Sri Lanka : situation économique et financière en 2021 et perspectives 2022

Résumé : Sri Lanka a connu en 2021 une reprise économique (3 à 4% de croissance) limitée par des fragilités structurelles accentuées par la crise sanitaire. Le déficit budgétaire se creuse (11,1% du PIB) en raison d’une collecte fiscale limitée et de dépenses alourdies par les intérêts de la dette. Le solde commercial s’aggrave (-8,2 Mds USD) ainsi que le déficit courant (3,7% du PIB a minima), en raison du tarissement des entrées de touristes et de la baisse des transferts de devises des migrants. La chute continue des réserves officielles a obligé le pays, qui ne souhaitait pas recourir au soutien du FMI, à rechercher des financements auprès de la Chine et de l’Inde. L’indisponibilité des devises caractérise le début de l’année 2022, marquée par l’augmentation des pénuries, alors que plane le risque de défaut. En mars 2022, Sri Lanka a décidé d'engager des discussions avec le FMI.

 

I – La reprise économique est contrainte par la pandémie et la perte de confiance des investisseurs

En 2020, le PIB de Sri Lanka accusait le coup de la crise sanitaire (-3,6%, à 80,7 Mds USD). L’année 2021 signale un léger rebond de la croissance, qui atteint 4,4% en g.a. sur les neuf premiers mois (4,3% en g.a. au T1, 12,3% au T2, et - 1,5% au T3 du fait d’un confinement). Le PIB réel reste inférieur sur la période de 1,3% à celui de 2019. Sur l’année 2021, les prévisions de croissance varient entre 3 et 4% (Banque mondiale : 3,3%, FMI : 3,6%). La Banque centrale (CBSL) l’estime à 4%, ce qui supposerait une croissance au T4 de 3,0% en g.a. et induirait un rattrapage du PIB réel de 2019 (+0,26%). Sur les neuf premiers mois de 2021, la consommation finale contribue pour 85,5% du PIB (+13,0% en g.a. en valeur réelle), l’investissement pour 23,0% du PIB (+6,9%), et la demande extérieure nette pour -8,5% du PIB (creusement de 51,7%). Le secteur agricole représente 8,6% du PIB nominal sur la période (+5,3% de croissance), l’industrie 28,7% (+6,8%) et les services 57,5% (+2,7%).

En 2021,  le Colombo Stock Exchange (CSE) bat plusieurs records (croissance de l’indice ASPI de 80,5% à 12226,01 points, de la capitalisation boursière de 85,4% à 27,1 Mds USD). 28 IPOs ont été enregistrées, dont 13 ouvertures de capital, toutes sursouscrites. Cette performance du CSE est cependant peu significative : elle tient plutôt à l’injection de liquidités dans l’économie et à la hausse de la demande (+70% de participants) qu’à de bonnes performances économiques. Le retrait des investisseurs étrangers en témoigne, dont les flux nets sortants atteignent 246 MUSD en 2021 et qui ne comptent plus que pour 5% du turnover (47% en 2017).

Après une année 2020 difficile, la situation des banques domestiques s’est améliorée en 2021. Leurs ROA et ROE après impôts sont en nette hausse, à 1,30-1,40% et 15,1-16,5%. Le CAR baisse quelque peu mais reste élevé (16,2% au T3). Le taux de NPL s’améliore, à 4,8% au T3 (contre 5,4% au T2 2020), et 2,2% net des provisions (contre 3,2%). Pour les sociétés financières et compagnies de leasing, la situation est plus critique : le taux de NPL atteint 12,8% au T3, et 3,45% nets des provisions, en baisse mais bien supérieur aux niveaux d’avant-crise. Surtout, les compagnies de leasing ont un taux de NPL de 19,30%, et de 8,10% nets des provisions. Les moratoires sur les dettes ayant été prolongés, ces taux pourraient s’aggraver à l’avenir. Fortement détentrices d’Eurobonds et de Sri Lankan Development Bonds, les banques sont par ailleurs très exposées au risque de restructuration de la dette extérieure.

En 2022, l’incertitude sur le contexte macro-économique, la pénurie de devises, la crise agricole induite par les restrictions sur les engrais chimiques pèseront sensiblement sur la croissance. La plupart des institutions et agences internationales en prévoient ainsi le ralentissement, entre 2 et 3,3%.

