LIBYE
Indicateurs et conjoncture
Economie de rente pétrolière peuplée de 7,2 M d’habitants, la Libye bénéficie d’un RNB/habitant parmi les plus élevés d’Afrique mais souffre de l’instabilité et fragmentation politico-institutionnelle, alors que l’environnement des affaires dégradé et l’absence de stratégie de politique économique pénalisent le développement du secteur privé et la diversification de l’économie. Très volatil et dépendant de l’activité pétrolière, le PIB a marqué un recul en 2024 sous l’effet des blocages de la production pétrolière dans le contexte de la crise de gouvernance de la Banque centrale de Libye (BCL) de l’été 2024, mais devrait connaître un rebond en 2025 si la situation sécuritaire se stabilise après les tensions survenues en mai à Tripoli. En raison de la baisse des exportations, des recettes pétrolières et d’un expansionnisme budgétaire, l’année 2024 a enregistré des déficits courant et budgétaire. La nomination d’un nouveau gouverneur (Naji Issa) à la tête de la BCL en octobre 2024 a marqué un tournant dans la politique monétaire, avec l’adoption de mesures pour assouplir l’accès aux devises et moderniser le secteur financier, et une dévaluation de 13,3% du dinar libyen en avril 2025 pour tenter de corriger les déséquilibres d’une économie où le taux de change assure l’ancrage nominal.
Note : La reprise des missions article IV du FMI depuis 2023 et l’activité de la Banque mondiale (coordination des partenaires du développement, assistance technique et suivi économique) ont contribué à améliorer la fiabilité de l’analyse macroéconomique. Les données statistiques disponibles doivent néanmoins être interprétées avec prudence.
1/ [Modèle économique et structurel] Une économie de rente très dépendante de sa production pétrolière, où le développement du secteur privé est entravé par l’instabilité et la fragmentation politique.
Pays membre de l’OPEP, la Libye bénéficie d’importantes réserves d’hydrocarbures lui offrant une production moyenne entre 1,1 et 1,5 M baril/jour de pétrole brut[i] et 300 000 T/jour de gaz naturel. La rente pétrolière assurait en 2023 deux tiers du PIB, 94% des exportations et plus de 95% des recettes publiques, se traduisant par une exposition aiguë aux fluctuations du marché international. Toutefois, ces ressources naturelles n’ont pas encore permis d’amorcer une croissance inclusive, ni de structurer un tissu productif diversifié. Depuis 2011, l’instabilité politique chronique et la fragmentation institutionnelle entre l’Est et l’Ouest ont accentué la volatilité de la production pétrolière, régulièrement perturbée par des blocages en lien avec les tensions politiques, ce qui a fortement pesé sur la trajectoire de développement du pays. La Banque mondiale évalue à 600 Mds USD le coût économique cumulé des conflits sur la période 2011-2023[ii]. L’économie reste dominée par un secteur public surdimensionné, dont le poids n’a cessé de croître ces vingt dernières années[iii]. Cette situation est accentuée par une gouvernance fragmentée, marquée par la multiplication d’institutions concurrentes, entravant la conduite de politiques économiques cohérentes et alimentant l’incertitude. Le secteur hors hydrocarbures ne représente qu’un tiers du PIB alors que de nombreux obstacles entravant le développement du secteur privé[iv]. Avec 7,3 M d’habitants et un PIB nominal estimé à 45 Mds USD (2023), la Libye affiche un RNB/habitant parmi les plus élevés d’Afrique (5 940 USD en 2023[v]) mais présente des performances nettement inférieures à la moyenne régionale en matière de développement humain et économique[vi].
2/ [Croissance et conjoncture] Après le repli de la production pétrolière en 2024, l’économie libyenne devrait connaitre un rebond en 2025, toutefois tributaire de l'évolution de la situation sécuritaire.
