Proche-Orient - Des modèles économiques fragiles, en marge des recompositions des chaines de valeur mondiales

Les pays du Proche-Orient connaissent des niveaux de richesse disparates mais ont dans l’ensemble adopté des modèles de croissance rentiers et/ou non-diversifiés, qui n’assurent pas un développement économique et social équilibré. La dépendance aux importations et la faiblesse du secteur privé rendent ces économies peu résilientes, notamment face aux chocs extérieurs. Des efforts de diversification plus ou moins aboutis mettent l’accent sur le développement des capacités productives nationales, mais de nombreux freins institutionnels et économiques demeurent (environnement des affaires délétère, secteurs financiers défaillants, infrastructures sous-développées, faible disponibilité de la main d’œuvre qualifiée...). Ces paramètres devraient exclure le Proche-Orient des dynamiques observées et attendues en matière de recomposition des chaînes de valeur mondiales, même si des opportunités microéconomiques pourraient apparaître dans des secteurs spécifiques, notamment en Egypte.

1/ Les économies du Proche-Orient se sont construites sur des rentes insoutenables.

Les pays du Proche-Orient disposant de ressources naturelles abondantes ont adopté des modèles de développement extractifs et rentiers. C’est le cas de l’Irak, dont le secteur pétrolier représente 57% du PIB en 2022 et 99% des exportations, ainsi que 93% des recettes publiques sur les quatre premiers mois de 2023. En Iran, l’économie est plus diversifiée mais reste dominée par l’extraction de pétrole et de gaz, qui contribue entre 10% et 30% du PIB selon les années. Dans une moindre mesure, le secteur des hydrocarbures en Egypte représentait 46% des exportations en 2022 et bénéficie en moyenne de 2/3 des investissements directs à l’étranger (IDE). Avant 2011, les revenus issus des carburants représentaient par ailleurs près de 20% du budget du gouvernement syrien.

Les autres pays du Proche-Orient avec des ressources naturelles moindres ont développé des modèles rentiers fondés sur des flux financiers extérieurs. Trois rentes se retrouvent ainsi dans la plupart des pays du Levant : (i) les transferts de fonds de la diaspora (Egypte, Jordanie, Liban, Syrie, Territoires palestiniens) ; (ii) l’aide internationale (Egypte, Jordanie, Liban, Syrie, Territoires palestiniens) ; et (iii) le tourisme (Egypte, Jordanie, Liban).

Pays à revenu élevé, Israël fait figure d’exception dans la région, mais son modèle économique est en réalité peu diversifié. Il s’appuie sur un écosystème tech représentant 18% du PIB, 11% des emplois et 51% des exportations en 2022. Bien que précédemment très dynamique, l’entrée en guerre accentue les difficultés du secteur de la tech, compte tenu de la mobilisation massive de ses employés.

Ces modèles rentiers rendent les pays du Proche-Orient très vulnérables aux chocs extérieurs et aux crises socioéconomiques. Ils conduisent en effet au phénomène macroéconomique de « maladie hollandaise », situation où l’afflux de devises pénalise la compétitivité des secteurs productifs, qui souffrent de l'appréciation du change et de la hausse des salaires et des prix dans l'ensemble de l'économie. Par ailleurs, la recherche de rentes a tendance à favoriser le clientélisme et le maintien d’institutions dysfonctionnelles. Enfin, les systèmes économiques non-diversifiés et non-productifs sont extrêmement dépendants des importations, ce qui crée des problématiques de sécurité alimentaire et de balance des paiements. L’effondrement du Liban en 2019 et les forts déséquilibres macroéconomiques en Egypte et en Irak (où les finances publiques sont entièrement corrélées au prix du baril de pétrole) témoignent de l’insoutenabilité de tels modèles. Le conflit en cours au Proche-Orient sera une épreuve supplémentaire pour ces modèles économiques en crise dont les plusieurs revenus (hydrocarbures, tourisme) et importations sont conditionnés à une certaine stabilité régionale.

2/ Des opportunités de diversification économique existent, mais font face à de fortes contraintes.

Face aux déficiences des modèles économiques rentiers adoptés par les pays du Proche-Orient, les autorités nationales tentent d’identifier des filières productives et soutenables. Compte tenu de la problématique de sécurité alimentaire dans la région, le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire est souvent mis en avant, mais peine à se développer concrètement. Certains pays ont pourtant un potentiel non-négligeable. L’Iran, qui possède quelques fleurons agroalimentaires, est proche de l’autosuffisance agricole et exporte ses produits dans la région et vers l’UE. L’Egypte met des moyens pour développer sa production, mais la question de la soutenabilité environnementale se pose.

Par ailleurs, les pays du Proche-Orient ne sont pas dépourvus d’un tissu industriel local, en particulier dans l’industrie légère, ce qui permet d’espérer le développement de filières exportatrices. Au plan sectoriel, les filières les plus dynamiques et prometteuses sont d’une part la production pharmaceutique, en particulier de médicaments génériques (Egypte, Iran, Israël, Liban) et d’autre part la production chimique, en particulier d’engrais (Jordanie, Liban, Syrie, voire Irak). Par ailleurs, l’industrie automobile demeure une activité historique en Iran, tandis que des capacités de production significatives de microconducteurs existent en Israël. L’Egypte s’est également positionnée sur la production de matériels électroménagers et électroniques.

Toutefois, la diversification des structures économiques est contrainte par de nombreux obstacles, à commencer par l’environnement des affaires qui demeure très perfectible au Proche-Orient. Le secteur privé est en effet peu formalisé et opère principalement en cash.

Les secteurs financiers demeurent déficients : tous les pays de la région se situent sous la moyenne mondiale de financement du secteur privé par rapport au PIB (99%), avec une moyenne de 50%. Les secteurs manufacturiers sont particulièrement pénalisés, comme en Egypte où l’investissement privé manufacturier a chuté de près de 10 points en 5 ans.

Les infrastructures, en particulier énergétiques et de transport, restent sous-développées et/ou inefficientes dans certains pays. La disponibilité et les prix de l’énergie constituent un frein évident au développement en Irak, en Jordanie et au Liban.

L’insertion dans l’économie mondiale est imparfaite, alors que les marchés domestiques n’atteignent pour la plupart pas une taille critique et que les politiques industrielles demeurent peu lisibles.

Enfin, le capital humain, relativement élevé dans la région, tend à s’éroder dans un contexte de fuite des cerveaux (Iran, Liban). En Israël, la main d’œuvre est rare et onéreuse, situation exacerbée par la guerre. En Egypte, le faible coût du travail (salaire minimum équivalant à 90€) est un atout considérable mais les travailleurs qualifiés peinent à trouver des débouchés.

***

En dépit de signes parfois encourageants au niveau microéconomique, les économies du Proche-Orient demeurent largement fondées sur les hydrocarbures (Iran, Irak), sur des flux financiers extérieurs (Egypte, Jordanie, Liban, Syrie, Territoires palestiniens) ou sur une dépendance mono-sectorielle (Israël). Il n’est pas certain que ces pays se saisissent des crises politiques et économiques en cours pour définir des modèles plus soutenables.

Publié le