Mexique : note de conjoncture économique – Octobre 2018

Après l’élection d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO), le 1er juillet dernier, et contrairement à de nombreux scénarios pessimistes, la plupart des indicateurs économiques sont en amélioration à court terme : le peso s’est apprécié au mois de juillet de plus de 6 % (avant de connaître une dépréciation de 3% en août) ; les entrées de capitaux sont en augmentation, après avoir enregistré entre janvier et juin une période de volatilité liée aux tensions internationales (renégociations de l’ALENA, guerre commerciale…) et nationales (période électorale) et les indices de confiance des consommateurs sont en hausse. L’annonce d’un accord tripartite entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique le 30 septembre dernier (USMCA pour son sigle en anglais) met par ailleurs un terme à plusieurs mois d’incertitude. La croissance reste régulière malgré une légère décélération au second trimestre et devrait atteindre 2,3 % en 2018.

Des risques sont toutefois présents : les conséquences concrètes de l’accord USMCA pour l’attractivité du Mexique demeurent incertaines à moyen terme ; par ailleurs, l’augmentation des indicateurs de confiance après l’élection d’AMLO ne suffit pas à effacer les fragilités de l’économie mexicaine, notamment l’aggravation de son déficit commercial et la faible marge de manœuvre budgétaire du Gouvernement.

     1. L’élection d’AMLO et l’avancée des renégociations de l’ALENA provoquent un regain de confiance sur le marché mexicain.
a) La croissance économique mexicaine demeure solide, malgré un ralentissement au second trimestre.

L’économie mexicaine a de nouveau montré sa résilience dans un environnement économique compliqué (guerre commerciale, incertitudes liées aux renégociations de l’ALENA et aux élections…) : malgré une contraction au second trimestre, la croissance du PIB a atteint 1,9% (g.a) au premier semestre 2018. Ce résultat demeure cependant modéré en comparaison avec l’année dernière : la croissance avait atteint 3,0% au S1 2017. Ce ralentissement découle d’un comportement contrasté entre les deux premiers trimestres de l’année.

Après une croissance de 1,1% au premier trimestre, l’économie s’est en effet contractée de -0,2% au second trimestre (par rapport au 1er trimestre) ; en glissement annuel la croissance du PIB au 2ème trimestre a été de 1,6% du PIB. Les activités primaires ont enregistré la plus grande contraction avec une variation annuelle de -2,1% tandis que le secteur industriel s’est lui contracté de -0,3%. Enfin, le secteur tertiaire a augmenté de 0,3%, ce qui contraste cependant avec sa hausse de 1,1% enregistrée au premier trimestre. Outre la volatilité du secteur primaire, les risques externes et internes (incertitudes liées aux renégociations de l’ALENA, incertitudes liées à la période électorale, politique monétaire restrictive…) expliquent le dynamisme moindre de l’économie mexicaine au deuxième trimestre.

En conséquence, le FMI a revu à la baisse ces perspectives de croissance 2019 de 3,0% à 2,7%, tout en maintenant son taux de 2,3% pour 2018. Cette nouvelle projection reste légèrement supérieure à la croissance attendue pour l’Amérique latine (2,6%). La Banque centrale du Mexique (Banxico) a également baissé ses prévisions de croissance pour 2018 : le PIB devrait croître à un taux compris entre 2 et 2,6% en 2018, contre 2 et 3% prévu initialement. La Banque Centrale mexicaine est aussi moins optimiste pour l’année 2019, avec une croissance du PIB prévue entre 1,8 et 2,8% (contre 2,2 et 3,2% attendue initialement). Le FMI rappelle que traditionnellement, la première année suivant l’investiture d’un nouveau gouvernement s’accompagne d’un ralentissement de la croissance dû aux changements politiques inhérents aux élections.

b. L’élection d’AMLO le 1er juillet et l’avancée des négociations commerciales provoquent un regain de confiance sur le marché mexicain.

