Le budget irakien 2019

 Irak : un budget 2019 résolument expansionniste, soutenable mais sous-dimensionné quant aux investissements.

Adoptée par le Parlement le 23 janvier 2019, la loi de finances initiale 2019[1] marque une certaine rupture. Bâti sur des hypothèses de recettes plus réalistes, ce budget, en hausse de près de 28% par rapport à 2018[2], présente un déficit de 23,1 mds$[3]. Si les investissements font la part belle aux secteurs de l’énergie, de la défense et de l’eau urbaine, ils restent néanmoins très en deçà des besoins, alors même que le nouveau gouvernement sera jugé sur sa capacité à fournir très rapidement les services de base (eau, électricité) notamment à Bassora, à créer des emplois et à réinstaller les 1,9 millions de déplacés internes[4]. Sur le plan régional, le GRK[5], semble récolter quelques fruits de la normalisation de ses relations avec le Gouvernement fédéral avec des allocations supérieures à celles de 2018[6] 

1. Une dépendance accrue aux revenus pétroliers.

Globalement, les recettes devraient progresser de 15,2%, passant de 76,88 mds$ à 88,57 mds$ (cf. annexe 2).

Soutenues par un effet-prix positif, les recettes pétrolières passeraient de 64,73 mds$ à 78,64 mds$ (soit une hausse voisine de 21,5%), leur poids au sein des revenus totaux continuant de s’accroître (88,8% contre 84,2% en 2018). Les données disponibles au titre des deux premiers mois de l’année 2019[7] semblent confirmer le bien-fondé des hypothèses retenues (à savoir un prix moyen du baril exporté égal à 56$, contre 46$ dans la LFI 2018, et des exportations de pétrole brut de 3,88 Mb/j[8], identiques à celles de la LFI 2018). Les engagements souscrits dans le cadre de l’OPEP[9], les négociations en cours avec le GRK pourraient néanmoins venir contrecarrer les objectifs initiaux.

Ne représentant que 11,2% de l’ensemble des revenus (contre 15,8% en 2018), les recettes non-pétrolières seraient quant à elles ramenées de 12,15 mds à 9,92 mds$, soit une diminution supérieure à 19%, et proviendraient principalement des impôts sur le revenu et le capital (32,5% des revenus non-pétroliers totaux), des bénéfices réalisés par des entreprises publiques revenant à l’Etat (23,3%), ainsi que des taxes à la consommation[10] et des impôts sur la production (21,1%) L’absence de stratégie de diversification des recettes publiques[11] reste une des principales lacunes de la politique économique irakienne, rappelée régulièrement par le FMI.

2. Une forte augmentation des dépenses d’investissements, mais insuffisante au regard des besoins en infrastructures.

Pro cyclique, le budget 2019 affiche un volet « dépenses » en nette expansion. Les dépenses totales passeraient en effet de 87,38 mds$ à 111,67 mds$, soit une progression voisine de 28%. Le détail par ministères/organismes publics bénéficiaires figure à l’annexe 3.

En hausse de 26%, les dépenses courantes équivaudraient à 84 mds$ et représenteraient 75% de l’ensemble des dépenses. Principaux bénéficiaires de la LFI 2019, les ministères des Finances, de l’Intérieur, de la Défense, de l’Electricité et du Pétrole continueront d’absorber la plus grande part de ces dépenses[12] (56%). A contrario, les ministères des Immigrants et des Déplacés[13], du Logement et de la Construction et des Transports verront leur enveloppe se réduire drastiquement (respectivement -55%, -56% et -57%). Le ministère du commerce -qui procède aux achats de biens de consommation de première nécessité pour les revendre à des prix fortement subventionnés et qui était traditionnellement dans le peloton de tête- a rétrocédé de deux places et a vu son budget stagner à 2,6 mds$. Deux autres ministères, Industrie (1 md$) et Agriculture (530 m$), consacrent également une part substantielle de leurs dotations courantes aux subventions : 90% du budget du premier est dédié aux entreprises publiques et 50% de l’allocation du second à l’achat d’intrants agricoles.  

Les trois principaux postes de dépense courante sont constitués par la masse salariale des 3,1 millions de fonctionnaires[14]  (37 mds$), par les retraites (9 mds$) et par les aides sociales[15] (6 mds$). Ces trois postes absorberaient 62% des dépenses courantes et 46% du budget irakien.

