Démographie et marché du travail au Proche-Orient

Caractérisée par une croissance démographique importante et une faible diversification économique, la région du Proche-Orient est aujourd’hui confrontée à un marché du travail peu optimal et peu fonctionnel. Malgré un niveau d'éducation relativement élevé, le chômage massif est un problème majeur, en particulier parmi les jeunes et les femmes. De plus, la région est confrontée à des mouvements migratoires régionaux et internationaux croissants, ainsi qu'à une augmentation de l'informalité dans l'économie. A ce jour, les autorités de la région proposent des mesures de protection pour les travailleurs, mais accordent moins d'attention à la réflexion sur les programmes de formation et à l'encouragement du secteur privé, qui contribuerait à améliorer l'adéquation entre l'offre et la demande d'emploi.

1/ Une région éduquée et dynamique sur le plan démographique, malgré des différences économiques notables.

La Jordanie, l'Irak, et les Territoires Palestiniens font face à une croissance démographique importante depuis plus d'une décennie. La Jordanie a vu sa population doubler entre 2010 et 2022 tandis que la population irakienne a augmenté de +30,5% et devrait doubler d'ici 2060. Les Territoires Palestiniens connaissent quant à eux une croissance rapide de leur population, qui a augmenté de +80% par rapport à 1990. Ces dynamiques de croissance démographique, en partie dues à taux de fécondité élevés, s’expliquent aussi par les différents flux de migrations. En Jordanie, les migrants représentent un tiers de la population en 2020. Le pays a connu de multiples vagues d'immigration en raison des crises régionales. En Égypte, 9% de la population totale sont des migrants internationaux, principalement originaires du Soudan, de Syrie, du Yémen ou encore de Libye. Enfin, au cours des dernières décennies, l'Iran a connu une croissance rapide de sa population, qui semble ralentir depuis quelques années. Deuxième pays le plus peuplé de la zone après l'Égypte, l’Iran enregistre en effet le taux de croissance de population le plus faible de la région.

Le Liban et la Syrie font face à des situations économiques et politiques particulières, qui ont des impacts significatifs sur leur démographie respective. La population syrienne qui était initialement de 23 M d'habitants aurait diminué d'au moins 6 M de personnes, et 6 M de syriens seraient déplacés à l'intérieur du pays depuis 2011. Le Liban, pays voisin de la Syrie, abriterait actuellement plus de 1,3 million de syriens, ce qui en fait le pays d’accueil de syriens le plus important relativement à sa population. À cette situation, qui a modifié la composition démographique du pays, s'ajoute la crise économique qui, depuis 2019, pousse de nombreux libanais à quitter le pays.

Au sein de la région, Israël se distingue par son PIB par habitant 10 fois supérieur à la moyenne régionale, et par son niveau d'éducation moyen comparable à celui d'un pays européen. Membre de l'OCDE, le pays affiche cependant un taux de fécondité élevé avec une moyenne de 3 enfants par femme. La situation démographique est marquée par une diversité culturelle et religieuse. La coexistence entre les communautés juive et arabe en Israël représente aujourd’hui un enjeu majeur de la démographie du pays.

En outre, la région du Proche-Orient se caractérise par une population essentiellement jeune, en particulier en Irak, Syrie et Territoires palestiniens. Le niveau d'éducation de la région est élevé. Tous les pays, à l'exception de l'Égypte et de l'Irak, affichent un taux d'alphabétisation élevés, surtout chez les jeunes, avec une moyenne régionale de 97%. En outre, le taux de scolarisation dans les études supérieures est important, avec des ratios très élevés en Israël, en Iran et au Liban. La région dispose d'un important bassin de travailleurs qualifiés qui représente cependant un défi croissant pour les économies locales, qui n’ont pas la capacité d’absorber l'afflux de jeunes travailleurs entrant sur le marché.

2/ Peu diversifiées, les économies de la zone peinent à absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail, ce qui pousse une partie de leur main d’œuvre à émigrer.
2.1. La région est marquée par des taux de chômage élevés, en particulier chez les jeunes et chez les femmes.

Le taux de chômage moyen dans la région s'élève à 16% environ, mais il est bien plus élevé dans certains pays comme le Liban (30%), la Jordanie (25%) et les Territoires Palestiniens (27%). Ces moyennes masquent aussi des écarts significatifs selon le genre, avec un taux de chômage moyen chez les femmes de 24,5%, contre 13,9% pour les hommes. Cette différence de genre est particulièrement marquée en Égypte, en Iran, en Irak et en Jordanie. Les jeunes sont également davantage touchés par le chômage, avec un taux moyen de 34% dans la zone. Cette persistance d’un chômage endémique est en partie due à un mauvais appariement et une inadéquation de l'offre et de la demande de travail, en particulier en Jordanie, au Liban, en Irak et dans les Territoires Palestiniens, où la plupart des jeunes ont atteint un niveau d'études trop élevé pour les emplois créés et disponibles.