Après l’élection d’AMLO, l’indice de confiance des consommateurs mexicains a atteint son niveau le plus haut depuis la crise financière de 2008, ce qui pourrait faire croître la consommation privée à un taux moyen de 3% au cours des douze prochains mois, selon une étude réalisée par Merril Lynch. En effet, au mois de juillet, l’indice de confiance a augmenté de 15%, la plus forte augmentation mensuelle jamais enregistrée. L’augmentation de la confiance des consommateurs est susceptible de conduire à une consommation plus importante - même si cette hypothèse est relativisée par le Chief Economist de Banorte, qui se montre plus sceptique quant à l’impact réel de l’augmentation de la confiance. L’agence de notation Fitch a revu à la hausse ses prévisions de croissance pour 2018, de 2,6% à 2,7%, justifiant cette modification par l’optimisme déclenché par l’élection d’AMLO.

Les politiques annoncées par AMLO (augmentation du salaire minimum de 88 à 101 pesos (+14,7%), revalorisation des retraites, programmes sociaux, programme d’infrastructures…) pourraient aussi stimuler la consommation, et la faire croître à des taux supérieurs à 3%, dans un pays où la consommation privée reste le principal moteur de la croissance (67% du PIB).

Ce regain de confiance émane notamment du fait que le Président élu s’est rapidement attaché à rassurer les marchés. Dès son premier discours, il a ainsi clairement indiqué que l’autonomie de la Banque Centrale mexicaine serait respectée, et que les disciplines fiscale et financière seraient maintenues. En conséquence, le peso s’est apprécié de 6,25 % au mois de juillet après avoir subi une baisse importante au mois de juin. Après l’élection d’AMLO, la monnaie a notamment connu sa meilleure semaine depuis la prise de fonction d’Enrique Peña Nieto. Au mois d’août, le peso a été légèrement impacté par la crise monétaire turque – la livre ayant perdu 12% de sa valeur en 10 jours et presque 60% de sa valeur depuis le début de l’année – subissant une dépréciation de 3,7% de sa valeur, qui est cependant considérée comme temporaire.

La conclusion des négociations commerciales et l’annonce d’un accord tripartite le 30 septembre dernier vient par ailleurs ôter un des principales facteurs d’incertitude qui pesait jusqu’alors sur l’économie mexicaine, même si l’impact à court et moyen termes de l’accord reste cependant à préciser.

c. Malgré la croissance des exportations, le déficit commercial mexicain se creuse.

L’incertitude qui entourait les négociations de l’ALENA au 1er semestre n’a pas porté préjudice au commerce bilatéral : les exportations du Mexique vers les Etats-Unis ont atteint 145 Mds EUR entre janvier et juin 2018 (+9% g.a). La hausse des exportations mexicaines vers les Etats-Unis s’explique par l’augmentation de la demande étasunienne, impulsée par une croissance économique supérieure aux prévisions.

Cependant, entre janvier et juin, le Mexique a enregistré un déficit commercial de 3,8 Mds EUR, soit un déficit presque deux fois plus important que celui enregistré au premier semestre 2017 (+48%) et ce, malgré la croissance continue des exportations (+11% par rapport à l’an dernier). Ce déficit s’explique en grande partie par la détérioration de la balance des biens pétroliers : les importations pétrolières (qui représentent 70% de la consommation nationale en volume) ont atteint un nouveau record ce semestre en dépassant les 21 Mds EUR, soit une augmentation de 36% en un an. Les exportations du secteur automobile ont aussi chuté au second trimestre (-1,3%), après avoir progressé au premier trimestre (+3,5%). D’après les estimations de BBVA Bancomer, le déficit commercial pourrait atteindre 11 Mds EUR et le déficit courant 20,5 Mds EUR (2% du PIB) sur l’année 2018.

d. Après un ralentissement en début d’année, l’inflation repart à la hausse.

Alors que l’inflation était à la baisse depuis le début de l’année 2018, cette tendance semble s’inverser ces derniers mois : 4,65% en juin, 4,85% en juillet et 4,90 % en août. Elle reste inférieure à 2017 (6,44% en glissement annuel en juillet 2017) mais supérieure au taux cible de la Banque centrale (3% ± 1 pt). Cette reprise inflationniste s’explique principalement par la hausse des prix constatés dans le secteur énergétique (poussé par le prix du pétrole) et sur certains fruits et légumes.

Citibanamex prévoit entre 4% et 5% d’inflation pour la première année du mandat d’AMLO, soit le plus haut taux depuis 2001. Citibanamex s’attend pour 2019 à une forte hausse des prix des produits agricoles et à des pressions inflationnistes (dues à la volonté d’AMLO d’augmenter le salaire minimum), qui maintiendraient l’inflation élevée en 2020 et 2021.

