MEXIQUE
La Machine infernale [1], des prévisions économiques au Mexique pour 2023
Si la croissance économique du Mexique a surpris positivement en 2022, avec un taux de 3,1 % sur l’année (contre 2,1 % prévu par le FMI), les autorités et organismes internationaux peinent à s’accorder sur les prévisions économiques pour 2023. Celles-ci sont en effet soumises à de nombreuses incertitudes, dont une lente décélération de l’inflation domestique, des épisodes de volatilité sur les marchés financiers, ou encore un ralentissement de l’activité étatsunienne. Débuté il y a près de deux ans, le cycle de resserrement monétaire, qui a fortement soutenu le peso mexicain l’an passé, devrait prendre fin en 2023 avec un taux terminal estimé à 11,75 %.
Des performances économiques meilleures que prévues malgré un contexte d’inflation.
Le bilan positif de 2022 contraste avec l'incertitude pour l'année 2023 :
En 2022, les performances de l’économie mexicaine ont dépassé les prévisions des autorités et des organismes internationaux. Si après un début d’année dynamique, les marchés s’attendaient à un essoufflement de la croissance fin 2022, en raison d’une conjoncture internationale défavorable, les taux du T3 (4,3 % en g.a.) et du T4 (3,6% en g.a.) ont surpris positivement. Le Mexique, qui comptait parmi les deux derniers pays de l’OCDE à ne pas avoir retrouvé son niveau d’activité prépandémique, a fini par renouer avec celui-ci au T3. Selon l’Institut National de Statistique et de Géographie, le taux de croissance annuel aurait atteint 3,1 % en 2022, contre 2,1 % prévu par le FMI (WEO d’octobre 2022). Cette bonne surprise traduit un fort rebond des activités secondaires, avec une croissance annuelle de 3,3 %, portées par la dynamique du nearshoring. Les services, qui représentent 60 % du PIB, ont progressé de 2,7 %, et les activités primaires de 2,6 % (g.a) (Graphique 1). Depuis le T4 2021, le PIB mexicain cumule cinq trimestres consécutifs de croissance positive, de sorte que, la possibilité d’un scénario de stagflation a été écartée.
En raison de perspectives mondiales incertaines, les prévisions de croissance du Mexique ne sont pas alignées entre les différentes institutions pour l’année 2023. La Banque centrale (Banxico) table sur une croissance pessimiste à 1,6 %, contre 1,8 % selon l’OCDE et le FMI[2], et 2,6 % selon le Ministère des Finances. Ces prévisions ont fait l’objet de nombreuses révisions, depuis la fin de l’année 2022, reflétant une conjoncture et une trajectoire d’inflation incertaines. Pour Banxico, plusieurs risques pèsent sur la croissance, notamment : (i) le ralentissement plus lent que prévu de l’inflation domestique ; (ii) la détérioration des prévisions de croissance de l’économie étatsunienne[3], et en particulier de son activité industrielle, ce qui devrait peser négativement sur la demande extérieure du Mexique ; (iii) des épisodes de volatilités sur les marchés financiers internationaux, qui affecteraient les flux d’investissements ; et (iv) la survenue d’évènements climatiques extrêmes. Le Ministère des finances a quant à lui réhaussé ses perspectives de 2 à 2,6 % pour 2023, face à l’amélioration des conditions économiques au T1, en lien avec une hausse des investissements publics et privés.
Par ailleurs, le projet de Loi de Finances 2023 repose sur des hypothèses très optimistes comparées à celles du FMI, ce qui fait peser un risque sur les finances publiques mexicaines. Il est en effet construit sur une prévision de croissance de 3 % pour 2023 (contre 1,1 % selon le FMI), un taux d’inflation annuel moyen de 3,2 % (contre 6,3 % selon le FMI), et une hausse de production pétrolière de 12 % par rapport à celle de 2022. Le projet prévoit une augmentation des dépenses publiques de +11,6 % par rapport au budget de l’année précédente, et continue de mettre l’accent sur les projets d’infrastructures phares du président AMLO[4], en misant sur une augmentation peu crédible de 15,5 % des recettes pétrolières.
Après avoir atteint un pic au T4 2022, l’inflation globale poursuit sa lente et irrégulière phase de ralentissement. Au Mexique, l’accélération sans précédent de l’inflation a débuté en mars 2021, avec la reprise économique postpandémique, et s’est renforcée en 2022, en raison des pressions liées au conflit russo-ukrainien. En variation annuelle, le niveau général des prix est ainsi passé de 3,5 % en janvier 2021 à 6,85 % en mars 2023, avec un pic à +8,70 % atteint en août et septembre 2022 (Graphique 2). Si depuis ce pic, l’inflation globale a entamé une lente et irrégulière phase de ralentissement, retournant sous la barre des 8 % en novembre, et sous la barre des 7 % en mars, l’inflation sous-jacente a quant à elle continué d’accélérer jusqu’en janvier 2023, tirée par l’inflation alimentaire (Graphique 3). Selon le FMI, l’inflation globale déclinerait graduellement en 2023, mais ne retournerait pas à la cible de la Banque centrale (de 3 % +/- 1 pp) avant la fin de l’année 2024.
