ARABIE SAOUDITE
Le défi du développement d’une puissance désertique face à sa réalité hydrique
La consommation d’eau de l’Arabie saoudite est particulièrement importante en raison d’une combinaison de facteurs climatiques, de croissance démographique et de développement économique. Son approvisionnement fait partie des principaux enjeux du gouvernement qui a lancé une série d’initiatives visant à rationaliser son utilisation tout en améliorant le service et les infrastructures qui y sont adossés. L’eau provient principalement des usines de dessalement, qui font l’objet d’un vaste programme de construction avec comme objectif de représenter près de 90 % de la production nationale d’ici 2030. Parallèlement, l’Arabie a entrepris une privatisation progressive du secteur afin de bénéficier de l’expertise des principaux acteurs internationaux. Dans ce contexte, les entreprises françaises saisissent les opportunités proposées par l’Arabie saoudite en se positionnant sur le dessalement, le traitement des eaux usées mais également sur le conseil à l’exploitation et la maintenance où leur expertise est particulièrement appréciée.
I/ L’enjeu de l’approvisionnement en eau face à une importante consommation
L’Arabie saoudite connaît une importante croissance démographique avec une population estimée à 32,2 M d’habitants à fin 2022 et qui devrait atteindre 40 M d’habitants d’ici 2035. L’eau, sa consommation, sa gestion et son approvisionnement font partie des principaux défis à relever pour le pays. L’Arabie saoudite est l’un des pays qui consomme le plus d’eau avec une moyenne de 263 litres par habitant et par jour. A titre de comparaison, la consommation moyenne mondiale s’établit à 137 L par jour et par habitant, et celle en France à 149 L. Cette forte consommation d’eau de la population saoudienne s’explique notamment par les conditions climatiques très arides du pays, mais aussi par le manque de conscience sociale dans l’utilisation de l’eau, ressource qui a été gratuite pendant des décennies[1] et est toujours subventionnée par l’Etat.
La demande en eau moyenne actuelle est de 13,7 millions de m3 par jour (M m3/j) et devrait atteindre 14,2 M m3/j en 2030. Elle se décompose en 9,8 M m3/j pour la demande urbaine et 3,9 M m3/j pour la demande industrielle. A noter que le secteur agricole, qui s’approvisionne en eau de manière indépendante, représentait en 2019 une demande de 28,7 M m3/j. Pour parvenir à faire face à la demande croissante en eau, le royaume a adopté en 2018 une stratégie nationale de l’eau (National Water Strategy – NWS), qui s’inscrit dans le cadre du programme Vision 2030 et vise à améliorer l’organisation et la gestion du secteur. En 2021, l’eau potable du Royaume provenait pour 75% des usines de dessalement d’eau de mer, 20% des nappes phréatiques et 5% des eaux de surfaces (cf. Annexe 1).
Le parc d’usines de dessalement saoudien est le plus important au monde avec 41 unités de production, 33 opérées par le secteur public et 8 par le secteur privé, pour une capacité totale de production de 11 M m3/j. Le secteur public est responsable de la production de 7,5 M m3/j et le secteur privé de 3,6 M m3/j[2]. Le dessalement d’eau est un enjeu majeur pour l’Arabie et sa première source d’eau. Le pays a pour objectif d’atteindre d’ici 2030 une production d’eau provenant à 90 % d’eau dessalée. En mai 2024, lors du 10ème Forum mondial de l'eau à Bali, l'Autorité saoudienne de l'eau a annoncé son ambition d'atteindre une capacité d'eau dessalée de 13,3 M m3/j par jour d'ici fin 2024. Cette annonce fait écho au lancement en 2020 d’un ambitieux programme de construction d’infrastructures, reposant sur des investissements privés pour la construction de 14 usines, sur la période 2020-2026, d’une capacité totale de près de 5,95 M m3/j (cf. Annexe 2). Le programme a toutefois pris du retard, et la date de début des opérations commerciales de plusieurs usines a été repoussée
II/ La tarification et la privatisation du secteur de l’eau, vers une fin de l’Etat providence ?