     2. La Banque centrale a poursuivi le resserrement de sa politique monétaire, ce qui participe à l’attraction de flux de capitaux.
a. La banque centrale mexicaine a poursuivi l’augmentation de ses taux face à la normalisation de la politique monétaire de la Fed.

Face aux pressions inflationnistes, la Banque centrale mexicaine a poursuivi le resserrement de sa politique monétaire entamé en 2015 pour atteindre 7,75% le 21 juin dernier, son taux le plus élevé depuis mars 2009. Outre les pressions inflationnistes, la politique monétaire mexicaine fait face à la normalisation de la politique monétaire de la Fed qui a procédé à une nouvelle hausse de son taux directeur de 2% à 2,25 % en septembre dernier. 

Cette hausse du taux directeur de la Banque centrale renchérit le coût du crédit (+1,5 pp) mais son impact reste cependant limité. Grâce à la compétitivité du secteur bancaire, la croissance du taux d’intérêt appliqué aux crédits bancaires a été inférieure à la hausse du taux directeur de la Banque Centrale. Ainsi, en juin 2018, le solde du crédit bancaire au secteur privé a enregistré une croissance annuelle de 6,85% (contre 6,94% en juin 2017). De même, bien qu’en légère décélération, les crédits à la consommation continuent de croître : +3,19% de croissance annuelle en juin contre + 4,39% en juin 2017.

b. Contrairement aux attentes, l’élection d’AMLO a été suivie d’un retour des flux de capitaux.

Contrairement aux attentes des économistes, qui prévoyaient une sortie de capitaux pendant la période électorale et en cas de victoire d’AMLO, l’Investissement Direct à l’étranger (IDE) enregistré au premier semestre a été le plus important depuis 5 ans.  Avec plus de 14,5 Mds EUR, soit une augmentation de 14% par rapport au S1 2017, l’IDE du premier semestre a été le plus conséquent des dix dernières années, à l’exception de 2013 et marque la cinquième année de croissance des IDE.

Au second trimestre, le Mexique a reçu 5,7 Mds EUR d’IDE (+19,7% g.a.) malgré une contraction importante des nouveaux investissements (-50,3% de baisse interannuelle) liée à la période électorale. Cette hausse des IDE a été portée par une augmentation des mouvements de capitaux entre des entreprises mères et leur filiale mexicaine (+83%) ainsi que par des flux liés aux réinvestissements des bénéfices d’investisseurs étrangers (+13,1%)

Plus particulièrement, après l’élection d’AMLO, les flux de capitaux ont augmenté en juillet (+ 1,7 Mds EUR), arrivée la plus importante depuis mars 2017, après une sortie nette en juin (-225 M EUR). La bonne performance financière observée après l’élection présidentielle s’est notamment illustrée dans l’achat d’instruments à revenu fixe mexicains par des investisseurs étrangers. Les actifs privilégiés ont été les Cetes (obligation à coupon-zéro) (+940 M EUR) et les obligations d’Etat (+1,2 Mds EUR).

c. Les flux de remesas poursuivent leur augmentation.

Les flux de remesas mesurés en USD ont augmenté de 11,6% au cours des 6 premiers mois de l’année 2018, par rapport au niveau enregistré à la même période en 2017, atteignant un total de 13,9 Mds EUR. Cette arrivée massive s’explique par la bonne performance économique actuelle des Etats-Unis, avec un taux de chômage à seulement 4%. La dépréciation du taux de change MXN/USD au cours du mois de juin a aussi favorisé les flux de remesas, les Mexicains bénéficiant d’une amélioration de leur pouvoir d’achat. Enfin, l’incertitude face aux mesures protectionnistes impulsées par Donald Trump ont d’autant plus encouragé ces transferts monétaires. Cette hausse des remesas devrait stimuler la consommation mexicaine : selon une étude de Meryll Linch, un dollar supplémentaire de remesas reçu provoquerait en effet une augmentation des dépenses de 1,7 dollar.

     3. La situation des finances publiques s’améliore mais  laisse peu de marge de manœuvre au nouveau gouvernement.
a. La situation des finances publiques continue de s’améliorer.