 II – Le déficit budgétaire se creuse et la politique monétaire n’a pas contenu l’inflation

La collecte fiscale, traditionnellement faible, accuse encore le coup des décisions prises fin 2019 qui ont fait chuter le nombre de contribuables de 33,5% en un an. Les estimations du budget révisé pour 2021 chiffrent ainsi les recettes budgétaires à 9,5% du PIB, contre 12,6% en 2019. Les dépenses prévues s’élèvent à 20,6% du PIB, soit 217% des recettes. Les intérêts de la dette représentent 67,8% des recettes, et les salaires et pensions de la fonction publique 56,8%. Les dépenses courantes incompressibles contraignent les dépenses publiques d’investissement, réduites à 3,5% du PIB (routes rurales, autoroutes, accès à l’eau…). Le déficit budgétaire en 2021 atteindrait ainsi 11,1% du PIB, deux fois révisé à la hausse par rapport à l’annonce du budget 2021 (8,9% du PIB).

En 2022, le déficit budgétaire devrait atteindre des niveaux proches de ceux de 2021 : le budget voté en novembre surestime largement les ressources de l’Etat. La réduction des dépenses est par ailleurs contrainte par l’annonce d’un plan de soutien au pouvoir d’achat de 1,1 Md USD début janvier.

Au début de la pandémie, la CBSL a cherché à faciliter le crédit et accompagner la reprise économique par une politique monétaire accommodante. En 2020, elle avait baissé ses taux directeurs (taux de refinancement, SLFR, et taux de rémunération des dépôts, SDFR) de 200 pb et le ratio de réserves statutaire (SRR, c’est-à-dire les réserves obligatoires à constituer, élément discrétionnaire de la liquidité bancaire) de 300 pb. Ils ont été maintenus jusqu’au 19 août, date à laquelle elle a augmenté de 50 pb les premiers et de 200 pb le dernier afin de prévenir des pressions inflationnistes. Confrontée à la dépréciation du taux de change de la roupie depuis le début de l’année, la CBSL a par ailleurs arrimé celle-ci au dollar (au taux de 1 USD = 203 LKR) en août 2021, ce qui a aussitôt asséché le marché des changes.

La CBSL a également largement financé le déficit budgétaire par des achats obligataires sur le marché primaire (encours multiplié par 2 en 2021 à 7,0 Mds USD, et par 20 depuis le début de la pandémie). Face à la hausse de l’inflation, elle a réduit ces achats dès octobre en levant le plafonnement des rendements, qui ont crû fortement à 7,24%, 8,03% et 8,06% pour les bons à 3, 6 et 12 mois fin 2021 (+ 2,5 à 3 points sur l’année) et 9,70%, 10,90%, et 11,61% pour les obligations à 3, 6 et 9 ans (+ 3 à 4 points sur l’année). L’action de la CBSL a ainsi alimenté l’accélération de l’inflation. La fermeture des frontières à une liste évolutive de produits pour limiter les importations, la dépréciation de la roupie et la hausse des prix des denrées essentielles importées y ont également contribué. L’offre, à prix plafonnés, s’est réduite d’autant, provoquant des pénuries accentuées par des comportements de stockage. Les autorités ont ainsi dû lever le contrôle des prix sur certains produits de première nécessité et réévaluer le prix de l’essence. L’inflation a atteint 12,1% en g.a. en décembre (+22,3% pour les produits alimentaires), bien au-delà de la fourchette où la CBSL voulait la contenir. En janvier 2022, celle-ci a ainsi dû rehausser de 50pb le SDFR (à 5,50%) et le SLFR (6,50%).

III – La hausse des importations et la chute des transferts des migrants creusent le déficit courant

La reprise économique est caractérisée en 2021 par la vigueur des exportations (12,4 Mds USD, soit +18,4% par rapport à 2020), néanmoins surcompensées par la hausse des importations (20,6 Mds USD, +24,5%) malgré les mesures de restriction : le déficit commercial retrouve le niveau de 2019, à 8,2 Mds USD. Le tarissement des flux du tourisme sur l’essentiel de l’année 2021 (261,4 MUSD de revenus, contre 3,6 Mds en 2019) pèse fortement sur les échanges de services, néanmoins bénéficiaires à +886 MUSD sur les neuf premiers mois, tirés en premier lieu par les services informatiques (+744 MUSD).

