Situation économique de l'Irak à l'automne 2023

Irak : situation macroéconomique à l’automne 2023

Résumé : Fortement dépendant des activités pétrolières, l’Irak devrait rentrer en récession en 2023 (-2,1% selon le FMI, -2,3% selon la Banque mondiale[1]), principalement sous l’effet d’une diminution de la production de pétrole couplée à la baisse du cours du baril par rapport à 2022. La très nette amélioration de l’équilibre externe et des finances publiques de l’Irak en 2022 atténue à court terme les risques sur la stabilité macroéconomique du pays (dette publique ramenée à 41% du PIB en 2022, réserves de change à 15 mois d’importations). L’Irak reste notée B- avec perspective stable par Standard and Poor’s. Le modèle économique de l’Irak est toutefois peu soutenable à moyen terme en raison d’importantes fragilités structurelles : surdépendance de l’État aux revenus pétroliers, absence de diversification économique, marché du travail atone malgré la croissance démographique, faiblesses du secteur bancaire, atrophie du secteur privé et corruption endémique. Les perspectives de réformes économiques sont encore aujourd’hui sapées par un prix du baril encore élevé et une dynamique politique qui privilégie le maintien de la paix sociale au détriment d’un modèle économique plus viable.

1. Dégradation de l’ensemble des indicateurs macroéconomiques cette année, après une nette amélioration de l’équilibre externe et des finances publiques en 2022
1.1 Après une forte reprise post-pandémie, spectre d’une récession en 2023 due à la modération du prix du baril et la baisse de la production pétrolière domestique

En 2022, selon la Banque mondiale[2], le PIB irakien a enregistré une progression de 7%, après une contraction du PIB de 2,1% en 2021. Le secteur pétrolier – qui a représenté 61% du PIB – a progressé de 12%, principalement porté par la hausse du prix du baril (baril exporté à 95,6$ en moyenne en 2022, contre 68,4$ en 2021), tandis que le secteur non-pétrolier est resté atone. Le PIB/habitant se rapproche du niveau pré-pandémie et pré-conflit avec Daech à 6 265$ en 2022. Ce niveau permet à l’Irak de s’ancrer durablement dans son statut de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure.

Pour 2023, la Banque mondiale anticipe une contraction du PIB de 2,3% et le FMI table sur un recul de 2,7%, principalement attribuable à la modération du prix du baril par rapport à 2022 (malgré une forte remontée depuis juillet 2023), à la baisse de la production domestique et la réévaluation du dinar en février 2023 qui a affaibli la contrepartie en monnaie locale des exportations (réévaluation de 10,3 %). Sur la période janvier-septembre 2023, le prix du baril brut irakien exporté s’est élevé à 78,1$, contre 100,2$ un an plus tôt (-22,1%, SOMO). En parallèle, la fermeture de l’oléoduc Kirkouk-Ceyhan depuis fin mars, couplée à la baisse des quotas de production de l’OPEP ont entrainé une baisse de plus de 6% de la production domestique pétrolière (4,5 Mbj en 2022 à 4,2 Mbj en octobre 2023). Sur les 10 premiers mois de 2023, les volumes exportés ont ainsi diminué de 10,8% (3,3 Mbj contre 3,7 Mbj un an plus tôt). Les exportations de pétrole représentant 99% des exportations du pays, le solde du compte courant qui avait atteint un niveau record en 2022 avec un excédent de 22,6% du PIB, devrait ainsi se réduire à 5% en 2023.

Le FMI et la Banque mondiale prévoient une reprise de la croissance irakienne en 2024, avec des estimations respectives de 2,9% et 4,3%. À plus long terme, la croissance de l'Irak devrait demeurer volatile et peu inclusive, étant donné la faible diversification économique. Le FMI anticipe une croissance moyenne autour de +3,4 % par an d'ici à 2028, un niveau modeste compte tenu de la croissance démographique soutenue (2,1% en 2021, la plus élevée de la région après la Syrie et les Territoires palestiniens).

1.2 Le solde budgétaire, qui affichait un fort excédent en 2022, devrait être déficitaire sous l’effet d’une baisse des recettes pétrolières et d’un budget en expansion

Compte tenu de la part des revenus pétroliers dans les recettes de l’État (estimées à 95 % en 2022), les comptes publics fluctuent selon l’évolution des cours pétroliers et de la production. Le solde budgétaire a ainsi été largement excédentaire à 11,7 % du PIB en 2022 selon la Banque mondiale, attribuable à une hausse des recettes de 48,2% couplées à une progression plus modérée des dépenses (+20,5%) en l’absence de Loi de Finances[3].

