Présence française à Singapour et investissements bilatéraux

La France maintient en 2023 son stock d’IDE vers Singapour à un niveau élevé (19,1 Md EUR contre 20,3 Md EUR l’année précédente[i]) avec des flux d’IDE quasi-nuls vers la Cité-Etat (-0,1 Md EUR), après y avoir renforcé en 2022 sa présence avec des flux record de 6,9 Md EUR[ii]. Dans le sens inverse, le stock d’IDE singapouriens en France a doublé en 2023 (4,3 Md EUR), et les flux multipliés par 6 (2,9 Md EUR), grâce notamment à l’acquisition de Worldwide Fligths Services par SATS pour 1,3 Md EUR. Singapour détient ainsi plus de la moitié du stock d’IDE sud-est asiatique en France (7,6 Md USD). Les investissements singapouriens se distinguent par leur nature, essentiellement financière.

1. Singapour continue de concentrer près des 2/3 du stock d’IDE français en Asie du Sud-Est

En 2023, plus des deux tiers (67%) des IDE français en Asie du Sud-Est étaient dirigés vers la Cité-Etat, représentant un stock de 19,1 Md EUR d’IDE (cf. Graphique 1 & Tableau 2, données Banque de France). Le stock d’IDE français à Singapour surpasse largement ceux observés dans d’autres pays de la région, notamment en Indonésie (3,8 Md EUR), en Thaïlande (2,4 Md EUR) et en Malaisie (1,0 Md EUR). Les flux d’IDE français à destination de Singapour (tout type de flux confondu), mesurés selon le principe directionnel étendu[iii], ont été quasi-nuls l’an dernier, avec -0,1 Md EUR d’IDE sortants enregistrés. Si le stock total d’IDE français à Singapour a reculé de 1,1 Md EUR (-5,5%), il se maintient à un niveau élevé après une année 2022 record des flux d’IDE. Le stock de capitaux propres accuse une baisse plus minime encore (21,4 Md EUR en 2023 contre 21,9 Md EUR l’année précédente).

D’après les statistiques singapouriennes, la France était en 2022 le 16ème pays investisseur à Singapour et le 5ème investisseur européen[iv] (cf. Tableau 4). Singapour a été particulièrement attractive pour l’investissement français ces dernières années, en témoignent des projets d’envergure[v], tels que i) le projet de modernisation d’ici fin 2024 d’une usine de Soitec pour un montant d’environ 400 M EUR[vi] ; ii) en 2021, l’annonce de la construction d’une usine pharmaceutique innovante de Sanofi pour 400 M EUR ; iii) l’investissement d’environ 330 M EUR de STMicroelectronics, avec le singapourien SP Group, dans la création d’un système industriel de refroidissement urbain d’ici 2025[vii] ; ou encore iv) les 76 M EUR annoncés en 2022 par Schneider Electric dans un centre de distribution neutre carbone. 

Le nombre de filiales d’entreprises françaises à Singapour poursuit sa progression (près de 945 filiales en 2021 contre 886 en 2020 et 766 en 2019) et leur chiffre d’affaires cumulé affichait une forte hausse en 2021 (+40,8% en g.a ; 52,0 Md EUR), et ce, tout en maintenant des effectifs constants autour de 40 000 employés au total (39 252 en 2021[viii]). À titre comparatif, le nombre de filiales allemandes et britanniques présentes à Singapour, tout comme leur CA cumulé, était, selon les dernières données disponibles, plus modeste[ix]. Singapour continue de tirer profit de sa position au sein de l’ASEAN et de son environnement propice aux entreprises. La cité-Etat dispose d’infrastructures de pointe, d’une fiscalité attractive - accords fiscaux personnalisés négociables par les entreprises étrangères-, d’un cadre légal et politique stable et d’un environnement des affaires classé parmi les meilleurs au monde[x]. Sa situation géographique en fait par ailleurs un point d’ancrage naturel pour les entreprises, qui peuvent ensuite rayonner vers les marchés de la région.

