La stratégie de sécurité alimentaire du Qatar à horizon 2030

Le Ministère des Municipalités (MoM) a dévoilé, fin 2024, sa nouvelle stratégie de sécurité alimentaire. Celle-ci s’articule autour de 17 initiatives et trois piliers : (i) la production et le marché local, (ii) la constitution de réserves stratégiques, et (iii) le commerce et les investissements internationaux. Alors que le Qatar importe entre 60 % et 70 % de ses produits alimentaires, l’agriculture fait partie des leviers de diversification économique : sa contribution au PIB a augmenté de 38% entre 2019 et 2022 (passant de 1,6 Md à 2,2 Mds de QAR), résultat d’une forte mobilisation des pouvoirs publics pour contrer les effets du blocus imposé par les pays du Quartet de 2017 à 2021.

La stratégie 2030 mobilise les secteurs public et privé contre des risques externes et internes.
  • Identification de quatre risques : géopolitique, compétitivité, production et consommation. La stratégie vise à répondre aux risques externes géopolitiques et de compétitivité. Le blocus du Quartet[1] demeure une expérience dont le Qatar tient compte dans sa stratégie de sécurité alimentaire. La normalisation des relations avec l’accord d’Al-Ula et la reprise des importations ont eu des conséquences sur le niveau de compétitivité des produits qatariens. Depuis 2017, les producteurs locaux et Baladna, le champion laitier, font face à la concurrence régionale et internationale (les produits laitiers saoudiens AlMarai, etc.).  La stratégie cherche à prémunir l’Emirat, contre les risques internes de production et de consommation. Aux risques précités s’ajoute celui d’un choc de production, rendu possible par la fragilité du tissu agricole qatarien ainsi que les défis structurels auxquels sont confrontés les producteurs locaux (le climat aride, le manque de sols fertiles, une période de production courte etc.). Le dernier risque identifié est celui du changement des habitudes de consommation, la stratégie mettant en garde sur une éventuelle inadéquation d’une partie des stocks de réserve.

 

  • Une mobilisation des secteurs public et privé. La stratégie est mise en œuvre par les ministères des Municipalités (MoM), du Commerce et de l’industrie (MoCI) et de la Santé publique (MoPH). Le MoPh a pour mandat de garantir la biosécurité tout au long de la chaîne de valeur alimentaire. La mise en œuvre de la stratégie fait aussi appel au secteur privé, notamment sur sa capacité à assurer un certain volume de stocks de réserves stratégiques.

 

Le Qatar vise à devenir un hub régional d’approvisionnement agroalimentaire.
  • Amélioration de la production locale, accroissement des stocks de réserve stratégique et sécurisation de l’approvisionnement via des partenariats et investissements stratégiques. Le premier pilier « production et marché local », ambitionne d’améliorer la productivité agricole et d’étendre la saison de production grâce au recours à une production sous serre. La stratégie établit des taux d’autosuffisance pour les légumes, la viande rouge, les œufs, la volaille et les produits laitiers. Au regard de l’objectif visant à classer 30 % des eaux maritimes du Qatar comme zones protégées, les autorités qatariennes souhaitent promouvoir l’aquaculture afin de sécuriser la majorité de ses besoins en poissons. L’Emirat souhaite que ces efforts ne se fassent pas au détriment des ressources en eau déjà limitées. Le deuxième pilier « constitution des stocks de réserve stratégique et systèmes d’alerte », ambitionne de tirer avantage des infrastructures du terminal céréalier au sein du Port Hamad. De plus, les autorités souhaitent développer un système d’alerte en mesure de répondre à une crise dans un délai maximum de 48h. Le dernier pilier, « commerce et investissements à l’étranger », a pour objectif d’élargir la liste des fournisseurs et des sources d’approvisionnement. Le Qatar, qui impose déjà que chaque produit jugé essentiel soit approvisionné auprès d’au moins trois pays situés sur trois continents distincts, poursuit cette dynamique, notamment via l’établissement de partenariats de gouvernement à gouvernement et d’investissements stratégiques. Les Qatariens ont déjà identifié les pays d’Asie Centrale et d’Afrique de l’Est[2].

 

  • La stratégie de sécurité alimentaire 2030 introduit deux nouvelles priorités : assurer la sécurisation des approvisionnements en intrants agricoles et positionner le Qatar comme un hub régional de trading agricole. Les autorités envisagent d’établir une liste de 13 types d’intrants agricoles (graines, fertiliseurs, pesticides, minéraux, fourrage vert etc.), considérés comme des stocks stratégiques. Par ailleurs, l’Emirat prévoit d’investir dans le fourrage vert dans le but d’assurer un taux de sécurisation couvrant la moitié des besoins de la population totale. La dernière stratégie avait misé sur la production mais les ressources limitées en eau semblent désormais inciter le Qatar à se tourner vers des partenaires étrangers. Le Qatar veut se positionner comme hub régional pour le commerce des produits agroalimentaires et agricoles, notamment les semences, les produits phytosanitaires et vétérinaires. L’objectif est de développer des activités de transformation en aval afin de les commercialiser à l’échelle régionale. Les autorités ont indiqué leur intention d’investir dans deux sociétés de trading afin d’assurer la réception des commodités et d’amoindrir leurs coûts et risques. Idéalement, une des sociétés serait issue des pays dits « du Nord » et une des pays dits « du Sud ».

 

La stratégie présente de nouvelles opportunités pour la France
  • Une coopération étroite depuis la signature de la déclaration d’intention en 2018 entre la France et le Qatar. Un MOU a été signé en 2018 entre le Ministère de l’Agriculture et le Ministère des Municipalités du Qatar dans l’objectif d’accompagner l’Emirat dans le développement de sa stratégie en matière de sécurité alimentaire. Cette coopération a permis de nombreux échanges et l’organisation d’une série de quatre webinaires professionnels sur le développement de la production végétale au Qatar, sur le développement de l’élevage et de l’aquaculture, sur la formation agricole ainsi que sur l’introduction du numérique au service de la sécurité alimentaire. La coopération a bénéficié de l’expertise technique française sur de nombreux domaines.

 

  • La France est le 11e partenaire agricole du Qatar. L’année 2023 a marqué la normalisation de nos exportations agroalimentaires vers le Qatar après la forte reprise enregistrée en 2022 (+66 % par rapport à 2021). En 2024, la France était le 11e partenaire des produits agricoles et agroalimentaires du Qatar avec une part de marché de 2,4 %. Les exportations agroalimentaires françaises se sont élevées à ~98 M EUR, soit une hausse de 17,1 % par rapport à 2023, année marquée par la normalisation des exportations de ce secteur après une hausse observée lors de la tenue de la Coupe du Monde de football en 2022.

 

  • Les opportunités pour l’offre française: Le marché qatarien offre des opportunités aux entreprises opérant dans l’agritech, notamment celles utilisant l’intelligence artificielle, ainsi que certaines coopératives de semences. L’expertise française en matière vétérinaire, de labels et promotion des produits locaux, de contrats publics d’approvisionnement et de réformes des subventions pourrait répondre aux besoins de la stratégie qatarienne en matière de sécurité alimentaire.

 

[1] KSA, EAU, Egypte, Bahreïn

[2] Hassad Food, filiale agro-alimentaire du fonds souverain QIA, a en 2018 investi 500 M USD dans le tissu agroalimentaire soudanais, mais depuis la guerre civile, l’investissement est gelé.

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