 Adoptée par le Parlement en juin 2023, la loi de Finances 2023 prévoit les dépenses les plus importantes de l’histoire de l’Irak – en hausse de 71% par rapport au précédent budget (2021). Les recettes sont estimées à 103,5 Md$ (87% issus des revenus pétroliers[4]) tandis que les dépenses sont portées à 153,1 Md$ – dont 75% de dépenses de fonctionnement, avec une forte hausse de la masse salariale. Le déficit budgétaire s’établit ainsi à 49,5 Md$, soit un montant record équivalent à 14,2% du PIB. La Banque mondiale anticipe toutefois un déficit budgétaire à 1,6% du PIB en 2023 (1,9% pour le FMI) – celui-ci devrait effectivement être largement atténué par l'excédent de trésorerie des années précédentes (absence de budget en 2022), la date tardive d'entrée en vigueur du budget (juin 2023, et qui peine encore à se déployer) et par sa sous-exécution chronique. En raison du caractère triennal de la loi de Finances, il est attendu que les grandes masses budgétaires soient répétées en 2024 et 2025. Ainsi, pour les années suivantes, si le budget est exécuté entièrement, sa structure est porteuse de risques non négligeables pour la stabilité des finances publiques du pays.

1.3 Un niveau d’endettement et des réserves de changes a des niveaux encore confortables, qui atténuent les risques à court terme

La dette publique a rapidement baissé à 40,8 % du PIB fin 2022 - après 55,1 % en 2021 et 77,4 % en 2020 - sous l’effet d’une hausse des recettes pétrolières et de l’absence de loi de Finances en 2022. L’Irak avait privilégié un endettement avec des maturités faibles (1 à 3 ans) durant la pandémie dont le renouvellement n’était pas nécessaire compte tenu de la forte croissance des revenus des exportations de pétrole brut. La dette externe est faible à 22,4 % du PIB en 2022. La Banque mondiale anticipe un rehaussement de la dette publique à 44,6% du PIB en 2023 (24,5% du PIB pour la dette externe), sous l’effet d’un budget en expansion et d’une baisse des recettes pétrolières.

Le rebond des exportations pétrolières avait permis en 2022 une reconstitution des réserves de change. Après une forte érosion en 2020 (54 Md$ en fin d’année), les réserves (or exclu) ont atteint un niveau record en 2022 à 89 Md$, soit 14,7 mois d’importations. Pour 2023, la Banque mondiale anticipe une baisse des réserves à 62,9 Md$ (or exclu), soit un niveau encore confortable qui représente 7,2 mois d’importations.

1.4 L’inflation reste maîtrisée, malgré une dépréciation du dinar irakien sur le marché de changes

Le système monétaire irakien repose sur un système de taux de change double, avec (i) un taux de change officiel fixe (currency peg) entre le dinar irakien et le dollar américain fixé par la Banque centrale et (ii) un taux sur les marchés de changes variable marqué par une importante volatilité depuis fin 2022. En novembre 2022, la Banque centrale d’Irak (BCI) a introduit, sous la pression de la Fed, des mesures renforcées de criblage des transactions ainsi qu’un nouveau système SWIFT, afin de lutter contre la criminalité financière et la contrebande de dollars vers les pays voisins de l’Irak. En conséquence, le volume des adjudications de dollars a drastiquement baissé et le taux IQD/USD sur le marché de changes s’est dégradé. Face à la crainte de mouvements sociaux d’ampleur, la BCI a réévalué le dinar de 10,3 % en février 2023 à 1$ = 1 300 IQD. Cette réévaluation n’a pas eu d’effet durable sur l’écart entre le taux officiel et celui sur les marchés de changes (écart d’environ 23% en octobre 2023). Afin de limiter la dépréciation du dinar sur les marchés parallèles, le gouverneur de la BCI a annoncé fin septembre que les transactions nationales devraient toutes être effectuées en monnaie nationale à partir de 2024.

Malgré la dépréciation du dinar irakien sur le marché de changes et la forte dépendance de l’Irak aux produits importés, l’inflation reste toutefois contenue. La dépréciation du dinar irakien a eu dans un premier temps un effet important sur l’indice des prix à la consommation, lequel a fortement augmenté en janvier 2023 (7,2% en glissement annuel contre 4,3% en décembre 2022 et 3,6% en glissement mensuel). Les subventions massives pour les produits alimentaires et les carburants déployées ont cependant atténué l’inflation pour le reste de l’année. Ainsi, après une inflation à 5% en 2022, la Banque mondiale anticipe un ralentissement à 4,8% en 2023, puis 4% pour 2024. Le FMI table quant à lui sur une progression de l’inflation à 5,3% en 2023, puis un ralentissement à 3,6% en 2023.

2. Un modèle économique peu soutenable en raison d’importantes fragilités structurelles
2.1 Des défaillances profondes de mobilisation des ressources domestiques de l’État

L’État irakien ne parvient pas à diversifier ses recettes, les revenus pétroliers constituant traditionnellement près de 90 % de ses ressources. Du fait de son caractère majoritairement informel, le secteur privé échappe largement à l’impôt avec 95% des entreprises privées qui n’auraient pas d’existence légale et seulement 14% des employés du privé qui disposeraient d’un contrat de travail (OIT, 2020). De même, la collecte des recettes reste largement défaillante avec un taux de perception avoisinant les 10% des factures émises pour les services de l’eau et de l’électricité (ministère des Finances). Enfin, en raison de la corruption endémique et de l’absence de contrôle fédéral d’une partie des postes-frontières (60% des importations en valeur entrent via le Kurdistan irakien sans supervision fédérale), seul 10% du produit des recettes douanières parviendrait au gouvernement central (ministère des Finances). Ce manque à gagner expose dangereusement le budget fédéral à la fluctuation des cours internationaux du baril. Si feuille de route ministérielle, approuvée par le Parlement en novembre 2022, présentait l’objectif de réduire la part des recettes pétrolières dans les revenus publics à 80 % d’ici 3 ans, la stratégie de diversification des recettes peine à se matérialiser.

