Un bilan macroéconomique en demi-teinte pour le sexennat d’Andrés Manuel Lopez Obrador

Depuis l'entrée en fonction du président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) fin 2018, le Mexique a fait face à des défis économiques majeurs, dont deux années de récession et les répercussions socioéconomiques de la pandémie. Si les solides fondamentaux se sont maintenus, en lien avec la forte résilience de l’économie mexicaine, le mandat d'AMLO enregistrerait la plus faible croissance annuelle moyenne en quarante ans. Par ailleurs, sur la période 2018-2024, elle serait inférieure aux attentes de campagne, et aux performances de la région Amérique Latine et Caraïbes.

1. Une économie résiliente sous le sexennat d’AMLO malgré la succession de chocs externes 

 

1.1 Si la croissance économique du Mexique est soutenue sur la fin du mandat, en moyenne annuelle sur l’ensemble du sexennat elle resterait inférieure aux 4 % de promesse de campagne et à la performance de la région:

 

Le mandat d’AMLO a débuté par deux années successives de récession économique. En 2019, l’économie mexicaine s’est contractée de -0,9 % g.a., en raison d’une consommation en berne et d’une contribution négative de l’investissement privé à la croissance (Figure 1), reflétant l’incertitude des marchés face au changement de gouvernement, et notamment la fin d’une rhétorique néolibérale. L’année suivante, la pandémie de COVID-19 a entraîné la pire récession que le Mexique ait connu (-8,7 % g.a.), au-delà de celle causée par la crise financière de 2008-2009 (-6,3 % g.a.), et probablement accentuée par une politique budgétaire orthodoxe et procyclique (cf. point 2.1), à l’encontre de la stratégie adoptée par la plupart des pairs régionaux. A partir du S2 2020, l’économie mexicaine a subi de fortes pressions inflationnistes, résultant de trois principaux facteurs : (i) les perturbations des chaînes d’approvisionnement ; (ii) le renforcement de la demande externe liée à la reprise économique mondiale ; et (iii) les tensions géopolitiques internationales, entraînant une flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie. En raison de la succession de ces chocs, et d’une insuffisante réponse budgétaire pendant la crise covid[1], le Mexique a été le dernier pays de l’OCDE à retrouver son niveau d’activité prépandémique, en septembre 2022.

Depuis le T3 2022, l’économie mexicaine surprend avec des taux de croissance dépassant les prévisions des autorités et des organismes internationaux (+3,3 % en 2022, +3,2 % en 2023), tirés par la consommation privée et des niveaux d’investissements records. Toutefois, selon le FMI, en termes de croissance annuelle moyenne, le sexennat d’AMLO incarnerait la plus mauvaise performance depuis quarante ans (Figure 2). En moyenne, la croissance annuelle du Mexique s’établirait à 1 % seulement entre 2019 et 2024 (contre 4 % de promesse de campagne), bien en-deçà des 2,6 % enregistrés au cours des cinq derniers mandats. Sur cette même période, en termes de croissance cumulée et de croissance annuelle moyenne, le Mexique figure parmi les trois derniers pays de la région Amérique Latine, devant l’Argentine et l’Equateur (Figure 3).

 
1.2 Un peso fort, grande fierté du président, que ce-dernier attribue à sa bonne gestion de l'économie
 
Selon le Centre d’Etudes Monétaires d’Amérique Latine, ces deux dernières années, le peso mexicain aurait été la troisième monnaie émergente la plus échangée au monde, derrière le renminbi chinois et la roupie indienne. Face au billet vert, le peso s’est considérablement renforcé en 2022 et 2023, avec une appréciation annuelle de 6 % et de 13 % respectivement (Figure 4). Trois principaux facteurs expliquent cette tendance : (i) une entrée significative de dollars dans l’économie, à travers une forte hausse des transferts de fonds de migrants (+12 % g.a. en 2022, +8 % g.a. en 2023), des IDE (+14 % g.a. en 2022, +1 % g.a. en 2023), et des exportations (+17 % g.a. en 2022, +5 % g.a. en 2023), principalement vers les Etats-Unis où le Mexique est désormais premier partenaire commercial devant la Chine (Figure 5), résultat d’une relation commerciale renforcée depuis la signature du T-MEC en 2020 ; (ii) le  maintien d’un différentiel de taux très attractif avec la Réserve Fédérale américaine (600 pdb) durant un an et demi ; et (iii) la politique agressive de lutte contre l’inflation menée par la Banque centrale du Mexique (Figure 6)[2]

