Situation économique et financière

Malgré les divers chocs qui ont affecté l’économie kenyane, la croissance a accéléré à 5,5 % en 2023, après 4,8 % en 2022. L’inflation a légèrement progressé à 7,7 %, dans la borne supérieure de la CBK. Alors que la dette publique reste catégorisée à risque de surendettement « élevé » par le FMI, le resserrement des conditions financières mondiales aggrave les risques sur la soutenabilité de cette dette, auxquels s’ajoutent des tensions sur sa trésorerie avec des difficultés de financement de la dette domestique. Accompagné des bailleurs, le gouvernement consolide ses finances publiques, exacerbant les risques qui pèsent déjà sur les ménages vulnérables et sur les entreprises, en particulier étrangères, qui se sentent prises en étau. Par ailleurs, le pays est entré sur la liste grise du GAFI en février 2024, manquant à 37 des 40 recommandations.

1. Situation économique et politique

Régime démocratique, le Kenya se caractérise par la faiblesse des institutions publiques face aux intérêts privés. Le Kenya est classé 126ème/180 dans le classement Transparency International 2023, en baisse de 3 places par rapport à 2022. La corruption a atteint une ampleur inégalée durant la décennie 2010, en relation avec la politique d’investissements publics massifs dans les infrastructures dans le cadre de la stratégie Vision 2030, et le pays est entré sur la liste grise du GAFI, et concomitamment sur la liste de l’UE, en février 2024. Suite aux élections d’août 2022 et la nomination du président W. S. Ruto, une alternance démocratique a été mise en place. Le programme de la nouvelle administration, Bottom-up Economic Transformation Agenda (BETA) 2022–27, vise notamment à réduire le coût de la vie, éradiquer la faim, créer des emplois, élargir l'assiette fiscale et de promouvoir une croissance inclusive en investissant dans le capital « au bas de la pyramide ». Ses cinq piliers fondamentaux sont l'agriculture, le logement et l'habitat, MPME, la santé, les autoroutes numériques et l'économie créative.

La stratégie de développement Vision 2030, mise en place en 2008, a permis d’élever le taux de croissance de 3,7 % sur la décennie 2000 à 5,9 % en moyenne sur la décennie 2010. Première économie de la Communauté d’Afrique de l’Est, avec un PIB de 108,9 Mds USD en 2023, soit 2 113,4 USD par habitant, le Kenya a été le premier pays de la CAE classé à revenu intermédiaire en 2014 (rejoint en 2020 par la Tanzanie, et par l’Ouganda en 2024). Cette performance est le fruit d’investissements publics massifs dans les infrastructures, en particulier dans les transports et l’énergie, destinés à accélérer l’intégration du pays dans les échanges mondiaux. L’investissement public est ainsi passé de 4 % du PIB sur 2000-2008 à 8 % sur la dernière décennie. Le pays est 146ème sur 193 selon son IDH 2022. Bien que les données officielles sur la pauvreté pour 2023 ne soient pas encore disponibles, la Banque mondiale estime que la pauvreté devrait reculer légèrement à 35,1 % en 2023 (seuil de 2,15 USD/jour), contre 35,8 % en 2022, grâce au retour des pluies, qui a permis d'améliorer les rendements agricoles et la santé du bétail.

2. Conjoncture et finances publiques

L’économie kenyane reste résiliente. La croissance a été de 5,4 % au premier semestre 2023 grâce à un fort rebond dans le secteur agricole qui a contribué à modérer l’inflation. Selon le WEO d’avril 2024, la croissance devrait s’élever à 5,5 % en 2023, après 4,8 % en 2022, puis se stabiliserait à 5,0 % en 2024. Toutefois, ces prévisions ne prennent pas en compte les pluies de mars-avril qui ont particulièrement affecté le pays (destruction d’infrastructures, déplacement de près de 200 k personnes). Par conséquent, l’inflation estimée à 7,7 % en moyenne annuelle en 2023 (au-dessus de la borne supérieur cible de la CBK de 7,5 %) devrait s’atténuer en 2024, à 6,6 % selon les prévisions du WEO, mais pourrait être réestimée à la hausse. La politique monétaire a été resserrée une nouvelle fois, avec une nouvelle augmentation du taux directeur de 50 points de base en février 2024 à 13 % (soit +425 pb au total depuis début 2023), afin de modérer les effets de second tour de l’inflation et ancrer les anticipations de change. La CBK a pris des mesures pour améliorer le fonctionnement du marché interbancaire du forex, jugé dysfonctionnel.

