ARABIE SAOUDITE
Vision 2030 : des progrès significatifs, mais des difficultés persistent
Pour réduire la dépendance au pétrole, la Vision 2030 saoudienne, lancée en 2016, articule sa stratégie autour de trois piliers : transformation économique, gouvernance et transformation sociétale. Le rapport annuel de suivi[i] d’avril 2025, fait état de 93 % d’indicateurs stratégiques considérés atteints ou en bonne voie. Cependant, parmis les 7 % restants figurent certains indicateurs clés, relatifs à la diversification de l’économie ou développement du secteur privé. L’évolution est particulièrement notable dans le domaine sociétal, où certains indicateurs sont en avance sur l’agenda initial. En revanche, le tableau est plus nuancé sur le plan économique : le Royaume doit rationaliser l’usage de ses réserves financières pour stimuler durablement le secteur non pétrolier, tandis que le secteur privé accuse encore un retard pour pouvoir pleinement prendre le relais de la dynamique de croissance. Par ailleurs, les giga projets, figures emblématiques de la Vision, font l’objet d’une repriorisation stratégique, de plus en plus alignée sur des échéances internationales telles que les Jeux asiatiques d’hiver de 2029, l’Exposition universelle de 2030 ou encore la Coupe du monde de football de 2034.
Les données de cette note proviennent principalement du rapport 2024 de Vision 2030. Lors de nos recherches complémentaires, certaines d’entre elles se sont avérées non concordantes avec les rapports précédents, nécéssitant des précautions d’interprétations.
I/ La Vision 2030 est déjà une réussite en matière de qualité de vie et de transformation sociétale
L’Arabie saoudite a connu des avancées sociales notables, marquées par une participation croissante des femmes à la vie économique et une baisse significative du chômage. Le taux de chômage des Saoudiens est passé de 12,3 % en 2016 à 7 % en 2024[ii], soit l’objectif fixé initialement pour 2030, dont l’ambition a donc été portée à 5%[iii]. Le taux de participation des saoudiennes atteint 33,5 %, contre 22,8 % initialement[iv]. En 2024, 41 % des entreprises enregistrées sont détenues par des femmes, contre 38 % fin 2023, témoignant du dynamisme croissant de l’entrepreneuriat féminin.
L’amélioration de l’accès aux soins et des services de base reflète l’engagement renforcé des autorités saoudiennes en matière de santé publique. La couverture santé nationale atteint 97,4 %, contre 84,1 % en 2016, avec une cible de 99,5 %. L’espérance de vie a cru de 77,0 ans en 2016 à 78,8 en 2024, avec un objectif de 80. Enfin, 59% des adultes pratiquent au moins une activité physique par semaine, contre 49 % en 2016, pour une cible à 64 % en 2030[v][vi].
La vie quotidienne, en particulier dans les grands centres urbains du pays, offre désormais un niveau de confort accru, ainsi qu’un accès plus large à la culture et aux activités de loisirs. Le développement de l’offre de divertissements constitue un succès notable pour l'Arabie Saoudite, qui a déjà dépassé depuis 2023 sa cible annuelle de journées d'évènements culturels[vii]. Cette amélioration du cadre de vie s’accompagne d’une progression du taux de propriété immobilière, qui a dépassé 65 % en 2014 contre 47 % en 2016, proche de l’objectif de 70 % en 2030[viii].
II/ Le rythme de diversification économique ne semble pas suffisant à date pour atteindre les objectifs de 2030
La diversification économique du Royaume progresse, mais à un rythme plus lent que l’ambition annoncée. En 2024, la croissance du PIB n’était que de 1,3 %, mais portée par le secteur non pétrolier qui progressait de +3,9 %. Si la part des exportations non pétrolières progresse à 25 % en 2024 contre 18 % en 2016, ce n’est encore que la moitié du niveau attendu pour 2030. Les activités non pétrolières contribuent à 51 % du PIB total. Partant d’une base évaluée à 534 Md USD en 2016, elles représentent plus de 680 Md USD[ix] en 2024, soit un taux de croissance annuel moyen (TCAM) de 3,1 %. Pour atteindre l’objectif de 1 325 Md USD fixé pour 2030, une croissance du PIB non pétrolier de 11,8 % serait nécessaire, rythme qui n’a pas été observé jusqu’à présent.