Pour lutter contre l’accélération des prix, Banxico a entamé son cycle de resserrement monétaire en juin 2021, en amont de ses pairs régionaux. Depuis, le taux d’intérêt directeur a été augmenté de 725 points de base (pdb), en 15 mouvements, de 4 à 11,25 %, un record historique (Graphique 4). Le Conseil des gouverneurs de Banxico reste néanmoins préoccupé par la trajectoire de la composante de base de l'inflation et par la conjoncture internationale incertaine (cf. Note inflation d’Avril 2023)[5].
Le maintien d’un différentiel de taux à 600 pdb avec la Réserve Fédérale Américaine, afin de limiter le risque de fuites de capitaux (flight to quality), aurait été la stratégie de Banxico depuis le début du cycle de resserrement de la Fed, en mars 2022 (Graphique 5). La Banque centrale du Mexique a toutefois surpris les marchés financiers le 9 février dernier, en optant pour une hausse de +50 pdb (contre +25 pdb selon les marchés, en lien avec la hausse de la Fed quelques jours plus tôt), entraînant un nouveau différentiel de 625 pdb, et donc, le début du découplage de la politique monétaire de Banxico avec celle de la Fed. (cf. Note inflation d’Avril 2023)
Depuis 2022, soutenu en partie par cette réponse monétaire agressive, le peso mexicain est l’une des monnaies émergentes les plus performantes. En effet, face au billet vert, le peso s’est apprécié de 6,5 % en 2022, et de 4,7 % entre janvier et mars 2023 (Graphique 6). Depuis ce début d’année, le peso a enregistré deux importantes ruptures, le 11 janvier, en passant sous la barre des 19 MXN/USD, et le 3 mars, sous la barre des 18 MXN/USD, soit son meilleur niveau depuis 2018. L’appréciation du peso mexicain, observée ces derniers mois, serait liée à des facteurs à la fois internes et externes, dont : (i) des finances publiques saines, avec une politique budgétaire austère menée par l’administration du président Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) ; (ii) le maintien probable d’un statu quo politique pour les deux dernières années du mandat d’AMLO, la plupart des grandes réformes prévues ayant déjà été adoptées, ce qui rassure les investisseurs qui ne prévoient plus d’initiatives de cette administration ; (iii) une banque centrale agressive, laquelle a entamé son cycle de resserrement très en amont de la Réserve Fédérale américaine ; (iv) un différentiel de taux avec la Fed à des niveaux très élevés, renforçant la demande pour le peso ; (v) des transferts de fonds records (remittances) (+13 % en 2022, à 58,5 Mds USD, et +12,5 % en janvier 2023) ; (vi) une hausse des exportations (+17 % en 2022, à 574,2 Mds USD, et +26 % en janvier 2023) ; et (vii) une hausse des IDE dans le secteur manufacturier, dont un exemple récent est l’annonce de l’investissement de Tesla, compris entre 5 et 10 Mds USD (soit près d’un tiers des IDE perçus en 2022) pour l’installation d’une usine de voitures électriques dans la ville de Monterrey. Cette annonce a par ailleurs été à l’origine de la seconde rupture du peso face au dollar en mars 2023 (cf supra).
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Les fondamentaux de l’économie mexicaine demeurent solides, malgré un contexte international incertain. La croissance économique pour 2023 devrait bénéficier des dynamiques de nearshoring à l’œuvre et pourrait dépasser à nouveau les prévisions les plus pessimistes. L’inflation globale, dont la trajectoire baissière a débuté fin 2022, continuerait de décliner graduellement en 2023 sous l’effet de la politique monétaire agressive de Banxico.
[1] D’après l’œuvre originale théâtrale de Jean Cocteau, La Machine Infernale, 1934.
[2] Données du WEO d’Avril 2023. Le FMI a révisé à la hausse de 0,7 point sa prévision par rapport à celle d’octobre 2022 (à 1,1 %).
[3] Une récession dans les 12 prochains mois apparait probable (57 %) selon l’indicateur de la Fed NY
[4] La raffinerie Dos Bocas, le train Maya et l’isthme de Tehuantepec
[5] Retour à la cible de l’inflation au Mexique : Tout vient à point à qui peult attendre, Avril 2023