Télécoms : Un secteur en cours d’ouverture depuis 2019

Le secteur des télécommunications éthiopien a connu depuis les années 2000 une augmentation rapide des taux de pénétration mobile et d’accès à internet (respectivement 44 % et 25 % en 2019), néanmoins ces données révèlent des performances limitées d’un secteur, encore dominé par un unique opérateur Ethio Telecom (ET), et qui ne correspondent pas au potentiel de ce marché de 110 M d’habitants. Ainsi, le gouvernement éthiopien s’est engagé à ouvrir ce secteur par l’attribution de deux licences de télécommunications et l’ouverture du capital d’ET (40 % pour les investisseurs étrangers et 5 % pour les locaux) en 2019. A ce stade, seule une licence a été officiellement attribuée à Safaricom Ethiopia en juin 2021. Le processus d’ouverture a ensuite été suspendu fin 2021 et reporté à une date ultérieure. Ce marché pourrait constituer des opportunités pour l’offre française en particulier pour le groupe Orange qui a publiquement manifesté un intérêt pour l’ouverture du capital d’ET en juillet 2021.

 

Un marché des télécommunications avec de forts potentiels malgré des performances limitées

Le marché des télécommunications éthiopien a connu une hausse considérable au cours des deux dernières décennies, soutenu par une forte croissance démographique (+ 2,6 %/an en moyenne). Le taux de pénétration mobile en Ethiopie est de 44 % - soit près de 45,5 M d’abonnements mobiles en 2019/20[1] pour 110 M d’habitants – en forte hausse à partir des années 2010 (+564 % entre 2010 et 2019). Près de 90 % des 45,5 M d’utilisateurs ont recours à un système de recharges prépayées, pour moins d’1 M d’abonnements à une ligne fixe.

La part de la population utilisant internet s’élevait à 25 %[2] en 2019 et le pays enregistrerait 23,8 M d’utilisateurs.[3] L’accès internet se réalise majoritairement à partir de téléphones mobiles (10 à 15 M de personnes disposeraient d’un smartphone dont le coût moyen avoisine les 10 000 ETB soit 192 USD).

Par ailleurs, ce marché est également caractérisé par un coût élevé des forfaits internet, environ 1,71 USD pour 1 GB quand la  rémunération mensuelle d’un salarié peu ou pas qualifié serait comprise entre 2 500 ETB (48 USD) et 8 000 ETB (154 USD)[4]

L’accès aux réseaux mobiles et web reste inéquitable : bien que 85 % de la population soit couverte par la 2G, et que 66 % le soit par la 3G, l’accès à la 4G et la 4G LTE Advanced reste limité à la capitale, soit une couverture estimée à 4 %[5] . Avec un faible taux de pénétration du haut débit fixe (0,7 %) l’Éthiopie se positionne en 2017 à la 170ème place sur 176 pays selon l’index ICT[6] de l’Union Internationale des Télécommunications. Ces données révèlent des disparités régionales importantes qui traduisent une fracture numérique entre les zones rurales (80 % de la population) et urbaines (principalement Addis-Abeba) et plus particulièrement entre les hommes et les femmes. La Banque mondiale estime à moins de 12 % la part des femmes ayant un accès à internet.

Par ailleurs, il est à noter que la coupure totale des liaisons téléphoniques et/ou internet est parfois utilisée par le gouvernement pour des raisons de sécurité, en cas d’émeutes par exemple. Ainsi, en juillet 2020, l’ensemble des opérateurs économiques (ménages, entreprises, administrations) a souffert d’une coupure unilatérale de l’accès à internet durant plusieurs semaines, puis courant 2021 dans certaines régions du pays touchées par le conflit interne. Enfin la qualité et la fiabilité des liaisons téléphoniques sont aléatoires, y compris dans la capitale.

Le marché reste encore dominé par l’opérateur public éthiopien Ethio Telecom (ET) (CA de 1,3 Md USD en 2019/20 soit 1,5 % du PIB) bien que le gouvernement ait enclenché un processus d’ouverture du secteur par l’attribution de deux licences et l’ouverture du capital d’ET.

   Une ambitieuse politique d’ouverture du secteur portée par le gouvernement depuis 2019 et soutenue par les bailleurs – dont la Banque mondiale – mais qui peine toutefois à se concrétiser

L’ouverture du secteur des télécommunications s’inscrit dans le programme de réformes économiques lancé en 2019 par le nouveau gouvernement, le Homegrown Economic Reform, qui vise à ouvrir l’économie encore majoritairement publique, à des opérateurs privés et/ou étrangers. Dès août 2019, le gouvernement a annoncé la libéralisation du secteur des télécoms par l’émission de deux licences greenfield d’une durée de 15 ans et par l’ouverture d’une partie du capital d’ET (40 % pour les investisseurs étrangers et 5 % pour les privés locaux)[7].

