Le secteur de l’eau en Ouganda

Si la Constitution de 1995 garantit le droit à une eau « propre et sûre » à tous les citoyens ougandais, le pays accuse un retard certain en matière d’accès à l’eau, tant en termes de potabilité que d’assainissement. Malgré des ressources abondantes, l’Ouganda ne parvient pas à exploiter pleinement ce potentiel, ce qui engendre des problèmes sanitaires et économiques qui pèsent sur le développement du pays.

  1. Des ressources abondantes mais peu exploitées

L’Ouganda dispose de ressources hydriques abondantes. Le pays jouit d’une position géographique favorable dans la mesure où 98% du territoire national appartient au bassin du Nil. Rive septentrionale du Lac Victoria, dont il contrôle 40% de la superficie totale, l’Ouganda compte quatre autres lacs notables (Albert, Kyoja, Edward, George) : au total, 17,3% du territoire sont occupés par des étendues d’eau. En outre, 10,9% sont des zones marécageuses. Douze sites sont protégés par la Convention de Ramsar sur les zones humides, ce qui correspond à 454 000 ha, soit 17% de l’ensemble des zones humides que comprend le territoire. Les ressources superficielles internes renouvelables sont estimées à 39 km3 par an, tandis que les ressources internes situées en profondeur sont évaluées à 29 km3 par an. Les flux hydriques provenant de l’extérieur – principalement via le Lac Victoria – s’élèvent à 21,1 km3 par an. Ainsi, le ratio de dépendance hydrique, qui avoisine les 35%, est assez faible, ce qui limite les risques internationaux liés à l’approvisionnement en eau.

Toutefois, le pays accuse un retard conséquent en matière d’exploitation des ressources et, partant, d’accès à l’eau et à l’assainissement. En zone rurale, seuls 67% des habitants disposent d’un accès à l’eau. Dans les principales agglomérations, cette proportion s’élève à 77%. L’assainissement, pour sa part, n’est considéré comme satisfaisant que pour 17% de la population rurale et 29% de la population urbaine. Dans les grandes villes, les systèmes d’évacuation des eaux usées ne couvrent que 7% des besoins. D’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’accès à une eau de boisson « élémentaire » n’est à la portée que de 39% de la population nationale, un taux qui tombe à 32% en zone rurale contre 79% en milieu urbain. Quant aux connexions au réseau d’eau, seules 6% sont de qualité satisfaisante.

En particulier, le secteur agricole pâtit de l’inefficacité du système d’approvisionnement en cas de conditions météorologiques défavorables ; ainsi, en 2016/17, le PIB ougandais a vu sa croissance se ralentir (4% contre 5% initialement prévus) en raison de la faiblesse des récoltes entraînée par la sécheresse. La dépendance du secteur agricole vis-à-vis des conditions météorologiques s’explique par la faiblesse des systèmes d’irrigation : seuls 17% des surfaces cultivées ou exploitées pour l’élevage disposent actuellement d’infrastructures d’irrigation considérées comme satisfaisantes. L’eau destinée à la culture et à l’élevage est l’une des priorités du ministère de l’eau et de l’environnement qui entend faire passer ces ressources de 27,8 millions m3 à 38 millions en 2019/20. En zone rurale, les principales techniques de captation utilisées sont les forages profonds (41%), les puits superficiels (25%) et les sources protégées (21%).

 

  1. Des risques significatifs liés à l’eau, appelant une optimisation de la gestion des ressources

Le risque de stress hydrique est très élevé en Ouganda. Les enjeux d’accès à l’eau et à l’assainissement sont d’autant plus stratégiques que le pays accueille sur son territoire plus d’1,4 million de réfugiés, provenant majoritairement du Soudan du Sud, ce qui en fait la première terre d’accueil africaine. A moyen terme, la faiblesse des infrastructures, la rapide croissance de la population et sa rapide urbanisation pourraient confronter l’Ouganda à un risque significatif de pénurie. La conjonction de ces facteurs avec le changement climatique et la hausse prochaine des températures devraient, à horizon 2035, soumettre les trois quarts des provinces ougandaises à une situation de stress hydrique.

Ce risque se traduit d’ores-et-déjà sur le plan des précipitations : au cours des quinze dernières années, l’Ouganda a perdu 20 mm de pluie par an, soit 20 litres d’eau par mètre carré. Les récoltes sont aussi affectées par la perturbation des fréquences de saison des pluies. Le risque est renforcé par la rapide croissance de la population : alors qu’elle était de 994 millions de mètres cubes en 2015, la demande totale en eau devrait avoisiner les 1 260 millions en 2020 et les 2 110 millions en 2035.

