Bilan macro-économique : de nouveaux horizons de croissance ?

Le Japon retrouve le chemin de la croissance grâce à la reprise de la consommation et des investissements. Cette croissance demeure néanmoins fragile : la consommation reste fluctuante et la faiblesse du yen, tout en stimulant les exportations, alourdit la facture énergétique d’un pays très dépendant aux approvisionnements extérieurs. Dans un contexte d’inflation record, le gouvernement poursuit sa politique de soutien massif à l’économie et promeut des réformes structurelles avec un accent sur l’innovation, la transition écologique et le capital humain. Le budget 2023 porte un effort inédit sur les dépenses de défense.          

I. Puissance économique et croissance
  • Le Japon est toujours une grande puissance économique et financière, ouverte sur le monde…

3ème économie mondiale, le Japon présente un PIB de 3929 Mds € en 2022[1], et un PIB par habitant équivalent à celui de la France. Le Japon dispose d’un patrimoine financier domestique exceptionnel : 25 000 Mds € d’actifs, soit 6 fois son PIB, détenus par les acteurs privés et investis principalement dans l’archipel. Le Japon est aussi fortement tourné vers l’extérieur : en 2021, le pays affichait le 3ème excédent courant au monde et se classait au 8ème rang mondial pour les IDE. Le développement international du Japon constitue un relais majeur de croissance : 80% des échanges commerciaux japonais sont désormais couverts par la signature d’accords multilatéraux (TPP, APE, RCEP) et bilatéraux (Etats-Unis puis Royaume-Uni).

  • Mais son économie est confrontée à des défis considérables

Sous l’effet du déclin démographique du pays (-800 000 personnes par an), la croissance potentielle reste proche de zéro et n’a jamais dépassé 1% depuis 2000. Les réformes Abenomics n’ont été que partiellement mises en œuvre et n’ont pas créé le choc de confiance espéré (croissance de 0,9% en moyenne entre 2010 et 2019, contre 0,6 % entre 2000 et 2010). La population du pays pourrait baisser de 125 Mi d’habitants en 2020 à 90 Mi en 2060. Une faible dynamique de la productivité (21ème rang sur 38 au sein de l’OCDE) et de l’investissement des entreprises ainsi qu’un environnement déflationniste sont les principales causes d’une stagnation des salaires et de la consommation observée sur le long terme. 

  • A court terme, les perspectives de croissance sont positives

La levée tardive des restrictions sanitaires et la réouverture du pays aux visiteurs étrangers ont permis au Japon de renouer avec la croissance en 2022, en décalage d’un an avec l’Europe et les Etats-Unis. Comme en 2021, la croissance a suivi une trajectoire en dents de scie. Après un T1 négatif, au T2 elle a retrouvé son PIB pré-pandémique pour la première fois. Après un T3 à nouveau en baisse, le PIB réel a enregistré une croissance atone de +0,02% au T4. Sur l’année, la croissance s’est élevée à +1%, alors que le FMI prévoyait encore une croissance 1,4% en janvier 2023.

La demande intérieure devient le moteur de la croissance et devrait porter la reprise en 2023, la demande latente n’ayant pas été épuisée, alors que les épargnes sont robustes (13% du PIB accumulés durant la pandémie), et le fort redémarrage du tourisme soutenant la consommation. Des freins à la reprise subsistent (difficultés de recrutement dans le secteur des services, baisse de la demande des partenaires commerciaux). Le secteur manufacturier reste sous tension avec un PMI inférieur au seuil de contraction depuis 5 mois (49,2 en mars 2023). Comme en 2022 (–0,6pp), la contribution des exportations nettes à la croissance resterait négative en 2023 (-0,1pp) selon le Cabinet Office, malgré l’assouplissement de la stratégie COVID chinoise. Toutefois, le redémarrage décalé bénéficierait au Japon en portant la croissance à 1,8% en 2023.

