Situation économique et financière

Salvador : Un retour aux niveaux prépandémiques de croissance menacé par d’importants risques baissiers

 

Malgré un retour aux niveaux de croissance prépandémiques, l’économie salvadorienne affiche d’importants déséquilibres macroéconomiques. Malgré les opérations de rachat de la dette obligataire en septembre et en décembre 2022, la situation des finances publiques reste préoccupante, avec une dette publique qui suit une trajectoire insoutenable à moyen terme. Le FMI recommande au pays de mettre en place une stratégie d’assainissement budgétaire (3,5 % du PIB), faute de laquelle le risque souverain devrait continuer de peser sur les perspectives économiques du pays. Enfin, des réformes structurelles pour améliorer le climat des affaires et la croissance potentielle restent indispensables.

1. Malgré une reprise forte et rapide, les déséquilibres macroéconomiques pèsent sur les perspectives économiques  

Suite à la réponse forte et rapide du gouvernement à la crise de la Covid-19, qui a permis une récupération rapide de l’économie en 2021 (+10,3 % du PIB), l’économie salvadorienne a enregistré une croissance du PIB de +2,8 % en 2022, dépassant ainsi ses niveaux prépandémiques. L’activité économique a notamment été soutenue par la consommation privée (83 % du PIB), portée par le tourisme et les transferts de fonds (25 % du PIB) principalement en provenance des Etats-Unis. Le pays n’a pas été épargné par l’accélération de l’inflation en 2022, qui a atteint 7,3 % en moyenne selon le FMI. En outre, l’économie salvadorienne étant complètement dollarisée depuis 2001, la politique budgétaire est le seul levier d’action des autorités pour piloter l’économie et contrôler l’inflation. Ainsi, en 2022, El Salvador est le pays de la région ayant le plus dépensé (2,2 % du PIB) pour lutter contre les hauts niveaux d’inflation (exonération fiscale sur les carburants, combustibles et sur certains produits alimentaires de base ; fixation du prix des carburants et du GPL ; subventions au GPL ; stabilisation du prix de l’électricité ou encore augmentation de la subvention à l’eau potable). Par ailleurs, après avoir atteint un pic en juin 2022 à 7,75 % g.a, l’inflation a entamé une lente phase de ralentissement (5,44 % en avril 2023).

En 2023, El Salvador devrait enregistrer une croissance économique de 2,4 %, tirée par la consommation privée et soutenue par l’assouplissement de la politique fiscale et des termes de l’échange plus favorables, ainsi qu’en lien avec l’amélioration de la situation sécuritaire du pays (avec un impact potentiel positif de l’investissement et du tourisme). En effet, le déficit courant, qui s’était fortement creusé en 2022 (-8,3 % du PIB contre -5,1 % du PIB en 2021) en raison d’une hausse de la facture et du volume des importations, non compensée par l’expansion du tourisme et les transferts de fonds, devrait se résorber légèrement en 2023. En outre, l’inflation devrait continuer de ralentir, grâce à la politique restrictive de la Fed et la baisse des prix d’importation. Cependant, les perspectives économiques salvadoriennes restent fragiles compte tenu d’importants déséquilibres macroéconomiques : (i) déficit des balances commerciale et courante, (iii) dette publique élevée, et (iv) réserves de change à un bas niveau. En outre, l’économie salvadorienne étant très sensible à celle des Etats-Unis (40 % des exportations, première source d’IDE dans le pays, 93 % des remesas), un ralentissement de l’économie aux Etats-Unis aurait un effet considérable sur l’économie réelle du pays, notamment par le canal d’une baisse de la demande domestique et extérieure.

2. Malgré les deux opérations de rachat anticipé de la dette obligataire mené par les autorités, la situation des finances publiques reste préoccupante.

 

La dette publique semble être sur une trajectoire insoutenable à un niveau élevé, autour de 82 % prévus jusqu’en 2027 (soit le niveau le plus important d’Amérique centrale). En outre, selon le Ministère des finances, la dette publique est détenue majoritairement par des créanciers privés et des organismes multilatéraux, respectivement à hauteur de 58,7 % et 34 % de la dette totale. Environ 40 % de la dette totale est de court terme (inférieur à 10 ans) et 80 % de celle-ci a une maturité inférieure à 20 ans, presqu’entièrement contractée en dollars américains (à hauteur de 95,4 %), l’exposant à un risque de défaut en raison de l’alourdissement du poids de la dette suite au resserrement monétaire mené par la Fed. Par ailleurs, les besoins bruts de financement public devraient rester élevés à long terme (18 % du PIB) et les banques locales sont fortement exposées au risque souverain. Selon la Banque centrale salvadorienne, le risque de défaut serait quasi inexistant car le gouvernement pourra toujours, en dernier recours, se tourner vers les banques locales. Par conséquent, le crédit au secteur privé risquerait d’être évincé, ce qui pèserait sur l’activité économique du pays. Une nouvelle source de financement pour le gouvernement salvadorien pourrait voir le jour, en lien avec la réforme des pensions de retraite souhaitée par les autorités publiques. Le contenu de ce projet de loi ne provoquerait pas de changement profond du système de retraite actuel, mais le gouvernement aurait accès désormais directement à la totalité des cotisations (contre 45 % actuellement) gérées par l’organisme en charge de la gestion des fonds de pension, notamment dans le but de financer sa dette. Toutefois, la soutenabilité de cette réforme est fortement remise en question.

