Les gigaprojets saoudiens

Lancés en 2017 dans la lignée de la Vision 2030, les gigaprojets ont été conçus pour soutenir les transformations économique et sociétale du pays en ciblant prioritairement les domaines du tourisme, des loisirs, de la culture, des technologies innovantes et de l’industrie. Pilotés par le Fonds souverain saoudien (PIF) pour la plupart d’entre eux, ils représenteraient un investissement total de 880 Md USD et à ce jour 70 Md USD de contrats ont été attribués pour en assurer la réalisation. Bien que le Royaume renvoie des signaux positifs quant à l’exécution des projets, il doit faire face à un certain nombre de contraintes, notamment financières et géopolitiques, qui viennent perturber leur calendrier de mise en œuvre. Les gigaprojets font office de vitrine à l’échelle internationale pour l’Arabie saoudite et de nombreuses entreprises, y compris françaises, viennent soumissionner aux appels d’offres sur lesquelles elles font face à une forte concurrence locale et internationale.

 

I/ L'état d'avancement des gigaprojets, où en est-on à mi-parcours de la Vision 2030 ?

Dans le cadre du programme de transformations économique et sociétale, Saudi Vision 2030, l’Arabie saoudite a lancé un certain nombre de « gigaprojets » ciblant les domaines du tourisme, des loisirs, de la culture, des technologies innovantes, de l’industrie, etc. Désignés comme les « joyaux de la couronne » de la Vision 2030 par le gouvernement, ces projets sont placés sous l’autorité directe du Prince héritier Mohammed bin Salman, via des sociétés créées pour en assurer l’exécution. Ces gigaprojets peuvent être directement détenus et financés par le Fonds souverain (PIF) comme NEOM, Red Sea, Roshn, Diriyah et Qiddiya ; ou bien financés par le gouvernement par l’intermédiaire d’entités publiques, les commissions royales, comme AlUla (RCU) et King Salman Park (RCRC) (cf. annexe 2).

Les premiers gigaprojets ont été lancés en 2017. C’est notamment le cas de NEOM, Red Sea, Qiddiya et AlUla et certains d’entre eux sont d’ores et déjà opérationnels comme Red Sea et AlUla qui sont en capacité d’accueillir des touristes. D’autres ont été annoncés plus récemment comme Soudah Development (région de l’Aseer) et New Murabba (Riyad) (cf. annexe 3).

Le montant total des gigaprojets saoudiens est estimé à plus de 880 Md USD[1]. Le plus grand projet en cours est celui de NEOM dont le montant total s’élève à 500 Md USD[2] à lui seul et à ce jour, près de 40 Md USD de contrats ont été attribués. Red Sea Global, qui pilote l’un des gigaprojets les plus avancés à ce stade, a attribué des contrats d’une valeur de 8 Md USD pour un projet estimé à 28 Md USD. Dans l’ensemble, ce sont 70 Md USD qui ont été attribués entre 2017 et 2023 pour les gigaprojets, soit 8,5 % des dépenses totales prévues à ce stade (cf. annexe 4).

Le groupe italien Webuild arrive en tête des entreprises contractantes avec 6,5 Md USD de contrats remportés dont un majeur de 4,7 Md USD portant sur la construction des barrages pour la station de ski de NEOM, Trojena. Sept entreprises sur les dix principaux contractants, en termes de montants, sont des sociétés saoudiennes (cf. annexe 5). Les gigaprojets représentent donc un marché considérable pour les entreprises et principalement pour les groupes locaux, favorisés lors des appels d’offres[3]. Les entreprises saoudiennes arrivent en effet en tête avec près de 38 Md USD de contrats remportés, suivies des sociétés indiennes (7,2 Md USD), italiennes (6,5 Md) et chinoises (3,5 Md) (cf. annexe 7).

A l’aide de ces gigaprojets, l’Arabie saoudite entend diversifier son économie et se placer en tant que principale puissance touristique, industrielle et technologique à l’échelle régionale voire mondiale. Au cours d’une interview en juin 2023, le Prince héritier Mohammed bin Salman avait déclaré : « Ils disent que de nombreux projets en Arabie saoudite ne peuvent être menés à bien, qu’ils sont trop ambitieux. Ils peuvent continuer à dire cela et nous continuerons de leur prouver qu’ils ont tort »[4], répondant ainsi aux critiques récurrentes liées à la faisabilité des projets et les défis techniques que ceux-ci représentent. Néanmoins, malgré ces annonces et le rythme soutenu d’attribution des contrats, des difficultés demeurent qu’elles soient relatives à des facteurs endogènes ou exogènes.