Après une période de relative stabilité politique en 2023 dans un contexte de prix du baril élevé (82,6 USD/baril en moyenne en 2023), le taux de croissance s'est élevé à 10,2% en 2023[vii] (-0,6% pour le secteur non pétrolier). En 2024, le taux de croissance s'est établi à 1,9% selon le FMI (-2,9% selon la Banque mondiale), en raison du rebond du secteur non pétrolier (+14,3%), favorisé par l'expansion rapide des dépenses publiques. A l'inverse, le PIB pétrolier s'est contracté (-5,5%), pénalisé par le blocage des infrastructures pétrolières par les autorités de l'Est entre août et octobre, suite à la crise de la gouvernance de la Banque centrale de Libye (BCL)[viii], ce qui a entrainé le repli de la production pétrolière à 1,1 M b/j en moyenne annuelle (contre 1,2 M b/j en 2023), dans un environnement de léger repli des prix internationaux (80,7 USD/baril en moyenne en 2024). La levée des blocages, consécutive à la signature d’un accord institutionnel en octobre, a permis une normalisation rapide de la production qui a retrouvé un niveau de 1,4 M b/j en avril 2025. Elle pourrait se maintenir à ce niveau en 2025, puis atteindre 1,5 M b/j à partir de 2026, alors que l'objectif de la National Oil Company (NOC) est d'atteindre une production entre 1,8 M et 2 M b/j à moyen terme. Pour 2025, et en dépit du recul des cours du pétrole[ix], la croissance atteindrait entre +12,3% (Banque mondiale) et +16,1% (FMI) en supposant une stabilité politique et l'amélioration de l’environnement sécuritaire et institutionnel. Ces prévisions risquent toutefois d’être revues à la baisse après les tensions sécuritaires survenues à Tripoli en mai 2025. L’inflation moyenne, estimée uniquement dans la région de Tripoli[x], serait restée contenue à 2,1% en 2024 (après 2,3% en 2023), grâce au repli des prix alimentaires, notamment des céréales, et au maintien des subventions sur les produits de base, qui représentent environ un tiers de l’indice. La dévaluation de 13,3% du dinar libyen par la BCL en avril 2025 (cf infra) pourrait toutefois exercer des pressions inflationnistes à travers le renchérissement des biens importés[xi], la Libye étant particulièrement dépendante des importations de produits alimentaires.
3/ [Comptes extérieurs] Les comptes externes dépendent de la conjoncture pétrolière et de l’activité du secteur extractif.
Le solde courant de la balance des paiements, dont les revenus primaires sont diminués par le gel depuis 2011 des dividendes et intérêts sur les actifs de la Libyan Investment Authority (LIA)[xii], est étroitement lié aux exportations d'hydrocarbures, qui représentent 94% des exportations totales du pays[xiii]. Les importations sont surtout composées de biens d’équipement liés au secteur extractif et de biens de consommation et alimentaires (en particulier de céréales dont la production nationale ne couvre que 10% de la consommation). En 2024, en raison de la réduction des exportations d'hydrocarbures et d'une forte hausse des importations favorisée par d'importantes dépenses budgétaires, le pays a enregistré un déficit courant estimé à 4,2% du PIB (après un excédent à +18,3% en 2023). En ce qui concerne le compte financier de la balance des paiements, une reprise partielle des IDE dans le secteur pétrolier est notable, notamment via la relance des activités onshore de plusieurs entreprises étrangères[xiv]. Les réserves en devises sont estimées à 83 Mds USD[xv] en 2024 par le FMI (contre 78,4 Mds USD en 2023), soit près de 30 mois d’importations. Ce matelas confortable, renforcé par la réévaluation des avoirs en or de la BCL, demeure toutefois vulnérable aux fluctuations des recettes pétrolières, et contiendrait par ailleurs une part significative d'actifs de la LIA (gelés depuis 2011) réduisant d’autant le niveau de réserves réellement disponibles. D’autre part, la BCL, qui assure le financement de l'Etat, mobilise au besoin ses réserves pour combler les besoins budgétaires en cas d’insuffisance des revenus pétroliers (cf. infra). Enfin, le pays n’aurait pas de dette extérieure.
4/ [Finances publiques] L’exécution des finances publiques reste marquée par la division institutionnelle et le poids de la masse salariale et des subventions.
En l’absence de loi de finances votée depuis 2014, la BCL applique la règle du douzième provisoire budgétaire pour financer le Gouvernement d’unité nationale (GUN, basé à Tripoli), tout en assurant des transferts vers le Gouvernement de stabilité nationale (GSN, basé à l’Est). En mars 2024, l’introduction d’une taxe sur les transactions en devises étrangères a permis de compenser partiellement la baisse des recettes pétrolières liée au recul de la production (-15% à 27 Mds USD). Ainsi, les recettes fiscales hors hydrocarbures ont été multipliées par dix pour atteindre 7 Mds USD, dont près des deux tiers proviennent de cette taxe. En conséquence, selon les estimations du FMI, les recettes publiques ont progressé de 5% en 2024, pour atteindre 34 Mds USD. Côté dépenses publiques, les autorités de l’Est auraient engagé près de 60 Mds LYD (environ 12 Mds USD) de dépenses en 2024 selon la BCL, sans que celles-ci ne soient intégrées au budget officiel, entrainant une forte hausse des dépenses budgétaires (+60% à 46,1 Mds USD). Ces dernières sont tirées notamment par la progression continue de la masse salariale (+12%, à 14 Mds USD) et le rebond des dépenses de subventions et transferts sociaux (+10% à 11,6 Mds USD). Les dépenses d’investissement ont, quant à elles, quadruplé pour atteindre 17 Mds USD, devenant ainsi le premier poste de dépense (62 % des dépenses totales en 2024), en lien avec les dépenses extrabudgétaires engagées par les autorités de l’Est (évaluées à 12,4 Mds USD par la BCL). Ce surcroît de dépenses a conduit à une révision du solde budgétaire : initialement attendu en léger excédent, celui-ci affiche désormais un important déficit, estimé à 12 Mds USD, soit environ 25% du PIB. Par ailleurs, le mécanisme de troc de pétrole brut contre produits raffinés, en vigueur depuis 2021, serait suspendu en avril 2025. S’il n’y a pas de dette publique au sens juridique, la BCL finance toutefois régulièrement des dépenses publiques par création monétaire en cas de recettes publiques insuffisantes. Le FMI estimait cette dette implicite de l’État vis-à-vis de la BCL à 115% du PIB en 2024[xvi].