 Si la force du peso, vantée par AMLO, reposerait en partie sur sa gestion responsable des finances publiques, laquelle rassure les marchés, l’appréciation de la monnaie est surtout attribuable à la politique monétaire crédible de la Banque centrale, et ne présente pas que des avantages. L’appréciation du peso a contribué à la modération de l’inflation, à travers le canal des importations. Néanmoins, une monnaie forte pourrait pénaliser à long terme les deux principaux moteurs de l’économie mexicaine : (i) les exportations (40 % du PIB), à travers une perte de compétitivité ; et (ii) la consommation privée (80 % du PIB) à travers une baisse du pouvoir d’achat des remesas, qui constituent une part significative des revenus des ménages.

 

2. Une gestion austère des finances publiques au détriment d’investissements clés en capital humain

2.1 Si le taux de pauvreté s’est amélioré depuis 2018, d’importants défis subsistent en matière de capital humain :

Depuis son entrée en fonction, et y compris durant la pandémie, la maîtrise de la trajectoire des finances publiques a été une priorité absolue du président, dans la lignée des gouvernements précédents. Cette gestion prudente a contribué à la stabilité macroéconomique, avec le maintien de la dette autour de 50 % du PIB sur l’ensemble du mandat, renforçant ainsi la confiance des marchés. De plus, au regard des risques associés aux dérèglements climatiques en termes de stabilité financière, l’administration en cours a adopté une stratégie innovante de mobilisation de financement durable[3]. A ce titre, dès 2020, le Mexique est devenu pionnier en réalisant la première émission mondiale de bonds liés aux Objectifs du Développement Durables et de bonds thématiques[4].

 

L’austérité budgétaire s’est toutefois réalisée au détriment des investissements publics en faveur du capital humain.  La santé, l’éducation et le climat n’ont pas été des priorités budgétaires sous cette administration. Entre 2018 et 2023, la part des dépenses en santé et en éducation dans les dépenses sociales s’est réduite de 4 et 6 points respectivement (Figure 7). Rapportées au PIB, elles sont systématiquement inférieures aux cibles recommandées par les organismes internationaux : (i) les dépenses de santé sont inférieures à 3 % du PIB depuis 2018, contre une recommandation de 8 % du PIB par l’Organisation Mondiale de la Santé ; (ii) et les dépenses en éducation atteindraient en 2024 un minimum de 3 % du PIB, part la plus faible depuis 2016, contre 5 % du PIB recommandé par la Banque mondiale.  En outre, ni l’informalité (55 % de la population active) ni l’inclusion financière ne se sont améliorées durant le mandat, alors qu’elles figuraient parmi les principaux objectifs du Plan National de Développement 2019-2024.

 

Une politique ambitieuse de hausse du salaire minimum a néanmoins encouragé une amélioration du taux de pauvreté, qui s’établit désormais à 36 % de la population. Depuis 2019, plus de cinq millions de personnes sont sorties de la pauvreté, soit la plus forte amélioration enregistrée au cours d’un mandat présidentiel, et ce malgré le choc de la pandémie. Le taux de pauvreté a baissé de 5,6 points entre 2018 et 2022 (contre 2,5 points seulement sur les dix années précédant le mandat d’AMLO). Cette performance serait en partie attribuable à la politique de hausse du salaire minimum entreprise dans une logique de rattrapage (+90 % depuis 2019). En conséquence, selon les données de l’Organisation Internationale du Travail, en 2023, le Mexique figure parmi les trois seules économies du G20 à avoir enregistré une hausse des salaires réels, dans un contexte d’inflation élevée. Malgré ces données encourageantes, les autorités ne sont pas parvenues à lutter contre l’extrême pauvreté, dont les niveaux sont identiques à ceux de 2016. Par ailleurs, l’accès aux services de santé et les retards éducatifs se sont considérablement dégradés sous le mandat d’AMLO (Figure 8), reflet des coupes budgétaires dans ces secteurs.

