ÉTHIOPIE
Un secteur agroalimentaire à la croissance limitée par de faibles capacités de transformation et par une demande peu dynamique
Malgré un secteur agricole important (32 % du PIB, 85 % des exportations, 64 % des emplois), l’agro-industrie en Éthiopie reste caractérisée par un manque de demande et une faible production (la majorité des usines tournent en sous-capacité). D’une part, l’émergence d’une classe moyenne ne s’est pas traduite par une hausse des dépenses en aliments transformés (prévalence de consommation de produits frais et +200 jours de jeûne/an) et d’autre part, l’offre agroalimentaire demeure insuffisante en raison de difficultés chroniques, dont notamment la pénurie de devises et la structuration des filières amont. Le pays reste donc dépendant des importations surtout pour des produits à transformation secondaire (pâtes, sucre, huile, lait, sauce tomate, boissons). Ainsi, afin de réduire sa dépendance aux importations et ses dépenses en devises, le gouvernement mène une stratégie de substitution aux importations via la mise en place de parcs agroindustriels à proximité de clusters agricoles. Néanmoins, avec une taille de marché importante (115 M d’habitants), l’agro-industrie en Éthiopie demeure un secteur à fort potentiel.
La production agroalimentaire en Ethiopie
L’agriculture occupe une place majeure dans l’économie éthiopienne (32 % du PIB, 85 % des exportations, 64 % des emplois). Sur une superficie totale de 1 104 300 km2, les terres agricoles occupent 33 % du territoire. L’agriculture est principalement vivrière, constituée de petits paysans exploitant en moyenne 0,8 ha. Elle demeure très sensible aux aléas climatiques (95 % de l’agriculture est dépendante de la pluie).
Si l'agriculture joue un rôle central dans l'économie, le secteur de la transformation alimentaire reste caractérisé par un manque de demande et une faible compétitivité. En effet, les agro-industries ne représentaient que 5 % du PIB en 2012 mais en termes de contribution au secteur industriel, elles – alimentation et boissons – représentaient la plus grande part des produits manufacturés (environ 50 %). Selon le rapport sur le secteur agroalimentaire éthiopien réalisé par l’université néerlandaise de Wageningen, celle-ci serait composée de 560 entreprises, dont 95 % seraient privées, et 60 000 emplois. Les minotiers et les boulangeries représenteraient la majorité (66 %) de ces 560 industries. Hors boissons, les principaux produits de l'agroalimentaire sont la farine (blé) (314 kt en 2010), le sucre (283 kt) et les biscuits (193 kt). Par ailleurs,les exportations agricoles éthiopiennes sont presque entièrement limitées aux produits primaires et non transformés. Les produits transformés ne représentent que 1,3 % (2013) des exportations totales de l'agro-industrie et la dépendance aux importations reste forte.
L’Éthiopie est autosuffisante sur la plupart des denrées d’origine végétale et animale, sauf pour des produits à transformation secondaire. Le pays a produit 18 M de tonnes (t) de farine de céréales en 2020, et 3,6 Mt de farine de blé – soit une très faible dépendance aux importations (1 % et 2 % respectivement). De même, pour les denrées d’origine animale (poulets, bovins, moutons, produits laitiers), le pays demeure autosuffisant (0 à 2 %) sauf pour la viande de porc transformée (100 %) – peu alignée avec les habitudes de consommation des Ethiopiens. En effet, malgré l’émergence d’une classe moyenne, les dépenses annuelles en aliments transformés par habitant à Addis restent marginales. Néanmoins, le pays reste dépendant des importations pour les produits à transformation secondaire : pâtes (98 %), jus de tomate (96 %), jus de fruits (106 %) mais aussi de l’huile de palme (88 %).
Même si les habitudes de consommation ont peu évolué en 10 ans, le gouvernement éthiopien se voit contraint de recourir aux importations de produits à transformation secondaire. En effet, entre 2010 et 2020 la consommation de grains de maïs transformé est restée stable (61 % du maïs consommé est transformé en 2010 à 60 % en 2020), celle de la canne à sucre transformée a baissé (282 % à 180 %), tout comme le lait transformé (11 %) (Voir Figure 2). L’approvisionnement du marché éthiopien en denrées à transformation secondaire (pâtes, thé, sucre, huile, lait, sauce tomate, boissons) se fait via la Consumer Products Trade Business Unit (CPTBU), une BU de la centrale d’achat publique l’Ethiopian Trading Businesses Enterprise (ETBE). Alors que le marché actuel dispose d’une chaîne de valeur qui est très longue (5-6 intermédiaires avant d’arriver au consommateur final), la CPTBU achète directement aux usines pour les fournir aux distributeurs (coopératives ou associations de consommateurs). Par ailleurs, cette BU servirait également d’outil de stabilisation des prix du marché au gouvernement éthiopien.