Parmi les implantations françaises, on compte de grandes entreprises, des ETI, des PME, des succursales et des bureaux de représentation. La majorité des grands groupes sont représentés, à l’instar de ST Microelectronics (1er employeur avec environ 5 000 employés)[xi], Thales (plus de 2 000 employés), CMA-CGM, Dassault Système, BNP Paribas, Essilor ou AccorHotels. À noter que TotalEnergies a fait de Singapour son hub régional en décembre 2019 (~600 employés)[xii]. Les firmes françaises couvrent ainsi tous les secteurs avec une activité marquée dans les services aux entreprises, la vente de gros et de détail et la finance[xiii](cf. Graphique 2). Certaines sociétés s’appuient par ailleurs sur un écosystème propice aux innovations pour développer des centres de R&D (Engie, Airbus, Thales). La cité-Etat compte environ 300 entrepreneurs français et près de 250 chercheurs (French Lab)[xiv]. La communauté French Tech de Singapour est la 1ère en nombre de l’ASEAN, avec plus de 6 000 membres LinkedIn.

 

 2. Les IDE singapouriens en France se renforcent avec un doublement du stock en 2023

Le stock d’IDE singapouriens en France a plus que doublé entre 2022 et 2023, s’établissant à 4,3 Md EUR (+108% en g.a., cf. Tableau 1)[xv], mais demeure près de cinq fois inférieur au stock d’IDE français à Singapour[xvi] (19,1 Md EUR). Parmi les principales opérations réalisées l’an dernier, à noter l’acquisition de Worldwide Fligths Services pour 1,3 Md EUR par la société de services aéroportuaires Singapore Air Transports Services (SATS)[xvii], devenant filiale à 100% du groupe singapourien[xviii].  Singapour détient plus de la moitié du stock d’IDE sud-est asiatique en France – qui s’élève à 7,6 Md EUR (+48% en g.a.). Ces investissements se traduisent par une quarantaine d’implantations et près de 1 500 emplois en France, notamment dans les secteurs de l’hôtellerie (CapitaLand et Millennium Hotels), les technologies de pointe (ST Engineering)[xix] et les services (International SOS). Singapour compte également plusieurs implantations de start-ups innovantes ayant établi leur filiale en France (H3 Dynamics, Novade, Upskills). En flux néanmoins, les investissements directs singapouriens en France ont été multiplié par 6 en 2023 à 2,9 Md EUR (contre 464 M en 2022). 

Selon le rapport 2023 de Business France sur l’investissement étranger en France, Singapour se classe, avec 8 projets réalisés, à la 25ème place des principaux investisseurs étrangers en France[xx] ; et 2e au sein des pays de l’ASEAN derrière le Vietnam (qui a totalisé 9 projets réalisés dans l’Hexagone). En termes d’emploi cependant, Singapour maintient sa position de premier investisseur de l’ASEAN en France, avec la création et/ou le maintien de 304 emplois l’année dernière contre 161 pour le Vietnam[xxi].

En outre, des IDE singapouriens en France sont régulièrement portés par des fonds souverains de la Cité-Etat ; en raison de son excédent structurel de compte courant, qui représentait 19,8% de son PIB en 2023[xxii], Singapour accumule chaque année d'importantes réserves en devises, réinvesties principalement par ces fonds. Malgré sa petite taille, Singapour, hub financier, est le 7ème détenteur net d’actifs au monde[xxiii]. Selon le classement du Sovereign Wealth Fund Institute (SWFI), les fonds souverains singapouriens, GIC et Temasek, sont respectivement les 7ème et 13ème plus importants fonds souverains au monde en termes d’actifs sous gestion[xxiv]. Ils gèrent l’épargne des Singapouriens, notamment par le biais de l'émission de titres souverains souscrits par la population pour l'épargne contrainte (obligatoire pour accéder au logement et à la retraite), et comptent parmi les principaux investisseurs singapouriens en France.

Le fonds GIC, qui n’investit qu’à l’étranger, détiendrait un portefeuille d'investissements en France d'une valeur comprise entre 16 et 20 Md EUR[xxv], principalement composé d'actifs financiers (sociétés du CAC 40), de titres souverains et d’investissements immobiliers mais également de participations stratégiques et d’investissements directs. En 2019, GIC a créé une joint-venture (détenue à 80%) avec la société américaine Equinix pour l’acquisition et le développement de plusieurs datacenters en Europe, dont un à Paris (investissement d’environ 0,9 Md EUR). Fin 2018, GIC avait acquis la tour de bureaux Ariane du quartier de la Défense pour 465 M EUR, et avait fait l’acquisition de 55% des parts d’AccorInvest, la foncière du groupe AccorHotels, avec un groupe d’investisseurs (dont Amundi et Crédit Agricole Assurances) pour un total de 4,4 Md EUR. GIC détient également 31,5% du capital de Terega, filiale de distribution de gaz de TotalEnergies.