Les transferts des travailleurs à l’étranger n’ont atteint que 5,5 Mds USD en 2021 (-22,7% en g.a.). Au niveau des années précédentes au S1, ils ont été largement détournés vers le marché parallèle (taux 15 à 20% supérieurs) après l’ancrage de la roupie sur le dollar. La chute des transferts est depuis continue (-60% en g.a. en décembre) malgré les mesures de la CBSL (digitalisation, contrôle des bureaux de change, offre de 10 LKR supplémentaires par dollar converti…).

Le déficit du compte courant se creuse ainsi fortement sur les trois premiers trimestres, à 2,2 Mds USD (3,7% du PIB sur la période), et devrait s’accentuer au T4 avec la chute des transferts des migrants.

Le compte financier atteint quant à lui -2,6 Mds USD sur les neuf premiers mois. Les sorties nettes d’investissements de portefeuille sont importantes (-1,2 Mds USD) et les IDE entrants limités (438 MUSD) bien que supérieurs à 2020 (+27%).

Sous l’incidence du service de la dette, de la baisse des transferts et des recettes touristiques, les réserves officielles sont en chute : elles passent de 5,7 Mds USD fin 2020 à 3,1 Mds USD fin 2021 (1,8 mois d’importations de marchandises), après être tombées jusque 1,6 Md USD fin novembre. Le pays, confronté à une pénurie de dollars, rencontre des difficultés pour assurer la fourniture de certains produits importés comme le gaz ou l’essence, et les entreprises à obtenir des lignes de crédit pour financer leurs importations intermédiaires.

IV – Les acteurs économiques s’endettent, avec un risque de défaut souverain sur la dette extérieure

Fin 2020, la dette de l’Etat atteignait 101% du PIB (81,5 Mds USD). L’estimation gouvernementale de 102,8% du PIB fin 2021 sera sans doute nettement dépassée. Fitch la projette ensuite à 110% du PIB fin 2022. Fin août 2021, la dette publique externe s’élève à 33,9 Mds USD. Entre janvier et août, son service s’est élevé à 2,8 Mds USD (1,98 Mds USD pour le principal, dont le règlement d’un Eurobond de 1 Md en juillet, et 789 M pour les intérêts), soit 35% des exportations sur la période. Il est projeté à près de 4 Mds sur l’année 2021. La dette publique totale atteignait 109,7% du PIB fin 2020 ; elle est projetée à 116,5% fin 2021 par la Banque mondiale, puis à 121,9% fin 2022.

Le crédit net des banques au gouvernement a fortement augmenté (+1,5 Md USD soit +33,5% de janvier à novembre 2021), et l’endettement des entités économiques hors Etat, CBSL et banques augmente lui aussi : les crédits accordés à celles-ci par les banques et autres institutions de dépôts domestiques ont crû de 1 Md USD entre janvier et novembre 2021 (+14,1%) à 8,1 Md USD, date à laquelle le taux moyen pondéré des prêts existants en roupies accordés au secteur privé par les banques agréées atteignait 9,79%. L’endettement externe de ces entités (hors prêts intragroupes) est en hausse à 7,0 Mds USD au T3 2021 (+4,5% par rapport à 2020), essentiellement du fait d’une hausse des crédits commerciaux à court terme à un niveau record de 2,8 Mds USD, qui peuvent traduire des difficultés de paiement.

Au T3 2021, la dette extérieure totale représente 51,1 Mds USD, soit 62% du PIB (61% fin 2020).

Le risque de défaut souverain, du fait de l’endettement et de la contrainte sur les financements externes, a motivé plusieurs dégradations de la note souveraine en 2021 : en août par Standard & Poor’s (CCC+, perspective révisée de stable à négative), en octobre par Moody’s (Caa2, stable) et en décembre par Fitch (CC), puis en janvier 2022 par Standard & Poor’s (CCC, négative). L’OCDE a par ailleurs dégradé la note du risque de crédit de 6 à 7 mi-2021.

