ÉTHIOPIE
Une démographie imparfaitement recensée et en cours de transition
Le dernier recensement dans le pays date de 2007. Les autorités éthiopiennes fondent leurs estimations d’évolution de la population jusqu’en 2037 sur les données de ce recensement et aucun organisme gouvernemental ne suit ni n’a prévu de conduire des évaluations de suivi de ces projections. Le CSA (Central Statistical Agency) suit certains indicateurs démographiques de manière bi-décennale sur des échantillons très réduits et cela sur la base des projections du recensement de 2007. L’Ethiopie est au cœur de sa transition démographique et malgré des tentatives pour la maîtriser, l’instabilité politique et économique freine les ambitions du gouvernement en la matière.
Dynamiques démographiques et PIB par habitant
Le pays connait une transition démographique plus tardive que dans les autres pays d’Afrique subsaharienne. D’après les chiffres des Nations Unies, entre les années 1950 et le milieu des années 1990, les indicateurs démographiques sont restés relativement stables, avec un taux de natalité de 49 pour mille en moyenne et un taux de mortalité de 23 pour mille en moyenne. La population du pays a ainsi triplé passant de 17,4 millions d’habitants à 54,7 millions. L’Éthiopie a amorcé sa transition démographique à partir du milieu des années 1990 : le nombre d’enfants par femme est passé 7 en 1995 à 4,06 en 2022 ; de même le taux de mortalité a été réduit de 10 points sur la période (16,9 pour mille en 1995 et 6,5 pour mille en 2022). Il en va de même pour le taux de mortalité infantile divisé par 3 en 27 ans, passant de 10% à 3,2%. Cela s’est donc traduit par une augmentation de 18 ans de l’espérance de vie moyenne dans le pays (48,3 ans en 1995 contre 65,6 en 2022) et un doublement de la population totale sur cette même période (56,5 millions en 1995 contre 122 millions en 2022). Selon les données des Nations Unies, l’Ethiopie devrait achever sa transition démographique à l’horizon 2070 et sa population devrait atteindre plus de 320 millions d’habitants en 2100, en faisant le 7ème pays le plus peuplé au monde et le second d’Afrique derrière le Nigéria. Ce qu’il est déjà le cas concernant le continent aujourd’hui avec ses 122 millions d’habitants, selon l’ONU toujours.
Dès 1993, le gouvernement éthiopien, conscient des enjeux et surtout des risques d’une transition démographique mal maîtrisée pour le développement du pays, met en place très volontairement une politique de planning familiale. Le gouvernement mise (i) sur la scolarisation et la formation des jeunes filles sur les thématiques de la santé reproductive pour démocratiser l’accès à la contraception en multipliant les constructions d’écoles sur le territoire. Les résultats sont rapidement convaincants : le taux de scolarisation des jeunes filles passe de 21% en 1995 à 95% en 2022, l’accès et l’utilisation des contraceptifs se démocratisent dans le pays passant de 4% des femmes en 1993 à près de 40% aujourd’hui. Il s’appuie aussi sur (ii) un renforcement de la politique de santé via une augmentation des effectifs des personnels de santé dans les régions rurales et de nets progrès dans la mise à disposition de personnels de soins de santé primaire et des hôpitaux : le ratio médecins/population des centres de santé est passé d’un médecin pour 26 400 habitants en 2006 à un médecin pour 17 000 en 2016/17. Néanmoins, le récent conflit dans le Tigré semble avoir ralenti les ambitions gouvernementales dans les régions touchées en termes d’éducation et de santé (les sources du ministère de la santé parlent de 33 hôpitaux, 330 centres de santé et 1327 postes de santé touchés par le conflit et de centaines d’écoles détruites entièrement ou partiellement dans la région du Tigré).
La croissance du PIB/habitant a suivi, une dizaine d’années après le début de sa transition démographique : le pays a connu à partir de 2004 une véritable envolée du PIB/habitant. Entre 2004 et 2014, l’Ethiopie a vu son PIB/habitant augmenter en moyenne de 13% par an, passant ainsi de 138 USD en 2004 à 613 USD en 2014 ; puis a connu une augmentation de 47% entre 2014 et 2022 (Chiffres FMI avril 2023). Cette forte croissance s’explique (i) par le développement économique du pays avec une croissance moyenne du PIB de 9,6% de sur la période 2004 – 2022 et par (ii) les premiers résultats de la politique démographique du gouvernement qui a stabilisé la croissance des naissances.
Le renforcement du secteur privé et le cadrage du secteur informel demeurent des conditions à la stabilisation d’un marché du travail de plus en plus déséquilibré (surplus de demande) et asymétrique (entre ville et ruralité)
Si on constate en Ethiopie une baisse en valeur relative de la population en âge de travailler[i] - plus de 90% en 2010 selon la Banque mondiale contre 75% en 2021 - en réalité ce chiffre ne cesse d’augmenter en valeur absolue en raison de la croissance démographique forte et continue du pays. De même le taux de participation dans l’économie décroît de manière importante, de 81,2% de la population en âge de travailler en 2013 à 68,3% en 2021.
La Job Creation Commission (JCC), organe gouvernemental créé en 2018, estime que, chaque année, 2 millions de nouveaux actifs font leur entrée sur le marché du travail. Les faiblesses structurelles de l’économie éthiopienne, à savoir (i) le faible développement du secteur privé, (ii) l’omniprésence du secteur public dans l’économie et (iii) l’importance du secteur informel (notamment agricole) sont autant d’obstacles à la création suffisante d’emplois (tant quantitativement que qualitativement) pour répondre à cette pression démographique et aux aspirations de la jeunesse du pays. Aussi, l’intensification de l’exode rural et de l’urbanisation depuis les années 1990 accentue la pression sur le marché du travail dans les villes.
