IRAK
Situation économique et financière de l'Irak
L’Irak fait face à une triple crise : sanitaire, financière et sociale. Les marges de manœuvre budgétaires pour y faire face sont étroites, une conséquence de choix économiques contestables depuis 2003. Sans sursaut des autorités irakiennes, les perspectives économiques apparaissent très sombres. L’arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre Mustafa al-Kadhimi en mai suscite des espoirs. En quelques semaines, il a orienté son action autour de deux axes : le premier a consisté à dégager des marges de manœuvre budgétaires exceptionnelles pour faire face aux urgences, notamment sanitaires ; en parallèle, il a lancé plusieurs chantiers visant à réformer en profondeur la gouvernance économique du pays.
1. Une combinaison de chocs de grande ampleur
Le pays fait face à une grave crise sanitaire. Au 14 décémbre 2020, le nombre total de cas enregistrés s’est établi à plus de 570 000 et le nombre de morts à presque 13 000 (pour rappel, la population irakienne est de l’ordre de 40 millions d’habitants). Le système sanitaire irakien n’est pas dimensionné pour faire face à la pandémie, comme l’a d’ailleurs reconnu publiquement l’actuel ministre de la Santé.
Le pays est par ailleurs dans une situation budgétaire exsangue, liée au reflux des cours internationaux du pétrole. En 2019 où le prix moyen du baril de Brent s’était établi à 65,2 USD et les exportations à 3,5 Mb/j (hors celles du Kurdistan), le secteur pétrolier aurait contribué à hauteur de 40 % au PIB du pays, de 92 % à ses recettes publiques et de 99 % à ses exportations. Dans ce contexte, le choc mondial sur les cours du pétrole constaté depuis le début de l’année 2020, couplé aux efforts de réduction de la production dans le cadre des engagements de l’OPEP+, exercent de fortes pressions sur les finances publiques du pays. Si les prix du pétrole semblent avoir amorcé une hausse depuis le point bas d’avril, les niveaux atteints aujourd’hui, de l’ordre de 52 USD pour le Brent, sont insuffisants pour assurer l’équilibre budgétaire de l’Irak : en 2019, soit avant même la crise sanitaire, le FMI estimait le point mort budgétaire irakien à entre 60 et 64 USD, un niveau élevé qui s’explique par le poids des dépenses récurrentes incompressibles dans le budget de l’Etat et, en particulier, par la masse salariale des fonctionnaires.
Enfin, un mouvement de protestations sociales d’ampleur sans précédent a éclaté en octobre 2019, conduisant à la démission de l’ex-premier ministre Adel Abdel Mahdi puis à un vide politique jusqu’à la mi-2020. Ce mouvement s’est aujourd’hui largement essoufflé sous l’effet de la répression et de la crise sanitaire.
2. Un pays mal préparé pour faire face à de tels chocs : la malédiction des ressources naturelles
L’abondance des ressources naturelles constitue le principal atout du pays, qui se classe au 4e rang des économies du Moyen-Orient, derrière l’Arabie Saoudite, l’Iran et les Emirats arabes unis. L’Irak dispose ainsi des 5es réserves mondiales de pétrole – 2e producteur de l’OPEP – et des 11es en gaz.
L’accent porté par les différents gouvernements depuis 2003 sur l’exploitation de ces ressources s’est toutefois fait au détriment du développement des infrastructures de base, et donc du secteur privé et de l’emploi. De façon générale, le pays consacre un peu moins d’un quart de ses dépenses aux investissements. Non seulement ce taux n’apparaît pas élevé au regard des besoins induits par des décennies de guerre mais, en plus, les trois quarts de ces dépenses concernent le secteur du pétrole, qui nécessite peu de main d’œuvre et dont les effets d’entrainement sur le reste de l’économie sont très limités.
Pour compenser le faible dynamisme de l’emploi dans le secteur privé induit par une telle stratégie et maintenir la paix sociale, les gouvernements successifs ont massivement recruté dans la fonction publique, grevant les marges de manœuvre budgétaires et amplifiant les effets d’un choc potentiel sur les cours du pétrole. Les dépenses récurrentes représentent un peu plus des trois quarts des dépenses totales du pays. Elles sont à 85 % constituées de la masse salariale et des pensions des fonctionnaires dont le nombre est passé d’à peine 1 million en 2003 à plus de 4 millions aujourd’hui, faisant de l’Etat irakien le premier employeur du pays. Une telle configuration fragilise les comptes publics : en particulier, les recrutements décidés à la suite des manifestations du mois d’octobre 2019 – 500 000 – couplés à la baisse de l’âge de départ à la retraite et à la revalorisation de certaines allocations sociales, ont considérablement réduit l’excédent public, de 7,8 % en 2018 à 0,9 % en 2019, aggravant la vulnérabilité de l’économie irakienne à une baisse des cours de pétrole.
