LIBAN
Le secteur de l'électricité au Liban
Après avoir fortement contribué aux déséquilibres macroéconomiques du Liban, le secteur de l’électricité libanais connaît aujourd’hui un effondrement quasi-total. Faute de moyens financiers, l’opérateur national Electricité du Liban (EDL) n’est plus en mesure de fournir qu’au mieux 2-3 heures d’électricité par jour, le reste étant servi par les groupes électrogènes privés. Cette situation entraîne des pénuries fréquentes qui affectent l’ensemble des infrastructures (coupures d’internet, perturbations de l’approvisionnement en eau qui favorisent par exemple la propagation de l’épidémie de choléra…). Dans ce contexte, les autorités ont procédé le 1er novembre à une révision des tarifs de l’électricité qui étaient inchangés depuis 1994. Celle-ci est la première étape de la réforme du secteur, condition préalable à la remise d’EDL en état de marche et au lancement du projet régional d’interconnexion de la Banque mondiale.
1/ Structurellement inefficace et déficitaire, le secteur de l’électricité libanais s’est effondré en 2021.
Electricité du Liban (EDL) est un poids depuis les années 1990 pour l’économie et l’Etat libanais. En 2019, la demande moyenne d’électricité était estimée à 3000 MW, avec un pic estival à 3500 MW, contre une capacité disponible de 1800 MW issue principalement de 4 centrales thermiques. Le reste était servi par les groupes électrogènes privés, consommateurs de diesel. La mise à niveau de l’offre a été compliquée par la situation financière d’EDL, structurellement déficitaire. D’une part, les tarifs n’avaient pas été augmentés depuis 1994, date à laquelle le baril de pétrole s’élevait à 23$. D’autre part, le taux de pertes était estimé avant crise à 34% (dont 21% en branchements illégaux et factures impayées) et a certainement progressé depuis. Les déficits accumulés d’EDL, couverts par l’Etat libanais, auraient ainsi contribué à 46% de la dette publique (fin 2018).
La production nationale d’électricité est aujourd’hui quasi-nulle, en l’absence de moyens financiers. Suite à l’arrêt en 2021 des transferts budgétaires de l’Etat et au rationnement des devises par la Banque du Liban, EDL n’est plus en mesure de se fournir en fuel sur les marchés et ses centrales fonctionnent en sous-régime. L’unique source d’approvisionnement provient depuis septembre 2021 de l’accord bilatéral avec l’Irak qui permet, via un mécanisme de swap, la fourniture au Liban d’environ 40 000 tonnes de fuel par mois en échange de « services hospitaliers » (notamment la possibilité pour les Irakiens d’être soignés dans les hôpitaux libanais). L’accord permet d’atteindre une capacité disponible de 400-500 MW (2-3 h d’électricité par jour), lorsque les volumes sont effectivement livrés. Par ailleurs, un projet de don de fuel de l’Iran (600 000 tonnes échelonnées sur 5 mois) est évoqué de longue date et des discussions commerciales avec l’Algérie sont en cours pour la fourniture de fuel, mais celles-ci devraient s’accompagner d’un financement-relais (5 à 6 mois), le temps qu’EDL procède à la collection des factures.
La demande est désormais servie par les groupes électrogènes et de manière croissante par l’énergie solaire décentralisée. Compte-tenu de la hausse du coût des groupes électrogènes depuis 2020 (de 30 à 55 c$/kWh), l’installation de panneaux solaires par les ménages, les entreprises et les institutions s’est intensifiée ; la capacité installée totale devrait atteindre 440 MW fin 2022, contre 90 MW fin 2020.
2/ La révision des tarifs de l’électricité est la première étape de la réforme en profondeur du secteur.
Une révision des tarifs, visant à restaurer l’équilibre financier d’EDL, a été adoptée le 1er novembre 2022. Le plan d’action de mars 2022, dont l’adoption constituait l’une des dix actions préalables au programme FMI, prévoyait une hausse des prix de l’électricité. Ils progressent ainsi de 0,1 à 10 c$/kWh pour les 100 premiers kWh et de 0,5 à 27 c$/kWh au-delà, soit un niveau qui reste très inférieur à celui pratiqué par les groupes électrogènes (env. 55 c$/kWh).
Pour être efficace, la révision des tarifs doit s’accompagner d’autres actions, à commencer par une réduction des impayés des particuliers grâce à un renforcement des contrôles, au paiement des arriérés des administrations libanaises (233 M$), ainsi qu’à un engagement de la Banque du Liban à fournir des devises pour financer les approvisionnements. Le déploiement de compteurs intelligents serait aussi une action prioritaire à mettre en œuvre. Enfin, le ministère de l’Energie a initié les travaux pour mettre en place, d’ici fin 2023, une autorité de la régulation chargée de fixer les tarifs, d’octroyer des licences de production et d’assurer la transparence du secteur.
3/ La hausse des tarifs pourrait permettre d’initier le redressement du secteur de l’électricité.
La révision des tarifs est un prérequis pour augmenter l’approvisionnement et substituer le fuel par du gaz. Les deux principales centrales (Zahrani et Deir Ammar) sont alimentées en fuel, alors qu’elles pourraient fonctionner au gaz, moins coûteux et moins polluant. Le Liban étant interconnecté à la Syrie, la Jordanie et l’Egypte via le gazoduc arabe, la Banque mondiale a lancé en 2021 un projet d’interconnexion régionale visant à acheminer 650 M m3 de gaz par an (équivalant à 400 MW) depuis l’Egypte pour alimenter la centrale de Deir Ammar. En cas de réalisation du deuxième volet du projet, qui prévoit la fourniture d’électricité (250 MW) depuis la Jordanie via le réseau syrien, EDL pourrait théoriquement servir 8 à 10h d’électricité par jour. Le financement de la Banque mondiale (300 M€ par volet) reste toutefois conditionné : (i) au lancement des réformes du secteur (plan de rentabilité d’EDL fondé sur la hausse des tarifs et création d’une autorité indépendante de régulation) ; (ii) à l’obtention par l’Egypte d’un waiver américain, puisque le gaz transiterait par la Syrie. Par ailleurs, le Liban envisage de se doter, en location, d’un terminal flottant de regazéification de GNL (FSRU) afin d’alimenter la centrale de Zahrani.
Le redressement d’EDL est nécessaire pour lancer les projets de nouvelles capacités de production. Le plan d'action prévoit de construire deux centrales à cycle combiné ainsi qu’une troisième plus tard si nécessaire. Par ailleurs, le déploiement des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydroélectrique) est envisagé. Le financement (3,6 Md$ d’ici 2027) serait pris en charge par le secteur privé, dans une approche PPP. Toutefois, le cadre juridique reste à clarifier et, en l’absence de programme FMI, les financements privés ou multilatéraux sont difficilement mobilisables.
A long terme, la prospection de gaz pourrait pérenniser la production énergétique du Liban. L’accord d’octobre 2022 sur la frontière maritime israélo-libanaise ouvre la voie à la reprise de l’exploration gazière offshore par TotalEnergies. En cas de découverte commerciale, les centrales libanaises pourraient être approvisionnées, mais la mise en place d’une production gazière prendrait 5 à 7 ans (soit 2028 au mieux).