La Saudi Vision 2030 fête ses 5 ans : point d’étape sur son pilier économique

Le programme de transformations économiques est un des trois piliers de la Saudi Vision 2030 qui vise à développer une économie dynamique et prospère (Thriving economy) impliquant une réduction de la dépendance historique au pétrole. Les objectifs de diversification de l’économie, d’investissements dans de nouveaux secteurs et de passage du relais de la croissance au secteur privé, sont guidés par la nécessité absolue de création d’emplois. Le volet économique de la Saudi Vision 2030 est né en 2015, du constat que la forte instabilité des cours du pétrole remettait en cause ce secteur en tant que moteur de la croissance, faisant naître à terme un risque majeur de forte augmentation du chômage, de baisse globale des revenus des ménages et de détérioration durable de la situation des finances publiques.

L’emploi, et la qualité de vie qui y est associée, sont en effet des défis majeurs de l’Arabie saoudite qui compte plus de 20 millions de Saoudiens (pour une population totale de 34 millions) dont 60% ont moins de 30 ans, avec une démographie dynamique. A la fin de 2020, le taux de chômage était de 12,6%, celui des jeunes (moins de 25 ans) atteignait 28% et le chômage des femmes était proche de 25%. Le nombre de nouveaux entrants sur le marché du travail chaque année estimé à quelque 250 000 personnes. La nécessité de garantir sur le long terme les conditions de vie des nouvelles générations imposait ainsi des transformations fondamentales du modèle économique du pays.

Le pilier économique de la Saudi Vision 2030 est structuré autour des programmes : (1) d’équilibre des finances publiques, (2) de développement du secteur financier, (3) de diversification des investissements dans l’économie nationale par le fonds souverain, Public Investment Fund, (4) de privatisations et de développement des partenariats public-privé, (5) de développement du potentiel industriel par les incitations à la localisation de production manufacturière, (6) de promotion des entreprises nationales et (7) programme de construction de logements.

1. Programme d’équilibre des finances publiques

La crise économique de 2020 a renforcé l’engagement des autorités dans une gestion budgétaire stricte et rigoureuse pour préserver la stabilité des finances publiques, avec des objectifs de réduction des dépenses, d’augmentation des recettes non pétrolières, pour aboutir à un niveau de déficit budgétaire proche de l’équilibre en 2023. Au plus fort de la crise, ont été décidées le triplement du taux de la TVA de 5 à 15%, l’augmentation de droits de douane et la suspension d’une allocation mensuelle versée aux salariés saoudiens de la fonction publique. Des réaffectations de dépenses ont été réalisées au bénéfice des secteurs prioritaires de la Vision 2030, tels que la santé, l‘éducation, les services municipaux et les transports. Dès 2016, des mesures importantes de réduction des subventions à l’énergie avaient été prises se traduisant par un doublement des prix des carburants et une forte hausse des tarifs de l’électricité. La TVA au taux unique de 5% avait été introduite début 2018.

Conscient des conséquences sur le revenu des ménages des mesures adoptées en 2020, le prince héritier a indiqué en avril 2021 que le taux de la TVA pourrait être révisé à la baisse, de 5 à 10% d’ici 1 à 5 ans, en fonction de la situation économique. Il a exclu l’idée d’introduire un impôt sur le revenu.

La gestion rigoureuse des finances publiques vise également à préserver la stabilité des réserves en devises du pays et à conserver des capacités d’emprunt sur les marchés nationaux et internationaux, ce que l’Arabie saoudite a su faire avec succès depuis trois ans.