Les autorités éthiopiennes sont accompagnées depuis 2019 par le groupe Banque mondiale (BM) pour mener à bien le processus d’ouverture. Ainsi, la SFI a conseillé directement sur le volet licences, tandis que le mandat de transaction adviser, attribué à Deloitte, pour l’ouverture du capital d’ET est financé sur des crédits BM. Courant 2021, un projet de la BM de 200 MUSD a été approuvé avec des volets dédiés au soutien à : i) l’ouverture du capital de l’opérateur ET ; ii) à l’organe de régulation créé en 2019 l’Ethiopian Communications Authority (ECA) par une assistance technique ; et iii) au développement des capacités du pays à fournir des services numériques par le renforcement de la connectivité domestique et régionale.

Après de nombreux retards cumulés (presque 2 ans), liés à la mise en place d’une structure de régulation du marché ainsi qu’à la définition et la mise en œuvre de choix stratégiques par les autorités éthiopiennes, deux licences ont été proposées dans le cadre d’un appel d’offres international. Clôturé le 26 avril 2021, seuls deux groupes africains ont effectivement soumis leur offre sur 11 entreprises (dont Orange) ayant manifesté un intérêt en juin 2020. Il s’agit du consortium Global Partnership for Ethiopia[8] mené par le kenyan Safaricom et MTN. A l’issue de ce premier appel d’offres, seule une licence a été attribuée à ce consortium, la seconde licence n’est à ce jour toujours pas attribuée, malgré un appel d’offres lancé en septembre 2021 qui n’a pas abouti car suspendu par l’autorité de régulation l’Ethiopian Communications Authority (ECA)[9].

Le processus d’ouverture du capital d’Ethio Telecom a débuté seulement à partir de juin 2021 avec le lancement d’un AMI et d’un appel d’offres en septembre, processus également suspendu en mars 2022 et repoussé à une date ultérieure non communiquée.

L’installation d’un nouvel opérateur s’inscrit dans un contexte d’ouverture difficile marqué par l’interférence de l’opérateur historique Ethio Telecom, en particulier pour le partage des infrastructures      

Officiellement titulaire d’une licence depuis juin 2021 (850 MUSD contre 1 Md USD attendu et contre 600 MUSD pour l’offre MTN), le consortium mené par le kenyan Safaricom, a officiellement installé Safaricom Telecom Ethiopia en septembre 2021 en nommant Anwar Soussa à la tête de la filiale éthiopienne[10]. Safaricom a également annoncé 8 Mds USD d’investissements sur 10 ans, notamment dans le déploiement d’infrastructures. Après avoir inauguré son premier data center à Addis-Abeba (100 MUSD) début 2022, Safaricom a prévu le lancement de ses activités commerciales pour avril 2022[11]. Pour cela le nouvel opérateur a signé deux contrats clés avec le fournisseur d’électricité Ethiopian Electric Power et le distributeur d’électricité Ethiopian Electric Utility pour bénéficier d’un accès à plus de 8 000 km de fibres optiques et à des infrastructures électriques (poteaux). Néanmoins, des retards dans le lancement des opérations de Safaricom sont à anticiper notamment en raison du litige l’opposant à l’opérateur historique ET pour le partage des infrastructures, prévu dans les directives émises par l’ECA, qui contraint Safaricom à utiliser dans un premier temps les infrastructures d’ET (tours et antennes) en contrepartie du versement d’un loyer . Le montant et le choix de la devise de ce loyer sont à l’origine des désaccords entre les deux fournisseurs, toutefois, un accord de principe a été récemment trouvé selon lequel ET donnera un accès à ses infrastructures contre un versement locatif en USD et en ETB et pas uniquement en USD comme le souhaitait ET.

Ce cas met en évidence les difficiles conditions d’entrée sur le marché qui ne correspondent pas aux meilleures pratiques internationales, le rôle prépondérant d’ET dans ce processus d’ouverture à la concurrence et l’avantage de cet opérateur notamment pour les services de mobile money. En effet, ET a pu lancer sa plateforme telebirr développée par Huawei en mai 2021 (17 M d’utilisateurs avec un total de transaction de 8 Mds ETB soit 155 MUSD en un an, moins de 0,2 % du PIB), quelques mois avant l’arrivée d’un nouvel opérateur (ces services n’étaient initialement pas inclus dans l’appel d’offres remporté par Safaricom). En revanche, Safaricom pourrait déployer le service de mobile money M-Pesa en 2022 après avoir obtenu une licence de la Banque centrale éthiopienne.

