Situation économique et financière

Après un rebond post-Covid en 2021, la guerre en Ukraine a de nouveau freiné la croissance (5,4 % en 2022) et entraîné une forte inflation (9,1 % fin 2022). Alors que la dette publique reste catégorisée à risque de surendettement « élevé » par le FMI, le resserrement des conditions financières mondiales aggrave les risques sur la soutenabilité de cette dette, auxquels s’ajoutent des tensions sur sa trésorerie avec des difficultés de financement de la dette domestique. Le Gouvernement est forcé de consolider ses finances publiques, accompagnés par les bailleurs (FMI et Banque mondiale en particulier).

1. Situation économique et politique

Régime démocratique, le Kenya se caractérise par la faiblesse des institutions publiques face aux intérêts privés. Le Kenya est classé 123ème/180 dans le classement Transparency International 2022, en hausse de 5 places par rapport à 2021. La corruption a atteint une ampleur inégalée durant la décennie 2010, en relation avec la politique d’investissements publics massifs dans les infrastructures dans le cadre de la stratégie Vision 2030. Suite aux élections d’août 2022 et la nomination du président W. S. Ruto, une alternance démocratique a été mise en place. Le programme de la nouvelle administration Bottom-up Economic Transformation Agenda (BETA) 2022–27 vise notamment à réduire le coût de la vie, éradiquer la faim, créer des emplois, élargir l'assiette fiscale et de promouvoir une croissance inclusive en investissant dans le capital « au bas de la pyramide ». Ses cinq piliers fondamentaux sont l'agriculture, le logement et l'habitat, MPME, la santé, les autoroutes numériques et l'économie créative.

La stratégie de développement Vision 2030, mise en place en 2008, a permis d’élever le taux de croissance de 3,7 % sur la décennie 2000 à 5,9 % en moyenne sur la décennie 2010. Première économie de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), avec un PIB de 116,0 Mds USD en 2022, soit 2 277,7 USD par habitant (contre (2215,8 USD en 2021), le Kenya a été le premier pays de la CAE classé à revenu intermédiaire (rejoint en 2020 par la Tanzanie). Cette performance est le fruit d’investissements publics massifs dans les infrastructures, en particulier dans les transports et l’énergie, destinés à accélérer l’intégration du pays dans les échanges mondiaux. L’investissement public est ainsi passé de 4 % du PIB sur 2000-2008 à 8 % sur la dernière décennie. Le pays est 152ème sur 191 selon son IDH 2021. Bien que les données officielles sur la pauvreté pour 2022 ne soient pas encore disponibles, les enquêtes à haute fréquence de la Banque mondiale estiment la pauvreté à environ 40 % en juin 2022 (contre 36 % en 2016).

Le Kenya est une économie de services (46,5 % du PIB), à l’origine d’innovations répliquées dans tout le continent. Bien que l’agriculture (37,5 %) assure toujours l’essentiel des exportations et deux-tiers des emplois, le développement des services numériques, bancaires et financiers ou dans les transports a fait du Kenya le hub de l’Afrique de l’est. Le système de paiement mobile M-Pesa notamment, a accéléré l’inclusion financière de près de 70 % de la population. En revanche, la stratégie de ré-industrialisation du pays, qui s’appuie sur la protection de filière – textile, cuir, mécanique, chimie – et l’octroi d’incitations fiscales, n’a pas permis l’augmentation visée de la part du secteur industriel (15 % du PIB en 2019 contre 20 % en 2011).

2. Conjoncture et finances publiques

La croissance s’est établie à 5,4 % du PIB en 2022 après -0,3 % en 2020 et 7,5 % en 2021, grâce à la reprise des activités d'hébergement et de restauration (+22,9 % au T3 2022[1]) et du commerce de gros et de détail (+9,1 %). Selon le FMI, la croissance s’établirait à 5,3 % en 2023.

L’inflation a atteint 7,9 % en janvier 2023, et devrait s’élever à 7,4 % en moyenne annuelle (contre 6,6 % en 2021). Cette hausse est principalement portée par les prix de l’alimentation et des carburants. En réponse à l’inflation croissante et pour alléger les pressions sur le change, la Banque centrale a rehaussé son taux directeur à quatre reprises pour atteindre 9,50 % en mars 2023.