Les activités de Temasek en France quant à elles, sont portées principalement par sa participation à hauteur de 53% dans le groupe CapitaLand[xxvi], maison-mère de The Ascott (possédant une trentaine de résidences sous la marque Citadines en France), représentant un investissement de plus de 2,4 Md EUR en France entre 2014 et 2021, soit 30% de leurs investissements en Europe[xxvii]. Temasek a contribué au « scaling up » de certaines entreprises de la French Tech (Alan, ManoMano, Innovafeed, Fairmat, Pasqal), et soutenu le développement de leaders français (Tikehau dans la gestion d’actifs, Ceva dans la santé animale, Axereal dans les céréales). En s’établissant à Paris en 2023, le fonds affiche sa volonté d’accélérer les investissements en Europe.

 
 
ANNEXES
 
g1

 

Source : Banque de France

 

 

g2

 

Source : Département singapourien des statistiques (transport et stockage exclus)

 

 

Tableaux 1 à 5. Principaux investisseurs étrangers en France/à Singapour et principales destinations des IDE français/singapouriens (en Md EUR)

 

pf

Source : Banque de France

 

 ps

Source : Département singapourien des statistique

                                                                                                        

Taux de change : les données singapouriennes sont exprimées en euros au taux de change moyen de 2022 fourni par la Banque centrale européenne (1 EUR = 1,4512 SGD).

 


NOTES DE FIN

 

[i]  Données révisées ; le rapport annuel de la Banque de France de 2022 évoque le chiffre de 21,6 Md EUR de stock d’IDE français vers Singapour. Voir : « La balance des paiements et la position extérieure de la France – Rapport annuel 2023 (banque-france.fr) », Banque de France, Juillet 2024.

[ii] Données révisées ; le rapport annuel de la Banque de France de 2022 évoque le chiffre de 10,3 Md EUR de flux d’IDE français vers Singapour. Voir : « https://www.banque-france.fr/fr/publications-et-statistiques/publications/la-balance-des-paiements-et-la-position-exterieure-de-la-france-2022 », Banque de France, Juillet 2023.

[iii] Le principe directionnel étendu, méthode privilégiée par la Banque de France, présente les opérations et positions en fonction du centre de décision économique : les créances (en capital ou sous forme de prêts) entre sociétés appartenant à un même groupe international ne sont pas classées en fonction du sens de la créance mais d’après la résidence de la maison mère ou de la tête de groupe. Voir : « Focus : Les investissements directs | Banque de France (banque-france.fr) », Banque de France, 2024.

[iv] Derrière le Royaume-Uni, le Luxembourg, la Suisse et les Pays-Bas.

[v]Les montants d’investissement annoncés ont été convertis (lorsqu’exprimés dans une devise autre que l’euro) aux taux de change de fin août 2024 : 1€ = 1,11 USD et 1€ = 1,44 SGD.

[vi]Selon les informations partagées lors d’un entretien avec la directrice financière du groupe le 12 juin 2024, l’entreprise connaitrait aujourd’hui un « plateau » après une forte période de croissance, avec des revenus qui devraient stagner en 2024 et 2025. Ce contexte a d’ailleurs motivé la décision de repousser la mise en service de l’extension de l’usine singapourienne toujours en construction et censée ouvrir en fin d’année.

[viii]Selon l’enquête européenne OFATS sur l'activité des filiales étrangères des groupes français (Eurostat) pour l’année 2021.

Voir : « https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/fats_out_part__custom_12592429/default/table?lang=en », Eurostat, 2024.

[ix]D’après Eurostat, 417 filiales allemandes étaient implantées à Singapour en 2021, pour un CA de 28,7 Md EUR. Depuis le Brexit, ces données pour le Royaume-Uni ne sont plus compilées par Eurostat mais par le Office for National Statistics, dont les derniers chiffres disponibles font état de 711 filiales britanniques installées à Singapour en 2019 pour un CA cumulé de 49,4 Md EUR (43,4 Md de Livres Sterling de 2019).

Voir : «https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/fats_out_part__custom_12592429/default/table?lang=en » et : « UK outward foreign affiliate statistics (OFATS) Statistical bulletins - Office for National Statistics (ons.gov.uk) », Office for National Statistics, Mai 2022.