Structuration des filières et principaux acteurs
Aucune donnée à jour n’est disponible pour la part que représentent les différentes filières de l’IAA dans le secteur industriel éthiopien. Les secteurs les plus importants sont la boulangerie, la minoterie, et le sucre, qui couvrent ensemble environ la moitié du secteur agroindustriel. De plus, on peut noter que la bière et l'eau minérale dominent le volume dans la transformation des aliments et des boissons. D’autres produits destinés à la transformation comprennent le café, le sorgho, le maïs, le sésame, les produits horticoles, la viande et les produits laitiers et les céréales.
Les industries de la minoterie et de la boulangerie représentent la majorité du secteur agroalimentaire. Le secteur est dominé par quelques grands transformateurs regroupés au sein de la Ethiopian Millers Association qui compte environ 122 meuniers de petite à moyenne taille sur 682 meuniers au total. Néanmoins, la plupart des céréales n'atteignent jamais ces meuniers, car elles sont moulues au niveau du village (80 % de population rurale). Ainsi, sur la production céréalière totale, seuls 10 à 15 % sont transformés dans des moulins industriels. De plus, la prévalence des pratiques d’agriculture vivrière fait que seulement 19 % de la production totale de blé d’un agriculteur serait mise sur le marché. Ainsi, en raison de pénuries d’intrants (blé), les meuniers ne tourneraient qu’à 20-30 % de leur capacité. Ces pénuries - bien qu'en partie dues à une demande croissante alimentée par une croissance démographique (+ 2,5 % par an pour 115 M d’habitants) et une urbanisation rapide - pourraient être liées à la dépendance aux importations subventionnées de blé qui couteraient moins cher que le blé produit localement. Par ailleurs, début juin 2023, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a partiellement suspendu son aide en alimentaire en Ethiopie après que des soupçons de vols généralisé et cordonné ont émergé[1].
Une exception est constituée par les usines de meunerie et de transformation des céréales qui produisent les mélanges maïs-soja enrichis fournis aux organismes de secours, tels que le Programme alimentaire mondial (PAM) et les Nations Unies. Il existerait 7 ou 8 entreprises telles que Faffa, Healthcare Foods, Guts et Hilina Enriched Food Products (Nutriset), qui respectent les normes strictes et les programmes de certification imposés par les organismes de secours. En moyenne, ces entreprises produisent chacune entre 5 000 et 10 000 tonnes de mélanges maïs-soja pour le PAM. Certains se diversifient dans les produits commerciaux comme les aliments instantanés pour bébés, les céréales pour petit-déjeuner, les améliorants de pain et les collations extrudées. A titre d’exemple Faffa, avec Cerifam, détient 40 % de part de marché sur le segment des aliments instantanés pour bébés et a récemment lancé une gamme de produits améliorant la panification, fabriqués sous licence depuis la France.
Malgré une production importante d’oléagineux, l’Éthiopie reste dépendante des importations d’huile alimentaire. Alors que les graines oléagineuses représentent le 5ème poste d’exportation (266 MUSD soit 6,5 % des exports en 2021/22), 95 % des besoins en huile alimentaire sont couverts par les importations. Localement, la majeure partie de la transformation nationale de l'huile est effectuée par environ 850 petites et micro-usines de transformation de l'huile. Selon une étude réalisée par la Food, Beverage and Pharmaceutical Industry Development Institute of Ethiopia, les deux tiers des producteurs appartiennent à la catégorie moyenne (500-5 000 litres/jour), 27 % (jusqu'à 500 litres/jour) étant classés comme petits et 8 % (5 000 litres/jour ou plus) comme grands. Ces usines se trouvent confrontées à de nombreux défis : (i) la difficulté d’achat d’intrants, d’équipements et pièces de rechange, et matériaux d'emballage en raison d’une pénurie structurelle de devises ; (ii) le manque de fiabilité des infrastructures (électricité, eau ainsi que la disponibilité des routes pour l'expédition et la distribution) et (iii) la concurrence que représente l’importation d’huile de palme subventionnée par le gouvernement, sans compter les importations illégales d’huile alimentaire.
Ainsi, le gouvernement continue de dépendre fortement des importations d’huile brute. Selon le rapport annuel sur les graines oléagineuses de l'Éthiopie (2021), les importations d'huile alimentaires ont enregistré une croissance rapide (+10 % entre 2014 à 2018). Au cours de l’année fiscale 2019/20, l'Éthiopie a importé de l'huile de palme (71 %), de l'huile de tournesol (27 %) et de l'huile de soja (2 %) pour une valeur de près de 283 MUSD. Les importations d’huiles végétales sont principalement en provenance de Malaisie et d’Indonésie pour l’huile de palme (88 %), et en provenance de Turquie pour l’huile de tournesol. La pénurie structurelle de devises qui touche le pays explique en partie les exports de produits agricoles à l’état brut, en contraignant les acteurs locaux à exporter « à tout prix » des denrées primaires majoritairement agricoles.
