TURQUIE
Indicateurs et conjoncture
Point de situation macroéconomique à novembre 2022
Portée par une politique monétaire toujours plus accomodante depuis la fin de l’année 2021, la croissance du PIB turc a été forte au 1er semestre. De façon concomitante, le marché de l’emploi a connu une amélioration notable sur la période. Toutefois, cette orientation de politique monétaire a induit un glissement inquiétant de livre et partant, de façon directe ou indirecte, une exacerbation des tensions inflationnistes, une hausse inquiétante de la pauvreté, une déplétion des réserves et un dérapage des finances publiques.
Des signes d’essoufflement sont perceptibles au 2ème semestre. Ils sont la conséquence d’un contexte international beaucoup moins porteur.
Une politique monétaire toujours plus accomodante, qui a soutenu le PIB et l’emploi au 1er semestre
Stimulée par la politique monétaire, une croissance restée forte au 1er semestre
Après +11,0 % en 2021 – meilleure performance au sein du G20 –, la croissance est restée vive au premier trimestre avec +7,3 % en g.a. Une grande partie du dynamisme de l’activité s’explique par la politique de taux très accommodante de la Banque centrale qui a soutenu le crédit bancaire. La Banque centrale a ainsi ramené son principal taux directeur de 19,00 % début septembre 2021 à 14,00 % en fin d’année dernière. Ces décisions ont eu pour effet de fortement stimuler le crédit et donc l’activité des services financiers. Mais le PIB a également été soutenu par d’autres facteurs conjoncturels : le tourisme, la logistique, et les activités des centres commerciaux, jusqu’alors durement pénalisés par les mesures de restriction décidées pour freiner la pandémie, ont connu une embellie au 1er trimestre.
La croissance est restée robuste au 2ème trimestre avec 7,6 % ; les moteurs à l’œuvre sont les mêmes. Le PIB a ainsi été tiré par l’activité du secteur bancaire, qui reste fortement stimulée par la politique agressive de l’Institut d’émission ; au total, le crédit bancaire a progressé de 58,9 % en g.a. au premier semestre et les bénéfices des banques se sont envolés de +400 % sur le même temps. Le PIB a également été soutenu par le secteur du tourisme : le nombre de touristes a été multiplié par 4 sur un an au cours du 2ème trimestre pour atteindre presque 12 M, soit quasiment le niveau pré-crise sanitaire, et les recettes touristiques ont progressé de 190,2 % en g.a. sur la même période.
Avec la croissance du PIB, une amélioration notable du marché de l’emploi sur la période
Le taux de chômage a poursuivi sa baisse au premier semestre 2022 : de 13,0 % fin 2020, il est passé à 11,2 % fin 2021 puis à 9,8 % en août 2022. Celui des 15-24 ans a suivi la même tendance avec respectivement, 27,0 % puis 22,7 % et enfin 17,3 %.
Des performances obtenues toutefois au prix d’une dégradation inquiétante des conditions financières et sociales et des grands équilibres macroéconomiques
Une exacerbation des pressions inflationnistes et une hausse de la pauvreté
La politique monétaire très accommodante a induit un glissement inquiétant de la livre turque et partant, une détérioration dangereuse des conditions financières et sociales de la Turquie. En effet, la livre turque s’est fortement dépréciée, de 44,0 % par rapport au dollar en 2021 et de 39,8 % depuis le début de 2022, ce qui a nourri (i) une forte dérive des prix que le conflit en Ukraine, en engendrant une hausse des cours internationaux de matières premières, a aggravée (+85,5 % en octobre pour les prix à la consommation et +157,7 % pour les prix à la production, des records) et (ii) une forte hausse concomitante de la pauvreté (de 12,2 % à environ 17,0 % sur la seule année 2021, la croissance se révélant finalement très peu inclusive). Cette dernière évolution a conduit les autorités à agir sur le front social, en consentant des hausses du SMIC de 50 % au 1er janvier 2022 et de 30 % supplémentaires au 1er juillet dernier. Une nouvelle augmentation importante du salaire minimum est anticipée à l’approche de la fin de l’année 2022 (au minimum de 70 %).