2. Le développement du secteur financier

La modernisation des marchés de capitaux et d’actions vise à attirer les investisseurs internationaux et à favoriser le développement du secteur privé saoudien. A partir de 2015, la Bourse de Riyad (Tadawul) s’est modernisée pour offrir un cadre clair et lisible d’opérations pour les investisseurs locaux et internationaux. En 2017, adoptant les meilleures pratiques internationales, la Bourse de Riyad a assouplit les exigences appliquées aux opérateurs étrangers. Grâce à ces réformes, le Tadawul a pu être inclus dans les principaux indices internationaux (FTSE EM, S&P DJI et MSCI). Avec l’introduction en bourse de 1,9% du capital de Saudi Aramco en décembre 2019, opération record dans le monde avec 29,4 milliards de dollars levés, le Tadawul devenait la 9ème place boursière mondiale et la première du GCC. De nouvelles sophistications techniques sont intervenues en 2020 : la chambre de compensation (Securities Clearing Center Company) appelée Muqassa, annonçait le début de ses opérations, concomitant au lancement du premier produit dérivé sur le marché saoudien. La Bourse de Riyad est devenue en quelques années un centre de pouvoir économique et financier, porteur des ambitions de la Vision financière 2030.

La fusion bancaire entre la National Commercial Bank (« NCB ») et Samba Financial Group (« Samba ») effective depuis le 1er avril 2021 constitue un champion national et la troisième banque du Golfe en termes d’actifs. Renommée Saudi National Bank, la banque fusionnée incarne son ambition d’être la banque de référence d'Arabie saoudite. Cette fusion aura des effets considérables sur le paysage bancaire saoudien. Par effet d’entrainement, les banques saoudiennes de taille plus modeste vont chercher des opportunités de fusion leur permettant de rivaliser avec les principales banques. Les institutions publiques sont les principaux actionnaires des banques saoudiennes. L’actionnariat des 10 principales banques saoudiennes se partage souvent entre le fonds souverain saoudien (PIF- Public Investment Fund), l'Agence saoudienne des Pensions publiques (PPA -Public Pension Agency) et l'Organisation générale des Assurances sociales (GOSI - General Organization for Social Insurance).

Les transformations économiques à l’œuvre et la réalisation des grands projets emblématiques de la Saudi Vision 2030 nécessitent des financements sans précédent pour l’Arabie saoudite. La concentration du secteur bancaire est ainsi un levier encouragé pour atteindre ces objectifs.

La composition de l’actionnariat des principales banques saoudienne fait apparaître que la création de plusieurs champions bancaires se traduit par une présence renforcée du fonds souverain PIF dans le financement de l’économie nationale.

3. Le rôle croissant du fonds souverain dans le financement de l’économie nationale

Bras financier de la Saudi Vision 2030, et moteur de la diversification économique du pays, le fonds souverain, Public Investment Fund (PIF) est placé depuis 2016 sous l’autorité directe du prince héritier. Il finance le développement des secteurs stratégiques ciblés, en maximisant la rentabilité financière de ses investissements. Fin 2020, les actifs sous gestion du PIF étaient estimés à 360 M USD. La croissance du portefeuille du PIF repose sur quatre sources de financement : le transfert d’actifs publics d’entreprises saoudiennes, les injections de capital du gouvernement, les instruments de dette et les dividendes perçus. La stratégie 2020-2025 du PIF, annoncée début 2021, prévoit des financements dans l’économie nationale d’au moins 40 Mds USD par an, soit l’équivalent de 15% des dépenses budgétaires 2021. Il est prévu une augmentation de ses actifs sous gestion à 1 070 Mds USD à horizon 2025.

Depuis 2017, plusieurs entreprises ont été créées pour impulser la diversification de l’économie, dont la Saudi Military Industries Company (SAMI), détenue à 100% par le fonds souverain, avec pour objectif le développement d’une industrie de production d’équipements de défense via des partenariats industriels. Dans le domaine civil, de nouvelles entités visent au développement d’activités de gestion des déchets, d’efficacité énergétique et de loisirs.

Le fonds souverain est par ailleurs un acteur de premier plan dans la mise en œuvre de l’ambitieux programme saoudien de développement des énergies renouvelables qui vise à atteindre 50% de la production d’électricité de sources renouvelables en 2030. Lancé en 2017, ce programme phare de la Vision 2030 prévoit la construction de 59 GW de capacités renouvelables, réparties entre 73% de solaire et 27% d’éolien. 70% des capacités de production d’énergie renouvelable devrait faire l’objet de négociations directes entre le PIF et des investisseurs internationaux, avec pour objectif le développement d’une filière industrielle nationale.

