ARABIE SAOUDITE
La diversification des activités de Saudi Aramco au pas de course de la Vision 2030
Le secteur de l’énergie est le pilier de l’économie saoudienne avec des activités principalement axées sur les hydrocarbures. Le pays possède environ 17 % des réserves prouvées de pétrole dans le monde et est le troisième producteur mondial ainsi que le premier exportateur. La ressource est exclusivement exploitée par Saudi Aramco, l’une des plus grandes sociétés intégrées d’énergie et de produits chimiques au monde. En 2023, la production totale de l’entreprise s’établissait en moyenne à 12,8 M de barils d’équivalent pétrole par jour (MMBOE/j), contre 13,8 MMBOE/j en 2022[1] ; une baisse imputable aux coupes de production décidées dans le cadre de l’OPEP. Le pétrole n’est cependant pas le seul atout de l’Arabie qui souhaite désormais diversifier ses activités et investit pour cela massivement dans le gaz et d’autres secteurs comme les nouvelles technologies. Enfin, le groupe s’internationalise de plus en plus avec l’acquisition de parts dans les raffineries étrangères et développe sa présence sur l’ensemble de la chaîne de valeurs (carburants, lubrifiants, combustibles, etc.) au sein de ses principaux marchés.
I/ Le pétrole, une activité pionnière et toujours prépondérante dans le Royaume
En 2023, l’Arabie saoudite, au travers d’Aramco, est resté l’un des plus grands producteurs mondiaux de pétrole brut avec une production moyenne de 9 millions de barils par jour (M bpj), contre 10,57 M bpj en 2022. Cette forte baisse est due aux coupes de production entamées par les pays membres de l’OPEP+ depuis octobre 2022. L’Arabie dispose en effet d’une capacité de production maximale de 12 M bpj mais en produit désormais 3 millions de moins (cf. Annexe 1).
En 2022, Aramco s’était lancé dans un vaste chantier d’augmentation de sa capacité maximale de production afin d’atteindre 13 M bpj. Pour y parvenir, la société avait prévu d’investir entre 45 et 55 Md USD pour l’année 2023, contre 37,6 Md USD en 2022. Le ministère de l’Energie a toutefois mis un coup d’arrêt à ce projet d’expansion en janvier dernier et Aramco avait annoncé avoir reçu une directive lui demandant de maintenir sa capacité maximale de production à 12 M bpj. Par ailleurs, dans son rapport annuel de 2023, les dépenses d’investissement d’Aramco s’étaient établies à 42,2 Md USD, en-dessous des prévisions initiales. Pour l’année 2024, l’entreprise a annoncé vouloir investir entre 48 et 58 Md USD.
Malgré cela, les activités pétrolières du groupe restent conséquentes avec une présence sur l’ensemble de la chaîne de la valeur. Sur l’amont (exploration et production), les principaux champs sont situés sur la côte Est (cf. Annexe 2) et l’Arabie déclare disposer du plus grand champ terrestre au monde, celui de Ghawar, qui produit chaque jour près de 4 millions de barils ; ainsi que du principal champ offshore, celui de Safaniyah, d’une capacité de production d’1,2 M bpj. Ce pétrole brut est acheminé par un vaste réseau d’oléoducs (cf. Annexe 3) vers de multiples installations où ils sont transformés en produits raffinés et pétrochimiques, ou vers des terminaux d’exportation. Le pays exporte majoritairement vers l’Asie[2] et dispose de points de livraison stratégiques à Rotterdam (Pays-Bas), Sidi Kerir (Egypte), Okinawa et Kiire (Japon), ainsi qu’à Ulsan (Corée du Sud).
Aramco produit essentiellement cinq références de brut : Arabian Super Light, Arabian Extra Light, Arabian Light, Arabian Medium et Arabian Heavy. En 2023, l'Arabian Super Light, l'Arabian Extra Light et l'Arabian Light représentaient environ 68 % de la production totale d’Aramco. Ces variétés de brut sont compatibles avec la plupart des raffineries et sont classés parmi les produits de qualités supérieures à l’échelle mondiale. Toujours en 2023, le secteur aval d’Aramco était le principal client de cette production (47 %), le reste étant vendus à des clients tiers nationaux et internationaux.