5/ [Policy-mix] Avec une politique budgétaire procyclique et la quasi-absence d'instruments de politique monétaire, le taux de change assure un ancrage nominal de l'économie.
En 2024, la politique monétaire a connu des inflexions successives, entre resserrement et assouplissement, dans un contexte de tensions sur le marché des changes[xvii]. Après avoir limité l'accès aux devises au premier semestre[xviii] pour préserver ses réserves de change, la BCL a assoupli sa politique à l’automne (réduction de la taxe sur les transactions en devises à 15%, hausse du plafond annuel des devises pour les particuliers et ouverture de bureaux de change agréés[xix]). Si ces mesures permettent de mieux satisfaire la demande de devises et de réduire l'écart entre le taux de change officiel et celui sur le marché parallèle[xx], elles pourraient favoriser une attrition rapide des réserves en cas de baisse significative et durable des recettes pétrolières[xxi]. Combiné à l’expansionnisme budgétaire des autorités publiques, ce risque a encouragé le gouverneur de la BCL à décider, le 6 avril 2025, une dévaluation du dinar libyen de 13,3% (taux de change officiel passé de 4,48 à 5,57 LYD/USD, la dernière dévaluation remontant à 2021), réduisant ainsi l’écart entre le taux officiel et celui du marché parallèle, qui avait atteint 33% lors de la crise de gouvernance en août-septembre 2024. En parallèle, la BCL a renforcé ses efforts en matière de régulation financière et de modernisation du secteur bancaire[xxii]. Une collaboration avec les établissements bancaires a été lancée fin 2024 pour aligner le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB/FT) sur les standards internationaux, incluant un audit externe sur les transactions en dollars[xxiii]. Des mesures ont également été engagées pour promouvoir les paiements électroniques et élargir l’accès aux services financiers[xxiv].
[i] En 2023, la Libye se classait au 7ème rang des producteurs de pétrole brut au sein de l’OPEP et au 3ème rang à l’échelle africaine pour la production de liquides pétroliers (pétrole brut, condensats et GNL), derrière le Nigeria (1er) et l’Algérie (2ème). Début 2024, ses réserves prouvées s’élevaient à 48 Mds de barils, représentant 3% des réserves mondiales et 41% des réserves prouvées du continent africain (1ère place). Source : Energy Information Administration (EIA).
[ii] Selon la Banque mondiale, le PIB (en prix constant 2015) de la Libye en 2023, estimé à 68 Mds USD, aurait été supérieur de 74% dans un scénario sans conflit (évalué à 118 Mds USD).
[iii] Environ 90% de la population active libyenne serait employée dans le secteur public en 2023, contre 76% au début des années 2000 (Banque mondiale).
[iv] Le secteur privé, malgré son potentiel important, demeure sous-développé et souffre d’un climat des affaires dégradé, marqué par un environnement réglementaire contraignant, des infrastructures insuffisantes et une corruption très étendue (en 2024, la Libye figurait parmi les pays les plus corrompus au monde, avec un score de 13 sur 100 dans l'Indice de Perception de la Corruption de Transparency International, la plaçant au 173ème rang sur 180 pays).
[v] Source Banque mondiale, méthode Atlas.
[vi] Avec un IDH de 0,721 en 2023 (en baisse par rapport à 2022), la Libye se classe au 115ème rang mondial sur 194, derrière l’Algérie (0,763 ; 96ème), l’Égypte (0,756 ; 100ème) et la Tunisie (0,746 ; 105ème), mais devant le Maroc (0,710 ; 120ème).
[vii] Source : Banque mondiale.
[viii] Sadiq Al-Kebir, gouverneur de la BCL entre 2011 et 2024, a été évincé de son poste par les autorités de Tripoli. En représailles, les autorités de l'Est ont procédé au blocage de plusieurs champs pétroliers sous leur contrôle, diminuant la production nationale jusqu'à un point bas de 600 K b/j. Cette crise a été résolue en octobre 2024 grâce à un accord négocié par l’ONU aboutissant à la nomination d’un nouveau gouverneur, Naji Issa.
