ÉTHIOPIE
Une ambition industrielle freinée par des problèmes contextuels et d’infrastructures
L’ambition du gouvernement éthiopien de multiplier la construction de ZES depuis 2014 avec l’objectif d’industrialiser le pays, d’attirer les investissements étrangers et de générer des devises, se heurte à un manque de planification dans le déploiement des parcs industriels (PI) et à des difficultés conjoncturelles, notamment le conflit au Tigré et dans d’autres régions du pays. Si le secteur textile s’est nettement installé au sein des parcs industriels grâce aux nombreuses incitations proposées, la stratégie de développement des ZES en Ethiopie n’a pas eu les résultats escomptés, dans un pays en proie à des conflits internes et à un environnement des affaires instable.
La création de parcs industriels publics encouragée par l’échec des parcs privés
L’Ethiopie s’est lancé dans la construction de zones économiques spéciales à partir de 2009, avec l’Eastern Industrial Park (EIP), financé par des investissements privés chinois dans la ville de Dukem, à 30 km d’Addis Abeba. Le parc est détenu, développé et exploité à 100 % par des entreprises chinoises, qui bénéficient d’un accord de bail favorable (1 ETB/m2/an (0,06 EUR)), pour une période de 99 ans, de la couverture de 30 % des coûts des infrastructures internes ainsi que la mise en place d’infrastructures externes (routes, électricité, eau) par le gouvernement éthiopien (GoE). Les objectifs de l’EIP étaient d’attirer 80 investisseurs chinois dans le pays tout en créant 20 000 emplois pour la population locale. Cependant, le projet n’a pas atteint les objectifs désirés et le gouvernement a porté ses efforts vers le développement de parcs industriels étatiques, avec la création de l’Ethiopian Industrial Zones Development Corporation (EIZDC). Cette dernière deviendra l’Industrial Parks Development Corporation (IPDC) en 2014, une entreprise d’état semi-autonome sous la régulation de l’Ethiopian Investment Commission (EIC)[1]. Le GoE a collecté des fonds du marché obligataire international pour la construction des parcs et la Banque mondiale a également octroyé en juin 2018 un financement à hauteur de 175 MUSD pour soutenir le développement des parcs de Bole Lemi Phase II et de Kilinto. La Chine est un acteur majeur du développement des PI publics éthiopiens, le gouvernement chinois a notamment financé à hauteur de 85 % la construction du parc Adama et les entreprises chinoises ont décroché la totalité des contrats pour la construction des 13 PI publics.
La volonté de devenir une puissance africaine des industries légères
Bien que le développement des PI ait été introduit dans le premier Growth and Transformation Plan (GTP I) mis en place entre 2010 et 2014, ce n’est qu’à partir du GTP II (2015-2019) qu’une véritable focalisation sur les parcs a été observée. Les PI ont été créés afin de faire de l’Ethiopie un pays à l’avant-garde de l’industrie légère en i) créant des opportunités d’emploi, ii) augmentant les exportations et les réserves de devises, iii) créant une industrie manufacturière durable, iv) créant des liens industriels en amont et en aval de la chaine de valeur, et v) suscitant un transfert de technologie et de savoir-faire. D’autre part, le GoE souhaitait augmenter la part de l’industrie manufacturière dans le PIB éthiopien, qui était à 4 % en 2010 et s’élevait à 4,4 % en 2022.
Actuellement l’Ethiopie possède 13 parcs industriels publics qui pour la plupart sont engagés dans le domaine des textiles, de l’habillement et des vêtements, notamment les parcs de Bahir Dar, Bole Lemi I et II, Hawassa, Kombolcha, Mekelle, Aysha et Dire Dawa. Les parcs de Debre Birhan et de Jimma se spécialisent également dans l’agro-transformation et celui de Semera accueillera des entreprises spécialisées dans la production de matériels d’empaquetage et de produits chimiques en plus du textile. Le parc de Kilinto est le seul qui n’est pas multi sectoriel, n’étant dédié qu’aux produits pharmaceutiques. Afin d’attirer les investisseurs, le GoE offre divers avantages fiscaux (exonération de l'impôt sur le revenu pour 8 à 12 ans contre 6 à 8 ans hors des PI, exonération des droits de douane et facilité d'accès aux PI) et non fiscaux (guichet unique, facilitation des formalités douanières, procédure de visa accélérée, garantie contre l'expropriation, droit de posséder des biens immobiliers, garantie de transfert de fonds et droit d'ouvrir et de gérer des comptes en devises étrangères). Si certains parcs sont placés à proximité de la capitale ou de Djibouti permettant d’accéder facilement aux services logistiques, d’autres parcs souffrent de l’éloignement et d’un manque de connectivité aux axes de transport stratégiques. Leur localisation a parfois été définie selon des critères d’équilibres interrégionaux, de nature politique, plus que par des opportunités logistiques objectives.