La gestion globale du secteur de l’eau en Ouganda incombe au ministère de l’eau et de l’environnement. La National Water and Sewerage Corporation (NWSC), entité publique autonome placée sous la responsabilité du ministère, est chargée de la gestion de la ressource et de l’assainissement dans trente villes et 204 municipalités. La modernisation de la NWSC, engagée au début des années 1990, a porté ses fruits : alors que l’accès en eau était de 43% dans les zones urbaines en 1990, il est aujourd’hui de 77%. Désormais, l’objectif du ministère est d’améliorer concomitamment les conditions d’accès à l’eau et d’assainissement : en 2020, le taux d’accès à une eau propre et sûre dans un rayon d’un kilomètre devra atteindre les 100% en zone urbaine, tandis que les zones rurales devront afficher un niveau d’assainissement et d’hygiène minimal de 95%.

L’approvisionnement en eau est un enjeu important pour l’Ouganda au niveau international. Membre de l’Initiative du bassin du Nil depuis 1999[1], il fait partie des instigateurs du Programme d’action stratégique dont l’objectif est de favoriser la coopération entre les différents pays traversés par le cours du Nil. L’Initiative notamment soutenue par la Banque mondiale et a été complétée par un Accord de coopération signé en 2010 par l’Ouganda, l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda et la Tanzanie qui annule de facto le droit de veto historique de l’Egypte sur les projets hydrauliques de grande ampleur. Les signataires de l’accord de 2010 s’engagent à ne pas développer de projet impactant « significativement » la sécurité d’approvisionnement en eau des autres pays du bassin, ce à quoi se sont opposés sans succès l’Egypte et le Soudan, qui préféreraient le terme « négativement ».

Sur le plan énergétique, l’eau constitue l’un des moyens privilégiés par le gouvernement pour développer la capacité électrique du pays, malgré un risque climatique non négligeable. Le territoire ougandais compte aujourd’hui environ 1000 barrages. Le plus important à ce jour est celui des chutes d’Owen : construit en 1954, il présente une capacité de 270 MW. Il devance ainsi le barrage de Bujagali, également situé près de Jinja, qui génère pour sa part 250 MW. L’un des principaux projets d’infrastructure en cours de mise en œuvre vise à doter la région de Karuma d’un barrage d’une capacité maximale de 600 MW. Ce barrage, couplé à la prochaine mise en service de la centrale d’Isimba (183 MW), devrait significativement augmenter la capacité de production hydroélectrique du pays. Cependant, la production hydroélectrique du pays est vulnérable au changement climatique, qui pourrait entrainer un changement du régime des pluies significatif en Ouganda[2] et donc mettre en péril la sécurité d’approvisionnement du pays, en l’absence de diversification de son mix électrique.

Les divers partenaires internationaux ont fait du secteur de l’eau en Ouganda une de leur intervention. La Banque mondiale envisage un soutien actif au développement du secteur via un prêt de 251 M USD. Sur le plan bilatéral, l’Agence française de développement (AFD) met en œuvre un projet d’amélioration de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement à Kampala. Ce programme, d’un coût total de 212 M EUR, s’attache à renforcer la capacité de traitement des eaux usées de la ville par la construction d’une nouvelle usine, à développer le système de stockage et de distribution afin d’assurer l’approvisionnement du plus grand nombre, notamment par un soutien direct apporté à la NWSC. Le Trésor français finance également une étude de suivi quantitatif des ressources en eau de surface par altimétrie spatiale au travers d’un FASEP attribué à BRLi en 2017.

Par son potentiel en termes de projets d’infrastructures, le secteur de l’eau et de l’assainissement demeure un secteur clé pour les acteurs français en Ouganda. A l’instar de Sade ou BRL Ingénierie, plusieurs groupes français apportent aujourd’hui leur expertise au service de cet axe stratégique de développement. Ce dernier présente toutefois des contraintes fortes, tant en termes opérationnels puisque la priorité est aujourd’hui donnée à des réseaux secondaires très dispersés, qu’institutionnels dans la mesure où la NWSC, principal relais des investissements, souffre d’une capacité limitée de mise en œuvre.



[1] Aux côtés de l’Egypte, du Soudan, de l’Ethiopie, du Kenya, de la Tanzanie, du Burundi, du Rwanda, de la RDC. L’Erythrée y participe en tant qu’observateur.

[2] Cole et al, 2014. Climate change, hydro-dependency and the Africa dam boom. World Development (60).

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