La transformation de lait reste à ses balbutiements principalement en raison de la consommation limitée de la population éthiopienne. En effet, sur un prélèvement journalier estimé à 300 000 litres dans la capitale, 75 % constitue de la laiterie traditionnelle. Seulement 17 %, soit 68 000 L/jour, serait destiné à produire du lait industriel, principalement pasteurisé. Les principales usines laitières sont LAME dairy (MIDROC) et Sebeta Dairy. Ces entreprises détiennent conjointement une part de marché de 70 % du segment du lait transformé (environ 50 000 à 70 000 L/ jour). Nouvellement arrivé, Holland Dairy est une entreprise néerlandaise qui traite 8 000 L/jour pour approvisionner le marché de la capitale. Les usines produisent une gamme de produits limitée : lait pasteurisé et UHT, yaourt, fromage et crème glacée. En termes de consommation, avec plus de 200 jours de jeûne par an (régime végétalien), plus de 50 % de la population ne consomme pas de lait. Néanmoins, d’autres produits dérivés comme le beurre fermenté, le lait cru et « l’ayib » sont les principaux produits consommés (environ 75% des produits laitiers sont traditionnels). Le lait UHT et le lait en poudre proviennent surtout des importations.
Dans le secteur des boissons, l'industrie de l'eau embouteillée en Éthiopie est la plus importante. Il existerait 106 entreprises d'embouteillage d'eau en Éthiopie, qui produiraient près de 3,5 Mds de bouteilles d'eau par an. Dega, Top Water, One Water, Gold Water, Yes Water, AquAddis et Arki Water font partie des marques d'eau populaires en Éthiopie. Selon un rapport de ResearchAndMarkets, le marché de l'eau en bouteille en Éthiopie devrait croître à un TCAC de 12,71 % au cours de la période de prévision 2021-2026. Ceci s’expliquerait par la croissance rapide de la population, ainsi que la demande croissante d'eau potable. Des multinationales sont actives sur le marché éthiopien de l'eau en bouteille, notamment Nestlé, Coca-Cola via sa filiale East Africa Bottling Share Company et PepsiCo. Des entreprises locales telles qu'Ambo water et Abyssinia Springs sont également des acteurs de premier plan sur le marché. Ces entreprises offrent une variété de produits (eau plate et pétillante, eau aromatisé). L'un des défis auxquels est confronté le marché de l'eau en bouteille en Éthiopie est l'infrastructure limitée du pays pour l'approvisionnement et la distribution d'eau. L’entreprise française de machineries d’embouteillage d’eau, Sidel, a approvisionné deux entreprises en Éthiopie (BGI Castel et AquAddis)
Plus gros conglomérat privé en Éthiopie, MIDROC est très investi dans le secteur agroindustriel éthiopien. La holding rassemble près de 80 entreprises regroupées dans 2 groupes œuvrant entre autres dans le secteur agroalimentaire. Le groupe maîtrise toute la chaîne de valeur, de la production à la distribution et la vente. En effet, MIDROC dispose de fermes de café (Limmu, Bebeka, Gemadro, Duyena, Ayehu and Beha) et thé (Ethio Agri CEFT), fruits et de légumes (Jittu Horticulture et Upper Awash Agro Industries), de miel (Bebeka Forest Honey) et d’épices (Ethio Agri CEFT) mais aussi des fermes d’élevage bovins et de volaille (ELFORA Agro). De plus, le groupe détient des usines de transformation dont notamment Lame Dairy pour le secteur laitier et Sheger Bread Factory[2] pour la production de pain. Un projet de transformation d’huile (Sheger Oil Factory) est en cours de mise en place. MIDROC détient également des centres de distribution dans la capitale via son réseau de vente en gros (ADAGO) et supermarchés (Queen’s supermarket).
Dans la viande, l’entreprise Luna Export Slaughterhouse PLC constitue l’un des deux principaux abattoirs d'exportation en Éthiopie. Créée en 2000 et certifiée ISO 22000 et halal, son abattoir exporte principalement des carcasses et de la viande de bétail par fret aérien réfrigéré vers l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Luna Export Slaughterhouse PLC fait partie de « Luna Group » qui comprend également la ferme horticole Luna Fruits PLC. Les deux entités de Luna Group sont détenues à 100 % par la famille de M. Tesfalidet Hagos Gebru (directeur général de Luna qui détient 27 % du groupe et qui dirige également l’Association éthiopienne des producteurs et exportateurs de viande). Le groupe a bénéficié en 2019 d’un prêt de la SFI (5 MUSD) pour son expansion. Dans un contexte où les exportations de viande ne représentent que 2-6 % des exportations totales éthiopiennes alors que l’Éthiopie dispose du plus grand cheptel d’Afrique, le prêt devrait permettre d’accroître la production et l’exportation de viande vers le Moyen-Orient (Arabie saoudite et Émirats arabes unis principalement). Le groupe Luna dispose également de son propre réseau retail dans la capitale : Fresh Corner.