[ix] En avril 2025, le Brent est tombé à 65 USD/baril, soit son plus bas niveau depuis 2021.
[x] La mesure de l’inflation en Libye présente plusieurs limites, notamment une couverture géographique restreinte, centrée essentiellement sur Tripoli, et un panier de consommation fondé sur des pondérations obsolètes, susceptibles de fausser les estimations. Selon le FMI, le Bureau of Statistics and Census a récemment engagé des révisions méthodologiques pour améliorer l’indice, en élargissant sa couverture territoriale et en actualisant les pondérations.
[xi] Le FMI prévoit une inflation annuelle moyenne de 2,3% sur la période 2025-2026, tandis que la Banque mondiale l’anticipe à 3,6% en 2025 et 2,5% en 2026.
[xii] Les actifs gelés de la LIA, estimés à 70 Mds USD (FMI), sont liés aux sanctions depuis 2011. En janvier 2025, le Conseil de sécurité de l'ONU a autorisé la LIA à réinvestir une partie de ces avoirs dans des instruments à revenu fixe, bien que ces actifs et leurs revenus restent gelés.
[xiii] Données 2023.
[xiv] Depuis 2023, plusieurs entreprises étrangères ont repris leurs activités d’exploration en Libye, notamment le groupe italien ENI et le britannique BP, qui ont relancé leurs opérations en août 2023. Plus récemment, la société parapétrolière américaine Weatherford a annoncé la reprise de ses services pétroliers dans le pays après une interruption de dix ans.
[xv] Les réserves officielles brutes incluent environ 20 Mds USD de dépôts de la LIA auprès de BCL (cf. Article IV 2025 du FMI).
[xvi] Selon le FMI, la dette publique libyenne est calculée comme la somme cumulée des déficits financés par la BCL par émission de monnaie locale. Elle est libellée en dinars libyens, ne porte pas d'intérêt et n'a pas de calendrier de remboursement. Les ratios par rapport au PIB doivent être interprétés avec prudence, en raison de la forte variabilité du PIB nominal.
[xvii] Le régime de change en Libye est un régime fixe (peg du dinar libyen sur le DTS du FMI).
[xviii] Au début de l'année 2024, la BCL a mis en place plusieurs réformes visant à atténuer la pression sur les réserves de change et à réduire l'écart entre le taux de change officiel et celui du marché parallèle. En février 2024, elle a renforcé les restrictions sur l'émission de lettres de crédit et abaissé les limites sur les achats de devises par les particuliers. En mars, la BCL a introduit une taxe temporaire de 27% sur tous les achats de devises, abaissée à 15% en novembre.
[xix] En novembre 2024, la BCL a réduit le taux d’imposition sur les transactions en devises étrangères de 27% à 15% et augmenté le plafond annuel de devises allouées aux citoyens libyens de 4 000 à 8 000 USD par an. En février 2025, l’institution a approuvé l’ouverture de 135 bureaux de change agréés, marquant leur réintroduction dans le pays après plus de cinquante ans d’absence.
[xx] Le marché parallèle des devises (informel) est particulièrement développé en Libye, et représenterait environ 1/3 des transactions internationales selon le FMI.
[xxi] En 2024, la BCL a enregistré une baisse nette de 5,2 Mds USD de ses réserves en devises.
[xxii] Le secteur bancaire libyen est assez peu développé et largement constitué de banques publiques. La BCL est l'actionnaire majoritaire des banques publiques qui représentent 90% des dépôts et des prêts, tout en étant le régulateur et superviseur du secteur bancaire (ce qui présente des risques de conflits d'intérêts). Six banques publiques, dont trois codétenues avec des actionnaires privés, dominent le système bancaire. Ces banques commerciales effectuent peu d'intermédiation financière et pratiquent surtout une activité de gestion de dépôts.
[xxiii] En décembre 2024, la BCL a adressé un courrier au Bureau d’Audit Libyen (principale juridiction financière) demandant son approbation pour passer un marché avec une société privée d’audit spécialisée pour examiner les opérations réalisées en dollars, suite à une menace de la FED de suspendre ses transactions avec la BCL.
[xxiv] Depuis la mi-novembre 2024, la BCL a adopté plusieurs mesures visant à promouvoir les paiements électroniques et à élargir l’accès aux services financiers. Elle a notamment lancé deux plateformes de paiement instantané, Ly Pay et One Pay, accessibles gratuitement, dans un objectif d’inclusion financière. Elle a également réduit les commissions appliquées aux paiements par carte bancaire, de 3,75% à 1,5% ou 1%, selon les secteurs d’activité. En outre, les commerçants bénéficient désormais de procédures simplifiées pour l’obtention de terminaux de paiement électronique (TPE), afin d’encourager leur déploiement à l’échelle nationale.