Selon le FMI, une stratégie d’assainissement budgétaire représentant 3,5 % du PIB sur les trois prochaines années est essentielle pour mettre la dette publique sur une trajectoire baissière et rétablir la viabilité budgétaire du pays. En effet, sans ces mesures d’assainissement budgétaire, la dette publique salvadorienne devrait atteindre 96 % du PIB d’ici à 2026. En outre, l’adoption du Bitcoin comme monnaie légale a été vivement critiquée par les organisations internationales et bloque les négociations avec le FMI, qui recommande le retrait du cours légal de la cryptomonnaie, pour l’obtention d’une facilité élargie de crédit de 1,3 Md USD, qui pourrait refinancer une partie de la dette à moindre coût.

 

3. Des réformes structurelles indispensables pour accroitre la croissance potentielle du Salvador

 

El Salvador s’est engagé à stimuler l’investissement privé afin d’accroître la croissance potentielle et la productivité et de créer de meilleures opportunités d’emploi pour la population, et notamment les jeunes. Au cours des dernières années, les autorités ont mis en œuvre différentes mesures visant à éliminer les formalités administratives, ce qui a contribué à améliorer le climat des affaires et à favoriser les attentes en matière d'investissement privé. En outre, El Salvador est parvenu à une réduction sans précédent de la criminalité[1], ce qui favorise de meilleures perspectives économiques. Différentes études ont souligné que le niveau élevé de criminalité et de violence était l'un des principaux obstacles à l'augmentation du taux de croissance au Salvador. À cet égard, les autorités considèrent que la diminution de la criminalité entraînera une augmentation de l'investissement privé et de la consommation en raison de la réduction des coûts de sécurité et des paiements d'extorsion par les entreprises et les ménages.

Par ailleurs, un des projets phares d’El Salvador qui vise à faire du pays une destination touristique de classe mondiale est la création de « Surf City ». Ce plan, élaboré par le Président Bukele, entend promouvoir les plages salvadoriennes idéales pour la pratique du surf, et attirer ainsi de nouveaux fonds. De plus, bien que controversée et sans impact sur le coût des remesas (argument initialement avancé), l’adoption du Bitcoin comme monnaie officielle en septembre 2021 a permis au Salvador de se faire connaitre dans le monde entier, contribuant ainsi à l’augmentation du tourisme selon les autorités (crypto-investisseurs américains voulant vivre l’expérience bitcoin dans sa globalité). En 2022, le nombre de visiteurs internationaux a atteint 2,5 millions, soit une augmentation annuelle de 79 % (et +47 % par rapport à 2019), contribuant ainsi à une économie plus dynamique.

Enfin, El Salvador est un pays particulièrement vulnérable au changement climatique, et dont la capacité à faire face aux catastrophes naturelles est limitée. Historiquement, les catastrophes naturelles avaient coûté en moyenne 4 % du PIB au pays. Ainsi, de nouvelles catastrophes naturelles pourraient exacerber la criticité des finances publiques. Des investissements dans l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets néfastes semblent dès lors nécessaires à moyen terme.  

 

Commentaire : Alors que les fondamentaux macroéconomiques présentent des déséquilibres, la réponse forte et rapide du gouvernement face à la Covid-19 puis face aux pressions inflationnistes a permis un retour aux niveaux de croissance prépandémiques dès 2022. Toutefois, les perspectives économiques du pays sont soumises à d’importants risques baissiers et la trajectoire des finances publiques reste inquiétante. Ainsi, des réformes structurelles d’envergures (amélioration du climat des affaires, retrait du cours légal octroyé au Bitcoin) seront indispensables pour dynamiser la croissance potentielle.



[1] Le taux d'homicide pour 100 000 habitants était de 18,1 en 2021, tombant à 7,8 en 2022

 
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