Le secteur de l'électricité au Liban

Après avoir fortement contribué aux déséquilibres macroéconomiques du Liban, l’entreprise publique Electricité du Liban (EDL) s’est effondrée mi-2021, à la suite de l’arrêt des transferts budgétaires. Le recours aux groupes électrogènes privés (coûteux et polluants) s’est intensifié, tout comme l’installation de panneaux solaires à usage privé. Après un blackout total début 2023, EDL a commencé à redresser sa production d’électricité (4 heures par jour) et sa rentabilité financière, grâce à une hausse substantielle de ses tarifs. La priorité d’EDL est désormais de sécuriser son accès aux dollars – toujours fortement rationnés par la Banque du Liban, qui priorise la défense du taux de change – et d’améliorer son réseau de distribution afin notamment de pouvoir y intégrer l’énergie solaire dans une logique décentralisée.

1/ La situation financière et technique d’EDL s’améliore depuis le début de l’année.

La production d’EDL se redresse depuis plusieurs mois. Après un blackout total en janvier, EDL est parvenue depuis février à augmenter sa production et à fournir jusqu’à 4 heures d’électricité par jour, grâce à des achats de fuel sur les marchés et au renouvellement de l’accord bilatéral avec l’Irak (désormais jusqu’en novembre 2024), comprenant une augmentation de 50% des volumes. Par ailleurs, un nouvel accord commercial est en discussion avec l’Irak ; s’il est conclu, EDL pourrait théoriquement opérer à pleine capacité (1200 MW) et fournir jusqu’à 12 heures d’électricité par jour. Or cette hausse de la production nationale intervient dans un contexte de baisse de la demande adressée à EDL. D’une part car la demande moyenne totale aurait fortement diminué (de 3000 MW à 2000-2500 MW), compte tenu de la baisse du PIB réel et de la hausse des tarifs. D’autre part car le déploiement de l’énergie solaire à usage privé s’avère être bien plus rapide qu’escompté (sa capacité installée est estimée à 1000 MW, soit une capacité effective équivalant à 210 MW).

EDL a présenté, pour la première fois en 40 ans, un budget équilibré pour 2023. Les autorités libanaises ont en effet procédé en novembre 2022 à une hausse des tarifs de l’électricité, désormais fixés à l’un des niveaux les plus élevés au monde. Par ailleurs, EDL est parvenue à inscrire son taux de pertes non-techniques (factures impayées et branchement illégaux) dans une trajectoire baissière. Dans ce contexte, EDL a adopté une politique de production très prudente, visant à préserver sa stabilité financière, en limitant l’approvisionnement dans les zones où le taux de pertes demeure élevé. Ainsi, EDL a augmenté marginalement le 1er juillet l’approvisionnement en électricité (à 6 heures par jour), uniquement dans une partie de Beyrouth. 

2/ La priorité d’EDL est de sécuriser son accès aux dollars et d’améliorer son réseau de distribution.

La priorité absolue d’EDL est de sécuriser son accès aux dollars. La Banque du Liban, dont la priorité est la stabilisation du taux de change du marché parallèle, applique actuellement une politique de change discrétionnaire vis-à-vis d’EDL. En particulier, le mécanisme de fixation des prix de l’électricité, fondé sur le taux de la plateforme Sayrafa majoré de 20%, fait peser un risque de change majeur à EDL. Dans ce contexte, une dollarisation des tarifs n'est pas exclue, mais sa conformité au droit serait très incertaine.

Au plan des réformes, EDL doit rapidement améliorer l’efficacité de son réseau de distribution, notamment pour intégrer les énergies renouvelables dans une logique de production décentralisée. D’une part, les projets de micro-grid se multiplient depuis plusieurs mois (dans des municipalités rurales, dans les zones industrielles, voire en ville entre hôpitaux et écoles). D’autre part, le projet de loi sur l’énergie renouvelable décentralisée, en lecture au Parlement, permettrait – si le texte est adopté en l’état – d’ouvrir le réseau aux petits producteurs d’énergie renouvelable (jusqu’à 10 MW), qui seraient libres de vendre à des tiers en versant des redevances à EDL pour la transmission.

3/ A moyen-terme, l’augmentation des capacités de production, la création de l’autorité de régulation et la substitution du fuel par le gaz seront nécessaires au redressement du secteur.

Les capacités de production doivent être augmentées. Les autorités libanaises souhaitent avancer sur la préparation des cahiers des charges de nouvelles centrales thermiques, mais le financement reste incertain. En parallèle, le déploiement de grands projets solaires et éoliens en IPP (Independent Power Producer) reste conditionné au redressement pérenne d’EDL et au retour des financements internationaux.

L’opérationnalisation de l’autorité de régulation du secteur ne devrait pas intervenir à très court terme. Le ministère de l’Energie, qui a lancé en décembre le recrutement des membres du conseil d’administration de la future autorité (avec l’appui de l’association régionale des régulateurs MedReg), a repoussé à fin août l’échéance pour l’envoi des candidatures, faute d’un nombre suffisant de candidats. En outre, un gouvernement de plein exercice sera nécessaire pour valider les nominations.

Les projets de substitution du fuel par du gaz semblent enlisés à ce stade. D’une part, le projet d’interconnexions énergétiques de la Banque mondiale, qui prévoyait l’acheminement de gaz égyptien à la centrale libanaise de Deir Ammar, n’a pas abouti compte tenu notamment des réticences vis-à-vis du transit du gaz via la Syrie (qui nécessite un waiver au Ceasar Act). D’autre part, le projet de déploiement d’un terminal flottant de regazéification de GNL (FSRU) à la centrale de Zahrani n’a pas été lancé suite à la démission du gouvernement en mai 2022. A plus long-terme, la production offshore pourrait pérenniser l’approvisionnement en gaz des centrales, si le potentiel gazier est confirmé.

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Condition nécessaire à une stabilisation macroéconomique du Liban, le redressement financier d’EDL et les réformes du secteur de l’énergie ont été initiés après plusieurs décennies d’inertie. Cette dynamique reste néanmoins fragile et est conditionnée en retour à une stabilisation macroéconomique (accès aux dollars pour EDL, financement de nouvelles capacités) et à l’absence de blocages politiques.

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