ÉTHIOPIE
Un soutien large des bailleurs dans la durée, en faveur du deuxième PMA le plus peuplé au monde
L'Ethiopie est durablement installée dans les premiers rangs des bénéficiaires mondiaux de l'AFD, reflétant d'une part, sa dimension démographique importante et, d’autre part, la récurrence de besoins considérables, en termes humanitaires comme d’accompagnement du développement. Le soutien reçu a quelque peu reculé lors du conflit tigréen et des réactions de certains grands partenaires devant les faits perpétrés dans cette région. Le caractère de pilier sous-régional de l’Ethiopie et la relation de long terme établie avec les principaux bailleurs devraient néanmoins continuer à en faire un bénéficiaire de tout premier plan.
L'Ethiopie, "client" de premier plan de l'APD mondiale malgré un repli lors du conflit tigréen
L’Ethiopie est structurellement le premier bénéficiaire africain de l’aide publique au développement depuis les années 2000, avec quelques interruptions ponctuelles. Elle s’est placée au 5 ème rang mondial en 2021, après avoir occupé la 3 ème position en 2020 et la 2 ème en 2019, devancée seulement par la Syrie, qui domine le classement en raison de la comptabilisation d’accueil de réfugiés issus de ce pays à l’extérieur.
Les bailleurs bilatéraux y tiennent une place prépondérante, en nette hausse en 2021 (de 44,2 à 61,4 % du total), en raison notamment de la contribution américaine (1,32 Md USD, +66,8 %). Cette aide consiste quasi-exclusivement en des dons fournis par l’USAID, très majoritairement pour de l’aide alimentaire. Cette contribution a encore augmenté en 2022 (1,57 Md USD, dont 1,26 Md USD d’aide humanitaire) mais devrait connaître un très sérieux coup d’arrêt en 2023, du fait de la décision américaine début juin de suspendre ces flux, à la suite de la constatation supposée de mécanismes de détournement massif.
Avant cette percée américaine, c’est traditionnellement l’Agence internationale de développement (Groupe Banque mondiale) qui tenait la première position. D’encore 36,6 % de l’APD octroyée au pays en 2020, après plusieurs années de hausse constante de ses décaissements, culminant à 2,08 Mds USD en 2018, la contribution a brusquement chuté à 858,2 MUSD en 2021 en raison du conflit tigréen. C’est le repli de la composante d’aide budgétaire qui explique ce mouvement, la plupart des bailleurs internationaux ayant décidé de mettre en suspens ce type d’opération pendant le conflit afin d’éviter tout financement de l’effort de guerre. Plusieurs bailleurs ont par conséquent suspendu leur aide ou l’ont remplacée autant que possible par des décaissements fléchés vers des projets particuliers, en prenant le plus souvent directement en charge le paiement des intervenants.
Au niveau multilatéral, la place occupée par la Banque mondiale est unique. Malgré le recul lié au conflit, l’Ethiopie a été le 7ème pays recevant le plus d’engagements de l’AID lors de l’année budgétaire 2022-23 de la Banque mondiale (terminée le 30 juin), avec 1,7 Md USD, soit près de 5 % du total engagé par l’institution. La Banque mondiale a un rôle à part en Ethiopie, car ce pays constitue une contrepartie hors norme pour l’institution, comme a pu en témoigner la visite officielle du 31 juillet au 2 août 2023 du nouveau président de l’institution, qui a choisi ce pays pour sa première visite dans un pays d’intervention de la Banque. La Banque occupe une place tout à fait centrale dans tous les secteurs sensibles du développement éthiopien. Son action s’est concentrée en 2022 sur les secteurs sociaux (830 MUSD), la santé (803 MUSD), l’environnement (270 MUSD) et l’agriculture (135 MUSD). Ces secteurs sont des cibles privilégiées de l’APD. Ils reflètent aussi le fait que les financements octroyés pendant le conflit ont été à dominante humanitaire. Le secteur des transports se démarque également, secteur qui a vu l’octroi en juillet 2023 d’un don de dimension exceptionnelle (730 MUSD) pour construire une route 2*2 voies moderne sur un tronçon du corridor Addis Abeba-Djibouti. La Banque africaine de développement, qui fournissait en 2020 encore 4,7 % de l’APD au pays, voit, à l’instar de plusieurs bailleurs bilatéraux, son rayon d’action limité par son incapacité à fournir des prêts suite à l’estimation élevé du risque de surendettement par le FMI. Elle n’a apporté que 0,9 % de l’APD en 2021.
