Le secteur du digital

La transformation digitale du Qatar est au cœur du plan de diversification de l’économie, portée par la Vision Nationale 2030, qui vise à la transformer en une « économie de la connaissance ». Si le Qatar dédie des crédits importants au secteur, structure un écosystème pour favoriser l’innovation, le développement du digital bute sur des usages encore limités en aval. Conscient des débouchés domestiques limités, le Qatar souhaite à terme monétiser à l’international ses infrastructures numériques. Cette transformation, qui devra passer par la formation de la population aux technologies de l’ICT et la digitalisation de l’administration, fait face à une maturité et une concurrence régionale particulièrement importantes.

Le Qatar se lance dans le développement de son secteur digital.
  • Des politiques publiques progressivement mises en place au déploiement néanmoins encore embryonnaire.

Depuis plus d’une décennie, déjà, le Qatar impulse des politiques publiques en faveur du digital. Jusqu’en 2013, le secteur du numérique est directement suivi par le Ministère des transports. La création du ministère des Télécommunications et des technologies de l’information (MCIT) en 2013 permet de disposer d’un ministère dédié aux sujets digitaux. Depuis lors, le MCIT, ainsi que l’Agence nationale pour la cybersécurité (NSCA) lancent les stratégies dans le digital (national ICT Strategic Plan - 2014) et l’intelligence artificielle (National Artificial Intelligence Strategy Launch - 2017 ; Qatar’s National AI Strategy - 2019) et la cybersécurité (National Cyber Security Strategy - 2018-20). Néanmoins, le déploiement de ces politiques publiques repose sur un changement structurel progressif et long mais qui s’avère nécessaire pour impulser une réelle dynamique dans le secteur.

L’«Agenda digital », publié en mars 2024, vise à sensiblement rehausser les objectifs du Qatar dans le secteur. Doté de moyens importants (3,8 Mds USD), et mis en œuvre par le MCIT, il doit permettre de porter la contribution des TIC au PIB à 3,5 % (11 Mds USD), contre 2,8 % aujourd’hui, et la création de 26 000 emplois d’ici 2030. Il vise principalement à mettre à niveau les infrastructures numériques, à soutenir l’innovation tout en favorisant l’appui aux technologies de rupture et l’adoption des outils numériques par le secteur public (objectif de digitaliser 90 % des services publics d’ici 2030).

  • Le Qatar œuvre à mettre en place les conditions nécessaires au développement d’un écosystème favorable à l’innovation et aux start-ups.

La structuration d’un écosystème de recherche pour faciliter l’innovation. La Qatar Foundation soutient l’innovation via le Qatar Science and Technology Park (QSTP) - qui héberge startups et multinationales issues de l’industrie et du numérique - et le Qatar Research and Innovation Council (QRDI), chargé de financer la recherche et l’innovation (objectif de 1,5 % du PIB à consacrer à la R&D d’ici 2030). L’université Hamad Bin Khalifa (HBKU), héberge le Qatar Center for Quantum Computing (QC2), et propose plusieurs formations en sciences de la donnée.

Faciliter l’accompagnement et l’accès aux financements des start-ups. Le MCIT supervise ainsi plusieurs programmes d’accompagnement (Digital Incubation Center, Qatar Smart Program). Côté financement, la QIA, déploie son programme fonds de fonds (doté d’1 Md USD), afin d’attirer des fonds de capital-risque et venture capital à Doha et la Qatar Development Bank (QDB) accompagne les start-ups tout au long de leur développement au Qatar via le guichet unique Startup Qatar Investment Program, et fournit financements et services d’incubation aux start-ups.

  • Bien que son marché domestique soit restreint, le pays dispose d’atouts significatifs et compte se positionner comme un hub digital, à l’instar de l’Arabie Saoudite et des EAU.

Le Qatar dispose d’infrastructures numériques de haute qualité, le deuxième internet le plus rapide au monde et une couverture 5G atteignant 99 % de la population. Le Qatar peut s’appuyer sur Ooredoo, son « champion » du secteur des télécommunications, créé en 1987 et qui opère aussi à l’international au Maghreb (Algérie, Maroc) mais aussi en Asie du Sud-est (Indonésie) notamment. Le Qatar National Broadband Network (QNBN) et Gulf Bridge International (GBI), tous deux détenus par la Qatar Investment Authority (QIA), ont fusionné en octobre 2024 avec l’objectif de créer un leader des infrastructures numériques au Qatar.