[x] En 2024, Singapour se positionne en tête du classement de l’EIU sur l’environnement des affaires. Voir : « Business environment GDP (eiu.com) », EIU, 2024.

[xi] STMicroelectronics a été l'une des premières entreprises du secteur des semiconducteurs à ouvrir une usine à Singapour (en 1969) ; et la première à y ouvrir une front-end wafer fab (en 1984). Voir : « Singapore: our 50th Year of Commitment to the Lion City (st.com) », STMicroelectronics, Septembre 2019.

[xiii] À noter la décision de cession de la filiale d’AXA à HSBC en août 2021.

[xv] Ventilation géographique établie en prenant en compte le pays d'origine immédiate de l'investissement, et non le pays où est implantée l’entité qui dispose du contrôle ultime sur les stocks d’IDE (investisseur ultime : 1,5 Md EUR en 2022, contre 2,1 Md EUR en 2019).

[xvi] L’écart s’expliquant par une volonté moindre d’acquisition de moyens de production par les partenaires singapouriens en France que l’inverse.

[xvii] Au 21 mai 2024, SATS était détenue, via Venezio Investments, par Temasek à 39,6%. Voir : « https://www.sats.com.sg/investors/stock-information-overview/shareholding-information », SATS, mai 2024.

[xix] Filiale de ST Engineering, Anticyp est une entreprise française spécialisée en réalité virtuelle acquise par le groupe singapourien en 2008. Voir : « https://steantycip.com/blog/25-years-of-simulation-and-vr-in-the-marketplace/», ST Engineering, 2024.

[xx] Voir classement annuel par nombre de projets en page 20 du « Annual Report - Foreign Investment in France – 2023 » de Business France. Avec 10 projets réalisés, la Pologne est à la 23e place, juste devant le Vietnam avec 9 projets, suivi de Singapour qui en comptabilise 8 : « Bilan Invest 2023 UK.pdf (prdstanas01.blob.core.windows.net) », Business France, 2024.

[xxi] Voir « fiche pays ASEAN – OCEANIA » :

« https://prdstanas01.blob.core.windows.net/media/PRODUCTION/Bilan/Fiche%20Pays%202023%20VUK.zip », Business France, février 2024.

[xxii] Voir Chapitre 5 « Balance of Payments » du Economic Survey of Singapore 2023: « https://www.mti.gov.sg/Resources/Economic-Survey-of-Singapore/2023/Economic-Survey-of-Singapore-2023 ». Ministry of Trade and Industry, 2024.

[xxiii] Selon les statistiques du FMI sur la position extérieure nette en 2023 (Chine et Hong-Kong consolidés). Voir « International Investment Position by Indicator »: « Balance of Payments and International Investment Position - Data Tables - IMF Data », FMI, juillet 2024.

[xxv] La zone Euro représentant 10% des positions du portefeuille du fonds (estimé à environ 800 Md USD par le Sovereign Wealth Fund Institute), la France pourrait raisonnablement représenter entre un cinquième (16 Md EUR) et un quart (20 Md EUR) de ces positions. Pour qu’un investissement soit considéré comme un IDE, cela implique généralement une prise de participation significative de l’investisseur (participation de 10% ou plus par exemple) dans une entreprise existante ou dans la création d'une nouvelle entreprise dans le pays hôte, ce qui explique la différence substantielle entre le montant du portefeuille de GIC alloué aux investissements en France et le stock d’IDE singapourien en France, bien plus modeste.

[xxvi] Voir page 271 du Rapport Annuel de CapitaLand de 2023. Via un montage financier constitué de 7 niveaux, Temasek possède 53% des parts de CapitaLand : « https://ir.capitalandinvest.com/annual-report/2023/pdf/CapitaLand-Investment-Limited-Annual-Report-2023.pdf ».

[xxvii] Estimation de Temasek datant du T1-2021, tenant compte des investissements passés et présents depuis l’ouverture du bureau londonien en 2014.

[xxviii] Stocks d'investissements directs par pays de l'investisseur ultime. La présence de la France parmi les investisseurs ultimes résulte des investissements en capital social ou sous forme de bénéfices réinvestis que des sociétés non résidentes appartenant à des groupes français ont effectués dans des filiales françaises.

 

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