Le PIF assure par ailleurs le financement des études et de la construction des infrastructures de base des quatre « giga-projets », NEOM, Projet Mer Rouge, Amaala et Qiddiya, annoncés fin 2017 par le prince héritier comme projets emblématiques de la Saudi vision 2030. Le PIF est ainsi l’actionnaire unique de chacune des sociétés créées pour piloter l’exécution de ces projets. Après les premières phases de réalisation des schémas directeurs et des études de concept, le calendrier des appels d’offres pour les premiers travaux s’est intensifié depuis 2020, malgré un contexte économique dégradé.

4. Programme de privatisations et de partenariats public-privé

Lancé en avril 2018 et supervisé par le NCP (National Center for Privatization), le programme de privatisaiotns a pour objectif de générer entre 9 Mds et 11 Mds USD de revenus. A ce jour, les seules privatisations d’envergure ont été réalisées en 2020 dans des minoteries. La privatisation en cours de l’usine de dessalement de Ras Al Khair, l’une des plus importantes au monde, pourrait être finalisée en 2021. La stratégie nationale de l’eau, adoptée en 2018 dans le cadre de la Saudi Vision 2030, vise à la privatisation progressive des services de l’eau et à une gestion plus rigoureuse de la ressource. Les partenariats public-privé (PPP), de type BOO (Build, Operate, Own,) et BOT (Build, Operate, Transfer) sont aujourd’hui le modèle systématique de développement des capacités dans le secteur de l’eau (usines de dessalement, de traitement des eaux usées) et dans les énergies renouvelables. La santé et l’éducation sont des secteurs prioritaires pour les privatisations et la construction de nouvelles facilités sous forme de PPP. L’adoption de la loi sur les privatisation mi-mars 2021 devrait permettre de dynamiser le programme.

5. Programme de construction de logements

L’objectif du programme établi dans le cadre de la Vision 2030 est d’accroître le pourcentage de Saoudiens propriétaires à 70% en 2030, contre 50% en 2016. Pour atteindre cet objectif plusieurs initiatives ont été mises en place : facilitation de l’accès aux financements pour l’achat d’un bien immobilier, construction de logements adaptés à toutes les catégories de revenus, révision du droit immobilier et amélioration de la qualité des services liés au logement. Le secteur privé est encouragé à réaliser des projets immobiliers, moyennant des taux d’intérêts attractifs. Ce programme est un réel succès et fin 2020, le taux de foyers saoudiens propriétaires de leur logement avait atteint 60% en 2020, en augmentation de 13% par rapport à 2017. Au-delà des objectifs quantitatifs ambitieux de construction de logements pour répondre à la demande de long terme de la population saoudienne, jeune dans sa grande majorité, les enjeux en matière de qualité et d’environnement de vie sont des priorités clairement affichées par les autorités saoudiennes.

Commentaires

De nombreuses transformations économiques ont été réalisées en cinq ans, avec pour objectif stratégique la création d’un nouveau modèle économique destiné à préserver sur le long terme le niveau de vie de la population saoudienne. En 2030, la population du pays devrait en effet atteindre 40 millions d’habitants. Le pilier économique (Thriving economy) de la Saudi Vision 2030 est complémentaire de celui visant à une société vivante et dynamique (Vibrant society) dont les objectifs portent sur le développement de la qualité de la vie, de la culture, des loisirs, de l’éducation et de la santé.

Le défi majeur des autorités saoudiennes est la capacité à attirer les investissements internationaux, indispensables à la réussite des objectifs de diversification économique. Les récentes annonces visant à contraindre les entreprises internationales à établir leur siège régional en Arabie saoudite pour être éligibles à des contrats publics ne sont certainement pas une démarche optimale en ce sens. La Vision 2030 gagnerait en efficacité à concentrer ses objectifs sur l’amélioration de l’environnement des affaires par la simplification de dispositifs administratifs qui pèsent sur l’attractivité du pays.

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