Situation économique

Près de 20 ans après l’indépendance, le Timor oriental reste un pays peu développé. La gestion transparente de la manne pétrolière lui a toutefois permis d’accumuler d’importants avoirs au sein de son fonds souverain et de soutenir une dépense publique qui demeure le principal moteur de sa croissance. Alors que le pays connait une nouvelle période d’instabilité politique depuis 2017 et que les réserves d’hydrocarbures s’épuisent, le gouvernement s’oriente vers une politique d’investissements sans précédent. L’objectif est d’exploiter sur son territoire les réserves des champs de Greater Sunrise, accessibles depuis la signature en 2018 d’un Traité frontalier avec l’Australie. Ce choix stratégique pourrait fragiliser la stabilité financière du pays, en l’obligeant à puiser dans son fonds souverain, et laisse en suspens le défi de la diversification. L'apparition de la crise sanitaire et la fermeture des frontières crée un nouveau défi à relever pour le pays. 

 

Depuis son indépendance, en 2002, le développement de Timor-Est s’est fondé sur la rente pétrolière dont il dispose en mer du Timor. Celle-ci irrigue toute l’économie via la dépense publique qui a représenté 83% du PIB en 2017. Toutefois, avec un PIB hors pétrole et gaz de 1,6 Mds USD en 2017 (3 Mds USD en incluant les revenus des hydrocarbures) et un PIB par habitant de 1230 USD  (hors pétrole et gaz), le pays reste faiblement développé : 30 % de la population vit avec moins de 2 USD par jour et 45 % n’a pas d’éducation secondaire (35 % d’analphabétisme). Timor-Est compte 1,3 million d’habitants, principalement ruraux (70 % de la population), et jeunes (60% de la population à moins de 16 ans). Les revenus des hydrocarbures représentent 76% des recettes de l’Etat et 99% des recettes en devises. Hors hydrocarbures, le déficit public s’est élevé en 2018 à 27% du PIB et le déficit courant à 12% du PIB. La rente pétrolière a permis d’alimenter un fonds souverain, le Petroleum Fund, dont les actifs atteignaient 17,6 Mds USD fin septembre 2019.

Depuis les élections présidentielles de 2017, l’économie timoraise a été pénalisée par une longue période d’instabilité politique. Le nouveau président, Francisco Guterres, n’a pas obtenu de majorité au Parlement après son élection. Son face à face avec l’opposition a débouché sur des élections législatives en mai 2018. Celles-ci ont conforté l’opposition au Président en donnant la majorité à une alliance de partis (l’AMP) conduite par Xanana Gusmão. Cette situation a fortement limité la capacité budgétaire à soutenir l’économie. En 2017, le budget définitif qui devait suivre les élections n’a pas été voté. Celui de 2018 n’a été voté qu’en octobre et ceux de 2019 (2,1 Mds USD proposés, 1,6 Md USD votés) et de 2020 (1,95 Md USD proposés) ont donné lieu à des passes d’armes entre le Président et son gouvernement. De ce fait, le PIB s’est contracté de 3,5% en 2017 et de 1,1 % en 2018. Il devrait croître de 4,1 % en 2019. 

La production d’hydrocarbures est en déclin. Le principal champ dont Timor tire ses ressources, Bayu Undan (exploité par ConocoPhillips), devrait être épuisé vers 2023. Les réserves encore exploitables sont valorisées à 1,5 milliards USD. Après avoir culminé en 2011, la production a régulièrement décliné pour atteindre 38 millions de bep par an en 2018. Conjonction de cette baisse de la production et de la baisse des cours, les revenus pétroliers ont chuté de 3,5 Mds USD en 2012 à 422 MUSD en 2017.

Le Traité entre Timor-Est et l’Australie signé le 6 mars 2018 a ouvert de nouvelles perspectives de croissance. Il donne un cadre légal au développement des champs pétro-gaziers de Greater Sunrise situés à cheval sur la frontière maritime entre les deux pays. Selon les principales estimations disponibles, leurs réserves s’élèveraient à 5,1 billions de pieds cubes de gaz naturel et 226 millions barils de condensats, et valorisées à 50 Mds USD. Le Traité prévoit que les revenus de l’exploitation offshore seront partagés entre les deux pays à hauteur de 70/30 en faveur de Timor si le pipeline est orienté vers ce dernier, à hauteur de 80/20 si l’option inverse, d’un pipeline vers Darwin en Australie, est choisie. L’option Timor devrait être retenue.

