LUXEMBOURG
Situation économique et financière du Luxembourg
Bien que résiliente dans les crises, la dynamique de croissance de l’économie du Luxembourg – et notamment l’activité des secteurs financier, assurantiel et de la construction – a été freinée par les conséquences de l’inflation en 2023. Alimentée par le contexte international et renforcée par des spécificités nationales, la hausse des prix devrait continuer à dépasser l’objectif de la BCE à court terme. L’activité économique est néanmoins restée soutenue par une consommation, étayée par de généreux dispositifs de soutien aux ménages et par un marché de l’emploi dynamique. Si le déploiement des mesures de soutien ne menace pas à court et moyen terme l’équilibre des comptes publics, le vieillissement de la population suscite en revanche des préoccupations à plus long terme. Malgré le repli du secteur financier en 2023, le secteur bancaire, capitalisé et liquide, a enregistré des résultats exceptionnels dans un contexte de hausse des taux d’intérêts.
Bien que résiliente, l’économie luxembourgeoise continue de faire face à des pressions inflationnistes en 2024 et au-delà.
- L'inflation au Luxembourg reste au-dessus de l'objectif de 2 %, en raison de pressions nationales persistantes, malgré l'atténuation des facteurs internationaux.
A l’instar de l’ensemble des économies européennes et de la zone euro, l’économie luxembourgeoise a été affectée par une forte inflation depuis le début de la crise sanitaire, avec un pic à +6,3 % en 2022, alimentée principalement par le contexte international et européen[i]. Si les pressions externes se sont atténuées, certains facteurs nationaux, qui les amplifiaient, perdurent[ii]. Le Luxembourg connaît en effet une situation de plein emploi relatif, avec un taux de chômage à 5,8 % en août 2024. Cette situation alimente une hausse des salaires, soutenue par le mécanisme d’indexation automatique[iii] et par le relèvement du salaire minimum au 1er jan. 2023 (+3,2%). Après une hausse de +5,7 % en 2023, le salaire moyen devrait progresser de 2,9 % en 2024 et 2,3 % en 2025. Le démantèlement partiel du bouclier sur les prix de l’énergie (cf infra), s’il est maintenu[iv], devrait par ailleurs entraîner une légère hausse de l’inflation en 2025[v]. Ce contexte devrait continuer à exercer des pressions inflationnistes, la hausse des prix étant estimée à +2,3 % en 2024 puis à +2,6 % en 2025[vi], soutenue par un niveau d’inflation sous-jacente élevé (+2,6 % en 2024 ; +2,4 % en 2025).
- La dynamique de croissance reste freinée par les conséquences de l’inflation.
En 2023, le Luxembourg a enregistré une contraction de son activité économique de -1,1 % (après +1,4 % en 2022), en raison d’un repli marqué des activités financières (-7,0 %), qui représentent habituellement un quart de son PIB, et de difficultés sur le marché immobilier (-43,0 % du nombre de transactions, soit -3,4 Md€ du volume financier). Ces deux secteurs ont en effet été particulièrement affectés par le resserrement des conditions de financement tandis que les pénuries de main-d'œuvre ont contribué à la diminution de leur activité économique. En 2024, l'activité économique devrait se redresser pour atteindre +1,5 %, soutenue par une reprise - bien qu’encore faible (+0,2 % en g.t. au T2 2024 après +1,7 % le trimestre précédent) - du secteur des activités financières et assurantielles. La consommation des ménages, qui avait soutenue l’activité économique l’année précédente – devrait quant à elle ralentir.
Le gouvernement luxembourgeois dispose de larges marges de manœuvre budgétaires, qui pourraient toutefois se réduire à long terme.
- Grace à une dette publique maitrisée, s’élevant à 27,5 % du PIB en 2024, le gouvernement dispose de larges marges de manœuvre pour atténuer l’impact des pressions inflationnistes.
Environ 2,5 Md€ (3,3 % du PIB, garanties incluses) ont ainsi été mobilisés sur 2022-2023[vii] pour financer des mesures de soutien destinées à l’ensemble des ménages (sans critères sociaux, y compris l’indexation des salaires[viii]) et, dans une moindre mesure, aux entreprises. Parmi ces mesures, le gouvernement a mis en place un « bouclier tarifaire » sur le gaz et l’électricité, qui devrait progressivement être levé en 2025, avec une hausse des prix de l’électricité limitée à 30 % (contre 60 % sans prise en charge partielle de l’Etat). Ces diverses mesures de soutien ont conduit à l’enregistrement de déficits successifs depuis 2020 (à l’exception de 2021, avec un solde de +0,5 % du PIB), les premiers depuis 2010. Le solde budgétaire devrait en outre de nouveau se creuser en 2024, avec une prévision de -0,6 %[ix] du PIB, après -0,7 % en 2023. Toutefois, le Grand-Duché reste l’un des pays de l’UE avec le ratio de dette publique par rapport au PIB le plus faible, derrière l’Estonie et la Bulgarie. Il conserve sa notation « triple A » (Moody’s, Fitch, S&P), ce qui lui permet d’emprunter sur les marchés à taux compétitifs[x] et contribue à l’attractivité de sa place financière.
