Indicateurs et conjoncture

Nicaragua : Malgré la reprise soutenue de l’économie en 2021, les effets négatifs de la pandémie sur le bien-être de la population ont persisté.

 

Après une succession de chocs domestiques et externes (crise sociopolitique, pandémie, catastrophes naturelles), la croissance du PIB a fortement rebondi en 2021 (+10,3 % du PIB). En 2022, le dynamisme du secteur externe devrait continuer de soutenir l’économie, notamment grâce à la vigueur des envois de fonds et à la hausse mondiale des prix des produits exportés par le Nicaragua, venue compenser le poids de la facture des importations. Les finances publiques semblent saines et sont largement soutenues par certains bailleurs de fonds, mais cachent un sous-investissement chronique de la part des autorités, qui ont toutefois mis en œuvre (du moins dans les textes) des réformes de taille, permettant au pays de sortir de la liste grise du GAFI.     

Le rebond macroéconomique est largement soutenu par le dynamisme du secteur externe

La crise sociopolitique de 2018-2019, suivie de la pandémie de COVID-19 et de deux ouragans majeurs en 2020, a entraîné une perte cumulée de 8,7 % du PIB en 2020, tandis que la pauvreté a augmenté à
16 % à la fin de l’année.
En 2021, l’économie nicaraguayenne a fortement rebondi (+10,3 % du PIB) portée par : (i) des investissements publics à grande échelle (soutenus par les dépôts du gouvernement), (ii) l’aide financière extérieure, et (iii) la vigueur de la demande externe. En 2022, le dynamisme du secteur externe a continué de soutenir l’économie, qui aurait enregistré une croissance de 3,8 % selon la Banque centrale[1], malgré une inflation élevée, l’effet des sanctions et les dégâts causés par l’ouragan Julia (2022). En effet, le Nicaragua a notamment profité : (i) de la hausse des prix des matières premières et agricoles (étant producteur et exportateur d’or, de café et de bétail) qui a soutenu les exportations nettes du pays, (ii) du retour des investissements directs étrangers, principalement dans le secteur minier (extraction d’or), et (iii) de l’augmentation des envois de fonds (+40 % g.a) qui a contribué à la robustesse de la consommation privée. L’augmentation des transferts de fonds n’était pas un phénomène inédit en 2022. De fait, dès 2018, suite à la crise sociopolitique, l’afflux de migrants nicaraguayens vers les Etats-Unis (et dans une moindre mesure l’Espagne et le Costa Rica) a provoqué une hausse continue des transferts de fonds, qui représentaient 11,5 % du PIB en 2018, et qui ont atteint un montant équivalent à 19 % du PIB en 2022 (Tableau 1).

Pour 2023, la croissance du PIB réel devrait ralentir à 3 %, en raison de l’assainissement budgétaire, du ralentissement de la demande extérieure, non-compensée par les prix mondiaux élevés des matières premières et agricoles, et de la persistance de hauts niveaux d’inflation. En effet, l’inflation a fortement accéléré depuis le S2 2021 (2,24 % en juin 2021) et aurait atteint son pic à 12,51 % en août 2022 avant d’entamer une phase de léger ralentissement jusqu’à 9,87 % en juin 2023 (Graphique 1). Face à l’accélération de l’inflation et afin de maintenir la stabilité du taux de change et la stabilité financière (objectifs principaux de la politique monétaire), la Banque centrale du Nicaragua a rehaussé son taux de référence de 350 points de base cumulés depuis avril 2022, le portant à 7 %. Ceci a permis le maintien du taux d’ancrage du Cordoba par rapport à l’USD à 2 % par an.

A moyen terme, selon le FMI, la croissance du PIB réel du Nicaragua devrait converger vers son potentiel (soit environ 3,5 % du PIB), ce qui reste inférieur au taux de croissance moyen du pays avant la crise de 2018, compte tenu de la reprise prudente de l’investissement et du crédit au secteur privé. 

 

 

La relative résilience des comptes publics repose sur le soutien des bailleurs de fonds tandis que les envois de fonds continuent de soutenir le secteur externe

 

Des finances publiques saines largement soutenues par les bailleurs de fonds

En 2021, la reprise économique, combinée à une politique budgétaire prudente, a permis de réduire le déficit budgétaire à 1,2 % du PIB et de contenir le ratio de la dette au PIB à 47,6 % du PIB, selon le FMI. En 2022, la dette publique s’est stabilisée autour de 46 % du PIB selon le FMI. Le profil de la dette affiche les caractéristiques suivantes : (i) les ¾ sont contractés par le secteur public non financier, et le reste par la Banque centrale ; (ii) environ 85 % de la dette publique totale est détenue par des créanciers extérieurs ; et (iii) 36 % relève d’une échéance de court-terme. 

