MOZAMBIQUE
Situation économique et financière du Mozambique
En dépit d’une accumulation de difficultés (pauvreté endémique et importants retards structurels ; risques climatiques parmi les plus élevés au monde ; enracinement du terrorisme dans les provinces du Nord) et d’un enchaînement de crises depuis 2015, ce pays parmi les moins avancés fait preuve d’une importante résilience et affiche en 2023 des indicateurs macro-économiques positifs qui crédibilisent le plan de réforme lancé en 2022 par les autorités mozambicaines avec l’appui de la communauté financière internationale (mobilisation d’un FEC de 457 MUSD du FMI et reprise de l’aide budgétaire de la Banque Mondiale pour 500 MUSD sur 3 ans). Dans l’attente des recettes fiscales massives qui découleront à partir de 2027 des projets de GNL, le niveau, encore trop élevé de l’endettement public demeure néanmoins un sujet d’attention permanent.
1. La situation économique et monétaire du Mozambique
Le Mozambique est un PMA, dont la courbe de croissance de la richesse par habitant a été soudainement interrompue en 2015 par la crise des dettes cachées et l’accélération d’épisodes de catastrophes naturelles. Après avoir augmenté de façon linéaire et soutenue entre 1995 et 2015 au rythme moyen de +4,5 % par an, le PIB/habitant a marqué un palier entre 500 et 550 USD/habitant jusqu’en 2022, pour connaître une progression notable en 2023 où il atteint 647 USD/habitant, la croissance économique parvenant enfin à absorber la forte natalité (+2,9 % par an en moyenne ; 33,9 millions d’habitants en 2023 selon les Nations Unies). La crise sanitaire du covid-19 a eu des effets économiques relativement atténués au Mozambique, la récession ayant été modérée en 2020 (-1,3 %), au même titre d’ailleurs que la reprise en 2021 (+2,2 %), année qui a également souffert d’une crise sécuritaire majeure (terrorisme dans le nord du pays), entrainant notamment l’arrêt du grand projet gazier de Total Energies pour force majeure. Ces conditions économiques dégradées se sont maintenues en 2022, la croissance ne dépassant pas 4,2 %, niveau à peine suffisant pour absorber la croissance démographique.
En 2023, la croissance, estimée à 6 % tant par le FMI que le ministère de l’Economie et des Finances (MEF), a profité de la bonne tenue du secteur extractif traditionnel (charbon, aluminium, rubis), des services (logistique/hôtellerie), de la production électrique et de l’agriculture, ainsi que de la production à pleine capacité de l’unité d’extraction de gaz naturel et de production de GNL d’ENI entrée en production en 2022, ce seul projet contribuant à la croissance du PIB à haute d’1pp. La croissance future dépendra largement de la reprise, ou non, des projets gaziers de Total Energies (une décision de reprise est attendue pour le T1 2024) et d’ExxonMobil (en attente d’une décision finale d’investissement ; les principaux composants du projet ayant donné lieu à des appels à expression d’intérêt en mars puis novembre 2023, ce qui est bon signe), qui viendront s’ajouter aux moteurs traditionnels de la croissance du Mozambique que sont les financements des bailleurs et les exportations du secteur primaire.
Pour les 5 prochaines années (2023/2028), le FMI estime que le potentiel de croissance hors secteur extractif est de 4% par an, auquel s’ajouterait 1pp de croissance du secteur extractif. A partir de 2027, ce dernier facteur passerait à 8-9pp par an, une fois que le projet ENI contribuera massivement aux recettes fiscales prévues et qu’entreraient en production les projets de Total Energies puis d’ExxonMobil. Si ces grands projets de GNL se réalisent comme prévu, le potentiel de croissance de l’économie mozambicaine serait ainsi, selon le FMI, de 13,1 % en 2027 et 12,1 % en 2028.
Concernant l’inflation, après un pic à presque 13 % en glissement annuel en août 2022, elle n’a cessé de baisser depuis, pour être ramenée à son plus bas en août 2023, 4,9 % sur 12 mois (5,6 % en juillet), et les derniers chiffres publiés (janvier 2024) par le FMI indiquent une inflation de seulement 3,9% en année pleine pour 2023 (10,3% en 2022). Cette limitation de l’inflation est largement due à une politique restrictive menée par la Banque centrale mozambicaine.
Sur le plan monétaire enfin, le Mozambique évolue de facto depuis juin 2021 dans un régime de change quasi fixe du Metical (MNZ) vis-à-vis de l’USD. Début 2021, afin d’accélérer la sortie de crise du Covid-19 et alors que le soulèvement de groupes islamistes dans le nord du pays exerçait une pression supplémentaire à la dévaluation du MNZ, la Banque du Mozambique a décidé de s’engager dans une politique monétaire extrêmement restrictive, via notamment trois fortes hausses successives du taux directeur (MIMO), qui est passé de 10,25 % à 13,25 % en janvier/2021 ; 15,25 % en mars/2022 ; 17,25 % en septembre/2022 ; pour revenir à 16,50% début février 2024. Si ce resserrement monétaire d’ampleur, adossé à un fort interventionnisme de la Banque du Mozambique sur le marché des changes, a bien permis dans un premier temps de stabiliser de façon remarquable le MZN (entre 64,1 et 63,2 MZN/USD), la pression sous-jacente à la dévaluation est toujours là, amenant la Banque du Mozambique à augmenter drastiquement, en juin 2023, le taux de réserves obligatoires en devises des banques commerciales, qui est passé de 11,5 à 39,5 %. Cette dernière mesure a permis d’alléger la pression sur les réserves de change, qui sont actuellement de 3,3 mois d’importations. Ce niveau, quasiment stable par rapport à la même époque de 2022 (3,5 mois), reste confortable bien que traduisant une situation sensiblement détériorée par rapport à celle qui prévalait avant la mise en place de la doctrine de stabilisation monétaire (5,9 mois d’importation en 2020). La Banque du Mozambique devra probablement relâcher l’effort dans les prochains mois, tant pour des raisons politiques qu’économiques, l’arrêt de l’investissement privé local qui découle de cette conjonction de mesures monétaires restrictives étant peu compatible avec les échéances électorales à venir (élections générales en octobre 2024). Le Metical pourrait ainsi revenir à une situation plus instable, avec des pressions fortes et soudaines à la baisse à chaque manifestation de crise, l’économie mozambicaine continuant à être confrontée à ses risques structurels habituels./.