Le déficit du compte courant s’est réduit, estimé à -3,9 % du PIB en 2023 (contre -5,2 % en 2022), alors que les importations non énergétiques ont diminué tandis que les revenus du tourisme et les transferts de la diaspora sont restés dynamiques. Il se creuserait légèrement à -4,3 % du PIB en 2024. Bien qu’en baisse par rapport à 2022 (4,4 mois), les réserves de change restent adéquates, couvrant 4 mois d’importations en 2023 et stables en 2024. Le KES s’est largement déprécié tout au long de 2023 de près de 25 %, atteignant un pic le 23 janvier à 161,4 KES contre 1 USD. Il s’est rapidement réapprécié depuis, regagnant l’intégralité de sa valeur et s’échangeant à 130 KES au 31 mai, grâce au regain de confiance des marchés à la suite de l’émission de l’euro-obligation du 13 février (sur-souscrite pour 1,5 Md USD à un taux de 10,375 %). Bien que la crainte d’un défaut sur l’euro-obligation de 2 Mds USD arrivant à maturité en juin 2024 soit écarté, les risques de refinancement demeurent et le Kenya envisage notamment l’émission d’une SLB (sustainability-linked bond), avec le soutien de la Banque mondiale.

Le secteur bancaire reste rentable, mais les risques et de crédit et de marché restent élevés et les indicateurs de qualité des actifs se sont dégradés. En particulier, les PNP ont augmenté nettement. La croissance du crédit au secteur privé est restée dynamique.

Le déficit public s’est resserré à -5,3 % du PIB en 2023, après -6,1 % en 2022, du fait d’une exécution stricte des dépenses pour faire face aux recettes insuffisantes. Des mesures de consolidation supplémentaires ont été adoptées mi-décembre (pour 0,9 point de PIB). Une loi de finances supplémentaire a été soumise au Parlement en mai afin de réduire le déficit public à -3,9 % du PIB en FY2023/24.

La dette publique kenyane est sur une trajectoire haussière, passant de 48,6 % du PIB en 2015 à 73,3 % en 2023, en raison de la mobilisation d’importantes ressources non concessionnelles pour la réalisation des grands projets comme le Standard Gauge Railway. La dette extérieure compte pour 50,8 % de la dette publique totale. Dans le cadre du programme FMI, la composition de la dette externe a ainsi évolué en faveur de la dette concessionnelle multilatérale (46,8 % de la dette externe fin 2022, contre 42,7 % en décembre 2021). La dette bilatérale[1] représente 28,0 % de la dette externe et la dette commerciale, 25,2 %. Elle est majoritairement libellée en dollars (68,1 % de la dette externe). Concernant la dette domestique, les obligations du Trésor (T-Bonds) représentaient 85,0 % à fin décembre 2023 (en hausse de 2 % en g.a.), tandis que les bons du Trésor (T-Bills) représentaient 10,8 % (en baisse de -28 % en g.a.). La charge de la dette mobilise une part croissante des ressources publiques, atteignant 55 % des recettes en 2023. L’augmentation des coûts du financement domestique parallèlement au resserrement de la politique monétaire et aux conditions internationales renforcent les contraintes de liquidité.

L’analyse de soutenabilité de la dette du FMI (janvier 2024) maintient celle-ci en risque élevé de surendettement, avec des indicateurs de charge de la dette qui restent dégradés en lien avec les échéances à venir et l’augmentation des coûts de financement, mais se modèrent à moyen terme. Conformément aux recommandations du FMI, les autorités ont modifié la cible de dette à 55 % du PIB en VA.


[1] La Chine est le 1er détenteur de dette bilatérale au Kenya à fin 2022 (62,5 % de la dette externe bilatérale ; 17,5 % de la dette externe totale), suivie par le Japon (13,4 % de la dette bilatérale ; 3,8 % de la dette externe totale) et la France, pour l’essentiel via l’AFD (7,4 % ; 2,1 %). La Banque mondiale est le 1er bailleur (29,7 % de la dette externe totale) suivi des détenteurs d’euro-obligations (19,0 % de la dette externe).

 

 
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