Situation économique et financière

Après une décennie de croissance autour de 5-6 %, soutenue par le développement des infrastructures, la pandémie, a porté la croissance à -0,3 % en 2020, et a eu d’importants impacts sur la population qui voit l’extrême pauvreté toucher 16,6 M de personnes (30,8 % de la population). La crise sanitaire a accentué la dérive budgétaire du Kenya, dont le risque de non soutenabilité de la dette est maintenant catégorisé « élevé ». Le service de la dette devrait atteindre 4,9 % du PIB en FY21/22, avant de croître jusqu’à à 5,3 % du PIB en FY24/25, soulevant de fortes inquiétudes sur la capacité du pays à honorer sa dette à moyen terme. Dans ce contexte socio-économique, auquel s’ajoutent une inflation qui croît depuis 1 an (6,9 % en septembre), ainsi que les échéances électorales d’août 2022, toute mesure d’ampleur semble politiquement difficile.

1. La stratégie de développement volontariste a élevé le Kenya au rang des pays émergents.

La stratégie de développement Vision 2030, mise en place en 2008, a hissé le Kenya au rang des pays à revenu intermédiaire, en dépit d’une base économique encore largement sur fondée sur l’agriculture. Cette stratégie a permis d’élever le taux de croissance de 3,7 % sur la décennie 2000 à 5,9 % en moyenne sur la décennie 2010. Première économie de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), avec un PIB de 100 Mds USD en 2019, soit 1 998 USD par habitant, le Kenya est le seul pays de la CAE classé à revenu intermédiaire. Cette performance est le fruit d’investissements publics massifs dans les infrastructures, en particulier dans les transports et l’énergie, destinés à accélérer l’intégration du pays dans les échanges mondiaux. L’investissement public est ainsi passé de 4 % du PIB sur 2000-2008 à 8 % sur la dernière décennie.

Le Kenya est une économie de services (46,5 % du PIB), à l’origine d’innovations répliquées dans tout le continent. Bien que l’agriculture (37,5 %) assure toujours l’essentiel des exportations et deux-tiers des emplois, le développement des services numériques, bancaires et financiers ou dans les transports a fait du Kenya le hub de l’Afrique de l’est. Le système de paiement mobile M-Pesa notamment, a accéléré l’inclusion financière de près de 70 % de la population. En revanche, la stratégie de ré-industrialisation du pays, qui s’appuie sur la protection de filière – textile, cuir, mécanique, chimie – et l’octroi d’incitations fiscales, n’a pas permis l’augmentation visée de la part du secteur industriel (15 % du PIB en 2019 contre 20 % en 2011).

Le taux de pauvreté[1], passé de 44 % en 2006 à 36 % en 2016, atteindrait 25 % en 2030. Si la pauvreté rurale a diminué (51 % en 2006, 40 % en 2016), certains comtés périphériques restent touchés jusqu’à 80 %. Le nombre d’emplois formels créés diminue pour atteindre 65 000 en 2019, face à un million d’entrants sur le marché du travail. L’informel absorbe donc le surplus, et atteindrait 85 % des actifs, en progression.

2. La pandémie a exacerbé les risques pesant sur la dette kenyane, dont le service de la dette n'est plus soutenable

La croissance s’établirait à -0,3 % en 2020 après +5,0 % en 2019. La forte contraction du tourisme (-47,7 %) et des activités connexes a été partiellement compensée par la croissance des secteurs agricoles (+4,8 %), de la construction (+11,8 %) et de la santé (+6,7 %), grâce à la poursuite des investissements dans les infrastructures publiques et la santé. Selon le FMI, la croissance rebondirait à 6,3 % en 2021, puis 6,4 % en 2022, année des élections présidentielles kényanes.

Une inflation qui atteint 6,9 % en septembre 2021, en hausse de 2,1 pp en 1 an. Cette hausse est particulièrement marquée sur les prix de l’alimentation générale et des boissons non alcoolisées (+10,6 %) et les récentes hausses du prix de l’essence (+8,5 % depuis août). L’augmentation des prix du carburant a par ailleurs déclenché plusieurs manifestations d’ampleur à Nairobi en septembre.

Le déficit de la balance courante s’établit à 4,8 % du PIB en 2020, 1 pp de moins qu’en 2019. En raison de la baisse du prix du baril et du ralentissement de l’activité économique, les importations se sont établies à 14,5 % du PIB contre 17,4 % en 2019, tandis que les exportations restaient relativement stables, autour de 6,0 % du PIB. La balance commerciale s’établit ainsi à -8,5 % du PIB, contre -11,2 % en 2019. Les transferts de fonds de la diaspora atteignent 3,1 % du PIB, soit une amélioration de 0,2 pp par rapport à l’année précédente.