Le développement du secteur privé constitue un pilier de la stratégie de diversification, soutenu notamment par les investissements domestiques du Fonds public d'investissement (PIF). Lancé en 2018, le Privatization Program visait à soutenir sa croissance. La contribution du secteur privé au PIB progresse encore lentement : 47 % en 2024, après 40 % en 2016, alors que l’objectif pour 2030 est de 65 %.
L’attraction des investissements directs étrangers (IDE), autre axe clé du Privatization Program, reste l’un des volets les moins avancés. En 2023, les flux entrants représentaient 2,4 % du PIB, soit moins de la moitié de l’objectif fixé de 5,7 % pour 2030, soit 100 Md USD par an. Sur le volet des finances publiques, la révision à la hausse de la note souveraine attribuée par S&P de A à A+, permet cependant de rassurer sur la capacité du Royaume à poursuivre ses investissements.
III/ Les engagements internationaux ambitieux redéfinissent les projets prioritaires et stratégiques de la Vision 2030
L’Arabie saoudite accorde une attention particulière au développement de son secteur industriel. Dès 2019, le Royaume avait lancé le Programme de développement du secteur industriel (NIDLP) qui ciblait quatre secteurs prioritaires : manufacturier, minier, énergétique et logistique. En 2024, l’Arabie dénombre plus de 12 000 usines, contre 7 206 en 2017, et vise 36 000 d’ici 2035. Le contenu local progresse également : il atteint 65,5 % dans le secteur des hydrocarbures (objectif de 75 % d’ici 2030) et 19,4 % dans la défense en 2024, près du double du taux de 2023, avec un objectif 2030 de 50 %.
Annoncé comme 3ème pilier de l’économie, aux côtés du pétrole et de la pétrochimie, le secteur minier connaît depuis 2016 une profonde transformation. Celle-ci s’appuie sur l’adoption d’une stratégie nationale, l’entrée en vigueur de la Mining Investment Law et une cartographie géologique désormais réalisée à 51 %, contre seulement 1,7 % en 2017. Réestimées à 2 500 Md USD en 2024, les ressources minérales du Royaume représentent un levier majeur de croissance. D’ici 2030, le secteur prévoit une contribution au PIB de 75 Md USD (contre 28 Md actuellement), la création de 219 000 emplois supplémentaires, ainsi que la mobilisation de 4 Md USD d’investissements publics et de 30 Md USD de capitaux privés. De plus, le Royaume a lancé en 2024 le National Minerals Program, destiné à renforcer la filière et à sécuriser des chaînes d’approvisionnement en minéraux fiables et compétitives, filière prometteuse pour une coopération bilatérale.
Le développement du secteur énergétique, et particulièrement des énergies renouvelables, est aussi au cœur des ambitions. Porté par le Programme national pour les énergies renouvelables du ministère de l’Energie, la Saudi Power Procurement Company (SPPC), et le PIF, ce plan vise à atteindre une capacité de 130 GW d’ici 2030, soit une part de 50 % d’énergies renouvelables au mix électrique national répartis entre 30 % d’éolien et 70 % de solaire. A ce jour, seules 6 phases d’appels d’offres ont été lancées et 20 GW ont été attribués dans le Royaume. En matière d'hydrogène vert, l'usine de production de NEOM, déjà opérationnelle, devrait atteindre l'objectif fixé de 600 tonnes par jour.
Située à un carrefour stratégique entre trois continents, l’Arabie saoudite renforce son positionnement dans la logistique et le transport international. Classée 55ème à l’indice de performance logistique de la Banque mondiale en 2018, elle occupe aujourd’hui la 38ème place et vise le top 10 d’ici 2030. Pour soutenir cette ambition, le Royaume a lancé 4 zones économique spéciale (SEZ) en 2023[xi]. Sur le plan maritime, l’Arabie saoudite se classe en 2024 au 1er rang régional et au 20ème rang mondial en tonnage commercial. Une nouvelle zone logistique a également été inaugurée au port islamique de Djeddah, avec l’ouverture du Maersk Logistics Hub, fruit d’un investissement de 346,6 M USD. Dans le secteur aérien, 128 millions de passagers ont été recensés en 2024, pour un objectif fixé de 330 millions pour 2030[xii]. Le fret aérien atteint 1,2 million de tonnes, encore bien en deçà de l’objectif de 4,5 millions pour 2030.