2.2. La faible diversification économique et la place trop importante du secteur public affectent le marché de l’emploi et entretiennent son dysfonctionnement.

L'Irak, exportateur de pétrole à l’échelle mondiale, rencontre des difficultés à diversifier sa base productive et industrielle, ce qui limite les opportunités de création d'emplois. L'activité pétrolière ne génère qu'1% des emplois, et l'État reste le principal pourvoyeur d'emplois avec 38% d'agents publics sur le total des emplois. L’Iran, premier exportateur de pétrole de la zone, dépend plus faiblement de ce secteur avec une économie relativement diversifiée.

La création d'emplois en Jordanie est limitée, avec une évolution négative depuis les années 2010, alors que la population en âge de travailler a doublé entre 2000 et 2021. Le secteur public continue d’attirer une proportion importante des Jordaniens en offrant des salaires plus élevés et un niveau de confort supérieur, mais sa capacité d’absorbation s’amoindrit.

En Égypte, si la croissance économique est principalement tirée par les secteurs à forte intensité capitalistique tels que les transports, les hydrocarbures, la construction, etc., la création d'emplois dans le secteur privé n'a augmenté que de 2 % en moyenne annuelle entre 2010 et 2019, passant de 17 à 20 millions.

Les Territoires Palestiniens sont marqués par de fortes disparités spatiales : les emplois ne sont pas créés là où ils sont le plus nécessaires et les obstacles à la mobilité rendent les déplacements difficiles. Les gouvernorats où la croissance annuelle de l'emploi intérieur est la plus forte (à l'exception de Naplouse et de Ramallah) sont tous des gouvernorats où plus de 10% de la main-d'œuvre travaille en Israël ou dans les colonies, ce qui suggère que la création d'emplois a été stimulée par l'augmentation des revenus et de la demande de biens et de services de la part des travailleurs palestiniens en Israël et de leurs ménages.

2.3. La difficulté d’accès au marché du travail et les faibles niveaux de rémunération dans l’ensemble de la zone du Proche-Orient encouragent des nombreux travailleurs à émigrer et alimentent la fuite des cerveaux.

Bien que le coût de la vie soit en moyenne 50% inférieur à celui de la France, le salaire moyen de la zone, qui s’établit autour de 400$ par mois (hors Israël), ne suffit pas à satisfaire les besoins des travailleurs, en particulier dans un contexte d’insécurité alimentaire grandissante et de forte inflation. Cette situation pousse de nombreux travailleurs, plus ou moins qualifiés, à émigrer dans ou hors de la zone. L’Égypte et la Jordanie ont connu une émigration massive vers les pays du Golfe. Les expatriés égyptiens y travailleraient principalement dans les hydrocarbures et le BTP, dans l’enseignement primaire et les services médicaux pour les plus qualifiés. En Jordanie, depuis les années 1970, de nombreux travailleurs sont partis dans les pays du Golfe où ils perçoivent des salaires supérieurs et pourvoient des emplois souvent plus qualifiés. Cette émigration pourrait cependant devenir plus contrainte et ralentir sous l’effet des politiques de nationalisation de la main d’œuvre dans les pays du Golfe. Au Liban, l’émigration habituelle d’une partie de la jeunesse libanaise, étudiante ou diplômée, semble s’accentuer depuis le début de la crise. La France est désormais la destination la plus prisée par les jeunes libanais. Cette tendance qui s’accentue est loin d'être une situation optimale pour le Liban, qui se prive d’une partie de son capital humain.

2.4. Le contexte économique alimente la création d’emplois informels dans la région.

Malgré les difficultés liées à l'accès à des données fiables, le Proche-Orient enregistre l'un des taux d'informalité les plus élevés au monde, avec près de 60% d’employés dans le secteur informel, principalement dans l'agriculture, le bâtiment, ainsi que le commerce de gros et de détail. De manière notable, la Syrie affiche un taux d'informalité supérieur à 90%. Le niveau de vulnérabilité sociale élevé pousse davantage de personnes à entrer sur le marché du travail, majoritairement de manière informelle. Le secteur informel libanais semble s’être développé ces dernières années, en particulier la contrebande avec la Syrie et le trafic de drogue (par nature très difficile à estimer). Le développement de la "cash economy" a notamment contribué à l'augmentation de l'informalité dans le pays. En Irak et en Égypte, la prédominance de l'économie informelle est frappante, avec respectivement 95% et 90% des entreprises qui ne seraient pas officiellement enregistrées. Enfin, en Égypte, le nombre de personnes travaillant dans l'informalité a augmenté depuis 2018, en particulier chez les hommes, passant de 13,7 millions en 2010 à 16,9 millions en 2019 (+23%).