En 2022, le déficit du compte courant s’est creusé à -4,7 % du PIB selon le FMI contre -5,2 % du PIB en 2021, et largement en dessous de la moyenne 2010-19 (-6,7 %), grâce à la résilience des exportations de biens et le dynamisme des transferts de fonds de la diaspora (+10,4 % en g.a. entre janvier et septembre 2022).

En 2023, le déficit public devrait être ramené à 5,2 % du PIB (contre 6,0 % du PIB en 2022), grâce à une rationalisation des dépenses non prioritaires (estimée à 1,7 pdPIB). Selon les estimations du FMI, la dette kenyane rapportée au PIB redescendrait ainsi à 66,6 % du PIB dès 2023, contre 67,9 % en 2022.

La dette publique kenyane est sur une trajectoire haussière, passant de 48,6 % du PIB en 2015 à 67,9 % en 2022 (en raison de la mobilisation d’importantes ressources non concessionnelles pour la réalisation des grands projets comme le Standard Gauge Railway). La dette extérieure compte pour 50,6 % de la dette publique totale. Dans le cadre du programme FMI la composition de la dette externe a ainsi évolué en faveur de la dette concessionnelle multilatérale (47,4 % de la dette externe en décembre 2022, contre 42,7 % en décembre 2021), avec un recul de la dette bilatérale[1] (25,8 %, contre 28,1 % en décembre 2021) et de la dette commerciale (26,5 %, contre 28,9 % en décembre 2021). Elle est majoritairement libellée en dollars (68,1 % de la dette externe). Concernant la dette domestique, les obligations du Trésor (T-Bonds) représentaient 56,6 % (en hausse de 9,4 % en g.a.), tandis que les bons du Trésor (T-Bills) représentaient 15,0 % (en baisse de -5,3 % en g.a.).

D’après la Debt Sustainability Analysis (DSA) du FMI, la dette kenyane est soutenable avec un risque élevé de surendettement, depuis sa dégradation en avril 2020. Le Kenya connaît des fragilités qui se sont accrues en 2022, du fait du resserrement monétaire de la Fed et de la hausse des prix exacerbée par la guerre en Ukraine, se répercutant sur les taux internationaux et domestiques. Les rendements du marché secondaire pour les euro-obligations du Kenya restent élevés, entre 11,2 % et 13,7 % pour l’Eurobond 10Y, alors que l’euro-obligation émise en 2014 (2 Mds USD pour un taux à 6,9 %) arrivera à maturité en juin 2024. En décembre 2022, Fitch a dégradé la note du Kenya de B+ à B (outlook stable), en février 2023, S&P a dégradé la note du Kenya de stable à négative, et en mai 2023 Moody’s a a dégradé de B2 à B3 la note de la dette non garantie du Kenya en raison du risque associé au service de sa dette, et d'émissions obligataires nationales peu performantes.

Pour refinancer la dette externe le Kenya a eu recours à l'émission d'un prêt syndiqué auprès de banques commerciales, en devises, avec une cible initiale de 600 MUSD. Néanmoins, le montant cible du prêt syndiqué a été revu à la baisse (à 200 MUSD), indiquant la réticence des banques.

Par ailleurs, le shilling kenyan s’est déprécié de 9,0 % entre décembre 2021 et décembre 2022, les réserves ont chuté fin mars 2023 en dessous des 3,6 mois d’importations (son plus bas niveau en 10 ans). La dépréciation du shilling a entraîné une augmentation mécanique du stock de dette externe de 2,5 Mds USD au taux d’avril, alors que le pays fait face à une pénurie de dollars.



[1] La Chine est le 1er détenteur de dette bilatérale au Kenya à fin 2022 (67,2 % de la dette externe bilatérale ; 17,3 % de la dette externe totale), suivie par le Japon (13,3 % de la dette bilatérale ; 3,4 % de la dette externe totale) et la France, pour l’essentiel via l’AFD (7,8 % ; 2,0 %). La Banque mondiale est le 1er bailleur (28,2 % de la dette externe totale) suivi des détenteurs d’euro-obligations (18,7 % de la dette externe).

[1] Source : KNBS, variation trimestrielle

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