Des inquiétudes fortes sur le niveau des réserves
Les tensions sur la position externe se sont renforcées et le niveau des réserves inquiète les agences de notation. Le renchérissement du coût des importations alimenté par le conflit en Ukraine, couplé à la faiblesse de la livre turque, a peu à peu entièrement supplanté l’effet positif sur la balance commerciale de la stimulation des exportations par la dépréciation de la livre. Avec l’explosion des cours internationaux de matières premières, et en particulier du gaz et du pétrole dont la Turquie est presque entièrement dépendante, le déficit courant s’est creusé à 39,1 Mds USD en septembre 2022 (4,7 % du PIB) contre 14,0 Mds USD fin 2021 (1,7 % du PIB). Les réserves, qui ont aussi été mobilisées pour éviter un glissement trop fort de la livre depuis l’automne dernier, atteignent des niveaux critiques : à 14,6 Mds USD début novembre, elles représentent moins d’un demi mois d’importations. Dans ces conditions, Moody’s et Standard & Poor’s ont dégradé la note de la Turquie respectivement de B2 à B3 et de B+ à B (perspectives stables dans les deux cas), soit respectivement 6 et 5 grades en dessous du niveau « investissement ».
Un dérapage des finances publiques
Le coût élevé du dispositif de protection de l’épargne en livres turques contre toute dépréciation vis-à-vis du dollar a contribué à l’envolée des dépenses courantes et, plus généralement au dérapage des comptes publics en 2022. Ce mécanisme a été mis en place fin 2021 par le gouvernement avec l’espoir d’encourager les épargnants turcs à convertir en livres turques leurs dépôts en dollars, donc à favoriser la « liraisation » de l’économie et circonscrire la dépréciation de la livre (à travers ce dispositif, les autorités se sont engagées à compenser les épargnants de toute perte de patrimoine financier subie en cas de poursuite de la dépréciation de la livre, post conversion des avoirs en dollars). La livre ayant poursuivi son reflux en 2022 (cf. supra), le dispositif a représenté un coût non négligeable pour l’Etat turc, estimé à 91,6 Mds TRY sur les dix premiers mois de l’année. Ces dépenses sont l’une des causes du dérapage des finances publiques : la Loi de finances initiale prévoyait un déficit de 278,4 Mds TRY en 2022 ; il devrait atteindre, selon les dernières estimations officielles, 461,2 Mds TRY.
Malgré cela, une orientation de politique monétaire inchangée depuis l'été
Des signes multiples d’un ralentissement en cours de l’économie
Avec le ralentissement dans l’UE – premier partenaire commercial de la Turquie –, les premiers signes d’une décélération de l’activité sont perceptibles au 2ème semestre. L’indice de confiance des directeurs d’achat (PMI) est sur une pente descendante depuis plusieurs mois et a atteint 46,4 en octobre. De son côté, « l’indice du climat de l’exportation », publié par la Chambre d’industrie d’Istanbul, baisse continuellement depuis août, pour s’établir à 47,9 en octobre. Sous le seuil de 50 points, ces deux indices signalent une contraction en cours de l’activité.
Au troisième trimestre, les indicateurs du marché de l’emploi ne s’améliorent plus. En effet, le taux de chômage augmente en septembre à 10,1 % contre 9,8 % le mois précédent. Le taux de chômage des 15-24 ans enregistre quant à lui une plus forte augmentation, à 18,9 % en septembre contre 17,3 % en août. Les effets d’entraînement de l’activité sur le marché de l’emploi semblent donc se tarir en ce troisième semestre.
Un essoufflement qui justifie, selon la Banque centrale, la poursuite d’une politique accommodante
Malgré les effets sur le change, l’inflation, la position externe et les finances publiques, la Banque centrale a poursuivi son assouplissement tout au long de l’automne. Le principal taux directeur a ainsi été ramené en novembre à 9,00 % seulement, ce qui en termes réels cette fois, en fait l’un des plus faibles du monde.
Dans son communiqué en date du 24 novembre, la Banque centrale indique qu’elle annoncera en décembre de nouvelles mesures macro-prudentielles dans son document de politique monétaire 2023. Elle précise aussi que le cycle de baisse de son taux directeur, amorcé en août, est arrivé à son terme (réduction totale de 500 points de base). La récente décision de la Banque centrale avait été anticipée et n’a donc pas eu d’effet significatif sur les marchés.