide avec une augmentation de 6% du nombre d’agents Mobile Money qui s’élevait à 160 000 fin 2017. En moyenne, le montant mensuel des transactions en Mobile Money représente 1,6 Md USD (5 971 Mds UGX) soit 69% du PIB mensuel, pour un total d’un milliard de transactions.

Les autorités ougandaises pourraient cependant entraver ce processus d’inclusion via Mobile Money en raison de l’introduction d’une taxe à hauteur de 1% sur les transactions mobiles en juillet 2018. Le Fonds monétaire international (FMI) a exprimé son désaccord vis-à-vis de cette mesure fiscale qui pourrait avoir un impact néfaste sur la pauvreté et l’accès aux services financiers des communautés les plus démunies : 60% des transactions concernent des montants inférieurs à 12 USD (45 000 UGX). S’il est pour l’heure difficile d’en estimer l’impact exact, de nombreux témoignages signalent une baisse des transactions Mobile Money depuis l’introduction de cette taxe.

La tendance actuelle est à un rapprochement entre les activités Mobile Money originelles, gérées par les opérateurs de télécommunications, et les activités bancaires sur le modèle kenyan. Si certaines banques cherchent à développer un système similaire, en y adjoignant la possibilité d’obtenir des prêts par voie mobile, la convergence entre les deux milieux est en progression depuis la signature du Shared Agent Banking System (SABS) en avril 2017. Cette évolution réglementaire permet une meilleure couverture territoriale tout en évitant les doublons puisqu’un même agent peut exercer pour le compte de différentes banques. Fin mai 2018, sept banques étaient déjà intégrées au système ; quatorze autres étaient en cours d’intégration.

Le secteur des télécommunications en Ouganda est en pleine mutation. Son rapide essor a permis à une grande partie de la population d’accéder aux services de télécommunications, sous l’effet conjugué d’une amélioration du maillage territorial et d’une baisse notable des coûts. Les deux acteurs dominants du marché ont engagé de lourds investissements pour améliorer la couverture du territoire par les réseaux de téléphonie et d’Internet. L’impact économique des télécoms va bien au-delà des télécoms puisque les opérateurs jouent un rôle clé dans l’inclusion financière via les solutions Mobile Money. Depuis le désengagement d’Orange d’Africell en 2014, les opérateurs français ne sont plus présents sur le marché. La situation pourrait cependant évoluer sous l’effet des nouvelles normes de sécurité introduites par les autorités, susceptibles d’offrir des opportunités aux entreprises françaises spécialisées.

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