Les systèmes bancaires au Proche-Orient : fragilités et perspectives de développement

Les systèmes bancaires au Proche Orient se sont constitués selon des modèles et des temporalités très variées, au gré de contextes économiques nationaux qui ont façonné les interactions entre l’économie réelle, l’Etat et la sphère financière. Toutefois, des tendances régionales sont identifiables telles que le poids prépondérant des banques au sein des marchés financiers, la prédominance des banques à capitaux publics, et la remise en cause de l’intermédiation financière dans les économies informelles. Les banques font par ailleurs face à des défis similaires, notamment concernant le manque d’investissement dans les secteurs productifs et les disparités de taux de bancarisation. Plusieurs économies doivent ainsi consolider leur appareil réglementaire afin d’assurer une double résilience des banques et du système économique, ainsi qu’une meilleure conformité aux standards LBC-FT.

1/ Le panorama bancaire au Proche-Orient témoigne d’une structuration non-diversifiée des marchés financiers.

Les banques dominent le secteur financier au Proche-Orient. Bien que le nombre de banques varie fortement selon les pays, on relève dans toute la région des tendances oligopolistiques fondées sur certains groupes bancaires. Cette prédominance est souvent marquée par des institutions bancaires publiques, comme en Irak ou en Egypte où les deux premières banques d’Etat du pays détiennent plus de la moitié des actifs. En Israël, c’est 5 groupes bancaires contrôlent 98% du marché. L’importance des systèmes bancaires dans l’économie diffère également selon les pays, avec des actifs de banques qui représentent entre 185% du PIB en Jordanie à 56% du PIB en Irak en 2022 (136% pour Israël, 145% pour l’Egypte, 93% pour les Territoires Palestiniens).

Contrairement aux pays du Golfe, les fonds souverains occupent une place marginale dans le secteur financier au Proche Orient. De telles structures peuvent permettre de sécuriser des investissements intergénérationnels dans les pays possédant des ressources naturelles, ainsi qu’inciter à l’investissement dans le secteur privé. Toutefois, un fonds souverain est pertinent uniquement si son cadre de gouvernance et ses cibles d’investissement sont sains et cohérents.

Les structures des secteurs bancaires varient selon le niveau d’influence du secteur public et la présence de banques étrangères régionales. La gouvernance des banques implique en effet de grandes interférences avec le secteur public et le monde politique. Même dans les pays où les banques à capitaux privés sont plus répandues, certaines peuvent être détenues par des personnalités politiques et faire l’objet d’ingérence, comme c’est le cas au Liban. Cette porosité pose des risques de gouvernance multiples : (i) un actionnariat trop éclaté ; (ii) l’instauration d’un capitalisme de copinage ; (iii) la surreprésentation des investissements dans des titres d’Etat et (iv) la multiplication des conflits d’intérêts.

2/ Les banques font face à des défis et vulnérabilités polymorphes qui menacent la stabilité des systèmes financiers et économiques.

Les banques du Proche-Orient n’assurent pas des niveaux suffisants d’investissements dans l’économie réelle, malgré leur poids prépondérant dans les secteurs financiers régionaux. L’accent porté sur l’investissement public et les entreprises d’Etat affaiblissent les flux destinés aux secteurs productifs privés et met à mal l’enjeu de diversification des structures productives. Tous les pays de la région se situent ainsi sous la moyenne mondiale de financement du secteur privé par rapport au PIB (98,6%), avec une moyenne de 50% pour les pays de la région, et des parts de crédits qui descendent à 13% du PIB pour le Liban et l’Irak.

Les niveaux d’inclusion financière sont très inégaux et créent des disparités de développement. Au niveau régional, les taux de bancarisation sont très hétérogènes, allant de 19% pour l’Irak à 93% pour Israël en 2021. Au niveau national, des inégalités d’accès au crédit sont également visibles. Le taux de bancarisation des femmes est systématiquement plus faible que la moyenne nationale, comme observé dans le cas jordanien avec un écart de 13 points de pourcentage en 2021. D’autres disparités peuvent exister, par exemple en Israël où un écart de 23 points de pourcentage existe entre le taux de bancarisation des populations juives et celui des populations arabes.

Les banques et l’Etat nourrissent des fragilités respectives, créant des risques financiers et macro-économiques importants. La boucle « banque-souverain » est en effet très présente au Proche-Orient, en particulier par le biais de l’exposition à la dette souveraine par les banques locales, notamment au Liban, en Egypte et en Jordanie. Ainsi, l’implication de l’Etat peut fragiliser la gouvernance et le rôle des banques, tandis que la fragilité des banques peut devenir un frein pour la croissance et le fonctionnement des marchés financiers.