Le gouvernement timorais prévoit un vaste programme d’investissements évalué entre 10 et 15 Mds USD. Il comporte le forage, la construction d’un gazoduc, d’une unité de liquéfaction, d’une raffinerie et d’une zone industrielle de services à ces industries ainsi que des infrastructures de transport. L’AMP, la coalition majoritaire au Parlement, estime que les retombées économiques directes et indirectes pourraient atteindre 30 à 50 Mds USD.

Il existe de nombreux doutes sur la viabilité de ce projet. Shell et ConocoPhillips, qui possédaient 30 et 27 % des parts du contrat d’exploitation de Greater Sunrise, les ont cédées en 2019 au gouvernement timorais pour un montant respectif de 350 et 300 MUSD. La société opératrice, Woodside (34 % des parts) souhaiterait limiter son investissement au développement de l’amont. La Banque Mondiale estime que le projet est techniquement réalisable, mais qu’en l’état, compte tenu de son coût et des perspectives du marché mondial du gaz, il nécessite (1) d’être revu à la baisse pour devenir rentable et (2) d’y associer une entreprise étrangère disposant de l’expertise requise. Le développement de Greater Sunrise prendra au moins 7 ans. Timor risque donc de se trouver sans revenu entre la fin d’activité de Bayu-Undan et la mise en exploitation des nouvelles réserves.

Le défi de la diversification économique est majeur compte tenu de la croissance de la population active, de l’épuisement des ressources pétrolières et de la dépendance du pays à ses importations. Selon la Banque Asiatique de Développement le pays aurait besoin de créer 60.000 emplois par an. Le Président, à l’instar des partenaires de développement, souhaite mettre davantage l’accent sur la promotion de l’agriculture, de l’agro-alimentaire, de la pêche du tourisme et de la petite industrie, secteurs qui sont moins intenses en capital et plus soutenables à long terme. Cela nécessite une amélioration de la qualité de la main d’œuvre qui passe par une amélioration de la formation, de la nutrition (46% des enfants de moins de 5 ans ont des problèmes de malnutrition) et des conditions sanitaires (50% de la population n’a pas accès à l’assainissement).

L’économie du Timor oriental était déjà fragilisée pré-pandémie et continuera de faire face à des difficultés hors COVID-19. De nombreuses organisations internationales, partenaires de développements et autres experts conseillent depuis plusieurs années au Timor oriental d’établir des priorités économiques (hors pétrole) et de prendre des mesures concrètes pour rompre avec une dépendance au pétrole jugée trop forte, empêchant le pays de diversifier ses secteurs productifs. En dépit de ces mises en garde, le Timor oriental continue d’être subordonné aux revenus générés par le secteur pétrolier et gazier et les progrès dans la diversification de l’économie sont lents. D'après le chercheur Joao da Cruz Carduso (Université de l'Illinois et Université d'Hawaï), plusieurs facteurs peuvent expliquer la difficulté qu’éprouve ce jeune Etat à diversifier son économie.

  • Les mésententes politiques ont détourné le pays des investissements à long terme. Depuis 2006, le pays connaît une crise politique durable : six gouvernements se sont succédé ces quinze dernières années. Cette instabilité gouvernementale a eu pour effet de restreindre les politiques à des mesures de court terme pour assurer la solidité de la gouvernance, au détriment de stratégies d’investissements de moyen et long terme.
  • Les deux plus grands partis politiques du pays, le FRETILIN (Front révolutionnaire pour l’indépendance du Timor oriental) et le CNRT (Congrès National pour la Reconstruction du Timor oriental) ne parviennent pas à s’entendre sur les priorités nationales pour le développement économique. Même si le développement au Timor oriental est guidé par le Plan de développement stratégique (PDS), le FRETILIN et le CNRT ne parviennent pas à s’accorder sur les mécanismes de mise en application concrète de ce plan. Le projet de Tasi Mane cristallise notamment ces tensions (développement pluriannuel de trois groupes industriels sur la côte sud du pays). Il apparaît ainsi indispensable d’améliorer les discussions politiques sur les stratégies de développement économique afin de formuler des programmes nationaux stables malgré les changements dans les administrations gouvernementales.
  • Il n’y a finalement pas d’incitations politiques à développer les secteurs non pétroliers de l’économie (du moins à court terme). L’argent issu des revenus pétroliers a en effet permis aux gouvernements timorais successifs de développer de grands projets d’infrastructures (notamment l’autoroute le long de la côte sud et du port de Tibar Bay sur la côte nord) outranciers faisant office de cache-misères permettant la réélection des partis au pouvoir. En conséquence, les secteurs non pétroliers seraient mis de côté en raison de leur faible utilité à court terme pour les partis politiques au pouvoir. 
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