LIBYE
Indicateurs et conjoncture
Pays pétrolier fort d’un territoire grand comme trois fois la France et d’une population à 7,2 M d’habitants, la Libye dispose de l’un des RNB/habitant les plus élevés d’Afrique. Structurellement dépendante des activités pétrolières, l’économie libyenne devrait enregistrer un taux de croissance négatif de -2,7% en 2024, notamment sous l’effet des blocages pétroliers d’août-octobre, avant une reprise à +9,6% en 2025. L’inflation devrait se maintenir sous la barre des 2,5% en 2024 et 2025 grâce à la prédominance des prix administrés. Les soldes budgétaire et courant restent en territoire positif, en raison de la baisse des dépenses d’investissement et des importations. La dette extérieure de la Libye demeure nulle, avec un niveau de réserves de change très satisfaisant, à plus de 34 mois d’importations. La persistance de la fragmentation politico-institutionnelle, la corruption, l’absence de développement d’un réel secteur privé et des politiques monétaires et budgétaires inconstantes continuent d’exposer l’économie libyenne aux chocs internes et externes et de retarder son urgente diversification.
Note : Le retour du FMI (premier article IV depuis dix ans en 2023) et l’activité de la Banque mondiale (coordination des partenaires du développement, assistance technique et suivi économique) permettent d’améliorer un tant soit peu la fiabilité de l’analyse macroéconomique et financière. Il n’en demeure pas moins que les données utilisées doivent être considérées avec une grande précaution.
1. Après une forte reprise en 2023 (+10,2%), l’économie libyenne s’est contractée de 2,7% en 2024 sous l’effet d’une baisse de la production pétrolière
La croissance libyenne est quasi exclusivement dépendante du secteur des hydrocarbures qui représente les deux tiers du PIB, 97% des revenus de l’État et 94% des exportations (2023). L’économie du pays, très peu diversifiée, est ainsi tributaire des cours internationaux, mais aussi de la situation sécuritaire et de l’évolution de la fragmentation politico-institutionnelle qui influent sur le niveau de production pétrolière. Si la capacité de production du pays à 1,3 M b/j permet en théorie des revenus confortables, les blocages des champs pétroliers sont régulièrement utilisés comme mesure de rétorsion politique.
Après avoir connu un semblant de stabilité en 2023 grâce à une production pétrolière maintenue à 1,2 M b/j, l’économie libyenne s’est contractée de 2,7% en 2024, notamment sous l’effet des blocages pétroliers d’août-octobre imposés par les autorités de l’Est en réponse à la crise de gouvernance de la Banque centrale. En 2023, la croissance était repartie à la hausse (+10,2%) malgré la modération du prix du baril, après une récession en 2022 (-8,3%) attribuable à une production pétrolière en dents de scie. Pour 2024, la Banque mondiale fait état d’un taux de croissance négatif de -2,7%, en raison de la contraction de la production pétrolière (moyenne à 1,1 M b/j, -8,5% sur les dix premiers mois), avec un prix du baril identique à celui de 2023 (80$). Parallèlement, la croissance du PIB non pétrolier est estimée à +1,8% en 2024, soutenue par la consommation privée et publique. Pour 2025 et 2026, la Banque mondiale anticipe une reprise de la croissance, respectivement à 9,6% et 8,4%, portée par la hausse de la production pétrolière (1,2 et 1,3 Mb/j). Avec un RNB/habitant à 7 570$ (2023), la Libye se classe parmi les pays à revenu intermédiaire supérieur, mais accuse un net retard sur ses pairs pour la plupart des indicateurs de développement.
L'inflation reste contenue en raison de la prédominance des prix administrés. La Banque mondiale table sur une inflation à 2,5% en 2024 et 2,4% en 2025, tout en pointant la faible fiabilité des données en raison de la défaillance de l’appareil statistique libyen.