- L’équilibre est néanmoins menacé à plus long terme par les coûts liés au vieillissement de la population.
L’excédent budgétaire « traditionnel »[xi], imputable à la compensation du déficit de l’administration centrale (-1 462 M€ en 2023) par l’excédent du système de sécurité sociale (1 173 M€), pourrait progressivement s’éroder en raison d’une hausse des dépenses liées au vieillissement (santé, retraites) plus rapide que celle des cotisations liées à l’emploi, et ce dans un contexte d’essoufflement de l’attractivité de la main-d’œuvre étrangère. Le Conseil National des Finances Publiques estime que ces dépenses pourraient atteindre 24,9 % du PIB d’ici 2070 (contre 15,7 % en 2022)[xii], dont 17,5 % du PIB pour les seules retraites, un niveau qui serait le plus élevé de l’UE. Les institutions européennes (Commission) et internationales (FMI, OCDE), ainsi que le patronat et divers organismes camérales et think tank (IDEA) appellent à une réforme des retraites, incluant le relèvement de l’âge effectif de départ à la retraite (60,8 ans en moyenne, l’un des plus bas d’UE, malgré un âge légal à 65 ans), une modification du calcul pour limiter les « grandes retraites » et le renforcement de la fiscalité sur les régimes complémentaires[xiii]. Une consultation sur la viabilité du système des pensions a débuté le 7 octobre 2024, conformément aux engagements pris dans l’accord de coalition. La dérive de la dette vers le seuil psychologique des 30 %[xiv] préoccupe les acteurs économiques, qui craignent un impact réputationnel susceptible d’affecter l’attractivité de la place financière. Le projet de budget 2025 propose néanmoins une trajectoire des finances publiques maîtrisant le niveau de dette, avec une trajectoire descendante, atteignant 26,0% du PIB en 2028.
Le secteur financier est robuste mais exposé à la hausse de taux et aux perspectives de l’UE.
- Faiblement exposé à la Russie, le secteur financier luxembourgeois - spécialisé dans les services à une clientèle étrangère - a été affecté par la volatilité des marchés, alimentée par la dégradation des perspectives de croissance de l’UE et la remontée des taux.
Si l’activité de l’ensemble du secteur (bancaire, services financiers) se redresse au 1er semestre 2024, elle a été marquée par deux années de repli en 2022 et 2023, avec une VAB en volume en baisse de -4,5 % en 2022 et -7,0 % en 2023 (malgré 6 954 Md€ d’actifs nets en 2023 soit +5 % en g.a.). Ce recul s’explique notamment par la forte volatilité sur les marchés qui a affecté, avec la relève des taux, la valorisation des portefeuilles sous gestion (+5,1 % en g.a, 5 285 Md€ pour les OPC en 2023). Les autorités poursuivent leurs efforts, à la suite de différents scandales (dont les Luxleaks), pour renforcer le cadre de lutte contre le blanchiment d’argent. Ces efforts ont été reconnus par le GAFI en juin 2023, qui n’a pas inscrit le Grand-Duché sur sa liste « grise », tout en l’enjoignant à poursuivre le déploiement des mesures envisagées.
- Le secteur bancaire a quant à lui surperformé en 2023.
[i] (i) faible disponibilité de matières premières, (ii) de désorganisation des chaînes d’approvisionnement, (iii) de tensions géopolitiques (guerre russo-ukrainienne) et commerciales (sino-américaine), (iv) de renchérissement des prix de l’énergie et (v) de normalisation rapide de la politique monétaire.
[ii] Parmi les facteurs nationaux ayant amplifié la hausse des prix en 2021 et 2022 figurent la forte dépendance aux importations d’hydrocarbures et d’électricité, ainsi qu'une progression substantielle des prix de l’immobilier (+13,9 % en 2021, puis +9,6 % en 2022).
[iii] En 2022, conformément au mécanisme d’indexation des salaires, ceux-ci ont été augmenté de 2,5% en octobre 2021 et avril 2022. Une 1ère indexation a eu lieu en fév. 2023 (+2,5%) suivie par une seconde en avril (+2,5% au titre du report de celle de juillet 2022), et une 3e en septembre 2023 (2,5%). Concernant cette dernière, le gouvernement s’est engagé à compenser le surcoût induit aux entreprises (coût brut estimé à 362,5 M€, soit 72,5 M€/mois) jusqu’à janvier 2024 (janvier 2024 inclus, compensation prenant la forme d’une réduction temporaire du taux de cotisations patronales versées à la mutualité des employeurs seulement à compter de jan. 2024 – les employeurs étant tenus de réaliser l’avance), et ce conformément à l’accord tripartite de mars 2023. Eu égard aux prévisions d’inflation, le Statec estime que la prochaine indexation aura lieu au T4 2024 et au T4 2025 (Lien vers l’étude du STATEC, 7 août 2024, prévisions d’inflation pour 2024 et 2025, lien).
