Indicateurs et conjoncture

Difficiles perspectives de sortie de crise économique en Haïti                                       

Malgré les quelques signes positifs que mettent en avant le ministère de l’économie et des finances et la Banque de la République d’Haïti (BRH), tels que la relative maitrise de l’inflation, la stabilisation du taux de change, la hausse des réserves de change de la BRH, la bonne tenue des recettes douanières, la situation demeure très compliquée pour les opérateurs économiques dans un contexte politique (Conseil présidentiel de transition en cours de formation) et sécuritaire (la majeure partie de la capitale Port-au-Prince est toujours sous le contrôle des gangs) toujours très tendu. Après 5 années de croissance négative, on ne peut qu’anticiper une sixième année difficile avec, au mieux, une croissance nulle.

1. Une croissance toujours très fragile

Le pays bénéficie d’un programme de référence du FMI de juin 2023 à juin 2024. Il s’appuie sur les avancées réalisées durant le précédent programme de référence, qui s’est achevé de manière satisfaisante en mai 2023, et contribue à la stabilité macroéconomique d’Haïti en aidant le pays à poursuivre les réformes récemment entamées pour améliorer la résilience et la gouvernance économiques.

Aggravation de l’insécurité alimentaire, exode de la population

Selon le dernier rapport du PAM (Programme Alimentaire Mondial), la sécurité alimentaire s’est encore détériorée en ce début d’année, 7,8 millions d’habitants (68% de la population) souffrant d’insécurité alimentaire en février 2024. Dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, ce sont 1,6 millions d’habitants (71% des ménages) en état d’insuffisance alimentaire. Le PAM recense aussi d’importantes pertes de terres cultivées du fait de la dégradation de la situation sécuritaire (notamment dans l’Artibonite) et des nombreux déplacés et exilés.

Cet exode massif des Haïtiens (plus de 100 000 personnes en un an, notamment du fait des visas dit Biden) crée de grandes difficultés pour les administrations et les entreprises. A noter la forte baisse du nombre de membres de la Police nationale (3 000 départs en 3 ans, soit 1/3 des effectifs), unité structurellement en sous-effectif et en sous-équipement, sans que les nouveaux recrutements ne puissent totalement combler ce manque.

Une cinquième année de récession économique

Dans un contexte national marqué par l’instabilité sociopolitique, l’aggravation de l’insécurité et l’exode massif de la population, l’économie haïtienne n’a donc pas pu renouer avec la croissance au cours de l’exercice fiscal 2022-2023, avec une cinquième année consécutive de récession. Le PIB, qui avait déjà décru de 1,7% en 2022, a de nouveau chuté de 1,9% en 2023.

Evolution du PIB

Hormis les contraintes structurelles, plusieurs facteurs négatifs sont à l’origine du déclin des activités économiques :

-Accentuation de la crise sécuritaire due notamment à la prolifération des gangs armés ;

-Persistance de l’instabilité politique, absence des institutions prévues par la constitution… ;

-Attentisme des agents économiques en raison de la dégradation continue du climat des affaires ;

-Retard dans l’exécution de la plupart des grands projets de construction et de réhabilitation d’infrastructures publiques, dont ceux prévus dans le cadre du Plan de Relèvement Intégré de la Péninsule du Sud (PRIPS) ;

-Réduction de la main d’œuvre disponible, du fait de la forte émigration parmi les couches les plus jeunes de la population en âge de travailler.

Ainsi, les trois grands secteurs de l’économie ont tous vu leur valeur ajoutée se contracter au cours de cet exercice, avec des taux de croissance négatifs de -5,6%, -3,7% et de -2,9%, respectivement pour les secteurs primaire, secondaire et tertiaire.

Du côté de l’offre et de la demande, presque toutes les composantes du PIB ont contribué à son repli en 2023. Hormis la consommation finale qui a affiché une tendance haussière, le fléchissement du PIB dérive du déclin de toutes les autres composantes, telles que la Formation Brute de Capital Fixe (Investissement) et les exportations. Parmi les facteurs qui ont rendu possible la relative hausse de la consommation finale, on peut noter les envois de fonds des travailleurs haïtiens à l’étranger (-1,2% en 2023, à 3,8 Mds USD, contre -4,9% en 2022) et certains programmes sociaux du gouvernement (Programme d'Urgence Multisectoriel d'Apaisement et de Réinsertion Sociales des Groupes Vulnérables- PUMARSGV- mis en place par le Gouvernement), même s’ils n’ont pas été complètement exécutés.

