Investissements directs à l'étranger

Le Japon, investisseur majeur mais récipiendaire mineur

Le Japon est resté en 2023 un investisseur international majeur, présentant le 2ème flux mondial avec 167 Mds €, alimentant un stock de 1 939 Mds €. Cette dynamique s’appuie particulièrement sur les actifs financiers importants des entreprises. Inversement, l’accueil d’IDE entrants demeure faible (31ème rang mondial), motivant depuis 2023 un plan d’action du gouvernement. Si elle reste déséquilibrée, la relation avec la France à cet égard tend néanmoins à s’améliorer : le stock d’IDE français au Japon (21,5 Mds €) est ainsi 40 % plus élevé que le stock japonais en France (15,3 Mds €), alors qu’il était deux fois plus élevé il y a deux ans. La France est le 4ème investisseur au Japon mais reste seulement le 23ème pays récipiendaire[1].

1. Un redressement spectaculaire de la balance courante grâce aux revenus primaires

En 2023, le Japon a conservé son rang de 2ème investisseur mondial en flux (cf. annexe n° 5), avec un montant de 167 Mds €, derrière les États-Unis (368 Mds €). Si ces flux ne sont pas revenus à leur record de 2019 (200 Mds €), la dynamique observée depuis 2021 se poursuit (+14 % en 2023, après +10 % en 2022). S’agissant des stocks, le Japon, 7ème mondial sur la base des données de 2022, est passé 6ème avec 1 939 Mds € (+9 %), devant le Royaume-Uni. Il reste devancé d’une courte tête par l’Allemagne (5ème, avec 1 981 Mds €).

La recherche par le Japon de débouchés de croissance à l’international est ancienne : elle est liée au rétrécissement de son marché intérieur (perte anticipée de 35 Mi d’habitants d’ici 2060), ainsi qu’à sa faible croissance potentielle (inférieure à 1 % depuis le début des années 2000). Cette dynamique d’investissement s’appuie sur un patrimoine financier exceptionnel, dont 23 570 Mds € d’actifs financiers (plus de 6 fois son PIB) détenus par les acteurs privés (ménages : 13 830 Mds € ; entreprises : 9 740 Mds €, au T2 2024). Entre 2000 et 2023, les IDE sortants ont ainsi été multipliés par près de 8, et les revenus d’investissements directs par 12 (annexes n° 4 et 10), contre 2 pour les exportations.

Portée par (i) les revenus générés par ses IDE[2] et (ii) le redressement de sa balance commerciale[3], la balance des paiements japonaise a quasiment doublé en 2023 pour revenir à son niveau de 2021 (annexe n° 10), permettant au pays d’afficher un excédent courant de 134 Mds € (+87 %). Le Japon recouvre ainsi le rang de 3ème balance des paiements mondiale (+3), derrière l’Allemagne (239 Mds €) et la Chine (230 Mds €) mais devant les Pays-Bas (103 Mds €) et Singapour (90 Mds €).

2. L’actualisation du plan d’action gouvernemental visant à développer les IDE entrants

En 2023, les flux d’IDE vers le Japon ont chuté de plus de moitié (18 Mds €, soit -58 %), une baisse beaucoup plus forte que celle des flux mondiaux (-2 %) et des flux vers l’Asie (-8 % ; cf. annexe n° 5). Le Japon se classe ainsi au 21ème rang des pays récipiendaires en flux (22ème en 2021, 13ème en 2022). Le stock des IDE entrants au Japon (224 Mds €) reste assez faible (6 % du PIB ; 33 % pour la France), faisant du pays le 32ème récipiendaire en stock (+1 place par rapport à 2022), derrière la Chine, Singapour et Hong Kong mais aussi l’Inde, la Thaïlande, l’Indonésie et la Corée du Sud (27ème). Néanmoins,  le stock d’IDE entrants au Japon a doublé entre 2013 et 2023 selon les statistiques nationales (annexe n° 4).