Enfin, les gigaprojets, qualifiés de « joyaux de la couronne » dans la Vision 2030, font l’objet d’une repriorisation par le gouvernement. En raison des contraintes financières liées au volume total annoncé des projets, des engagements internationaux qui se sont cumulés, et dans un contexte de faiblesse prolongée des prix du pétrole, les autorités ont dû procéder à une repriorisation des projets. Si celle-ci n’est pas toujours complètement explicite, les reports successifs, et redéfinitions d’appels d’offres, ainsi que les informations rassemblées sur les réductions d’allocations budgétaires des différentes institutions ou sociétés de projets corroborent l’idée que l’accent est porté sur ceux liés aux engagement internationaux : la préparation des Jeux asiatiques d’hiver 2029 à Trojena, le développement urbain de Riyad et la construction des infrastructures pour l’Exposition Universelle de 2030, ainsi que la Coupe du Monde de football 2034. La ville de divertissement Qiddiya (9 Md USD) devrait, par exemple, ouvrir ses premiers parcs fin 2025. Certains projets connaissent, en revanche, une réévaluation de leur budget ou un ajustement de leur calendrier.
* * *
Commentaires : Neuf ans après le lancement de la Vision 2030, la transformation sociétale de l’Arabie saoudite est réelle et saisissante. Sur le volet de la diversification économique, le tableau est plus contrasté. La croissance du secteur non pétrolier est certe soutenue, mais reste en deçà du rythme nécessaire pour atteindre les objectifs très ambitieux fixés pour 2030. Le développement du secteur privé et l’attraction des IDE peinent encore à décoller, dans une économie qui reste donc principalement dirigée par le pouvoir en place, notamment à travers l’action de son fonds souverain, dont la cible d’actifs sous gestion a été réévaluée à la hausse à 2 670 Mds USD pour 2030. La repriorisation et le recalibrage de grands projets autour des échéances internationales sont bien accueillis par le FMI et les agences de notation, mais ils traduisent des contraintes budgétaires fortes qui devraient encore se renforcer. Alors que le déficit prévu en 2025 était de 27 Mds USD[xiii], il a déjà atteint 16 Mds USD au T1, confirmant l’urgence de diversifer les sources de financement.
[ii] Un résultat reposant en grande partie par une chute du taux de chômage des femmes à 11,9 % en 2024, divisé par trois depuis 2016.
[iii] L'Arabie saoudite fixe un nouvel objectif de taux de chômage de 5% d'ici 2030, selon le ministre
[iv] La GASTAT communiquait sur un chiffre de 17% de taux d’activité des femmes en 2016.
[v] Correspondant à 150 minutes/semaine, selon le rapport Vision 2030
[vi] L’Arabie Saoudite est le 16e pays du monde comptant le plus d’adultes obèses, avec un taux de 42% en 2022.
[vii] A titre d’exemple, le festival Riyadh Season a accueilli 19 millions de visiteurs en 2024.
[viii] Après avoir dépassé en 2020 sa cible de 52 % en atteignant 60 %, l’objectif de taux de propriété immobilière a été réhaussé pour 2030 à 70 %.
[ix] Chiffre communiqué par Vision 2030 dans son rapport 2024, non concordant avec le PIB établi à 1080 Md USD en 2024 et la contribution des activités non pétrolières au PIB annoncée à 51 %.
[x] Les professionnels français du secteur, présents en Arabie Saoudite, nous ont indiqué que malgré l’objectif de production de 11 millions de tonnes d’hydrogène bleu en Arabie Saoudite d’ici 2030, la production n’excéderai, selon eux, pas 3 millions.
[xi] Ce qui porte le total de Zones Economiques Spéciales a 5 en 2025, avec la Riyadh Integrated Special Logistics Zone.
[xii] La GACA a annoncé en mai 2025 un parc aéronautique de 250 appareils et une commande agrégée en cours de 500 avions.