Afin de responsabiliser et de rationaliser l’utilisation de l’eau, le gouvernement a mis en place, depuis décembre 2015, un système de tarification progressif de l’eau en fonction du volume de consommation. Cette tarification reste toutefois faible, qui va de 0,04 USD/m3 à 2,4 USD/m3 en fonction du nombre de m3 consommés (cf. Annexe 3)[3] [4]. En décembre 2015, le Ministère de l’Environnement, de l’Eau et de l’Agriculture (MEWA) avait également annoncé augmenter les tarifs des services d’eau et d’assainissement fournis aux organismes publics et aux établissement industriels qui s’élève désormais à 2,4 USD/m3 peu importe le volume consommé. Néanmoins, cette tarification ne couvre qu’environ 30 % du coût de production, le reste étant couvert par des subventions de l’Etat. En parallèle, des campagnes de sensibilisation pour parvenir à une consommation responsable de l’eau ont été lancées par le gouvernement. C’est le cas du programme Qatrah (« gouttelette » en arabe), lancé en 2019 par le MEWA. Le royaume s’était fixé l’ambitieux objectif de réduire la consommation de près de 24 % en 2020, pour passer de 263 à 200 L par habitant et par jour ; et de 43 % d’ici 2030, pour parvenir à une consommation journalière de 150 L par habitant. L’initiative semble toutefois avoir été abandonnée et les résultats non atteints pour la première échéance en 2020.
Le secteur privé prend lui aussi une place de plus en plus importante dans la gestion et la rationalisation de l’eau en Arabie saoudite. Un vaste programme de privatisation des services liés à l’eau est à l’œuvre dans l’ensemble du pays avec un découpage en six clusters : Nord (Qassim, Hail et Al Jouf), Sud (Asir, Baha, Najran et Jizan), Est (Khobar, Dharran et Jubail), Ouest (Djeddah, La Mecque et Taïf), Nord-Ouest (Médine et Tabuk) et Centre (Riyad) (cf Annexe 4). L'objectif de ce processus était d'apporter l'expertise des principales entreprises de gestion de l'eau au niveau international et d'évoluer vers une gestion plus efficace de la ressource. Le programme est scindé en deux phases avec la mise en œuvre des contrats de gestion, d’exploitation et de maintenance pour une durée de 7 ans d’une part, suivi de la mise en œuvre de contrats de concession à long terme (25 ans) d’autre part.
Cette privatisation vise donc à apporter un service davantage qualitatif à la population saoudienne mais qui pourrait être accompagné d’une hausse des coûts pour les consommateurs. En effet, les infrastructures composant le réseau d’eau saoudien sont pour la plupart en mauvais état et sont à l’origine de pertes conséquentes, estimées à plus de 25 % dans certaines régions. D’importants investissements dans le renouvellement des différentes installations sont donc à prévoir et une des solutions de financement pourrait être une nouvelle hausse de la tarification de l’eau, bien que celle-ci ait été précédemment reçue avec beaucoup de réticence de la part de la population[5].
III/ L’expertise française au service de l’atteinte des objectifs de la Vision 2030
On peut considérer que les entreprises françaises détiennent environ 25 % du marché de l'eau actuellement répartis de la manière suivante : 17 % dessalement, 23 % pipelines, 21 % usines d'assainissement et 67 % distribution urbaine.
Ainsi, depuis 2020, deux contrats majeurs ont été remportés par Engie pour le financement, la construction et l’exploitation pendant 25 ans de l’usine de Yanbu 4 (2020), qui représente un montant d’investissement de 700 M EUR ; et de l’usine de Jubail 3B (2021), pour un montant d’investissement de 600 M EUR.