Le Qatar bénéficie du coût énergétique le plus bas de la région du Golfe, ainsi que d’une connexion à six câbles sous-marins de télécommunications. L’Emirat fait du développement de sa capacité de data centers, installations particulièrement énergivores et qui nécessite d’être connecté aux réseaux internationaux, une priorité forte. La capacité installée de data center au Qatar est actuellement de 140 MW et le MCIT prévoit la mise en service progressive de 1 à 3 GW de data center d’ici 2030. Deux câbles additionnels sont actuellement en cours de réalisation (Africa 2, développé par META et qui devrait être opérationnel d’ici 2025, tandis qu’un second projet est prévu d’ici fin 2026). 

Le digital : un chemin étroit pour le Qatar dans un environnement régional concurrentiel.
  • Un développement du secteur qui s’appuie quasi-exclusivement sur l’expertise étrangère.

Le Qatar s’appuie quasi-exclusivement sur l’expertise internationale... Microsoft et Google, omniprésents au Qatar, peuvent s’appuyer sur des centres de données régionaux respectivement ouverts en août 2022 et mai 2023 au sein de la Qatar Free Zone (QFZ). Huawei a inauguré en juin 2023 son nouveau siège au Qatar à partir duquel il mènera ses activités dans le cloud et dans les télécommunications. En-dehors d’Ooredoo, le secteur privé qatarien en matière de digital (Malomatia, Meeza) reste très limité et embryonnaire.

…et multiplie les partenariats avec les entreprises privées. Google dispose d’un centre d’excellence au Qatar qui propose des formations sur l’IA générative notamment tandis que Thales a inauguré en mars 2022 au sein de la QFZ un centre de compétence digital à dimension régionale à travers lequel il propose son expertise dans la sécurité numérique, l'IA, la cybersécurité et la mobilité. Le MCIT collabore avec Microsoft, dans le cadre du Qatar’s National Skilling Program, mais aussi avec Accenture, à qui il a confié la création de la Digital Factory en 2023 pour le montant de 330 M USD, afin d’accélérer la transformation digitale du secteur public.

  • Des usages domestiques limités et une nécessaire projection de ses capacités dans le digital à l’international.

Certaines grandes entreprises qatariennes collaborent avec les géants du numérique pour intégrer l’intelligence artificielle à leurs opérations, à l’instar principalement de Qatar Airways (FLYR et Google Cloud afin d’améliorer l’expérience passager et ses opérations telles que l’opération de sa flotte) mais aussi d’Ooredoo (Nvidia Cloud Partner - qui lui a dédié ¾ de ses capacités de CPU installés au Qatar et Google Cloud) et de la Qatar National Bank (IBM). Néanmoins, les cas d’usages sont relativement limités. QatarEnergy, à l’inverse du saoudien Aramco notamment, est encore très réticent pour intégrer des modèles d’IA en vue d’améliorer ses opérations.

A terme, le Qatar souhaite monétiser ses infrastructures numériques et exporter des services numériques à destination de pays qu’il considère comme partenaires. Le Qatar souhaite capitaliser sur ses infrastructures cloud, en commercialisant des services de gestion et de stockage de données souveraines à des pays tiers. Parmi les partenaires envisagés, des pays qui entretiennent de bonnes relations diplomatiques et politiques avec le Qatar et qui ne disposent pas des infrastructures nécessaires sur leur propre territoire national.

  • Le Qatar doit faire face à un manque de main-d’œuvre qualifiée ainsi qu’à une concurrence régionale relevée.

Les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite demeurent les principales destinations des investissements dans le secteur du numérique au Moyen-Orient. En 2023, les EAU ont dominé en nombre de projets d’IDE, avec 1 327 projets, représentant 70 % de l’ensemble des projets du secteur dans les pays du CCEAG. Quant à l’Arabie saoudite, elle a attiré la plus grande part des investissements en valeur, représentant 60 % des 47 Mds USD investis dans la région.

Le Qatar pâtit d’un retard en termes de qualification de la main d’œuvre sur les Technologies de l’information et des télécommunications (TIC). Au Qatar, en 2021, si 47 % de la population disposait de compétences de base en TIC, 4 % seulement possédaient des compétences avancées (contre 25 % et 22 % aux EAU et en Arabie Saoudite). Si depuis lors, le Qatar déploie des efforts pour rehausser le capital humain de sa population domestique et expatrié, la marge à combler dans la région est importante. Le saut qualitatif attendu doit être vite opérationnel.

Publié le