En avril 2023, le gouvernement avait dévoilé un plan d’action visant à porter le stock des IDE entrants à 100 Tns ¥ (625 Mds €, soit 17 % du PIB), d’ici 2030. Actualisé en mai 2024, ce plan d’action comporte désormais une centaine de mesures, dont 10 prioritaires[4], qui prévoient notamment de créer des « Task-forces IDE », associant chefs de missions diplomatiques et bureaux de la Japan External Trade Organization (JETRO) à l’étranger, déployées depuis 2023 au sein de cinq pays, dont la France ; accueillir des ressources humaines hautement qualifiées en provenance d’Asie du Sud-Est et d’Inde, en direction des secteurs stratégiques dont celui des semi-conducteurs ; développer les fusions-acquisitions entre entreprises japonaises et étrangères via une nouvelle plateforme[5] ; promouvoir plus spécifiquement la collaboration entre start-ups et fonds de capital-risque étrangers.

À rebours de ces efforts d’attractivité et dans un contexte de tensions commerciales internationales (Covid-19, conflit en Ukraine, relations avec la Chine), le Japon a pris différentes mesures de sécurité économique au cours des six dernières années. En 2019, le seuil donnant lieu à contrôle préalable pour les prises de participations étrangères a été abaissé de 10 % à 1 % dans les secteurs dits « sensibles ». De plus, un ministère dédié à la sécurité économique existe depuis 2021. Enfin, la loi ESPA (Economic Security Promotion Act) de 2022 a renforcé une série de dispositions visant à assurer la sécurité des infrastructures-clés, notamment par un processus de contrôle des acteurs chargés de leur gestion.

3. La France, un investisseur de premier plan en progression

Après avoir occupé la 5ème place depuis 2020, la France a progressé au rang de 4ème investisseur étranger au Japon en stock en 2023, avec une part de 7 %, soit 21,5 Mds € (annexes n° 1 et 4), selon le JETRO. En volume, le stock français a toutefois légèrement diminué (-4 %), à contre-courant du top 2 dont le poids continue de se renforcer (États-Unis +13 %, 1er ; Royaume-Uni +2 %, 2ème). Les investissements français se concentrent dans le secteur manufacturier (58 % du total), dont l’automobile (48 %) et la finance (31 % ; cf. annexe n° 6). S’agissant des flux, la France a bondi au 3ème rang (+5 places) avec un flux de 2,5 Mds €, faisant de l’Hexagone le 1er investisseur européen devant le Royaume-Uni (2,3 Mds €).

Selon la Banque de France, le Japon représente le 17ème stock français à l’étranger (-2 places par rapport à 2022 ; annexe n° 3), à hauteur de 17,2 Mds €, en-deçà du pic de 2016 (26 Mds €), mais en progression de 3 % en g.a. L’archipel représente la 3ème cible d’investissement de la France en Asie, après la Chine (avec 28,9 Mds €) et Singapour (19,1 Mds €).

4. Un écart d’investissement au profit du Japon, toutefois en réduction

Les investissements japonais en France demeurent relativement faibles (10ème investisseur, soit une part de 1,2 %). Ils se concentrent dans les secteurs manufacturiers, à 48 %, dont 20 % dans le secteur automobile (annexes n° 2, 3, 7). Le JETRO rapporte un flux d’investissement japonais sortant à destination de la France de 1,8 Mds € en 2023, en hausse de près de 50 % et tirant la dynamique des flux japonais vers le monde (+4 % ; cf. annexe n° 4). Ainsi, la France a bondi au 16ème rang des pays récipiendaires d’investissements japonais, soit un gain de 13 places par rapport à 2022 : notre pays est la 6ème cible européenne du Japon derrière le Royaume-Uni (11,9 Mds €), les Pays-Bas (57,2 Mds €), l’Allemagne (4,1 Mds €), la Suède (3 Mds €) et la Suisse (2,7 Mds €).