Le groupe Veolia est bien implanté en Arabie saoudite, où il opère depuis la fin des années 1970 et est notamment présent dans le secteur de l’eau, à la fois sur le dessalement d’eau de mer et l’assainissement des eaux usées. En 2019, le français avait remporté un contrat pour l’ingénierie et la construction de l’usine de dessalement de Rabigh 3 d’une capacité de traitement de 600 000 m3/j ainsi que le contrat de construction et d’exploitation de la station d’épuration de la ville de Djeddah (300 000 m3/j avec une extension à 500 000 m3/j), en partenariat avec Marafiq. En 2021, Veolia, en consortium avec le groupe Alkhorayef, (KSA) a remporté le contrat de gestion, d’exploitation et de maintenance des services d’eau pour la province de Riyad pour une durée de 7 ans.
L’expertise française est par ailleurs particulièrement reconnue sur le segment du conseil à l’exploitation et la maintenance des services d’eau. Saur, Suez et Veolia ont remporté quatre des six régions du territoire national pour des contrats de conseil à la gestion des services des eaux sur 7 ans pour préparer les futures privatisations de ces services. En plus du contrat remporté par Veolia pour la province de Riyad, Saur a remporté en 2020 le contrat pour la province Nord-Ouest (Médine et Tabuk) ainsi que celui de la province Est (Khobar, Dharran et Jubail) en 2021 ; et Suez le cluster Ouest (Djeddah, La Mecque et Taïf) en 2022.
Plus récemment, en mars 2023, EDF et Suez ont remporté le contrat pour la réalisation et l’exploitation des réseaux d’eau (dessalement et traitement) d’énergie et la gestion des déchets du projet touristique en Mer rouge : Amalaa.
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Commentaires
L’Arabie saoudite fait partie des pays les plus touchés par le stress hydrique. Pour y remédier, le pays a tiré parti de ses deux façades maritimes et développé un important parc d’usines de dessalement. Ces usines sont néanmoins décriées car souvent associées aux dégâts environnementaux causés par le rejet en mer de la saumure[6] mais aussi par l’énergie qu’elles consomment. Le pays a alors tenté d’incorporer des solutions plus durables, l’une des principales étant l’utilisation d’énergies renouvelables pour le fonctionnement des usines de dessalement.
Le secteur de l’eau soulève aussi d’autres problématiques comme celles de l’indépendance et de la sécurité alimentaire, un des objectifs de la Vision 2030. Le pays étant recouvert à 80 % de désert avec peu de ressources en eau douce et de faibles précipitations, il est difficile de développer un modèle agricole durable dans ces conditions. C’est pour cela que l’Arabie tente progressivement de limiter le gaspillage hydrique et de dépendre de moins en moins des ressources fossiles en sous-terrain qui ont été victimes d’une mauvaise gestion au fil du temps.
Pour améliorer cela, le pays a fait le choix de progressivement privatiser le secteur. Cette décision contraste avec la gratuité historique de la ressource et les fortes subventions dont celle-ci bénéficie encore actuellement. En effet, les habitants du pays paient moins de 10 % du coût de production de l’eau.
Ces dernières années, le secteur a donc pris une place de plus en plus importante dans l’agenda politique nationale avec l’organisation de conférences internationales comme le Saudi Water Forum (mai 2024) qui avait réuni 2 000 participants de 35 pays sur le thème de la sécurité et de la durabilité de l’eau. Toujours en 2024, l’Arabie saoudite devrait accueillir la COP16 sur la lutte contre la désertification, au cours de laquelle l’eau sera bien évidemment un sujet central.
[1] L’eau n’est plus gratuite en Arabie saoudite depuis les années 2010.
[4] En 2021, le prix moyen de l’eau en France était de 4,34 EUR/m3.
[5] Mcllwaine, S., & Ouda, O. (2020). Drivers and challenges to water tariff reform in Saudi Arabia. International Journal of Water Resources Development, 36(6), 1014.
[6] La saumure, lorsque rejetée sans dilution ni traitement, induit une augmentation de la concentration en sel autour de la zone de rejet. Ceci a un impact notoire sur les écosystèmes marins en affectant le niveau d’oxygène ainsi que la température océanique, ce qui conduit à une diminution de la biodiversité autour des zones de rejet.