[iv] Le gouvernement envisage de maintenir les plafonds sur les prix de l’électricité afin de faire diminuer l’inflation.
[v] En raison de la levée progressive du bouclier tarifaire, les prix du gaz et de l’électricité devraient augmenter de respectivement +14,0 % et +30,0.
[vi] Les administrations luxembourgeoises privilégient le recours à un indice des prix à la consommation national (IPCN) mesuré par STATEC, qui exclut certaines dépenses liées aux activités et consommations transfrontalières incluses dans l’IPCH (eurostat). Pour 2023 et 2024, la Commission européenne estime une progression des prix (IPCH) à 3,2% (2023) et 2,6% (2024).
[vii] En sus d’un premier paquet (Energiedësch) adopté en fév. 2022 (65 M€ sur 2022-2023), la tripartite réunie en mars 2022 a adopté un « paquet de solidarité » (Solidaritéitspak - 1,3 Md€ sur 2022-2023[i] dont 500 M€ sous forme de garanties pour le financement des entreprises). Ce paquet a été renforcé en sept. 2022 (« Solidaritéitspak 2.0 ») avec, notamment, l’instauration d’un « bouclier tarifaire » sur le gaz et l’électricité en faveur des ménages ainsi que différentes mesures pour les entreprises pour un total de 1,2 Md€ sur 2022-2023.
[viii] Selon le STATEC, deux indexations sont à prévoir en 2024 et en 2025, toutes les deux en fin d’année.
[ix] Dans un contexte d’inflation encore élevée le STATEC prévoit une très faible évolution des recettes publiques en 2024 (+4%), principalement liée à la compensation de la 3ème indexation de 2023 sur les cotisations des entreprises de 2024, à l’adaptation du barème d’imposition des revenus des ménages à hauteur de quatre tranches indiciaires, mais aussi au ralentissement de la croissance de la masse salariale (lien).
[x] En détail, 82% de la dette publique du Luxembourg était fin 2023 constituée d’obligations à long terme (16,7 Md€, statec). L’Etat parvient à se financier convenablement, et prévoit 5 Md€ d’émission d’emprunts en 2025, avec des charges d’intérêts sur la dette publique progressant de 37,7% en 2025 (327 M€).
[xi] Le système public de retraite est un système par répartition qui, jusqu’à présent, affiche un excédent « artificiel » en raison de l’afflux croissant de travailleurs étrangers (dont les frontaliers). Or, à l’instar du budget de la sécurité sociale, l’excédent du régime général de retraite s’amenuise : la prime de répartition pure, qui est le rapport entre les dépenses courantes annuelles et la masse cotisable, dépasserait le taux de cotisation globale de 24% dès 2027 et le régime serait en déséquilibre financier à partir de 2041, la réserve tombant en-dessous du seuil légal à partir de cette année. La réserve serait épuisée en 2047.
[xii] Selon le rapport du CNFP d’octobre 2024 qui évalue l’impact des coûts liés au vieillissement (pension, soins de santé, soins de longue durée et éducation) sur la soutenabilité des finances publiques, le Luxembourg fait face à un risque moyen, voire élevé, pour la soutenabilité à long terme des finances publiques, en raison d’un indicateur S2 se situant entre 5,0 et 8,6 pp du PIB
[xiii] Considérant la forte représentativité des fonctionnaires (aux retraites élevées) et de retraités (env. 50% du corps électoral) au sein du corps électoral toute réforme est freinée par le coût politique qu’elle emporterait pour le parti qui la porterait.
[xiv] Ce seuil est unanimement considéré comme la limite à ne pas franchir, nécessaire à la préservation de la notation « AAA », perçu comme un des facteurs majeurs d’attractivité de la place luxembourgeois.
[xv] En 2022, ces provisions avaient fortement augmenté (+24%, 2,6 Md€) en relation à des engagements liés aux contreparties russes.
[xvii] En sus d’un 1er dispositif de prêt garanti par l’Etat (à hauteur de 85 %) déployé pendant l’urgence sanitaire (193 M€ d’encours résiduels en septembre 2024), le secteur assure la « distribution » d’un 2e dispositif analogue (couverture jusqu’à 90% dans la limite de 500 M€) prévu par le paquet Solidarité (mars 2022) et réservé aux prêts souscrits par des entreprises à la liquidité affectée par le conflit RU-UA (238 M€ d’encours en septembre 2024).