Dynamiques de l'endettement public au Proche-Orient

L’endettement a maintenu une trajectoire haussière dans la région depuis 2000, avec des dynamiques propres aux différents pays de la région. Plusieurs réformes doivent être entreprises pour enrayer des trajectoires d’endettement accru. Les orientations de policy mix les plus débattues sont une optimisation des stratégies d’endettement ou des politiques de consolidation budgétaire. Concernant les pays du Proche-Orient importateurs de pétrole, aucune stratégie de finances publiques ne s’est montrée satisfaisante à ce stade. Pour les pays exportateurs d’hydrocarbures (Iran et Irak), une diversification des recettes budgétaires et de l’activité économique ainsi qu’une amélioration de la gouvernance et une transparence accrue du pilotage budgétaire sont nécessaires.

1/ Le creusement des dettes publiques au Proche-Orient

Les pays de la zone connaissent dans l’ensemble un niveau d’endettement élevé par rapport à leur niveau de développement : 98% du PIB en Égypte, 89% en Jordanie (114% en incluant le Fonds d’Investissement de Sécurité Sociale), 160% au Liban, 44% en Irak, 62% en Israël, 40% dans les Territoires palestiniens.

La plupart des économies ont connu une trajectoire rapide d’accroissement de l’endettement public. En Égypte, les déficits budgétaires successifs ont contribué à la hausse de la dette publique (9,2% en 2024/25). L’Égypte est en effet pénalisée par son service de la dette (2/3 des recettes fiscales) et un différentiel entre le taux de croissance et le taux d’endettement, malgré d’importants excédents budgétaires primaires (2,1% en 2023/2024). En Jordanie, la dette publique a enregistré une forte augmentation à la suite de la pandémie de Covid-19. Malgré les recettes pétrolières, la trajectoire budgétaire en Irak est incertaine et fragile : dans l’hypothèse d’une modération du prix du baril, le FMI anticipe une succession de déficits budgétaires croissants à plus de 10% sur 2026-2029. Pour Israël, le déficit budgétaire pourrait atteindre 8% du PIB fin 2024, une conséquence de l’économie de guerre. Le cas du Liban est spécifique, étant en défaut de paiement et connaissant une contraction très importante de ses dépenses publiques.

Les incertitudes sur les périmètres de comptabilité incitent à une grande prudence dans l’analyse des trajectoires d’endettement. En Irak, l’évaluation de la dette publique reste un exercice incertain, compte tenu de la non comptabilisation de garanties publiques, des passifs contingents liés au fonds de retraite ou des arriérés du Gouvernement Régional du Kurdistan. En Égypte, la complexité de la consolidation des administrations et entités publiques a dégradé le pilotage des finances publiques. EGPC, société publique pétrolière égyptienne fait ainsi l’objet d’une attention particulière par le FMI.

2/ Des stratégies d’endettement sous-optimales et des craintes sur la soutenabilité de la dette

La plupart des économies du Proche-Orient ont des politiques d’endettement reposant sur des maturités courtes et des taux d’intérêt élevés. En Égypte, la charge d’intérêt est élevée à court terme du fait de la courte maturité de la dette et du niveau élevé des taux. En Irak, le FMI anticipe une progression de la dette publique de 44% du PIB fin 2023 à plus de 86% en 2029, du fait d’une absence de pilotage de l’endettement et d’une politique expansionniste. En Iran, la politique de financement de l’État reste sous-optimale, reposant sur une boucle emprunts / création monétaire / remboursements et inflation. En Jordanie, par contre, le gouvernement est parvenu à accroître la maturité de la dette, témoignant d’une confiance accrue en sa capacité à rembourser.

