Le secteur de l'eau au Liban

Le Liban est l’un des pays les plus riches en eau du Moyen-Orient. Cependant, la disponibilité en eau pour ses habitants est de l’ordre de 1000 m3/habitant/an, ce qui est inférieur au seuil de stress hydrique. Les inefficacités du secteur, qu’il s’agisse de la mauvaise gestion de la saisonnalité de la ressource, de la pollution des rivières, des lacs et des nappes phréatiques, ou encore des circuits de distribution vétustes et du retraitement insuffisant des eaux usées couteraient au Liban, d’après la FAO, près de 3% de son PIB annuel.

1. Une ressource en eau relativement abondante mais inégalement répartie

1.1 Saisonnalité et répartition inégale des précipitationsPays au climat méditerranéen, le Liban reçoit de fortes pluies en période hivernale (de janvier à mai) tandis que les 7 mois restants sont secs et arides. Les précipitations annuelles sont estimées à 8,5 milliards de mètres cubes (m3), dont 4,5 milliards s’évaporent, 1,2 milliard s’infiltrent en dehors du territoire libanais et près de 1,5 milliard sont évacuées dans la mer. Le reste est réparti de la façon suivante : 650 millions de m3 d’eaux superficielles et 550 millions de m3 d’eaux souterraines. Il existe de fortes disparités de précipitations entre les différentes régions, ainsi, les quantités d’eau de pluie sont estimées à environ 600 à 900 mm le long de la zone côtière, à 1400 mm en montagne et à environ 400 mm à l’intérieur des terres, avec un minimum de 240 mm dans le nord de la vallée de la Bekaa.

Le Liban compte 40 fleuves dont 17 sont considérés comme pérennes. La capacité de stockage des eaux de surface est très faible, avec seulement 6 % des ressources totales stockées, contre 85% en moyenne dans la région MENA. Sur l’année, la moitié environ de l'approvisionnement en eau du Liban provient des eaux souterraines.

1.2 Disponibilité et consommation de l’eauOn estime que l’agriculture consommerait environ 60% de la ressource disponible en eau, contre 20% pour les usages domestiques et 11% pour l’industrie. La collecte, le traitement et la réutilisation des eaux usées au Liban sont presque inexistants. Il n'existe d’ailleurs pas de cadre réglementaire sur le traitement des eaux usées et leur emploi dans l’agriculture. Les capacités de dessalement sont également limitées, de petites quantités étant dessalées par le secteur privé (4,5 Mm3/an) et par Electricité du Liban (5,5 Mm3/an).

  • Secteur agricole : L’agriculture consomme environ 60% de l’eau disponible, alors qu’elle représente 3,5% du PIB. Les techniques d’irrigation sont fortement consommatrices en eau et seules 25% des surfaces sont irriguées au goutte à goutte. L’eau utilisée est souterraine (49%), ou provient de rivières (39%), de lacs collinaires ou de réservoirs.
  • Usage domestique : En 2019, selon un rapport de la Banque mondiale, plus de 20% des Libanais n’étaient pas connectés au réseau public de distribution d'eau et seul un quart de ceux qui sont connectés reçoivent de l'eau quotidiennement. L'eau du robinet n'est souvent pas potable et doit être re-filtrée. Selon un rapport de l'UNICEF, dans un contexte de fréquentes coupures de courant, les réserves d'eau par habitant ont considérablement diminué depuis le début de la crise, tombant en dessous des 35 litres par jour considérés comme la quantité minimale acceptable. L’eau n’étant pas potable, les familles doivent recourir à l’achat d’eau en bouteille. Les entreprises d'embouteillage sous licence représentent à elles seules une production annuelle de 700 à 800 millions de litres d'eau. Si les entreprises illégales étaient comptées, le chiffre serait bien plus élevé. Le bénéfice annuel de cette activité est d'environ 300 M$, et continue de croître chaque année. L'inflation galopante dans le pays a entraîné une hausse spectaculaire du prix de l'eau en bouteille, que les consommateurs libanais paient trois à cinq fois plus cher qu'il y a un an. Selon les calculs de l'UNICEF, une famille de cinq personnes buvant environ deux litres d'eau en bouteille par personne et par jour devrait dépenser 6,5 M de livres libanaises (4 300$) par an pour l'eau.
  • Alors que les réseaux de distribution sont vétustes et que les pertes sont évaluées à 40%, les eaux souterraines sont exploitées à des niveaux non durables (100 à 150 millions de m3 de consommation au-delà du renouvellement), et les aquifères côtiers souffrent de l'intrusion de l'eau de mer. De plus, alors que le nombre total de puits privés individuels autorisés est estimé à 20 000 dans la région du Grand Beyrouth et du Mont Liban, on estime qu’il en existe 60 000 illégaux. La balance hydrologique du pays (écart entre les besoins et les ressources renouvelables) pourrait atteindre un déficit de 1,7 Md de m3 par an à l’horizon 2040, contre environ 300 M de m3 aujourd’hui. Un rapport rédigé par le World Resources Institute en 2019 place, à l’échelle mondiale, le Liban à la troisième place du « National Water Stress Rankings », un comble pour le « château d’eau du Moyen-Orient ». L’épidémie actuelle de choléra au Liban met au grand jour met ces lacunes.
2. Principaux enjeux de l’eau au Liban