Fait notoire, les dépenses d’investissement enregistrent, en termes relatifs, une augmentation supérieure à celle des dépenses courantes (respectivement +34% et +26%). Elles s’établiraient, en 2019, à un niveau de 27,8 mds$. Les principaux gagnants des arbitrages budgétaires, fers de lance d’une politique volontariste d’accès à l’énergie, à l’eau urbaine et à la défense, sont les ministères du Pétrole (12,4 mds$, +8%) de l’Electricité [16][17](4 mds$, +50%) de la Défense (1,8 md$, -7%) et d’un nouveau venu, le ministère des Municipalités (1,6 md$, +132%). Ces quatre ministères pourraient se trouver à l’origine de 71% des dépenses d’investissement si la sélection des projets et leur mise en œuvre s’avéraient plus efficientes qu’elles ne le furent au cours de ces dernières années.

Ironie des chiffres, le budget prévisionnel des dépenses courantes correspond en très grande partie au montant des besoins en infrastructures estimés par la Banque Mondiale pour la reconstruction de l’Irak sur 5 ans, soit 88 mds$. Or dans cette loi de finances seulement 1,7md$, -soit 1,5% du budget total- sont fléchés sur la reconstruction. Pour mémoire, lors de la conférence sur la reconstruction du Koweït en février 2018, le FMI, lors d’une réunion informelle, indiquait que les autorités irakiennes pourraient financer environ 80% des besoins de reconstruction.

3. Un déficit budgétaire prévisionnel important mais soutenable eu égard à la faiblesse de l’exécution budgétaire et au recul de l’endettement public

Largement tributaire des variations des cours du brut, le déficit prévisionnel s’établirait, si les hypothèses sur lequel ce budget est bâti venaient à se vérifier[18], à 23,1 mds$, le plus important depuis 2003, soit 9,2% du PIB[19]. Contre l’avis du Ministères des finances et contrairement à l’année passée, le Parlement a exigé que ce déficit soit financé à hauteur d’environ 80% par un appel à des capitaux internes (cf. annexe 4). Les prêts et garanties extérieures s’élèveront à 5 mds$ contre 8,6 mds$ en 2018. Ces prêts, en principe, ne pourront financés que des projets en cours de réalisation. Tout nouveau projet devrait donc, en principe, être financé sur des fonds irakiens.  

Les divergences considérables observées entre la construction et l’exécution budgétaires, lors des précédents exercices[20],  doivent néanmoins nous inciter à considérer avec précaution ces premières prévisions. Ces divergences viennent de la forte volatilité du prix du baril mais également du faible taux d’exécution des dépenses : 75% en 2017 et 78% en 2018. La situation sécuritaire, la défaillance de l’Etat, l’inertie et la lourdeur bureaucratique expliquent en grande partie ces pourcentages.  Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, il est fortement probable que le taux d’exécution budgétaire pour 2019 ne puisse aller au-delà de 80%, laissant donc une marge de manœuvre supplémentaire aux autorités irakiennes pour maîtriser le déficit affiché. Dans ce contexte, il est envisageable que les comptes publics tendent vers un équilibre en 2019[21], si le prix[22] et les exportations de barils restent conformes aux prévisions budgétaires.

Quant au taux d’endettement public, il est en diminution constante depuis 2016[23]. Il oscillerait autour de 50%, à la fin de l’année 2019, et se maintiendrait ainsi à des niveaux communément admis comme soutenables. Quant à son montant, il s’élève à 119 mds$[24]. 62% de cette dette publique est d’origine externe[25] et a tendance à progresser, contrairement à la dette interne. Il faut sans doute voir là, au-delà d’un sentiment nationaliste, une des raisons pour lesquelles les députés ont souhaité limiter drastiquement l’endettement extérieur, alors même que l’Irak dispose de marges de manœuvre suffisantes pour s’endetter.


[1] Désignée ultérieurement par l’acronyme LFI 2019.

[2] Les chiffres relatifs à l’exécution budgétaire étant partiels, l’ensemble des comparaisons effectuées entre 2019 et 2018 prennent pour référence le budget initial 2018. A titre d’information, l’inflation pourrait, selon les services du FMI, s’établir à 2% en 2019 (soit un niveau comparable à celui enregistré en 2018 selon les dernières estimations disponibles).

[3] Dans un souci de précision, l’ensemble des montants exprimés en USD ont été calculés sur la base du taux de change suivant : 1 USD = 1192 IQD (taux moyen sur les 90 derniers jours).  

[4] Le ministère des Immigrants et des Déplacés disposerait d’un budget annuel de 300$ par déplacé.