Des parcs agro-industriels intégrés pour tirer profit de l’agriculture éthiopienne
En plus des parcs industriels, et afin de moderniser l’agriculture et le développement de l’agribusiness, le gouvernement éthiopien a construit quatre parcs agro-industriels intégrés (IAIP) à un coût de 30 Mds ETB (480 MEUR) dont Bure, Bulbula, Yirgalem and Baeker. Ces derniers sont sous la tutelle des IPDC régionales, l’Amhara IPDC, l’Oromia IPDC, le Sidama IPDC et le Tigray IPDC respectivement. Trois sont actuellement opérationnels et ont accueilli des investisseurs. Le GoE a établi des Rural Transformation Centres (RTC) dans un rayon de 100 km autour des parcs, servant de lieu de stockage afin de faciliter l’accès aux matières premières. Tandis que les parcs industriels ont des attributions spécifiques, les IAIPs ont des recommandations en fonction des matières premières, des services et de la qualité des cultures présentes dans la zone. La transformation des fruits et légumes, des produits laitiers et des produits animales est prévalente.
Des problèmes conjoncturels qui mettent en lumière les lacunes des parcs industriels
L’absence de planification dans la mise en œuvre et le manque d’infrastructures, tant au niveau national qu’au sein des PI, expliquent en grande partie les effets limités de leur développement . En outre, l’absence d’études de faisabilité avant la construction des PI a engendré une mauvaise conception et des retards au niveau des infrastructures. Ainsi, certains d’entre eux ne sont pas pleinement opérationnels et les investisseurs rapportent des interruptions fréquentes des réseaux d'électricité et de télécommunications ainsi que des problèmes d’accessibilité à l’eau. L’absence d’infrastructures opérationnelles de traitement de l’eau dans certains parcs entraine par ailleurs des rejets d’eau usées dans l’environnement, menaçant la santé publique.
Les parcs restent peu attractifs tant pour les investisseurs, faute d’infrastructures de transport de qualité qui engendrent des coûts élevés de logistique, que pour la main d’œuvre locale (faibles salaires, absence de logements à proximité). De plus, l’environnement des affaires éthiopien est peu favorable aux investissements, notamment étrangers, et n’a pas connu d’amélioration : le pays a perdu 34 places au classement Ease of Doing Business depuis 2014 (125ème rang sur 190 en 2014, 159ème en 2020).
Des facteurs conjoncturels ont également pesé sur l’attractivité des PI, en premier lieu le conflit au Tigré, provoquant la suspension de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) par les Etats-Unis début 2022. Grâce à cet accord commercial préférentiel, la part des exportations éthiopiennes de textile à destination des Etats-Unis est passée de 10 % en 2014 à 70 % en 2019. Sa suspension a entrainé la suppression de 10 000 emplois sur l’ensemble du territoire et le retrait de PVH, principal investisseur du parc d’Hawassa. Sur l’année 2023, 450 (sur 5 000) entreprises ont arrêté leur production dans le pays, et plupart des entreprises opèrent à seulement 30% de leurs pleines capacités. Si les effets complets du retrait de l’accord sont encore difficiles à estimer, l’Ethiopie perd son avantage concurrentiel pour l’un des principaux marchés à l’export de son industrie textile.
Le conflit a également entrainé la fermeture de quatre PI (Mekelle, Kombolcha, DBL et Velocity) représentant 6 % des emplois et 9 % des exportations des PI. Prévues pour atteindre 260 MUSD en 2020-2021, les exportations nettes ont atteint seulement 141 MUSD, soit un manque de 45 % par rapport aux prévisions.
Des stratégies de développement des parcs industriels qui ne portent pas leurs fruits.
Les PI éthiopiens n’ont pas atteint les résultats espérés sur le plan économique et n’ont pas permis de faire de l’industrie un moteur de la croissance. L’emploi dans d’industrie a légèrement reculé depuis 2014, passant de 8,1% de l’emploi total à 6,5 % en 2022. La part de l’industrie manufacturière dans le PIB n’a pas connu d’augmentation notable depuis 20 ans (autour de 5 % du PIB), une diminution récente est même à noter entre 2019 et 2022 de 5,9 à 4,4 % du PIB. L’activité économique des PI a contribué à seulement 0,5 % du PIB en 2021.
De même, la structure des exportations à l’échelle nationale reste fortement dominée par l’agriculture (83 % des exportations en 2021/2022), tandis que les exportations en provenance des parcs industriels représentent seulement 5 % des exportations nationales. Avec des revenus d’exportations nets permettant de couvrir seulement quatre jours d’importations nationales en 2020-2021 (141 MUSD), les parcs industriels n’ont pas contribué à l’amélioration des réserves de devises du pays.
Les PI n’ont pas entraîné une augmentation significative des IDE, en raison des faibles besoins en capitaux de l’industrie textile, principalement demandeuse de main d’œuvre. Par ailleurs, ils n’ont attiré que 5 % des IDE entrants dans le pays entre 2014 et 2020 et n’ont pas permis une forte intégration avec l’économie locale, ni une intégration substantielle dans la chaîne de valeur. Les achats en local représentent moins de 5 % de la totalité des intrants, signe d’une faible intégration avec les fournisseurs locaux. Le transfert de technologie reste limité au sein des PI, la majorité des emplois étant peu qualifiée et la montée en compétence limitée.
La contribution des parcs éthiopiens à la création d’emplois a été plus significative, avec la création de plus de 150 000 postes en 10 ans, principalement occupés par des femmes entre 18 et 25 ans. Cela reste à relativiser en raison des 2 millions de nouveaux entrants sur le marché du travail éthiopiens chaque année.
[1] Entité gouvernementale établie en 1994 pour attirer les IDE vers l’Ethiopie et soutenir les investisseurs étrangers.