 

II/ Des projets soumis à des contraintes financières et géopolitiques qui viennent perturber leur exécution 

Pour pouvoir achever les gigaprojets et soutenir leurs coûts, le gouvernement saoudien compte avant tout sur son Fonds souverain (PIF) qui finance directement une importante partie des projets, notamment les infrastructures physiques de base, et est actionnaire à 100 % des sociétés créées pour l’exécution des projets. Lorsqu’interrogé sur la capacité du pays à soutenir le financement des projets, Mohammed bin Salman avait répondu en 2023 : « Nous avons le cash […], nous sommes un pays du G20[5] ». Le pays reste cependant dépendant des recettes pétrolières (62 % des recettes en 2023) et donc de la fluctuation des cours du pétrole. En effet, en 2022, l’Arabie saoudite avait enregistré un excédent budgétaire record de 27,7 Md USD (2,6 % du PIB), une première depuis 2013, du fait d’une forte hausse des cours sur les trois premiers trimestres. Néanmoins, en 2023, le budget était en déficit de 22 Md USD (2 % du PIB) suite à l’inflexion des cours du baril et des coupes de production. La question de la capacité du pays à financer les gigaprojets, de la priorisation et de la temporalité se pose donc avec acuité. Enfin, dans le cadre de sa Vision 2030, l’Arabie souhaite porter la part des investissements directs étrangers à 5,7 % du PIB en 2030, et n’a atteint que 2,2 % en 2023.

L’instabilité géopolitique régionale est aussi un obstacle à l’avancée des gigaprojets et peut retarder leur calendrier d’exécution. C’est notamment le cas des attaques en Mer Rouge qui ont lieu depuis octobre 2023 et qui ont eu un impact négatif sur le trafic maritime et l’approvisionnement en matériaux de certains projets emblématiques comme NEOM et Red Sea. Les volumes transités par le canal de Suez ont drastiquement diminué passant de plus de 5,2 millions de tonnes métriques par jour fin 2023 à 2 M de tonnes métriques par jour en mars 2024[6] (cf. annexe 6), la plupart passant dorénavant par le Cap de Bonne-Espérance. Ces perturbations ont également contribué à une hausse de 25 à 50 % du prix des matériaux de construction au cours du premier trimestre 2024[7].

L’Arabie saoudite devrait prochainement organiser plusieurs évènements internationaux majeurs comme la Coupe d’Asie de football 2027, les Jeux asiatiques d’hiver de 2029, l’Exposition universelle de 2030 et la Coupe du Monde de la FIFA de 2034. Pour accueillir ces évènements, le pays a besoin de nouvelles infrastructures qui s’ajoutent aux gigaprojets et impactent leur calendrier. Cela est particulièrement vrai pour l’Expo Riyadh 2030, qui induit des repriorisations de la part du gouvernement.

 

III/ Dans ce contexte, les entreprises françaises font valoir leur savoir-faire pour se démarquer face à une forte concurrence locale et internationale

Les entreprises françaises sont présentes sur l’ensemble de la chaîne de valeur des gigaprojets, des études de faisabilité à la maintenance des opérations, en passant par les travaux de construction et la fourniture de matériel.

Cette présence est principalement visible sur le projet touristique d’AlUla avec la signature en 2018 d’un accord intergouvernemental entre la France et l’Arabie saoudite portant sur le développement de la région. Depuis, ce sont plus de 250 contrats qui ont été signés par plus de 180 acteurs publics et privés français pour un montant total dépassant les 2 Md USD. Les deux principaux projets sont celui de l’hôtel Sharaan, conçu par l’architecte français Jean Nouvel et mené par Bouygues construction ainsi que celui du tramway d’AlUla, signé en janvier dernier entre Alstom et la RCU. Ce succès est toutefois à relativiser par rapport à la taille du projet total d’AlUla (15 Md USD).

A NEOM, 45 entreprises françaises qui ont obtenu 2,5 Md USD de contrats sur les trois dernières années[8], soit 6,25 % des sommes attribuées. Parmi les partenariats clés, on retrouve celui entre Veolia, Enowa et Itochu pour le développement d’une usine de dessalement d’eau alimentée à 100 % par des énergies renouvelables. Raffles Hotels & Resorts, une marque du groupe Accor, prévoit aussi d’ouvrir un complexe hôtelier à Trojena en 2027. Cette présence est toutefois modeste comparée à l’ampleur du projet. C’est pourquoi des initiatives institutionnelles, à l’image du Forum Business France/NEOM organisé en mars 2024, sont mises en place pour favoriser la mise en relation entre les acteurs français et saoudiens et soutenir la présence française sur le projet.



[1] MEED, Saudi Giga Projects, Janvier 2024.

[2] Il s’agit de l’estimation la plus communément reprise. Certaines sources évoquent parfois un montant excédent les 1 000 Md USD.

[3] Cf. fiche SE Riyad « Les marchés publics en Arabie saoudite ».

[4] The Line: Saudi Arabia’s City of the Future in NEOM, Discovery UK.

[5] Ibid.

[6] UN Global Platform, IMF PortWatch.

[7] The Saudi Economy in 2024-25, Jadwa Investment, February 2024.

[8] NEOM, Forum France/NEOM, Mars 2024.

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