Toutefois, la France représente toujours moins de 1 % du stock d’IDE japonais à l’étranger (0,8 %), se maintenant au 23ème rang mondial et au 7ème rang européen (identiques à 2022), d’après le JETRO. Le stock japonais dans l’Hexagone atteint désormais 15,3 Mds € (après 13,6 Mds € en 2022), reflétant une croissance de +13 %. Conjugué à la diminution du stock français dans l’archipel, l’écart entre les stocks tend à se réduire : le stock français au Japon a été supérieur de 41 % au stock japonais en France en 2023, contre 56 % en 2022 et 96 % en 2021. Le Japon reste en toute hypothèse le 1er investisseur asiatique en France (1,2 % du total des IDE en France, contre 0,7 % pour Hong Kong, 0,5 % pour Singapour et 0,3 % pour la Chine). En parts de marché, les capitaux japonais restent dirigés de façon prioritaire vers les États-Unis (34 % du stock japonais), tandis que l’Europe (27 %) et l’Asie (26 %) sont au coude à coude (annexe n° 4).

Selon le dernier bilan des investissements internationaux en France publié par Business France, le Japon se maintient en tête des pays asiatiques en termes de nombre de projets d’investissement et d’emplois. Le pays a grimpé de la 12ème à la 9ème place des investisseurs dans l’Hexagone en nombre de projets (57, soit 3 % du total), permettant de générer 1 127 emplois (-2,7 % par rapport à 2022). La France conserve ainsi sa place de 1er pays européen d’accueil des projets japonais, devant le Royaume-Uni (43) et l’Allemagne (36). Les activités de production manufacturières concentrent la moitié des projets d’investissement et des emplois (annexe n° 7).

Face à la faiblesse des IDE entrants au Japon, les gouvernements successifs (Abe, Suga, Kishida) ont adopté une attitude plus proactive, cherchant à promouvoir l’attractivité financière du Japon auprès des investisseurs internationaux. Des réformes ont été engagées, qui ont rendu les marchés de capitaux plus profonds et accessibles, permis une large autorisation des transactions de change, et renforcé le système de propriété intellectuelle. Plus récemment, alors que l’objectif d’IDE entrants au Japon a été relevé, des mesures d’ouverture des marchés publics et de facilitation des fusions-acquisitions attestent un changement progressif des mentalités.

Le sujet reste prioritaire pour le nouveau gouvernement Ishiba, alors que l’économie nationale voit une résurgence des défaillances d’entreprises au Japon (+15,1 % en g.a. en 2024). Parmi les barrières à l’investissement qui restent à lever figurent : l’influence des keiretsu (conglomérats nationaux aux participations croisées) qui reste forte ; la prudence à l’égard des investisseurs étrangers offensifs ; la tendance à la thésaurisation des liquidités des entreprises et le faible rendement des fonds propres (39 % des entreprises de l’indice MSCI Japan ont un return on equity (ROE) inférieur à 8 % en 2024) ; les rigidités du marché de l’emploi, ainsi que celles des administrations.

Les entreprises françaises continuent de miser sur le Japon : la France représente désormais près d’un tiers du stock d’investissements de l’Union européenne dans l’archipel (67 Mds €), faisant de notre pays le 1er stock européen. En regard, la France présente des marges de progression pour attirer plus d’investissements japonais, notamment par le biais de participations dans des sociétés de niche, à condition néanmoins de rassurer les investisseurs japonais sur la poursuite des réformes engagées à des fins d’attractivité (fiscalité, modèle social, procédures administratives, etc.), dans un contexte politique français peu clair pour eux.


[1] Pour mémoire, les divergences méthodologiques de comptabilisation entre la Banque de France et la JETRO (Japan External Trade Organisation) sont responsables d’écarts de mesure plus ou moins importants, pouvant complexifier l’interprétation des flux.

[2] Les revenus générés par les IDE (131 Mds €) permettant de maintenir les revenus primaires à niveau très élevé (218 Mds €, identique à 2022).

[3] Après avoir affiché en 2022 un déficit record de -143 Mds €, la balance commerciale japonaise s’est redressée en 2023 (déficit de -62 Mds €, -54 % en g.a.), portée par des exportations solides (+2,8 % en g.a.) et la première baisse des importations depuis 2020 (-7 % en g.a.).

[5] Pilotée par le Ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI) et le JETRO, la plateforme vise à renforcer les fusions-acquisitions dans six secteurs (neutralité carbone, smart cities, mobilité, santé, commerce de détail, agro-tech).

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