2. Un ralentissement du rythme de l’inflation

En ce qui concerne les prix à la consommation, on a assisté à un ralentissement du rythme de l’inflation, à 21,2% en décembre 2023 en glissement annuel. L’évolution favorable de l’inflation a notamment bénéficié de la chute des cours mondiaux des produits alimentaires (moindre impact de l’inflation importée), de la plus grande disponibilité des produits pétroliers sur le marché local, ainsi que de la relative baisse du taux de change.

 decmbre 2023

3. Une balance des paiements marquée par un fort déficit commercial

L’estimation de la balance du compte-courant 2023 est de -3,5% du PIB, avec notamment un très fort déficit commercial persistant : 4,3 Mds USD d’importations et 1,1 Mds USD d’exportations. L’Economist Intelligence Unit (EIU) anticipe une baisse de ce déficit courant à -2,8% en 2024 et -2,1% en 2025. Le déficit des biens et services baisserait de -17,4% du PIB en 2023 à -12,9% en 2024-2025, notamment du fait de la baisse des prix de l’énergie. L’évolution des remises de la diaspora serait plutôt favorable avec, sur l’exercice en cours, une forte reprise de ces remises en fin d’année 2023, de 309 MUSD en septembre à 391 MUSD en décembre.

Les réserves nettes de change ont sensiblement progressé depuis septembre 2023 (370 MUSD) à 700 MUSD actuellement. Les réserves brutes (1,9 Mds USD) représentent 5 mois d’importations.

4. Une politique budgétaire centrée sur trois objectifs : la croissance économique, la stabilité sociale et les conditions sécuritaires

Le Conseil des Ministres a approuvé, le 28 septembre, le budget 2023-2024 en application depuis le 1er octobre 2023, ce qui ne s’était pas produit depuis l’exercice 2020-2021. Il est élaboré autour de 3 priorités : renouer avec la croissance économique ; améliorer la stabilité sociale ; améliorer les conditions sécuritaires.

L’enveloppe globale du budget se chiffre à 320,64 Mds de gourdes (2,27 Mds), en hausse de 19,9% dont 60% provient des ressources domestiques (74% de recettes internes et 25% de recettes douanières ; est notamment prévue une hausse de 27,4% des impôts sur le commerce extérieur). Les dons représentent 70,6 Mds de gourdes (500 M€) et le financement (tirages sur emprunts, bons du Trésor…) 57,1 Mds de gourdes (400 M€). Sont également prévus 24 Mds (180 MUSD) de gourdes d’emprunts de la BRH.

Les dépenses projetées hors amortissement de la dette sont de 283, 21 Mds de gourdes (2 Mds €), soit une hausse de 19,51% par rapport au budget antérieur, dont 57% concerneront les dépenses courantes. Les salaires et traitements (82,3 Mds de gourdes, 620 MUSD) représentent la moitié de ces dépenses courantes. Les dépenses en capital (immobilisations, investissements publics) sont estimées à 120,9 Mds de gourdes (850 M€).

Les transferts et subventions s’élèvent à 23,3 Mds de gourdes (173 MUSD) dont 8,8 Mds de gourdes (68 MUD) au secteur de l’énergie (de fait Electricité de Haïti, EDH), ces dernières demeurant très élevées et liées à la situation difficile de l’entreprise malgré leur forte baisse depuis 3 ans.

L’amortissement de la dette représente 37,4 Mds de gourdes (260 M€) et les intérêts 2,8 Mds de gourdes pour un service total de 40,31 Mds de gourdes (302 MUSD). Mais la restructuration de la dette envers PDVSA (dite « dette Petro Caribe ») devrait offrir un nouvel espace budgétaire. La dette externe est estimée à 13,3% du PIB (2,9 Mds USD) fin 2013.

Point sur la dette Petro Caribe

Le montant total de la dette envers PDVSA est encore de 2,708 Mds USD. Un protocole d’accord avec le Venezuela a entériné le versement de 500 MUSD réduisant ainsi la dette à 2,208 Mds USD. Une partie de cette dette (1 700 MUSD) est susceptible d'être annulée moyennant un accord avec le créancier. Resterait alors un reliquat de 508 MUSD

Le solde global budgétaire hors dons est ainsi estimé à 90,4 Mds de gourdes (630 M€), soit environ 2,7% du PIB.

Par ministère, notons en dépenses d’investissements les faibles dotations des ministères de la santé (8,2 Mds, 58 M€), de l’éducation (7,4 Mds, 52 M€), de la justice (6,9 Mds, 49 M€), de l’intérieur (4,3 Mds, 30 M€) et de la défense (1,7 Mds, 12 M€). Le ministère des travaux publics, transports et communications a prévu 39,4 Mds de gourdes, soit 275 M€ (en dépenses d’immobilisations) et le ministère des affaires sociales envisage 23,5 Mds de gourdes (166 M€) de transferts aux populations vulnérables.