II. L’inflation au Japon : danger pour la consommation ou sortie de la déflation ?
  • Un niveau d’inflation inférieur à celui des autres économies avancées – mais record au Japon

Le Japon fait face à des pressions inflationnistes qui restent faibles par rapport au reste du monde, mais qui constituent un test dans un pays où les salaires stagnent sur la longue durée. L’inflation atteint +3,3% en glissement annuel en février. D’abord tirée par l’énergie, elle s’est diffusée à l’alimentation - deux domaines dans lesquels le Japon est fortement dépendant des importations (à hauteur de 88 % et 40 % respectivement). Compte tenu de la forte dépréciation du yen (-20% face au dollar par rapport à 2021), l’effet change renchérit les importations (+39% pour les contrats en yen % vs +21 % en devise).

A rebours des autres grandes banques centrales, la Banque du Japon (BoJ) a néanmoins maintenu inchangée sa politique monétaire accommodante, créant un différentiel grandissant entre les rendements japonais et américains et faisant baisser davantage le yen. Le nouveau gouverneur K. Ueda, qui a pris ses fonctions le 9 avril 2023, a qualifié la politique monétaire « d’appropriée », écartant un resserrement monétaire rapide.

  • Une possibilité de ré-ancrer les anticipations d’inflation à la hausse et sortir de la déflation ?

Cette inflation inédite peut être une occasion de ré-ancrer, à la hausse, des anticipations d’inflation dans un pays confronté à un état d’esprit déflationniste persistant : l'inflation n'a jamais dépassé 1% de manière durable depuis 1994. Les consommateurs japonais sont très sensibles aux hausses de prix, les entreprises ont tendance à rogner sur leurs marges ou réduire leurs investissements plutôt qu’augmenter leurs prix, ce qui tire à la baisse la profitabilité et la croissance de la productivité et, in fine, la progression des salaires. Depuis le début du conflit ukrainien, cette réticence à répercuter les hausses de prix semble évoluer : l’écart entre l’indice des prix à la production et à la consommation s’est fortement réduit (de 8,2 pp en mars 2022 à 4,9 pp en février 2023).

Pour être durable, le retour de l’inflation devra être tiré par la demande. Alors que les salaires réels ont reculé de −4,1 % (g.a.) en janvier, le gouvernement a appelé les entreprises à des hausses égales à l’inflation et augmenté les incitations financières en ce sens (crédits d’impôts pour les entreprises qui procèdent à des hausses d’au moins 1,5% pour les PME et 3% pour les grandes entreprises). Suite au Shunto – grande négociation salariale du printemps : une hausse inédite de 3,7% a été validée par les partenaires sociaux. La BoJ estime toutefois qu’une hausse de 5% est nécessaire pour enclencher une dynamique d’inflation de 2%.

III. Investissements : hausse historique des dépenses militaires 

Le budget 2023 atteint le montant record de 114,4 Tns ¥ (817 Mds €), soit 21% du PIB réel 2022. Le budget de la défense connaît une hausse historique de 48,6 Mds €, en croissance de 26% par rapport à 2022, soit la plus forte augmentation annuelle des dépenses militaires depuis 1952. Le gouvernement se fixe l’objectif de porter les dépenses militaires à 2% du PIB d’ici 2027, avec notamment la mise en place d’un fond dédié de 307 Mds € sur cinq ans. Les dépenses de sécurité sociale représentent 32,3% du budget, à hauteur 263,5 Mds €, (+1,5%), marquant un recul de 1,4 points dans la part du budget.

Si la majorité des mesures emblématiques du « Nouveau Capitalisme » ont été incluses dans les plans de relance précédents - dont celui de décembre 2022, le budget 2023 entérine la décision d’émettre 140 Mds € « d’obligations de transition » sur 10 ans pour la transition énergétique (i.e. 929 Mds € seront émis par le secteur privé sur 10 ans), la promotion de la R&D et l’augmentation du budget de « l’Agence du numérique ». Le cadre budgétaire bénéficierait d'un renforcement des outils de pilotage des finances publiques

 

[1] Taux 2022 : 1 € = 140¥

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