LIBAN
Situation macroéconomique et financière du Liban
Après plusieurs mois de conflit de haute intensité et plus de deux ans de paralysie institutionnelle, le début de l’année 2025 est marqué par l’élection d’un Président de la République, la désignation d’un Premier ministre et le maintien du cessez-le-feu avec Israël depuis fin novembre 2024. Ce début de stabilisation de la situation politique et institutionnelle permet d’envisager la conduite de réformes économiques et financières nécessaires, alors que les indicateurs macro-économiques restent très dégradés. Le PIB, divisé par 2,5 par rapport à 2018, s’était stabilisé depuis 2022 autour de 20 Mds USD mais devrait enregistrer une nouvelle chute entre -6% et -10% en 2024. Les finances publiques connaissent une stabilisation relative, aidée par une amélioration de la collecte de recettes publiques, mais la situation des administrations publiques demeure extrêmement dégradée.
1/ La conjoncture et les indicateurs macroéconomiques demeurent durablement dégradés.
La conjoncture économique s’est fortement dégradée compte tenu de la guerre qui a touché l’ensemble du pays entre septembre et novembre 2024 et de l’absence de réformes d’ampleur depuis le déclenchement de la crise fin 2019. Après un ajustement brutal, qui a vu le PIB se contracter de 55 Mds USD en 2019 à 20 Mds USD en 2023, l’économie libanaise semblait avoir touché son niveau plancher en 2023-2024, portée par une rente diasporique, via les transferts de fonds (6,7 Mds USD en 2023, soit 33% du PIB) et les retours saisonniers (5,4 Mds USD en 2023, soit 27% du PIB). Suite à l’intensification du conflit durant le dernier trimestre 2024, qui s’était traduit par des bombardements massifs sur le Sud Liban, la Bekaa et la banlieue sud de Beyrouth, plusieurs organisations internationales ont revu leurs projections de croissance pour 2024, désormais comprises entre -5,7% (Banque mondiale) et -10% (ONU). L’activité semble toutefois reprendre depuis le cessez-le-feu entré en vigueur le 27 novembre. L’indice PMI qui avait atteint en octobre son niveau le plus bas depuis février 2021 (45 points) est remonté significativement en décembre, pour atteindre son plus haut niveau en huit mois (48,8 points). Après s’être effondré pendant la guerre, le trafic à l’aéroport international de Beyrouth est reparti à la hausse en décembre (tout en restant en repli de -21% en g.a.). Le conflit a toutefois occasionné de nombreuses destructions de capital physique et productif, estimées à 3,4 Mds USD par la Banque mondiale à fin octobre 2024. Le coût du déblaiement et de la reconstruction pourrait dépasser 7 Mds USD.
Le niveau d’inflation demeure très élevé mais ralentit (autour de 15,4% en g.a. en novembre 2024), notamment grâce à la stabilisation du taux de change et à la dollarisation de l’économie (cf. infra).
La situation sociale est préoccupante. Le taux de chômage atteint 30% en 2023, en particulier chez les jeunes (48%). La Banque mondiale estimait, avant la guerre, le taux de pauvreté absolue (<3$/jour) à 33% pour la population libanaise et 44% en comptant les réfugiés syriens. L’accès aux services publics de base est de plus en plus limité et la main d’œuvre qualifiée fuit le pays. Le retour des déplacés (entre 800 000 et un million sur une population de 5,5 millions d’habitants) dans un Sud largement détruit, génère à présent une situation humanitaire très dégradée.
2/ Les déséquilibres macroéconomiques persistent dans le contexte durable d’un affaiblissement des finances publiques, d’une politique monétaire insoutenable et d’un secteur bancaire a l’arrêt.
La situation des finances publiques libanaises s’est stabilisée et a connu une certaine amélioration. Les recettes publiques devraient s’élever pour 2024 à 3,5 Mds USD environ. Entre 2019 et 2023, les recettes publiques avaient connu un effondrement, à 6% du PIB en 2023 contre plus de 20% avant la crise. Les dépenses avaient également progressé de 7,3% du PIB en 2021 à environ 9% en 2023 tirées essentiellement par les dépenses de fonctionnement. La dette publique demeure insoutenable, à 280% en 2022 (contre 181% en 2021).
La politique monétaire a montré des signes de stabilisation mais la sphère financière demeure dysfonctionnelle. La Banque du Liban réussit depuis l’été 2023 à maintenir une parité de 89 500 LPB pour 1 USD notamment du fait d’une réduction de la base monétaire en LBP (-37% en février 2024 en g.a.). La Banque du Liban conduit cette politique à travers notamment une restriction de l’offre de LBP aux banques commerciales, le règlement en espèces de certains droits et taxes ainsi qu’une limitation et un échelonnement des opérations de change menées en faveur du gouvernement. Ce nouveau régime de change fixe de facto ne semble pas soutenable à moyen-terme et dépend du relatif équilibre budgétaire de l’État libanais. La dégradation du contexte économique régional risque de peser sur les réserves en devises qui avaient considérablement diminué depuis le début de la crise, de 30 Mds USD en 2018 à 8,6 Mds USD mi-2023, et qui connaissaient un redressement relatif depuis un an (10,4 Mds USD mi-août 2024, soit 7 mois d’importations). En effet, la Banque du Liban a vu ses réserves brutes de change diminuer de 412 M USD en un mois (-3,8%), passant de 10,7 Mds USD au 1er octobre à 10,1 Mds USD au 31 décembre 2024.
Le système bancaire demeure largement paralysé et confronté à de graves problèmes de solvabilité et de liquidité, compte-tenu du niveau de pertes de 75 Mds USD dans le système financier. Le bilan des banques commerciales demeure très déséquilibré, avec un passif de 90 Mds USD de dépôts de clients et un actif de 84 Mds de dépôts à la banque centrale ayant pour l’essentiel disparus. Par ailleurs, la dollarisation de l’économie et la progression d’un secteur informel opérant en cash s’amplifient. Le poids de l’économie cash au Liban est ainsi passé de 4,5 Mds USD en 2020 à 9,9 Mds USD en 2022, soit un ratio de l'économie liquide qui atteint 46% du PIB. Cette situation limite les recettes fiscales et accroit les risques en matière de criminalité financière. Le Liban a ainsi fait son entrée sur la liste des juridictions sous surveillance renforcée (liste grise) du GAFI le 25 octobre 2024.