Les banques du Proche Orient ont des performances et exposition au risque de solvabilité et liquidité très hétérogènes. Les niveaux de solvabilité disparates des banques sont les fruits de modes de gouvernance différencié selon les pays. La disponibilité de liquidités dans les banques est lourdement influencée par et le niveau des dépôts et de confiance dans le système bancaire, facteur qui a notamment provoqué une crise de liquidités au Liban depuis 2020. L’absence de marché interbancaire, notamment en Irak, est un facteur de fragilisation des banques qui se retrouvent vulnérables en situation de pénuries de liquidités. Le niveau de performance des banques varie fortement selon les pays. L’Egypte et Israël enregistrent respectivement un rendement sur leurs fonds propres (RoE) en 2022 de 16,1% et 16,4%, ainsi qu’un taux de crédits non-performants de 3,4% et 0,71%.  En revanche, l’Irak et le Liban enregistrent les moins bonnes performances bancaires de la région, avec un RoE qui s’élevait respectivement en 2021 à 4,8% et 0,35%.

Les banques sont concurrencées par des systèmes parabancaires, dans un contexte d’économie en cash qui compromet l’efficacité de celles-ci. L’importance de l’intermédiation financière par les banques est remise en cause par la part grandissante de l’économie informelle opérant en cash. Dans ce contexte, les bureaux de change et hawala font concurrence aux banques traditionnelles, en particulier en Irak, au Liban et en Syrie.

3/ Les réformes et mutations sectorielles modifient le fonctionnement actuel des systèmes bancaires.

Des réformes isolées tentent d’assurer la modernisation et résilience des secteurs bancaires du Proche-Orient. Des initiatives étatiques tentent effectivement de combler les lacunes, parfois structurelles, des secteurs bancaires régionaux. Sur l’amélioration du financement de l’économie réelle, la directive égyptienne du 22 février 2021 rend obligatoire pour toutes les banques d’avoir au moins 25 % du portefeuille de crédit des banques sur le segment PME dont 10 % aux petites entreprises. Quant à la promotion de l’efficacité et stabilité des banques, le renforcement des règles prudentielles est clé. En Jordanie, la loi régissant la Banque centrale de Jordanie (CBJ) a été modifiée en 2016 pour inclure un objectif explicite de stabilité financière.

Les systèmes bancaires régionaux instaurent difficilement mais progressivement des normes plus strictes concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC-FT). Cet enjeu capital de transparence et d’efficience de la gouvernance des systèmes financiers fait l’objet de différents niveaux d’engagement par les pays de la région. Suite à leur inscription sur la liste grise du GAFI, la Jordanie et la Syrie ont mis en œuvre des plans d’actions pour remédier à leurs lacunes stratégiques en matière de LBC-FT. Tandis que la Syrie est en attente d’une visite de terrain depuis 2014 pour confirmer ses avancées, la Jordanie a quant à elle entrepris un vaste programme de réforme salué en juin 2023 par le GAFI. L’appareil règlementaire LBC-FT reste fragile pour d’autres pays tels que le Liban et l’Irak, qui doit mettre en œuvre les recommandations de l’analyse nationale des risques en matière de LBC-FT, finalisée début 2023.

La numérisation croissante de l’économie et des services bancaires peut créer de nouvelles modalités d’accès aux financements. On relève ainsi des initiatives du secteur public et du secteur privé pour faciliter cette transition numérique. En Israël, où de nombreuses Fintech sont installées, 77% des transactions se font en ligne, entrainant la fermeture de 23% des agences bancaires entre 2012 et 2022. Toutefois, cette numérisation disparate, inégale et parfois informelle peut poser de nouveaux risques de conformité. La transition vers une économie plus dématérialisée dépend par ailleurs de l’émergence d’un secteur privé formel qui aurait intérêt à se bancariser.

Les banques islamiques sont un relai bancaire considérable et en croissance dans certains pays de la région. Cette pratique d’investissement interdit notamment le paiement d’intérêts, l’investissement dans des activités prohibées, et la prise de risque excessive. Les principes de matérialité de la transaction et de partage mutuel des pertes et bénéfices sont également appliqués. La prohibition de la spéculation ainsi que la propension au partage du risque des outils de la finance islamique permettraient donc de financer des particuliers et des petites et moyennes entreprises plus facilement. Les banques islamiques occupent une place conséquente sur le marché palestinien (23% des banques en territoires palestiniens se revendiquent comme effectuant de la finance islamique) ; syrien (19% des banques ; 42,65% des actifs bancaires en 2022) ; jordanien (18% des banques) ; et égyptien (5,1 % des actifs bancaires).

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La proximité des banques avec le monde politique et la position souvent oligopolistique de certains groupes bancaires affectent l’efficience des systèmes bancaires, avec des niveaux de performance disparates et un déficit du financement de l’économie productive. En parallèle, la consolidation des normes et règlementations pour le secteur bancaire est fondamentale dans des économies où l’intermédiation bancaire est remise en cause par la dollarisation croissante de l’économie et la présence de systèmes parabancaires puissants.

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