3. Une région économiquement et socialement fragile qui, en l’absence de politiques publiques efficaces, continuera d’être dépendante des envois de fonds et des aides extérieurs.
3.1. La plupart des pays du Levant sont dépendants des flux financiers en provenance de la diaspora.

Plusieurs pays du Levant, en particulier le Liban, la Jordanie, la Palestine et dans une moindre mesure l’Egypte, sont fortement dépendant des envois de fonds de leur diaspora. Cette dépendance rend leur économie vulnérable aux fluctuations économiques et politiques extérieures. Bien que les transferts soutiennent la consommation, ils ne sont pas investis dans l'économie productive, ce qui ne constitue pas une solution durable. De manière notable, les transferts de fonds de la diaspora libanaise représenteraient environ 30% du PIB en 2022, tandis que les transferts des travailleurs expatriés Jordaniens et Palestiniens représentent environ 11% et 10% du PIB de leur pays respectif.

3.2. Les efforts des gouvernements pour dynamiser le marché de l’emploi ne sont, à ce jour, pas à la hauteur.
La majorité des économies de la région ne sont pas en mesure de répondre de manière pérenne à la demande d'emploi de sa population jeune. Un ensemble de réformes structurelles est indispensable pour favoriser la diversification économique et promouvoir la création d'emplois dans le secteur privé.
 
En Irak et en Jordanie, une grande partie du budget de l’État est captée par l’importante masse salariale publique, au détriment d’investissements. Les politiques budgétaires irakiennes sont structurellement procycliques avec des embauches de fonctionnaires en période de hausse des cours du pétrole et des coupes dans les phases de reflux.
 
Au Liban et en Syrie, les actions gouvernementales dans le secteur de l’emploi se résument à la hausse des salaires, indispensable au maintien d’un certain niveau de vie de leur population, dans un contexte de forte dévaluation et d’inflation. Au Liban, la vacance présidentielle depuis octobre 2022 empêche la mise en place de toute réforme structurelle. Le gouvernement libanais a cependant décidé en avril de rehausser les salaires privés et publics.
 

En Jordanie, les autorités traitent l’urgence et accordent peu de moyens aux politiques de l’emploi. La priorité a jusqu’alors été donnée au maintien des emplois et des salaires pour pallier les conséquences de la crise sanitaire. Le gouvernement jordanien a toutefois annoncé l’année dernière un plan de modernisation du secteur public. Si des réformes structurelles ont été entreprises, elles produisent peu d’effets. Jusqu'à présent, les politiques de l'Autorité palestinienne axées sur l'amélioration de l'employabilité des travailleurs n'ont abouti qu'à une modeste création d'emplois.

En Egypte, de nombreuses initiatives du gouvernement portent sur les questions d’adéquation, visant à alléger la pression sur l'enseignement académique général et, idéalement, à améliorer la qualité des diplômés par rapport aux besoins du marché du travail. La crise économique actuelle a néanmoins un impact considérable sur la population, qui remet en question le contrat social basé sur la stabilité et des conditions de vie décentes en échange de la loyauté envers le régime. Si les programmes de protection sociale ont pu soutenir les ménages les plus pauvres, la classe moyenne, non protégée par de tels programmes, a subi des pertes de revenus importantes et un déclassement progressif.

***

La région du Levant-Iran-Irak présente une diversité démographique, généralement liée aux niveaux de développement socio-économique et souvent influencée par des facteurs religieux. Cependant, la plupart des pays de la région ont des marchés du travail peu adaptés à l'intégration de nouveaux arrivants, ce qui risque de perturber davantage les équilibres déjà fragiles entre l'offre et la demande d'emploi. L’absorption des nouveaux entrants sur le marché du travail demeure conditionnée par la mise en œuvre de politiques structurelles – notamment industrielles – de grande ampleur, et les politiques publiques actuellement à l’œuvre semblent insuffisantes en ce sens. Ces perspectives pourraient être d'autant plus préoccupantes que la plupart des économies de la région sont vulnérables aux conséquences du changement climatique et devraient être confrontées à une aggravation du stress hydrique et de l'insécurité alimentaire à l'avenir.

 

 Population et PIB PO

superficie

 

Tableaux récapitulatifs des principales données économiques et démographiques

Certains chiffres sont estimés et sont donc à interpréter avec précaution.

tableau données

                        * sans Israël

 

tableau données

                          Source : Banque mondiale (en grande majorité)

tableau données

              Source : Banque mondiale et Organisation Internationale du Travail (les données israéliennes ont été retirées des moyennes de la zone Proche-Orient par rigueur statistique) 

Transferts

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