Refusant jusqu’à récemment de se rapprocher du FMI, qui accompagnerait son soutien d’une restructuration de la dette, et n’ayant plus accès aux marchés internationaux, Sri Lanka a recherché des soutiens bilatéraux auprès de la Chine (prêts de 500 et 300 MUSD de la CDB en avril et août, ligne de swap de 1,5 Md USD obtenue en mars et activée en décembre ; requête pour un prêt d'1 Md USD et une ligne de crédit de 1,5 Md USD) et de l’Inde (en janvier 2022, swap de 400 MUSD, ligne de crédit pétrolière de 500 MUSD, report du règlement d’un crédit de 900 MUSD ; ligne de crédit de 1 Md USD pour des produits essentiels en mars 2022). Ce soutien a permis le règlement d’un Eurobond de 500 MUSD en janvier 2022 mais n’offre qu’un répit de durée limitée : le service de la dette libellée en devises est projeté à 6,9 Mds USD en 2022 (dont un Eurobond de 1 Md USD arrivant à échéance le 25 juillet) et 26 Mds USD entre 2022 et 2026. En 2022, la recherche d’IDE risque par ailleurs de pousser le pays à brader ses actifs.

* * *

La politique économique du gouvernement a poursuivi des objectifs contradictoires, ce qui n’a pas permis de contenir la crise, en particulier la détérioration des comptes extérieurs. Elle impose aux acteurs économiques des restrictions (notamment des coupures électriques) qui vont peser sur la croissance et l’investissement. Malgré la dégradation de la situation économique et les tensions sociales qu’elle induit, le gouvernement a persisté tout au long de l'année 2021 à ne pas demander le soutien du FMI et à compter sur un soutien de l’Inde et la Chine, qui demandent des contreparties. Ses marges de manœuvre sont désormais extrêmement réduites, notamment dans la perspective du remboursement de l’Eurobond d’1 Md USD en juillet prochain. Le resserrement de la politique monétaire américaine risque d’aggraver la dépréciation de la devise ainsi que les tensions sur les taux d’intérêt sri lankais.

Enfin la crise ukrainienne aura un impact majeur sur l’économie sri lankaise. Le gouvernement craint une baisse de la fréquentation touristique, sachant que sur les deux premiers mois de l’année 2022, la Russie (16,1%) et l’Ukraine (7,4%) ont compté pour 23,6% des entrées dans le pays. Le secteur du thé (2e poste à l’export), est également fortement impacté. La Russie (2e destination à l’export) et l’Ukraine ont en effet compté pour 12,6% (156 MUSD) des exportations de thé du pays en 2020. Enfin l’augmentation des cours des matières premières va significativement peser sur le déficit commercial. La facture pétrolière, en particulier, pourrait ainsi passer de 3,5 Mds USD en 2021 à 5,4 Mds USD en 2022, à supposer que le cours moyen du baril sur cette année atteigne 100 USD.

Face à ces nouveaux développements les autorités ont annoncé trois mesures importantes qui visent à endiguer l’inflation et la pénurie de devises : (1) une augmentation des taux d’intérêt de 100 pb en février 2022, après 50pb en janvier, (2) la fin de la politique de change fixe qui s’est traduite par une baisse de la Roupie de 30% en deux semaines et (3) un renforcement du contrôle des importations (367 produits dits non-essentiels sont désormais soumis à des licences d’importation). Enfin, le Président Gotabaya Rajapaksa a annoncé son intention de poursuivre des discussions avec le FMI à la suite de la visite de son Directeur Asie et Pacifique début mars à Sri Lanka.

 

ANNEXE

 

Tableau : Données macroéconomiques 2016 – 2021 pour Sri Lanka

 

2017

2018

2019

2020

2021

 (proj.) 

2022

 (proj.) 

Taux de croissance du PIB (en %)

3,6

3,3

2,3

-3,6

3,6

2,6

PIB per capita (USD)

4077

4057

3852

3682

3666

3760

Balance du compte courant (% PIB)

-2,6

-3,2

-2,2

-1,3

-3,8

-3,8

Réserves officielles (Md USD)

8

6,9

7,6

5,7

3,1

2,2

Déficit budgétaire (% PIB)

-5,5

-5,3

-8,0

-12,8

-11,4

-9,6

Dette de l'Etat central (% PIB)

77,9

84,2

86,8

101,2

107,1

108,6

Inflation (%, moyenne annuelle)

6,6

4,3

4,3

4,6

6,0

10,5

Source: Rapport annuel 2020 - CBSL, FMI

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