L’exposition à l’égard des acteurs domestiques prévaut. L’endettement externe demeure modéré et le financement des États repose d’abord sur de l’endettement bancaire domestique. Pour autant, la vulnérabilité aux marchés internationaux et aux chocs externes ne doit pas être sous-estimée, notamment dans le contexte d’une perception aggravée du risque géopolitique. En Égypte, la dette domestique représente 75% de la dette totale, bien que depuis 2013 les pays du Golfe constituent un créancier de premier rang du pays. L’Irak a pour objectif la réduction de la dette extérieure, y compris par un moindre recours aux financements des bailleurs de fonds. En Jordanie, la hausse de la dette extérieure (47% de la dette totale) est tirée par les prêts qui ont tendanciellement augmenté ces dernières années. Elle est détenue à 37% par des organisations multilatérales, principalement le FMI et la Banque Mondiale. En Israël, la dette levée en 2023 sur le canal domestique négociable s'élevait à 72% (contre 65% en 2022) du portefeuille de la dette levée.

La soutenabilité de la dette est partout sujette à caution, bien qu’aucune économie de premier plan ne voie sa dette considérée comme insoutenable. En Égypte, le FMI l’estime viable mais sans forte probabilité, avec des risques souverains élevés (61% du PIB à l’issue du programme, contre 91% attendus cette année). Si la dette externe a augmenté du fait de la dépréciation de la livre égyptienne, son effet est en partie contrebalancé par l’apport de fonds de l’accord de Ras el Hikma (dont 50% des 24 Mds USD de capitaux entrants est affecté au désendettement avec par ailleurs la conversion de 11 Mds USD de dépôts émiriens à la Banque Centrale Égyptienne). En Irak, l’absence complète de stratégie de gestion de la trésorerie et de la dette, et la hausse anticipée des besoins de financement, pourraient menacer la soutenabilité de la dette. La trésorerie de l’État, qui fluctue en fonction des recettes pétrolières, ne fait l’objet d’aucune optimisation. En Jordanie, les risques sur la soutenabilité de la dette perdurent, liés notamment aux chocs externes dans un contexte de forte instabilité régionale. En Israël, la hausse des rendements des obligations d’État à 10 ans reflète une diminution de la demande, les investisseurs considérant aujourd’hui Israël comme un investissement plus risqué. Pour le Liban, en l’absence de programme FMI et de plan de restructuration consolidé du secteur financier, aucune perspective d’accord de restructuration n’existe actuellement.

3/ Les politiques d'améloration de la gestion de la dette publique doivent s'accompagner d'une rationalisation de la politique budgétaire des Etats

Certains États ont entrepris des démarches d’amélioration de la gestion de leur politique d’endettement. En Égypte, la trajectoire baissière de la dette reposerait sur des facteurs incertains : cessions d’actifs, surplus constant de la balance primaire (5% du PIB d’ici 2026/27) et un différentiel de taux d’intérêt et de croissance favorable. Les autorités se sont engagées sur une nouvelle stratégie de gestion de la dette : allongement de la maturité des futures émissions, prolongation de l’échéance de la dette domestique existante mais aussi accord avec les banques égyptiennes pour émettre de nouveaux bons du Trésor à 3 ans une fois les obligations actuelles arrivées à échéance. En Jordanie, les objectifs annoncés sont d’accroître le recours aux emprunts en dollar, notamment via l’émission d’Eurobonds et les emprunts auprès des bailleurs, de diversifier les sources de financement et d’élargir la base d'investisseurs. En Israël, la stratégie d'émission de la dette au cours des dernières années a visé à allonger progressivement la durée moyenne pondérée des échéances jusqu'à environ 9 ans.

Ces démarches doivent s’accompagner d’une modernisation plus structurelle de la politique budgétaire, tant en matière de dépenses que de recettes publiques. La politique d’endettement est perfectible dans la plupart des pays et empêche de dégager des marges de manœuvre nécessaires à la mise en place de mesures contracycliques. En Égypte, la politique de consolidation des finances publiques menée repose largement sur la maîtrise de la dépense via un plafonnement de l’investissement public. En Irak, le gouvernement a lancé plusieurs initiatives, sans qu’aucune n’ait encore été déployée. Parmi celles-ci, figure la mise en place d’un système unifié de compte de trésorerie et d’un système de gestion de l’information financière. En Jordanie, la stratégie de consolidation est axée sur l’augmentation des recettes fiscales et la limitation des investissements publics.

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