2. Les soldes budgétaire et courant se maintiennent en territoire positif, la diminution des revenus pétroliers étant compensée par la baisse des dépenses d’investissement et des importations
L’exécution des finances publiques reste marquée par la division institutionnelle, le fonctionnement en douzième budgétaire et le poids des dépenses en salaires et subventions. Officiellement, faute de loi de finances votée depuis 2014, la Banque Centrale de Libye (BCL) applique théoriquement la règle du douzième provisoire pour financer le Gouvernement d’Unité Nationale (GUN) basé à Tripoli (Ouest), avec certains arrangements financiers autorisant des transferts à l’Est. Pour 2024, malgré la baisse des revenus pétroliers (-19% sur l'année 2024 selon la BCL), le solde budgétaire des autorités de Tripoli (GUN) présenterait un excédent (1,7% du PIB) en raison d’une modération de la dépense publique (-2% par rapport à 2023). Au-delà des blocages pétroliers, la progression de l’utilisation du mécanisme de swap brut/raffiné explique la baisse des revenus pétroliers. Les dépenses d’investissements, déjà faibles, ont fortement pâti (-62% sur les 10 premiers mois selon la Banque mondiale, soit 5% des dépenses de l’État), tandis que les dépenses de fonctionnement ont progressé de 2,7% sur an selon la BCL. Selon la BCL, plus de 55% des dépenses publiques seraient orientées vers la masse salariale publique - 89% des emplois étant publics - et diverses subventions et transferts sociaux. Pourtant en très grande partie importée faute de capacités de raffinage suffisantes, la Libye dispose de l’essence la plus subventionnée au monde après le Venezuela (0,03$ le litre), favorisant la contrebande vers les pays voisins.
Les comptes externes, traditionnellement excédentaires, restent dépendants de la conjoncture pétrolière et de la stabilité du secteur extractif. Les exportations libyennes sont constituées quasi exclusivement d’hydrocarbures (93% en 2023). La capacité de production du pays permet en théorie de largement couvrir les besoins d’importation de l'économie nationale (équipements et services pour l’industrie pétrolière, moitié du panier de consommation des ménages et plus de 90% de ses besoins en céréales). Au cours des six premiers mois de 2024, les exportations ont diminué de 6%, tandis que les importations ont chuté de 10%. La contraction des importations est principalement due aux mesures de durcissement de l’accès aux devises imposées par la Banque centrale (voir infra.) - assouplies depuis. La balance des revenus primaires est toujours diminuée par le gel des dividendes et intérêts sur les actifs de la Libya Investment Authority (LIA). Bien que difficilement lisible compte tenu du manque de transparence et de l’ampleur du secteur informel, la balance courante est traditionnellement excédentaire (4,1% en 2024, après 3,1% en 2023), avec notamment un afflux net d’IDE en 2023 avec une reprise de l’exploration pétrolière onshore par ENI, BP et OMW.
3. La dette extérieure de la Libye demeure nulle, avec un niveau de réserve de change qui resterait très satisfaisant
Le niveau des réserves en devises détenues par la BCL fait l’objet de nombreuses spéculations. D’après le FMI les réserves libyennes s’élèveraient fin 2024 à 79 Mds$ soit plus de 34 mois d’importations – cette donnée inclurait toutefois une part d'avoirs de la Libyan Investment Authority (LIA) gelés depuis 2011. Ce niveau pourrait être menacé à moyen-terme par des chocs internes ou externes. Tout blocage pétrolier ou chute des cours en deçà de 60$ le baril conduit la BCL à puiser dans les réserves de change, le paiement des salaires et subventions étant les garants de la paix sociale.
L’emprunt continu auprès de la BCL n’est pas viable à long terme. Le GUN compte en effet sur le financement monétaire de la BCL (mobilisation des réserves de changes) pour couvrir les déficits lorsque les revenus pétroliers se montrent trop faibles pour couvrir les dépenses (paiements des salaires sur la période aout-novembre 2024 par exemple). La dette publique domestique libyenne ne porte pas d'intérêt, n'a pas de calendrier de remboursement et peut être annulée par des procédures administratives. Son niveau est opaque et aucune gestion n’en est faite.