[5] Gouvernement Régional du Kurdistan.

[6] Les transferts budgétaires de l’Etat Fédéral vers le GRK n’avaient, en effet, pas dépassé 5,58 mds$ en 2018 mais n’avaient pas été versés en 2017.

[7] Les exportations de pétrole brut sont passées de 3,458 M de b/j au cours des deux premiers mois de l’année 2018 à 3,634 M de b/j au cours des deux premiers mois de l’année 2019, dû, en partie, à la reprise de la production des champs de Kirkouk (environ 100 000 b/j actuellement), qui aurait vocation à progresser. Quant au prix moyen du baril, il s’est établi à 57,33 $ sur les deux premiers mois de l’année.

[8] Incluant 250 000b/ de la région autonome du Kurdistan.

[9] L’Irak s’est en effet engagé, auprès de l’OPEP, à réduire sa production de 140 000 barils/jour durant les six premiers mois de l’année, afin de ne pas franchir les 4,513 M de b/j.

[10] Il s’agit principalement des recettes générées par une taxe de 20% sur les communications mobiles et les services internet.

[11] Lors du vote de la LFI les députés ont supprimé l’instauration d’une taxe de 5% sur les ventes et d’une nouvelle taxe aéroportuaire ainsi qu’une augmentation de 2 points de la taxe sur les revenus locatifs.

[12] Avec une progression de leur budget de fonctionnement de +22% (Finances), +11% (Intérieur), +33% (Défense), +69% (Electricité) et +42% (Pétrole).

[13] L’article 65 de la LFI 2019 prévoit en effet que le ministère des Finances transfère 376 M$ du budget du ministère des Immigrants et des Déplacés vers les provinces ayant été les plus affectées par la présence et les exactions de Daech afin qu’elles soient en mesure de renforcer la stabilité récemment instaurée et soutenir les efforts de reconstruction favorisant le retour des déplacés.

[14] Le KRG est le principal employeur avec environ 22% des effectifs (soit 682 000 fonctionnaires), suivi par le ministère de l’intérieur (19% des effectifs, soit 586 666 fonctionnaires), le ministère de la défense (9% avec un effectif de 289000) puis le ministère de l’éducation (5%). Cette LFI a créé 57 000 emplois dans la fonction publique dont 21000 au ministère de la Santé, 11 000 au gouvernorat de Bagdad et seulement 3391 au gouvernorat de Bassora (alors que l’ancien Premier Ministre avait promis la création de 10 000 emplois suite aux émeutes de juillet 2018).

[15] Il s’agit principalement des cartes de rationnement (1,27 mds$) et des subventions pour le blé (1,29 mds$).

[16] Notamment la construction de deux nouvelles centrales à Nasiriya (500 m$) et à Samawa (200 m$).

[17] Il convient de mentionner que le secteur de l’électricité est largement subventionné. Les montants correspondant aux impayés des consommateurs sont financés par de la dette extérieure. Ne représentant que 12% des investissements totaux en 2019, le ministère de l’Electricité pèse donc dans des mesures bien plus significatives sur le budget irakien.

[18] La crise politiques traversées par le Venezuela (pays disposant des plus importantes réserves de pétrole au monde) et l’Algérie (quinzième réserve de pétrole au niveau mondial) ainsi que les sanctions imposées à l’Iran (troisième réserve de pétrole de la planète) pourraient être de nature à maintenir le maintien, voir la progression, du prix du baril depuis ces derniers mois.

[19] Les services du FMI tablent sur une croissance en volume du PIB de 6,5% en 2019. Il atteindrait ainsi 250,1 mds$.

[20] Le déficit prévisionnel associé à la LFI 2018 s’établissait à 10,6 mds $ alors que le budget réel a affiché un excédent de 21,7 mds$.

[21] D’après la prévision la plus récente du FMI, l’excédent dégagé par les comptes publics pourrait atteindre 3,8% du PIB en 2019.

[22] Une augmentation de 1$ du prix du baril entraîne une augmentation de 1,4 Md$ de recettes annuelles, soit 0,6% du PIB.

[23] Alors qu’il atteignait 66% en 2016 et 59,7% en 2017, le ratio dette publique aurait été ramené à 51,8 en 2018.

[24] Avec un service de la dette s’élevant à 15 mds$, dont 11 mds au titre de la dette et 4 mds$ au titre des intérêts.

[25] Dont 60% détenus par les pays du CGG, qui n’ont pas renégocié leur dette, contrairement aux membres du Club de Paris et autres pays non membres.

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