2.1 Santé publique : Les effluents industriels non-traités entrainent la pollution des cours d’eau, pollution à la fois chimique (produits chimiques, métaux lourds), physique (microparticules de plastique par exemple) et bactériologique (choléra). Les réseaux de collectes des eaux usées sont défaillants, entrainant des infiltrations dans le sol et leur pollution. La crise syrienne, avec la présence de plus d’un million de réfugiés est un poids supplémentaire sur les infrastructures déjà défaillantes (traitement des eaux usées, distribution d’eau, accès à l’eau potable…) et la demande en eau a augmenté de 26,1 M de m3/an, ce qui équivaut à 7% de la demande ante 2011.

2.2 Pollution et enjeux économiques : La qualité de l’eau utilisée en agriculture et notamment pour l’irrigation impacte la qualité de la production agricole. En effet, des résidus de métaux lourds sont présents dans l’eau et se retrouvent dans les produits agricoles, l’utilisation d’eau non traitée en particulier dans la Bekaa, entraine des contaminations bactérienne des légumes et des fruits. La problématique est probablement prégnante dans le contexte actuel de choléra. Outre les conséquences sanitaires de cette pollution, la contamination des produits végétaux (fruits et légumes) les rend alors impropres à l’exportation car ils ne respectent plus les normes internationales.

2.3 Enjeux budgétaires et financiers : D’après la FAO, les inefficacités du secteur de l'eau coûtent près de 3 % du PIB annuel au pays et le changement climatique va majorer ces difficultés. Les Établissements des eaux ne disposent toujours pas d’une autonomie financière suffisante pour mener à bien l’ensemble de leurs missions. En raison de la défaillance de la collecte des paiements des factures, ils peinent à assurer leur équilibre financier, et manquent ainsi de moyens pour entretenir les réseaux ou développer d’autres projets. L’insuffisance de moyens humains, techniques et financiers ne leur permet pas, par exemple, de gérer le traitement des eaux usées qui demeure ainsi opéré par le ministère ou certaines municipalités.

3. Stratégie, priorités et projets dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.
 
3.1 Une absence de stratégie claire depuis les années 1990. Le Liban investit en moyenne 0,5% de son PIB dans le domaine de l’eau depuis 30 ans. Plus de 2 Md$, soit une moyenne de 142 M$ par an, ont été dépensés pour la construction ou la réhabilitation d’infrastructures (les fonds ont été alloués à 68% à l’adduction d’eau potable, 23% à l’assainissement (traitement des eaux usées) et 9% à l’irrigation). Il est intéressant de noter que le rapport du Capital Investment Plan (CIP) révèle que seulement 8% des eaux usées générées ont été traitées au Liban, malgré des investissements supérieurs à 1 Md$ depuis 2012. Ces fonds, souvent fournis par des donateurs internationaux, ont trop souvent été alloués à des infrastructures encore dormantes ou inopérantes, à l’instar des usines de traitement d’eaux usées qui ne fonctionnent pas, à défaut d’être reliées aux réseaux d’égout. En outre, le Liban est encore loin du seuil minimum de 0,8% du PIB, que les experts de la Banque mondiale jugent nécessaire pour qu’un pays satisfasse les besoins de développement et de modernisation du secteur de l’eau.
 
3.2 Les projets sont nombreux et bien identifiés mais tardent à être mis en œuvre. Le CIP, élaboré en 2018 lors de la conférence CEDRE, propose de consacrer 4,8 Md$ (phase 1, 2 et 3) afin de réhabiliter les infrastructures de distribution d’eau. Les projets du CIP se décomposent entre : i) l'expansion de l'approvisionnement en eau ; ii) la mise en valeur des ressources en eau. Par ailleurs, 2,7 Mds$ (phase 1,2 et 3) devaient être affectés à la mise en œuvre des projets de traitement des eaux usées.
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