À noter qu’en matière de risque souverain, la Libye n’est plus couverte par les trois principales agences de notation financière (S&P, Fitch et Moody’s) depuis 2011. La Libye reçoit les plus mauvaises notes en matière d’évaluation du risque pays de la part des principales autres agences (OCDE, Coface).
4. Avec une politique budgétaire procyclique et la quasi-absence d'instruments de politique monétaire, le taux de change agit comme l'ancrage nominal de l'économie
L'augmentation des dépenses publiques en 2023 (+47% par rapport à 2022) a accru la demande de devises et a exercé une pression excessive sur les réserves. En réaction, la BCL avait imposé en mars 2024 une commission temporaire de 27% sur le taux de vente du dollar par les banques commerciales, renforcé les restrictions sur l'émission de lettres de crédit (LC) et abaissé les limites d'achat de devises pour les particuliers. Le nouveau gouverneur de la Banque centrale (Naji Issa), qui a pris ses fonctions le 3 octobre, a fait marche arrière et annoncé une série de mesures pour faciliter l’accès au dollar (réduction du taux d’imposition sur les transactions en devises étrangères à 15%, augmentation du plafond annuel de devises allouées aux citoyens libyens de 4 000 à 8 000 USD par an, entre autres). Cette série de mesures soudaine et rompant radicalement avec la politique monétaire du précédent gouverneur devrait peser sur les réserves. Ainsi, avec la diminution des revenus pétroliers, la BCL a rapporté un déficit en devises de 5,2 Mds$ au titre de l'exercice 2024.
Le marché parallèle des devises reste particulièrement développé, et représenterait environ 1/3 des transactions internationales selon le FMI. Contrôlé par un nombre réduit d’acteurs, il permet aux importateurs libyens d’avoir accès aux devises rapidement sans devoir solliciter l’ouverture de LC par la Banque Centrale. Alors que le taux officiel est resté stable, un écart jusqu’à 33% entre le taux formel et informel a pu être observé cette année (août-octobre lors de la crise de gouvernance de la BCL).
À noter que le secteur bancaire libyen est peu développé. La Banque Centrale reste l'actionnaire majoritaire des banques publiques (90% des dépôts et des prêts). Six banques d'État, dont trois détenues en copropriété avec des intérêts privés, dominent le système bancaire, mais effectuent peu d'intermédiation financière au-delà du service de l'activité financière de l'État et de la détention des dépôts de salaire. Les treize autres banques privées, plus petites, tirent la plus grande partie de leurs revenus des opérations de change. Le manque de financement entrave la diversification économique du pays. La Banque mondiale a classé la Libye 186 sur 190 pays pour la facilité d'obtention de crédit en 2019. En 2023, le crédit au secteur privé ne représentait que 10,6% du PIB.
5. Si la situation sécuritaire connait une stabilisation précaire, le développement économique du pays reste entravé par les dissensions politiques
Classée 186ème au dernier classement Doing Business (2020), la Libye demeure un pays au climat des affaires défavorable. En dépit de la solvabilité du pays, des nombreuses opportunités qui s’y présentent et des faibles barrières aux importations, les affaires sont freinées par la division institutionnelle, l’instabilité sécuritaire, la corruption endémique, le manque de lisibilité réglementaire ou le déficit de compétences au sein des administrations. Au-delà de la division institutionnelle, la Libye est également fragmentée selon des logiques d’intérêts transactionnels, miliciens et tribaux.
Depuis plus d'une décennie, l’impact sur l’économie libyenne de la succession des conflits est estimé par la Banque mondiale à 600 Mds$ (en $ constants de 2015). Selon cette même institution, en 2023, le PIB de la Libye en l'absence de conflit aurait dû être 74% plus élevé que celui réalisé.