Alors que la pandémie a interrompu la consolidation fiscale engagée, les autorités ont limité le creusement du déficit à 7,8 % du PIB en FY19/20, et il s’établirait à -8,7 % en FY2021. En avril 2020, les autorités ont mis en place un ensemble de mesures visant à (i) alléger la pression fiscale pour soutenir l’économie, notamment la réduction du taux de TVA de 16 à 14 % ; et (ii) à augmenter les revenus avec la fin de certaines exemptions à la TVA notamment.  Au total, les revenus se sont établis à 17,0 % du PIB en FY20/21 (17,2 % en FY19/20). Du côté des dépenses, les 0,4 % du PIB de dépenses temporaires supplémentaires liées à la pandémie en FY19/20 ont été compensés par une coupe d'environ 0,6 % du PIB dans d'autres postes de dépenses. Les dépenses d’établiraient ainsi à 25,7 % en FY20/21 (25,0 % en FY19/20). Le déficit primaire s’établirait à -3,5 % du PIB en FY19/20 et à -4,6 % en FY20/21.

La dette publique kenyane est dans une trajectoire à la hausse depuis 5 ans, passant de 48,6 % du PIB en 2015 à 68,7 % en 2020 et devrait atteindre un pic à 72,9 % en 2022, reflétant des déficits budgétaires élevés portés principalement par les investissements en infrastructure et le choc engendré par la pandémie. La dette extérieure représente, à fin 2020, 35,6 % du PIB (31,6 % en 2019). Les créanciers multilatéraux comptent pour 39,7 % de cette dette, les créanciers bilatéraux pour 32,7 % (dont 63 % de celle-ci à des créanciers non membres du Club de Paris et en particulier les prêts auprès de la Chine pour financer le SGR) et les créanciers privés pour 25,9 %. A moyen terme, la hausse du service de la dette kenyane est inquiétante : il attendrait 4,9 % du PIB en FY21/22, avant de croître jusqu’à à 5,3 % du PIB en FY24/25, représentant alors 56,7 % des dépenses courantes dans le budget kenyan. Face à cette dette croissante, la société civile, la rapporteuse du budget ou bien encore le gouverneur de la banque centrale ont ouvertement montré leurs inquiétudes concernant un risque de défaut à moyen terme.

Malgré ces inquiétudes, les investisseurs internationaux ne semblent, pour l’heure, pas inquiets. Les rendements aux différentes maturités des émissions obligataires kenyanes poursuivent leur tendance à la baisse, synonyme d’un attrait des investisseurs.

Les autorités kenyanes, dans le but de dégager des liquidités pour lutter contre l’impact de la pandémie, ont souscrit à l’initiative DSSI pour les 2 semestres 2021. Cette souscription leur a permis de décaler dans le temps le paiement de 105 MUSD de service de la dette dû au Club de Paris (au 1er semestre 2021).

Enfin, les élections qui auront lieu en août 2022, couplé à l’impact socio-économique de la crise rendent difficiles toute mesure d’ampleur. Le recours au Common Framework en réponse aux tensions sur la dette parait peu probable avant cette échéance.

[1] Taux national, le seuil de pauvreté est différencié en milieu rural (1$/jour) ou urbain (1,9$/jour). Source : Economic Survey 2018, KNBS

3. Des conséquences socio-économique durables de la crise

La pandémie a provoqué une contraction de l’emploi de 4,1 % entre 2019 et 2020. Dans le secteur informel, qui constitue 83,4 % des emplois au Kenya, la contraction serait de 3,6 %. Le secteur public (+2,2 %) de créations d’emplois a pour sa part résisté davantage à la crise, principalement du fait de la création de postes dans le secteur de la santé (+5,8 %). Dans le contexte inflationniste actuel, les revenus moyens par employé ont diminué de 1,5 % en 2020.

En raison de la situation des finances publiques, les dépenses du gouvernement pour les services sociaux diminueront de 17,2 %. De même, les dépenses d’investissement dans les services sociaux diminueront de 55,3 %. Si ces dépenses ne sont pas structurantes dans la réduction des inégalités (585,6 MUSD ; 0,6 % du PIB en 2020), leur réduction pourrait aggraver le creusement des inégalités apparu durant la crise : la chute du revenu moyen des ménages a renforcé l’extrême pauvreté, passée de 16,3 à 16,6 M de personnes au cours de l’année 2020 (30,8 % de la population).

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