2. La situation budgétaire et d’endettement du Mozambique
Sur le volet budgétaire, la mise en place en juin 2022, pour 3 ans, d’un programme FMI (FEC de 457 MUSD) avec le soutien de la Banque Mondiale, à hauteur de 500 MUSD donne les moyens d’une réforme en profondeur du fonctionnement de l’Etat, via notamment le plan ad hoc en 20 mesures du ministère de l’Economie et des Finances. Ces avancées ont conduit, en août 2022, à une amélioration de la notation de crédit de Fitch à CCC+ (CCC auparavant), inchangée depuis. Les notations Moody’s et S&P restant également stables sur la période. Ecartant le risque de défaut souverain et représentant 3,5 % du PIB en 2023 (4,3% en 2022 ; 1,3% en 2024), les apports du FMI et de la BM alimentent à hauteur de 13,1 % le budget de l’Etat. Les recettes de l’Etat sont estimées à 26,7 % du PIB en 2023. Malgré ces apports extérieurs massifs, le déficit budgétaire demeure trop élevé : 4,6 % du PIB en 2021 et 2022 ; 3,3 % du PIB en 2023. Compte tenu de ces éléments, le FMI, qui continue à pointer l’endettement public comme étant le principal sujet de vigilance, a reclassé le pays en 2022 en « risque élevé de surendettement » (« défaut sélectif » auparavant), la dette totale étant qualifiée de « soutenable à titre prospectif ».
Tirant profit de la forte croissance économique et des interventions des bailleurs depuis deux ans, l’endettement public total connaît une amélioration franche depuis 2020, pour n’être plus que de 91,9 % en 2023 (120,0 % en 2020, 10,4,9 % en 2021, 95,5 % en 2022), la dette publique externe représentant pour sa part 65,9 % du PIB (versus 97,8 % en 2020). On notera néanmoins que le FMI table sur une dégradation de ces deux indicateurs en 2024, l’année devant se terminer à 96,2% et 69,1%, respectivement.
Avec une légère amélioration en 2023, avec un déficit estimé à 13,6 % du PIB, le compte courant est structurellement très déficitaire (-22,4 % en 2021 ; 32,9 % en 2022 ; 37,9 % en 2024 ; 42,1 Z% en 2025) compte tenu des importations liées aux grands projets des industries extractives et des versements d’intérêts. Concernant les échanges commerciaux (21,6 Mds USD en 2022 soit 117 % du PIB ; en augmentation de 61 % par rapport à 2021), le déficit, bien qu’élevé et structurel (5,1 Mds USD en 2022) est considéré comme peu préoccupant, car il est principalement imputable aux importations ponctuelles d’équipements pour les grands projets en construction, qui seront générateurs à termes d’exportations massives. Les exportations, quant-à-elles, sont composées pour deux tiers de matières premières (aluminium, charbon, GNL, ilménite, rubis), à faible valeur ajouté, soumises aux cours internationaux et donc extrêmement volatiles.
La parenthèse de 6 ans de mise à l’index du pays en conséquence du scandale des dettes cachées de 2016 est en train de se refermer et l’attention se focalise aujourd’hui vers les projets gaziers de Total Energies et ExxonMobil. Si, comme semblent l’indiquer diverses annonces récentes, ces deux groupes confirment formellement dans les prochaines semaines la reprise de leurs mégaprojets d’exploitation de gaz naturel (23 Mds USD et 30 Mds USD respectivement ; interrompus en 2021 pour force majeure liée à l’insécurité dans le Nord du pays), le Mozambique pourrait devenir un grand exportateur de GNL. L’horizon sera alors celui de produire et d’exporter, à partir de 2028 / 2030, des volumes de GNL d’autant plus massifs qu’ENI, qui fait figure de pionnier avec un premier train inauguré en 2022 (10 Mds USD investis), devrait doubler sa capacité d’ici là. L’enjeu est colossal : inexistant sur le marché international du GNL jusqu’en 2022, le Mozambique représente aujourd’hui 1 % du marché international et deviendrait le 9ème producteur mondial en 2028/2030. Ces grands projets sont toutefois largement déconnectés de l’économie réelle du pays et ne fournissent pas encore de ressources fiscales notables. Selon la Loi de Finances pour 2024, le gaz ne contribuerait ainsi au budget de l’Etat qu’à hauteur de 67 MUSD, soit 1,1 % des recettes du budget primaire.
Le FMI estime néanmoins que le secteur du gaz viendra considérablement et soudainement doper l’économie à partir de 2026, à raison de 8 à 9pp de croissance de PIB par an ; et avec d’importantes entrées fiscales dès 2027.
D’ici là, la question pour les autorités mozambicaines et les bailleurs est de maintenir la sobriété budgétaire tout en tentant de faire patienter une population en croissance rapide et qui demeure parmi les plus démunies de la planète.