La baisse de l’APD à l’Ethiopie a été particulièrement sensible dans ce contexte en 2021 pour l’Allemagne (-61,1 %, 174 MUSD), la Grande Bretagne (-49,4 %, 164,8 MUSD), l’UE (-18,8 %, 168,1 MUSD) ou encore la France (-40,4 %, 43,9 MUSD). La France se singularise dans le pays par rapport aux grands pays de l’OCDE ou du G7 par la place relativement secondaire que tient l’Ethiopie dans notre APD, l’Afrique francophone étant généralement privilégiée. La France est ainsi le 15ème donateur et le 13ème au niveau bilatéral. L’AFD est néanmoins active sur plusieurs secteurs-clés du développement éthiopien (énergie, eau, réformes économiques) et occupe un rôle prépondérant dans le domaine de l’entretien et la valorisation du patrimoine.
Les données chinoises ne sont pas disponibles mais en feraient probablement un donateur de second rang. Bien que 2ème détenteur de la dette de l’Etat central et premier en périmètre élargi (13,7 Md USD, entreprises d’Etat comprises), le pays pratique en effet plutôt des prêts à condition de marché qui ne sauraient être considérés comme de l’APD. Il fournit ponctuellement des dons via China aid, comme il l’a fait en février 2023 en fournissant 21 MUSD pour l’achat de pièces détachées pour le tramway chinois d’Addis Abeba. Il s’agit donc de maintenir le fonctionnement d’une infrastructure antérieurement financée sur prêt.
Les fondations privées à vocation caritative tiennent également une certaine place, croissante. La fondation Bill & Melinda Gates a décaissé 112 MUSD en 2021, un record. La fondation Mastercard, encore absente cinq ans plus tôt, a pour sa part versé 71 MUSD de dons.
Une dimension démographique, un poids stratégique et un niveau de pauvreté expliquant l'attention particulière des bailleurs pour l'Ethiopie
La part des dons dans l’APD reçue par l’Ethiopie est exceptionnellement élevée, de 86,8 % en 2021. Les prêts reçus, hormis certains partenaires bilatéraux, sont obtenus dans des conditions très fortement concessionnelles, bénéficiant notamment de multiples options de blending par des dons. Par ailleurs, la facilité élargie de crédit en cours de négociations avec le FMI proviendrait intégralement du Poverty reduction and growth trust fund, guichet très concessionnel du Fonds, et il pourrait s’agir du plus gros programme jamais engagé par l’institution sur cette fenêtre préférentielle.
Cet accès assez unique aux modalités les plus généreuses de l’aide internationale se justifie aisément à la fois par la dimension démographique du pays (126 M en 2023 selon les NU) et son niveau de pauvreté (cf infra).
A cela, s’ajoute le rôle de pivot sous-régional du pays, frontalier et étroitement lié à des pays instables ou isolationnistes (Soudan, Sud-Soudan, Somalie, Erythrée) et frontalier également de pôles de stabilité qui pourraient souffrir de ses propres déséquilibres (Kenya, Djibouti). Dans ces conditions, l’Ethiopie constitue une priorité politique régionale, amenant les bailleurs à considérer avec bienveillance ses nombreux besoins. Ce positionnement et la politique migratoire éthiopienne lui confèrent par ailleurs un rôle sensible en matière migratoire. Si l’Ethiopie envoie comparativement peu de réfugiés à l’étranger, elle occupe en revanche la troisième place en Afrique pour ce qui est de l’accueil de réfugiés (Somalie d’abord et, depuis quelques mois, Soudan massivement). Une partie de l’APD reçue vient aider le pays à traiter dignement les pensionnaires de ses nombreux camps de réfugiés (33,1 MUSD reçus du HCR en 2021).
Dans l’ensemble, l’APD reçu par l’Ethiopie a eu des impacts positifs sur le développement du pays, en accompagnant sa croissance. Entre 2019 et 2022, le PIB/tête a connu une hausse sensible en passant de 878 USD à 1027 USD. D’autre part, entre 2000 et 2021, l’IDH de l’Ethiopie a presque doublé, passant de 0,287 à 0,495. Sur cette même période, l’espérance de vie a connu une croissance d’environ 16 années, passant de 49 ans à 65 ans, malgré un léger ralentissement entre 2019 et 2021. En outre, le taux de pauvreté est passé de 30,8 % en 2010 à 24 % en 2023 malgré là aussi un ralentissement de la baisse depuis 201