Les activités aval d’Aramco comprennent le raffinage et la pétrochimie, les huiles de base et lubrifiants, les opérations de vente et de distribution ainsi que la production d’électricité. Les raffineries du Royaume représentaient 62 % de la capacité nette de raffinage d’Aramco en 2023 et l’entreprise y a placé 26 % de sa production de pétrole brut. Le groupe possède cinq raffineries en propriété exclusive et quatre affiliées dans le Royaume, qui contribuent à répondre à la demande nationale de produits raffinés.
En ce qui concerne les activités pétrochimiques, l’acquisition par le groupe en juin 2020 de SABIC a permis d’augmenter leur part dans son portefeuille de produits. SABIC, entreprise saoudienne spécialisée dans la chimie, opère dans plus de 50 pays en Amérique, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie-Pacifique. Aramco fabrique également des produits pétrochimiques par l'intermédiaire de filiales situées dans le pays avec d'autres acteurs clés de l'industrie, notamment TotalEnergies qui co-détient la raffinerie de SATORP et le complexe AMIRAL (cf. Annexe 7). En 2023, la capacité nette de production de produits pétrochimiques d’Aramco s’élevait à 59,6 M de tonnes, contre 56,3 M T en 2022.
II/ Une diversification des activités principalement soutenue par le secteur gazier
Contrairement aux activités pétrolières, les activités gazières d’Aramco sont en plein essor et ont été marquées par la découverte d’importantes ressources.
La compagnie nationale est le distributeur exclusif de gaz naturel dans le Royaume et son portefeuille gazier est riche en liquide avec la production de gaz naturel liquéfié (GNL) et de condensats. En 2023, la capacité totale de traitement de gaz brut de l’Arabie (conventionnel et non conventionnel) était de 19,1 Md de pieds cubes par jour, en hausse de 4,4 % par rapport à 2022 (12,3 Md de pieds cubes). L'augmentation de la production de gaz vise à mettre fin à l'utilisation du pétrole dans le secteur de l'électricité d'ici 2030, ce qui permettrait de libérer environ 0,4 M bpj de pétrole pour l'exportation. Le gaz naturel produit par Aramco est en effet principalement vendu à des centrales électriques dans le pays, dans le cadre de contrats à long terme auprès de clients locaux.
En février 2024, le Prince Abdulaziz bin Salman, ministre de l’Energie, avait annoncé la découverte de 425 Md de mètres cubes de réserves supplémentaires dans le champ de gaz de Jafurah, portant les ressources totales du champ à 6 485 Md mètres cubes de gaz (cf. Annexe 4). Les principales installations de traitement et de fractionnement du gaz naturel d’Aramco sont situées à Ghawar et dans les régions Nord et Ouest du pays.
Pour fournir du gaz sur l’ensemble du territoire national, la société s’appuie sur son Master Gas System (MGS), un vaste réseau de gazoducs qui relie les principaux sites de production et de traitement (cf. Annexe 5). Le réseau MGS originel a été construit dans les années 1970 et mis en service en 1982. Depuis les années 2010, et suite à l’augmentation de la demande en gaz dans les secteurs industriel et domestique du Royaume, Aramco a entrepris des projets visant à accroître sa production de gaz non associé mais aussi à en faciliter l’acheminement. C’est pourquoi un premier projet d’expansion du réseau, MGS-2, avait été lancé en 2015, suivi de MGS-3 en 2023 qui devrait partir du gisement de Jafurah et desservir tout le reste du pays.
III/ Le renforcement de la présence du groupe à l’international
La diversification des activités pétrochimiques d’Aramco passe également par une diversification géographique (cf. Annexe 6). L’Arabie saoudite reste l’un des acteurs pétrochimiques majeurs sur la scène internationale et en 2023, Aramco a exporté en moyenne 6,6 M bpj de pétrole brut, et 4,7 M de tonnes de produits chimiques liquides. Une part importante des exportations de l’entreprise est réalisée en Asie. En 2023, 82 % du pétrole brut exporté par Aramco était acheté par des clients en Asie, Chine, Inde et Japon en tête, y compris auprès des raffineries affiliées.
Depuis 2017 l’Arabie saoudite a engagé une stratégie d’investissement à l’international dans le secteur aval qui vise à sécuriser des ventes de pétrole dans des zones géographiques stratégiques à fort potentiel sur le long terme et à diversifier son portefeuille d’activités sur l’ensemble de la chaîne de valeur des hydrocarbures. Selon le rapport annuel d’Aramco, la capacité totale de raffinage de l’entreprise s’élevait à 4,1 millions de barils par jour (Mb/j) en 2023, dont 38 % à l’étranger, soit 1,6 M bpj.