Un intérêt français pour le capital d’Ethio Telecom, tandis que la fourniture d’infrastructures reste majoritairement dominée par l’offre chinoise

Bien qu’initialement intéressé par l’appel d’offres pour une des deux licences, Orange n’a pas soumissionné en 2021. En revanche, le groupe a publiquement manifesté un intérêt (juillet 2021) pour une prise de participation au capital d’ET (40 %). En outre, Orange a également inauguré en février 2021 un centre de formation gratuit aux métiers du numérique, l’Orange Digital Center, le seul centre installé dans un pays dans lequel Orange n’opère pas en tant que fournisseur de services de télécoms[12]. Par ailleurs, la filiale du groupe Sofrecom a fourni à plusieurs reprises de l’assistance technique à ET depuis 2012.

Au-delà des opportunités pour Orange, d’autres marchés, notamment ceux des infrastructures (tours de télécommunications) peuvent intéresser les entreprises françaises. Des équipementiers et des fonds d’investissement pourraient se positionner dans le cadre d’appels d’offres dédiés aux infrastructures. Néanmoins, ce marché reste majoritairement représenté par l’offre chinoise (ZTE et Huawei) qui ont fourni la plupart des infrastructures actuelles à ET, aux côtés du suédois Ericson. Actuellement dotée de deux satellites domestiques qui fournissent un service national et un réseau de longue distance, ET possède également 7 100 tours de téléphonie cellulaires et 22 000 Km de fibres optiques[13]. L’opérateur entrant devrait s’équiper en faisant appel à Huawei et Nokia[14].



[1]D’après l’opérateur éthiopien Ethio Telecom.

[2] Cette faible couverture s’explique en partie par un réseau d’infrastructures dysfonctionnel et peu développé à l’échelle du pays.

[3]En 2019 selon le Rapport annuel d’Ethio Telecom 2020 pour l’année budgétaire 2019/20. En 2004, seulement 12155 personnes avaient un accès à Internet avec une capacité de 20 Mb.

[4]Pour les cadres expérimentés - suivant le niveau d’expérience et le niveau d’étude.

[5]Banque mondiale, Ethiopia Digital Foundation Project.

[6] L’index ICT permet de mesurer et de comparer le développement des technologies de communication et d’information des pays.

[7] Fin 2019, des observateurs estimaient que la libéralisation du marché pourrait rapporter jusqu’à 6 Mds USD à l’Etat éthiopien.

[8] Ce consortium international se compose de Safaricom, Vodacom, Vodafone, Sumitomo Corporations (japonais) et CDC Group (britannique)

[9] Le 22 décembre 2021, l’ECA suspend le processus d’appel d’offres pour le reporter à un moment plus opportun suite à la demande de potentiels candidats. Fin mars 2022, l’autorité de régulation ECA a annoncé que l’appel d’offres pour la seconde licence serait lancé à nouveau en septembre 2022.

[10] L’entreprise consolidera son équipe en recrutant jusqu’à 1 000 employés éthiopiens d’ici juin 2022. Elle s’est également engagée à former 450 jeunes diplômés dans le cadre d’un programme trisannuel et àinvestir 300 MUSD / an dans les TIC et dans les infrastructures de mise en réseau (4G) en 2022.

[11] Soit 9 mois après l’obtention de la licence, le lancement ne doit pas nécessairement s’effectuer sur l’ensemble du territoire.

[12] L’initiative Orange Digital Center (30 MEUR) a été lancée en 2019 en Tunisie et concrétise l’engagement RSE pris par le groupe dans le cadre de sa stratégie « Engage 2025 » et vise à créer 32 centres de formation en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe d’ici 2025. Chaque centre est composé d’une école du code, d’un atelier de fabrication numérique (FabLab) et d’un accélérateur de start-up. L’initiative est cofinancée par la GIZ.

[13] BM, Ethiopia Digital Foundation Project.

[14] Safaricom travaille avec deux sous-traitants, Nokia et Huawei, pour le déploiement futur de ses infrastructures. Nokia serait en charge du développement du réseau infrastructurel dans la capitale et ses environs tandis que Huawei devrait prendre en charge le reste du territoire.

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