Les chiffres du chômage reflètent ces pesanteurs : le taux de chômage est passé de 5% en 2005 à 8% en 2021. Il se caractérise par (i) une inégalité de sexe : il touche proportionnellement plus les femmes (5% pour les hommes contre 11,7% pour les femmes en 2021 - source JCC) ; (ii) des inégalités territoriales avec une forte augmentation du chômage dans les villes : en 2013 il était de 4,5% contre 17,9% en 2021 alors qu’il est resté stable dans les territoires ruraux ; (iii) une inégalité générationnelle : les principales victimes du chômage sont les jeunes et plus particulièrement les jeunes urbains avec un taux de chômage de 23,1% en 2021.
Bien que le secteur public soit le premier pourvoyeur d’emplois dans le pays (hors secteur informel), le gouvernement a conscience qu’il ne pourra pas répondre seul à la demande du marché du travail. Aussi les Homegrown Economic Reforms (HEG) lancées en 2018 sont une première réponse à ces enjeux. Elles visent à : (i) développer le secteur privé, (ii) encourager le passage d’une économie essentiellement basée sur l’agriculture (65% de l’emploi et 67% du PIB) vers une économie à plus forte valeur ajoutée via le développement du secteur secondaire et tertiaire (encore largement minoritaires avec respectivement 10% et 25% des emplois en 2019 selon l’OIT). De même, en 2020, la JCC a publié un plan quinquennal de soutien à la création d’emplois avec un objectif de 14 millions d’emplois supplémentaires d’ici à 2025. Si la stratégie du plan fait écho à celle des HEG, elle vise aussi à améliorer le système d’information afin d’améliorer la mobilité spatiale et sociale de la main-d’œuvre, l’efficacité de la rencontre entre l’offre et la demande d’emploi et à accentuer l’effort de création d’emplois à l’aval du secteur alimentaire (industrie agroalimentaire et de transformation). Néanmoins, si de premiers progrès sont tangibles (1,7 M d’emplois créés au 1er semestre 2020-2021), ces réponses semblent occulter la part croissante du secteur informel dans l’économie éthiopienne (80% des emplois en 2004 selon une étude du CSA et entre 85% et 90% aujourd’hui selon les estimations de l’OIT et de la SFI).
Une augmentation du capital humain encore trop faible pour répondre à l’évolution de la pyramide des âges et aux objectifs de transformation de l’économie
L’Éthiopie a fait de très nets progrès en matière de développement du capital humain : entre les années 1980 et 2018, la productivité a plus de doublé (429,4 USD – en dollar constant 2010 - en PIB/emploi en 1980 contre 925,7 en 2018) avec une croissance très marquée à partir de 2004 (+5,8% en moyenne par an). Cette réalisation est due aux progrès très importants en matière d’accès à l’enseignement : primaire d’abord, avec un taux de scolarisation de 100% dès 2014 (+46% par rapport à 2000), secondaire ensuite (+21,4% entre 2000 et 2015) avec 34,9% en 2015, tertiaire enfin (de 1,2% en 2000 à 10,4% en 2018). Un engagement durable et résolu de l’Etat en faveur de l’éducation par la mise en place dès 1997 de vastes plans quinquennaux ayant des objectifs et des priorités clairs (en termes de création d’écoles, de créations de postes et de formations des professeurs) et des moyens importants (en moyenne entre 15% et 25% du budget total de l’Etat selon le ministère de l’Education) explique ces avancées.
Des améliorations restent à conduire s’agissant du niveau de formation de la main-d’œuvre (le secteur universitaire et de la formation professionnelle restent largement sous-développés notamment dans le domaine industriel et entrepreneurial), et de la facilitation des liens entre le secteur académique et productif (afin de stimuler l’innovation et d’accompagner la création d’une main-d’œuvre répondant aux besoins des différents secteurs notamment celui du digital).
Enjeux de sécurité alimentaire
Malgré l’importance de l’agriculture dans le PIB et pour l’emploi, environ 20,1 millions d’habitants seraient en situation d'insécurité alimentaire (Plan de réponse humanitaire de 2023 du HRP – ONU), témoignant de grandes disparités régionales et sociales. Le PAM estime que 5,9 millions de personnes seraient en situation alimentaire critique en 2021, dont 3,9 millions de femmes et enfants. De plus, selon des analyses récentes (IPC), 8,6 millions de personnes feraient face à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire en raison de la Covid-19, du conflit au Nord et surtout du niveau d’inflation concernant les produits alimentaires. Ces mêmes plans pour 2022 et 2023 (PRH – HRP) confirment la persistance des enjeux de sécurité alimentaire au Nord et insistent sur les niveaux préoccupants de sécheresse au Sud, qui risquent d’accroître ces tensions.
La superposition des enjeux démographiques et de sécurité alimentaire risque d’accroître la tension alimentaire dans ces régions. En effet, les difficultés alimentaires, notamment de malnutrition, se concentrent dans le Sud et le Nord Est de l’Oromia, en région Somali, dans le Nord Est de l’Amhara et l’Ouest de l’Afar, or selon les projections démographiques liées au dernier recensement de 2007, ce sont ces mêmes régions où la natalité demeurera la plus forte (en raison par exemple du faible accès à la contraception en région Somali).
[i] Malgré le fait que l’Ethiopie devrait rentrer dans une période de dividende démographique (en raison d’une classe d’âge en âge de travailler encore pléthorique et du taux de natalité en baisse) on constate l’inverse en raison de l’allongement de l’espérance de vie et du départ précoce à la retraire (entre 45 et 55 ans par exemple pour les policiers et les militaires).