Le gouvernement mexicain devrait réduire son niveau de dette en 2018 : la dette mexicaine a atteint 45,6% du PIB en juin 2018, soit un niveau d’1,3 pp inférieur à celui enregistré fin 2017. Durant le premier semestre 2018, les principaux indicateurs ont été meilleurs qu’anticipé : le déficit public a atteint 12 Mds EUR contre 14,6 Mds EUR attendus et un surplus primaire de 5,5 Mds EUR a été enregistré. Si la performance établie entre janvier et juin 2018 se confirme également sur le second semestre, les experts prévoient que le Gouvernement atteigne son objectif de surplus primaire (à 0,8% du PIB).

L’assainissement des finances publiques se fait toutefois au détriment de l’investissement. Sur les 6 premiers mois de l’année, le coût du paiement de la dette (14,7 Mds EUR) a dépassé le montant dépensé par le Gouvernement en investissements fixes (14,1 Mds EUR). L’augmentation du coût de la dette est principalement due à celle des entreprises publiques (PEMEX +16,8% ; CFE +16,5%).

Malgré cette amélioration, la dette publique mexicaine a quasiment doublé au cours du sexennat d’Enrique Peña Nieto, passant de 5 500 Mds MXN (250,6 Mds EUR) en décembre 2012 à près de 10 500 Mds MXN (475 Mds EUR) en juin 2018, soit un montant égal à 46,4% du PIB contre 34,8 % du PIB en 2012.

b. Le futur Gouvernement d’AMLO a un programme ambitieux  mais peu de marge de manœuvre budgétaire.

Pour mener à bien sa politique tout en respectant ses engagements (surplus primaire, pas de hausse des impôts), le Gouvernement d’AMLO aura une marge de manœuvre budgétaire limitée. Tout d’abord, la situation héritée du mandat d’EPN limite les mouvements financiers potentiels du nouveau gouvernement. De plus, le futur Gouvernement s’est engagé à ne pas augmenter les impôts ainsi qu’à maintenir un surplus primaire de la balance budgétaire (qui permettrait de garder le niveau de dette inchangé).

Pour financer son programme social (coût de 11 Mds EUR) ainsi que ses projets d’infrastructures publiques en partenariat public-privé (réhabilitation des 6 raffineries existantes – 2,2 Mds EUR ; et construction de 2 nouvelles raffineries – 7,2 Mds EUR ; projet du train Maya – 5,4 Mds EUR ; Isthme de Tehuantepec), AMLO prévoit la mise en place d’un programme d’« Austérité Républicaine», qui devrait permettre d’économiser entre 18,8 Mds EUR et 22,8 Mds EUR. Ces économies seront principalement issues de la centralisation des achats publics (réduction de la corruption et économies d’échelle substantielles), de la révision de 150 programmes sociaux (focalisation sur les programmes ayant un impact confirmé, suppression des doublons) et d’une réduction du budget de fonctionnement de l’État (notamment la réduction des salaires et avantages des hauts fonctionnaires).

Selon plusieurs de nos interlocuteurs (Directeur des Opérations de Banxico, économistes du COLMEX, Chief Economist de Banorte),  il n’est pas certain que ces économies soient suffisantes pour financer la politique du nouveau Gouvernement. Selon le Chief Economist de Banorte, les économies annoncées par AMLO pourraient être suffisantes pour financer la première année de son mandat mais pas les suivantes. Ce dernier s’est également montré sceptique sur des économies liées à la baisse des salaires (montant marginal, mesure essentiellement symbolique) et à la lutte contre la corruption (économies à long-terme seulement). A cet égard, la présentation du budget par le futur Gouvernement (date limite au 15 décembre) sera déterminante.

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L’élection d’AMLO à la Présidence de la République mexicaine n’a pas engendré d’effets négatifs comme initialement anticipés, au contraire. A court terme, les principaux indicateurs économiques connaissent une embellie : appréciation du peso, arrivée de capitaux, indicateur de confiance à la hausse… Après la période d’incertitudes ayant caractérisé le second trimestre, l’économie mexicaine semble retrouver un nouvel optimisme, renforcé par l’annonce le 30 septembre dernier d’un accord commercial trilatéral entre USA, Canada et Mexique. Cependant, certaines inquiétudes persistent : possible hausse des taux de la FED, nouvelle augmentation des prix du pétrole. En interne, la principale inconnue concerne la capacité du Gouvernement entrant à présenter et exécuter un budget lui permettant de respecter l’ensemble de ses engagements, en dépenses comme en recettes.

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