Ces activités ont été développées dans de nombreux pays partenaires comme la Chine, la Corée du Sud et la Malaisie ; tout en maintenant une forte présence dans les centres de demande de matières premières tels que les Etats-Unis et l’Europe (cf. Annexe 8). Toujours selon le rapport annuel d’Aramco, l’entreprise possède une participation moyenne de 34 % dans ses raffineries internationales et fournit en moyenne 54 % du pétrole brut utilisé. Les ventes de produits sont ensuite facilitées par de multiples canaux de distribution, avec un réseau de plus de 17 200 distributeurs appartenant à l'entreprise ou à des concessionnaires.
Les acquisitions d’Aramco englobent en effet l’ensemble de la chaîne de valeur. En mars 2023, le géant énergétique avait fait l’acquisition de Valvoline Inc., société américaine spécialisée dans les huiles moteur, pour un montant de 2,76 Md USD. En décembre 2023, Aramco avait également annoncé acquérir une participation de 40 % dans Gas & Oil Pakistan (GO), distributeur de carburants et lubrifiants possédant un réseau de plus de 1 200 stations-service au Pakistan.
Enfin, Aramco souhaite devenir un acteur majeur du secteur gazier avec des ambitions également tournées vers l’international. Ceci s’est matérialisé par l’acquisition en septembre 2023 d’une participation dans MidOcean Energy, société spécialisée dans le gaz naturel liquéfié (LNG), pour 500 M USD. Il s’agit du premier investissement international dans le secteur pour Aramco.
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Commentaires :
L’objectif de l’Arabie saoudite de réduire sa dépendance au pétrole, affiché dès le lancement de la Vision 2030, progresse à un bon rythme et les activités non pétrolières contribuent désormais à hauteur de 50 % au PIB saoudien.
Depuis octobre 2022, le pays a été impacté par la baisse des cours du baril de pétrole et a progressivement diminué sa production de plus d’1,5 M bpj afin de soutenir les prix de la matière première. Cette stratégie semble toutefois être de moins en moins efficace, et l’Arabie envisage un retour à une production normale dans le courant de l’année 2025. Depuis le début de l’année 2024, le baril de Brent s’échangeait en moyenne à 81 USD, contre un prix d’équilibre budgétaire estimé à 96 USD par baril par le FMI pour l’année 2024.
La diversification des activités est donc un véritable défi pour le pays et pour Aramco qui a réalloué une importante partie des investissements initialement destinés au secteur pétrolier au secteur gazier. Le secteur des énergies renouvelables est aussi en pleine expansion. Le ministre de l’Energie avait en effet annoncé en janvier 2023 un plan d’investissement de 266 Md USD d’ici 2030 afin de favoriser la production d’énergies propres.
Néanmoins, le pays défend toujours avec ferveur ses activités pétrolières sur la scène internationale. Lors de la COP28 aux Emirats Arabes Unis en décembre dernier, le ministre de l’Energie avait annoncé être contre toute mention de réduction « phase down » et de sortie progressive « phase out » des énergies fossiles. Le pays a réclamé la prise en compte de ses perspectives et inquiétudes en plaidant pour le développement de nouvelles technologies de captage du carbone. Riyad a ainsi défendu tout au long de la COP l’idée que les énergies fossiles constituent une solution de transition et non une entrave vers une économie bas carbone.
Il est donc primordial pour l’entreprise nationale de ne plus se concentrer uniquement sur les hydrocarbures et développer de nouvelles activités. La priorité pour Aramco est le secteur du numérique, qui fait l’objet d’une branche spéciale : Aramco digital. Cette entité a pour vocation de développer des solutions innovantes pour transformer et décarboner l’industrie pétrolière du pays. Les entreprises françaises sont par ailleurs bien positionnées sur ce segment avec la signature en mai 2024 d’un accord entre Aramco et Pasqal pour déployer le premier ordinateur quantique en Arabie saoudite. Plus récemment, en octobre 2024, Technip Energies, via sa filiale Cybernetix, s’est associé à Aramco dans le domaine de la robotique. Les deux entreprises ont signé un protocole d’accord afin d’explorer les opportunités liées aux solutions robotiques intégrées pour des opérations d’inspection et de maintenance afin de faciliter l’automatisation des sites d’Aramco.