3. Un scénario macroéconomique noir, que le nouveau Premier ministre entend déjouer
Sans sursaut des autorités irakiennes, les perspectives économiques irakiennes apparaissent très sombres. En particulier, les fondamentaux économiques se dégraderaient fortement en 2020. Selon le dernier scénario de la Banque mondiale, le PIB se contracterait en 2020 de 9,5 % après +4,4 % en 2019, en raison de la crise sanitaire et, surtout, de la diminution en volume et en valeur des exportations de pétrole, pénalisées par la chute de la demande mondiale et les réductions de production négociées dans le cadre des accords OPEP+. Ce serait le reflux le plus marqué de l’activité depuis la fin du régime de Saddam Hussein. Les mesures de confinement passées – un temps allégées mais aujourd’hui renforcées avec la détéction au Royaume-Uni et en Afrique du Sud d’une forme virulente du virus – auraient bridé l’activité de plusieurs secteurs, dont les transports, le commerce ou le tourisme religieux. Cela affecterait les recettes non pétrolières du pays, ce qui, combiné à la baisse des cours et aux nouvelles recrues de l’automne – dont les effets joueraient à plein en 2020 –, conduirait à un déficit public de 16,8 % du PIB cette année après un excédent de +1,3 % en 2019. Avec la chute des revenus du pétrole, la position externe du pays se dégraderait également fortement – le solde de la balance courante passerait de +2,7 % en 2019 à -12,2 % –, fragilisant même le maintien de la parité actuelle entre le dinar irakien et le dollar (dinar dévalué depuis – cf. infra). La situation sur le front social se détériorerait mécaniquement, avec un taux de pauvreté, aujourd’hui de 20 %, qui pourrait doubler d’ici à la fin de l’année selon la Banque mondiale.
Dans ce contexte, depuis son accession au pouvoir en juin dernier, l’action du Premier ministre a été orientée autour de deux axes, le premier ayant consisté à dégager des marges de manoeuvre budgétaires exceptionnelles pour faire face aux urgences, notamment sanitaires. Quelques semaines après sa prise de fonction et en l’absence d’une loi de finances 2020 en bonne et due forme (une conséquence du vide politique qui prévalait jusqu’alors), le Premier ministre a d’abord fait approuver par le Parlement une loi de financement d’urgence. Cette loi a autorisé le ministère des Finances à recourir à des emprunts domestiques – pour couvrir les dépenses liées à la crise sanitaire mais aussi pour financer le paiement des salaires des fonctionnaires, des pensions des retraités et les diverses allocations sociales – et des emprunts étrangers – pour honorer les engagements passés en matière de projets d’investissements publics – , avec des limites respectives de 15 Tr IQD (environ 13 Mds USD) et de 5 Mds USD. Ces limites ayant été rapidement atteintes, une deuxième loi de financement d’urgence a été soumise et votée par le parlement en novembre, qui autorise le gouvernement à recourir à des emprunts pour un montant total de 12 Tr IQD (environ 10 Mds USD), sans que la ventilation entre emprunts domestiques et étrangers ait été cette fois précisée.
En parallèle, le Premier ministre a lancé plusieurs chantiers visant cette fois à réformer en profondeur la gouverance économique du pays. Dès le mois de juin, il a ainsi créé deux cellules placées directement sous son autorité : l’une pour proposer des mesures pérennes de consolidation des comptes publics et l’autre des réformes en matière de gouvernance. Dans la première, plusieurs mesures ont déjà fait l’objet de discussions dont la rationalisation du système d’allocations, la baisse des primes versées à l’exécutif, l’élimination des emplois fantômes dans la fonction publique ou l’assujetissement des pensions des retraités à l’impôt sur le revenu. S’agissant cette fois de la deuxième cellule, les travaux ont abouti à la parution d’un « livre blanc » des réformes, comprenant plus de 400 propositions visant notamment à diversifier l’économie à terme et donc la rendre moins vulnérable aux chocs pétroliers.
Au moment de l’écriture de ces lignes, une seule mesure, de taille, a été prise par le gouvernement : celle de la dévaluation du dinar par rapport au dollar le 19 décembre dernier (le taux est ainsi passé de moins de 1200 à 1450 IQD/USD). Cette décision a été motivée par le souci de protéger l’appareil de production irakien (alors que les devises des principaux partenaires de l’Irak – l’Iran et la Turquie – ont fortement glissé par rapport au dollar au cours des derniers mois) mais aussi par celui d’augmenter les recettes publiques en dinars.
Les premières réformes visant à réformer en profondeur la gouvernance économique de l’Irak devraient être discutées dans le cadre de la loi de finances 2021. Le projet de budget a été soumis au Parlement mais n’a pas encore été rendu public. Plusieurs mesures fiscales auraient été intégrées, notamment l’instauration d’une taxe sur certains services commerciaux et sur les ventes d’alcool, de tabac, de gasoil et d’essence[1], et surtout la réduction des allocations des fonctionnaires[2], allocations qui permettent de plus que doubler le salaire de base dans certains cas.