2.2  L’urgence d’une réforme fiscale dans un contexte d’épuisement des marges budgétaires depuis 2019 :

Pour sa dernière année de mandat, AMLO rompt avec la rhétorique habituelle de prudence budgétaire en proposant un endettement record qui pourrait présenter des risques pour la stabilité macroéconomique sous la prochaine administration. Le Budget 2024 affiche une orientation nettement expansionniste, avec un déficit public fixé à -5,4 % du PIB, le plus élevé en 35 ans. Son caractère procyclique constitue une menace pour la stabilité macroéconomique, dans le contexte d’un output gap positif et d’une inflation encore supérieure à la cible de la Banque centrale. A nouveau, les besoins du Mexique en matière de santé, d’éducation, de capital humain et d’environnement ne seraient pas pris en compte. En effet, l’augmentation des dépenses (+5 % par rapport à 2023, financée par un endettement record) est majoritairement destinée aux pensions de retraite et au coût financier de la dette. Les dépenses d’investissement chuteraient de 11 % g.a., ce qui pourrait entre autres limiter la capacité du Mexique à bénéficier pleinement du phénomène de nearshoring, considéré comme l’un des moteurs privilégiés de la croissance économique des prochaines années. Enfin, l’entreprise nationale pétrolière Pemex, entreprise pétrolière la plus endettée au monde, recevrait à nouveau un soutien financier significatif de la part du gouvernement, à hauteur de 13 Mds USD. Depuis 2018, le soutien financier du gouvernement à Pemex totaliserait 74 Mds USD, soit 4 % du PIB (Figure 9), entre injections de capital et allègements fiscaux, et la note créditrice de l’entreprise a été rétrogradée de six crans sur l’échelle de Moody’s, à B1, soit un cran seulement au-dessus du risque substantiel de défaut.

 

En raison d’une réduction substantielle des marges budgétaires depuis 2019, la prochaine administration hériterait de lourdes contraintes, exigeant une réforme fiscale. Le mandat d’AMLO serait un sexennat perdu en termes de recettes budgétaires, avec un montant rapporté au PIB identique en 2018 et en 2024. Pour la dernière année du mandat, la collecte fiscale serait la plus faible depuis 2019, et les marges budgétaires se réduiraient de 60 %, s’établissant à 0,9 % du PIB seulement (Figure 10). Dans ce contexte, le FMI et l’OCDE soulignent l’urgence d’une réforme fiscale structurelle ambitieuse à laquelle ne pourrait échapper le prochain gouvernement, compte tenu de la nécessité d’augmenter durablement les dépenses en santé, en éducation, en protection sociale, en infrastructures productives, et en environnement.

 L’économie mexicaine s’est montrée résiliente sous le mandat d’AMLO, et le taux de pauvreté s’est réduit. Cependant, d'importants défis persistent dans le domaine du capital humain. La gestion budgétaire prudente a assuré la stabilité macroéconomique, mais s'est accompagnée d'un sous-investissement chronique dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'environnement. Une réforme fiscale ambitieuse est impérative pour faire face aux contraintes budgétaires héritées par la prochaine administration.

[1] Le soutien du gouvernement aux ménages et aux entreprises en 2020 totalisait seulement 1 % du PIB. En 2021-22, 1,5 % du PIB supplémentaires ont été déployés face à l’accélération des prix.

[2] Le cycle de resserrement monétaire de la Banque centrale a débuté en juin 2021, en amont de ses pairs régionaux. Le taux d’intérêt directeur a été réhaussé de +725 pdb en 15 mouvements et s’établit à 11,25 % depuis mars 2023.

[3] L'objectif de cette Stratégie est d'encourager la mobilisation et la réorientation des fonds provenant de sources publiques, privées, nationales et internationales, afin de développer des activités et des projets qui ont un impact positif sur l'environnement et la société.
[4] Obligations émises par un gouvernement avec un engagement envers la durabilité environnementale, sociale et/ou économique. Le Mexique totalise 20 Mds USD de financement durable depuis 2020.
 
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