Le secteur de l’agroalimentaire en Éthiopie attire plusieurs entreprises françaises. Parmi elles, BGI-CASTEL dans l’industrie des brasseries et de la viticulture, Soufflet et Boortmalt dans l’industrie du malt, Gallica et Ethiopassion dans la floriculture, et Nutriset (Hilina Enriched Foods) et Lesaffre dans le secteur agroalimentaire.
Politiques publiques, projets et dynamique actuelle
Le gouvernement éthiopien a mis en place des initiatives pour favoriser le développement du secteur agroalimentaire. Afin d’économiser des devises, de générer des emplois et de produire des produits transformés qui seront utiles au marché local, quatre régions développent depuis février 2019 leur Integrated Agroindustrial parks (IAPC). Reliés chacun à 7-8 Rural Transformation centers, ces parcs industriels sont situés au sein d’une zone de 1 000 ha de terres agricoles (250 hectares en 1ère phase) et accueillent des usines de transformation (légumes, graines oléagineuses, volaille, viande, lait, miel, légumes, fruits et café). L’objectif est de permettre une étape de transformation agro-industrielle, d’encourager les exportations, d’attirer les investissements étrangers et nationaux et ainsi substituer la production locale aux produits importés.
Malgré les mesures du gouvernement pour développer l’autosuffisance alimentaire du pays, des difficultés structurelles persistent. En raison notamment d’une balance commerciale fortement déficitaire, l’Éthiopie se trouve en pénurie structurelle de devises et se voit contrainte d’exporter (majoritairement des denrées primaires agricoles) « à tout prix ». Cette priorisation des exportations entre en concurrence avec la volonté de développer les capacités de transformation locale. Ainsi, la majorité des transformateurs des produits de base fonctionnent en sous capacité en raison de pénuries de produits agricoles de base. De plus, le manque de standardisation des produits agricoles et de structures d’évaluation et de suivi de la qualité pendant le processus d'agrégation, le manque de structuration des filières (canaux de commercialisation formels, contractualisation) entre les différents maillons de la chaine de valeur agricole (producteurs, transformateurs, distributeurs) entravent la traçabilité et la qualité sanitaire des produits (teneur en aflatoxines notamment) et limitent l‘approvisionnement local, en quantité et qualité, des unités de transformation locales.
Néanmoins, le secteur agroalimentaire en Éthiopie présente de nombreuses opportunités. Le secteur a des besoins en machineries diverses pour la torréfaction et le traitement du café, la transformation du lait, la transformation du poulet, l'engraissement du bétail et les abattoirs, la production d'aliments pour animaux et poulets, l'extraction et le traitement du jus, le traitement des tomates et des pommes de terre, le traitement de la farine, la boulangerie, la fabrication de pâtes ainsi que des machines pour l'extraction, la filtration et le traitement des huiles alimentaires, la fourniture d'une chaîne du froid, d'une technologie post-récolte, d'une technologie de conservation mobile et d'installations de stockage ainsi que des technologies de traitement du sucre et diverses machines.
[1] L’objectif de cette suspension et la condition de la reprise sont la mise en place d’un ensemble de garanties et de contrôles pour éviter le détournement des denrées alimentaires dans le pays. Cette interruption intervient après celle décidée par l’agence américaine de développement USAID, premier contributeur du pays à l’aide alimentaire (1,4 Md USD de dons sur l’année 2022). USAID a en effet mené une enquête constatant des détournements de l’aide alimentaire à l’échelle du pays. Les deux organisations attendent des mesures drastiques et exceptionnelles de la part du gouvernement central et des gouvernements régionaux avant de rétablir leur soutien. L’enjeu est de taille pour le pays, dont plus de 16 % de la population, à savoir 20 M de personnes, dépendent directement de ces denrées dans un contexte où les conflits internes et les sécheresses à répétition fragilisent la production agricole locale. A ce jour, les rapports d’USAID ne désignent aucun coupable nommément mais mettraient en évidence le caractère massif et systématique des mécanismes incriminés.
[2] Créée en 2020, cette usine d’une capacité de production de 80 000 pains/heure. Néanmoins, cette inauguration s’est suivie par une pénurie de pain en ville pendant 2-3 jours, témoignant de l’insuffisance des intrants dans le pays.