2.2 Une faible diversification économique qui affecte le marché de l’emploi

Alors même que le taux de participation à la population active des Irakiens en âge de travailler est parmi les plus faibles de la zone ANMO (39,5% contre 52% dans la région MENA), le taux de chômage atteint 16,5% fin 2021 (OIT). Les activités pétrolières étant peu créatrices d’emplois (environ 1% des emplois), l’État reste le principal pourvoyeur d’emplois avec 37,9% de fonctionnaires sur les emplois totaux du pays (sans compter les agents des entreprises publiques qui représenteraient 10 à 20% des emplois). Le secteur privé ne parvient pas à prendre le relais pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail (environ 850 000 chaque année), le pays étant classé 172ème sur 190 pays en termes de climat des affaires (Banque mondiale 2020). La lourdeur des procédures – 154ème pour les facilités de lancement d’une entreprise – mais surtout les difficultés d’accès au crédit (186ème) sont largement en cause. La corruption endémique est un facteur aggravant, l’Irak se classant 157ème sur 180 pays sur l’indice de perception de la corruption du secteur public (Transparency International, 2023).

2.3 Des choix de dépenses publiques peu favorables au développement économique futur

Le budget de l’État est ainsi peu flexible puisque capté en grande partie par l’importante masse salariale publique. Les politiques budgétaires irakiennes sont structurellement procycliques avec des embauches massives de fonctionnaires en période de forte hausse des cours internationaux et des coupes dans les dépenses d’investissement, d’éducation et de santé en phase de reflux. Ainsi, le budget 2023 consacre 36,9% de ses dépenses au versement des salaires des agents publics et pensions de retraites - soit 58,7 Md$, contre 38 Md$ pour les dépenses d’investissement. Plus de 810 000 emplois supplémentaires[5] sont prévus au budget 2023 par rapport au budget 2021. S’il n’était sans doute pas politiquement envisageable d’éviter une hausse de ces dépenses dans le budget 2023 afin de garantir une certaine paix sociale, l’augmentation choisie est massive. Elle se fait au détriment de dépenses d’investissement dans le capital humain et les infrastructures, nécessaires au développement et à la reconstruction du pays. Par ailleurs, les dépenses d’investissement sont traditionnellement largement sous-exécutées[6] faute d’une gouvernance appropriée en matière de gestion de projet.

2.4 Un secteur bancaire qui participe faiblement au financement de l’économie

Avant même les infrastructures défaillantes, les difficultés d’accès au crédit restent le premier frein à l’émergence du secteur privé. Le secteur bancaire est concentré autour des trois grandes banques publiques qui détiennent 90% des dépôts et accordent 81% des prêts. Les besoins de financement de l’État entraînent un effet d’éviction du soutien bancaire au secteur privé. La part d’activité des banques dédiée au secteur privé, mesurée par le volume de prêts accordé, atteint ainsi seulement 54,4% au T2 2022 (FMI). L’activité bancaire reste peu dynamique de façon générale avec un ratio prêts-dépôts sous-optimal de 94% pour l’ensemble des banques en juin 2022 (FMI). Seulement 19% de la population adulte serait titulaire d’un compte en dinar irakien dans une banque locale. C’est ainsi une cash economy qui prévaut (retrait immédiat en espèces des salaires versés aux fonctionnaires, moyens de paiement faiblement dématérialisés, paiement d’achats importants – tels que des achats immobiliers en espèces) avec près de 90 % des transactions en dinars irakiens en volume qui auraient été réalisées en espèces. Le manque de confiance dans le système bancaire, malgré une disponibilité croissante des solutions de paiement numérique, reste le principal frein au développement des transactions électroniques.


[1] Les données de la Banque mondiale sont tirées du Middle East and North Africa Economic Update (octobre 2023) et du Iraqi Economic Monitor (juillet 2023) et celles du FMI du World Economic Outlook (octobre 2023). Lorsque non-précisées, les données utilisées sont celles de la Banque mondiale.

[2] En l’absence de publication de prévisions macroéconomiques par les autorités irakiennes, données de la BM et du FMI.

[3] Fonctionnement en 1/12ème budgétaire sur la base des dépenses courantes exécutées en 2021, complété par une loi de finances d’urgence votée en juin 2022 qui prévoit 17,5 Mds$ de crédits à engager.

[4] L’estimation des recettes pétrolières est basée sur des exportations de pétrole de 3,5 M/bj à 70$ le baril.

[5] Environ 210 000 nouveaux contractuels et 600 000 nouveaux fonctionnaires.

[6] Taux d’exécution d’environ 20% pour les investissements publics hors hydrocarbures et 77% pour ceux dans le secteur des hydrocarbures

Publié le