Le programme social est en effet une des priorités de ce budget  avec des transferts monétaires non conditionnés pour les couches les plus vulnérables de la population, des transferts monétaires vers les petits sous-traitants des parcs industriels, la fourniture de rations sèches, plats servis dans les restaurants communautaires, transferts monétaires pour les parents d’élèves afin de les inciter à maintenir les enfants à l’école ou encore ticket modérateur pour les transporteurs (combustibles). Néanmoins, en ce qui concerne les transferts monétaires, aucun décaissement n’a pour l’instant été effectué (impossibilité d’atteindre les populations vulnérables, difficultés de contrôle, départ de cadres administratifs…), aggravant encore la pauvreté et l’insécurité alimentaire, notamment en zone rurale. Le programme ne serait mis en place qu’à partir de mars.

5. La baisse des activités du secteur financier

On note la hausse des dépôts bancaires en devises de 5,9% entre septembre 2022 et septembre 2023 et de 3,7% en gourdes sur la même période. L’actif total du secteur bancaire a progressé de 4,2% à 635 Mds de gourdes (4,8 Mds USD). Le nombre de prêts a par contre chuté de 13,1% à 69 000 en septembre 2023 et les prêts nets de 14,3% à 135 Mds de gourdes (1 Md USD). En effet, nombre d’entreprises ont réduit ou arrêté leurs activités alors que les prêts au secteur agricole ont quasiment cessé. Le taux de prêts non-performants s’est également dégradé à 8,5%, mais il très variable selon les banques. De fait, l’essentiel de l’activité bancaire a été consacré au financement du secteur tertiaire et notamment des importateurs pour des produits destinés à la consommation. Le financement par les institutions de microfinance ne se porte guère mieux, avec de grandes difficultés d’accès aux populations (il existe 73 institutions dont 65 fonctionnent tant bien que mal).

Situation du pays à l’égard du GAFI

Lors de la dernière réunion avec le America Joint Group, Haïti n’était pas représentée. En septembre 2023 a été publié le 4ème « Progress report » depuis l'adoption du plan d'action d'Haïti en juin 2021. Il reste 14 items en discussion qui sont « non adressed - à partly adressed », et qui seront abordés lors du prochain JG à une date encore non connue.

6. Des perspectives 2024 toujours incertaines, avec une croissance atone

Malgré quelques signaux favorables repris ci-dessus, les perspectives pour 2024 demeurent donc très médiocres. Une perspective de croissance du PIB de 0,7% sur l’exercice 2023-2024 était envisagée par le gouvernement dans le cadre macro-économique du budget, mais uniquement avec une hypothèse d’un retour à une situation sécuritaire apaisée, ce qui semble désormais hautement improbable d’ici la fin de l’exercice. Les nouvelles estimations du FMI ne sont pas encore disponibles (sans doute en mars avec la revue du programme de référence). A noter que l’EIU prévoit, sur l’année calendaire 2024, une stagnation avant une très légère reprise en 2025 (+1%, basée également sur l’hypothèse d’une intervention internationale).

La consommation domestique devrait rester atone ; quant à la FBCF (investissements), même avec la restauration de la situation sécuritaire, elle ne pourra permettre un retour à la situation d’avant crise. Le pays a perdu depuis plusieurs années une partie de sa capacité productive, avec la fermeture d’entreprises agricoles et textiles, la chute des exportations de ce secteur et une reprise prendra plusieurs années.

Il est par ailleurs peu probable que 2024 s’achève avec une inflation à un seul chiffre, soit à un niveau qui puisse permettre d’éviter des dysfonctionnements majeurs dans l’économie ainsi que l’érosion considérable du pouvoir d’achat des ménages. La persistance du rançonnage des transporteurs de passagers et de marchandises par les gangs armés sur les principaux axes routiers reliant la capitale au reste du pays entraine l’augmentation continue du prix de revient des marchandises. Le budget 2023-2024 prévoit ainsi une inflation de 16,2% en glissement annuel sur l’exercice en cours. L’EIU anticipe une modération des pressions inflationnistes (produits alimentaires et pétroliers) : à 9,4% fin 2024 et 6,2% fin 2025, ce qui, au vu des circonstances actuelles semble assez peu probable.

En ce qui concerne l’évolution du taux de change, dans le système de changes flexibles pratiqué en Haïti, aucune cible n’est fixée par la BRH qui souhaite éviter de trop grandes fluctuations (± 5-10%).

De nombreuses incertitudes demeurent donc sur l’avenir de ce pays tant sur le plan politique, social qu’économique. Les opérateurs estiment que les mêmes obstacles qui ont prévalu en 2023 seront toujours présents en 2024, ce qui devrait faire perdurer leur attentisme.

 

 

 

 

 

Publié le