Selon le FMI, en 2022, le déficit budgétaire s’est creusé à 2 % du PIB suite au paquet de mesures budgétaires temporaires mis en place par le gouvernement en mai 2022, pour lutter contre l’accélération de l’inflation (190,1 M USD sur l’année, soit 1,22 % du PIB). Toutefois, le Nicaragua peut compter sur le soutien persistant de certains bailleurs de fonds : en effet, les besoins de financement du pays seraient entièrement couverts en 2022, grâce à un nouveau prêt concessionnel de 200 M USD de la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) et à un nouveau prêt de 116 M USD de la Banque mondiale.

Par ailleurs, ces chiffres, reflétant une situation en apparence flatteuse, cachent la faiblesse de l’investissement public (830 M USD en 2022, soit moins de 6 % du PIB), qui est concentré à 51 % sur la seule construction et réhabilitation de routes.

Le secteur externe reste robuste grâce aux envois de fonds malgré les sanctions américaines

La reprise économique s'est traduite par un déficit de la balance courante en 2021 (contre un excédent de 3,9 % du PIB en 2020) qui devrait se réduire en 2022, en raison de l’augmentation des transferts de fonds (cf supra). Les envois de fonds couvriraient le déficit de la balance commerciale, et la reprise des investissements directs étrangers devrait financer le léger déficit de la balance courante.

Le niveau des réserves internationales brutes a doublé depuis fin 2018 et représentait en 2022 six mois d’importation (4 Mds USD), notamment en raison de l’importance des envois de fonds. Celles-ci devraient rester suffisantes pour assurer l’ancrage monétaire à l’USD bien qu’elles soient proches de la limite inférieure du ratio d’adéquation recommandé par le FMI (entre 5,3 et 8 mois d’importations, hors maquiladoras pour le Nicaragua).

Des défis importants en matière de réformes structurelles qui empêchent l’amélioration des indicateurs sociaux
 

Le climat des affaires reste fortement dégradé malgré l’adoption de réformes visant à aligner le cadre juridique aux normes internationales. Lors de la plénière du Groupe d'action financière (GAFI) d'octobre 2022, les progrès normatifs du Nicaragua ont été salués et le pays a été retiré de la liste des juridictions soumises à une surveillance accrue (liste grise). Cependant, le Nicaragua fait toujours parti des pays les plus corrompus du monde, se plaçant 167ème sur 180 pays selon l’indice de corruption de Transparency international. Par ailleurs, l’environnement politique et institutionnel instables, le rapprochement du pays avec la Chine et son isolement diplomatique, font craindre la mise en place de nouvelles sanctions de la part des Etats-Unis et la poursuite de la réduction des relations de correspondance bancaire. Ainsi, le FMI recommande des efforts soutenus pour améliorer le climat des affaires ainsi que des réformes structurelles visant à accroître l’emploi formel (taux d’informalité du travail atteignant 76 % fin 2021), ce qui devrait contribuer à freiner l’émigration.

En outre, la dépendance économique du Nicaragua à l’égard des secteurs sensibles au climat amplifie l’impact négatif des catastrophes naturelles et du changement climatique sur l’économie. A eux deux, les secteurs de l’agriculture et du tourisme représenteraient 29 % du PIB du Nicaragua, 54 % des exportations et
42 % de l’emploi total. Ainsi, l’impact d’évènements climatiques pourrait entraîner une hausse des prix alimentaires, menacer la sécurité alimentaire et pénaliser les deux secteurs clés de l’économie nicaraguayenne. En outre, l’exposition de l’emploi aux secteurs vulnérables au changement climatique pourrait plonger davantage de ménages dans la pauvreté.

Enfin, malgré la reprise soutenue de l’économie en 2021, les effets négatifs de la pandémie sur le bien-être de la population ont persisté : environ 10 % des personnes employées officiellement en 2019 sont passées dans le secteur informel à la fin de 2021 et la baisse de l'emploi et des salaires a réduit les revenus de 28 % des ménages du pays. Toutefois, malgré une forte inflation et une faible croissance de l’emploi, le taux de pauvreté (à 3,65 USD/PPA) devrait reculer à 13,3 % en 2022 (contre 14,2 % en 2021). Selon le FMI, le ralentissement de la croissance, les prix élevés des denrées alimentaires et l'assainissement budgétaire (avec la fin des mesures budgétaires temporaires) sont susceptibles de freiner la réduction de la pauvreté et des inégalités à moyen terme.

*****

Commentaire : Bien que l’économie nicaraguayenne se soit montrée relativement résiliente depuis la pandémie de Covid-19, elle reste très vulnérable aux chocs externes en raison de sa dépendance aux importations, aux transferts de fonds, ou encore à l’assistance des bailleurs de fonds. En outre, le pays présente des défis sociaux majeurs qui sont susceptibles de persister en raison du manque d’investissements publics et du besoin de réformes structurelles.



[1] 4 % selon le FMI.

Publié le