Sécurité alimentaire : Une nation agricole en insuffisance alimentaire chronique

Malgré un secteur agricole important, la production locale éthiopienne ne suffit pas à répondre à la demande d’une population en forte croissance (+2,5 % par an). Le gouvernement recourt donc à l’importation de certaines denrées alimentaires pour combler la demande et a établi, avec le soutien des bailleurs, un système de filets sociaux. Des mesures pour améliorer la productivité et développer les capacités de transformation locale ont également été mises en place. Néanmoins, la pénurie structurelle de devises, le manque d’intrants agricoles, la faiblesse des chaines d’approvisionnement, l’absence de structures d’évaluation de qualité et l’interférence importante des autorités régionales sur le marché entravent les capacités de l’Éthiopie à atteindre une réelle autosuffisance alimentaire. La guerre qui s’installe au Nord du pays depuis novembre 2020 rend plus critique encore la réponse aux besoins alimentaires du pays, par défaut de récolte dans les territoires du conflit.

Une production agricole essentiellement vivrière qui peine à répondre à la demande du pays

L’agriculture occupe une place majeure dans l’économie de l’Éthiopie (32,7 % du PIB, 85 % des exportations) mais peine à répondre à la demande du pays. Dans ce pays de 110 M d’habitants, l’agriculture éthiopienne fournit 67 % des emplois. Sur une superficie totale du pays de 1 104 300 km2, les terres agricoles occupent 33 % du territoire. Les cultures annuelles et permanentes représentent 16,3 M ha, soit 45 % de la surface agricole. L’agriculture est principalement vivrière, constituée de petits paysans exploitant en moyenne 0,8 ha. Elle demeure très sensible aux aléas climatiques (95 % de l’agriculture est dépendante de la pluie).

L’Éthiopie possède le plus grand cheptel d’Afrique (187 millions de têtes) et l’élevage (16-19 % du PIB) constitue la priorité du gouvernement sur la décennie à venir. Néanmoins, la productivité des races locales, représentant plus de 98 % du cheptel, est inférieure à la moyenne africaine en termes de rendement (1,5 L/vache/jour par exemple pour la filière laitière en zone rurale contre 20 en Afrique du Sud). Le cheptel national qui comprend environ 70 M de bovins, 43 M d’ovins, 53 M de caprins, 8 M de chameaux, auquel s’ajoutent 57 M de volailles, produit environ 1,24 millions tonnes de viande, 5,2 Mds de litres de lait, 129 000 T de miel et 369 millions d’oeufs par an. L’un des principaux facteurs limitant est la faible disponibilité en alimentation animale et ressources fourragères.

Malgré l’importance de l’agriculture dans le PIB et pour l’emploi, environ 13,2 M habitants sur 110 M seraient en situation d'insécurité alimentaire (Plan de réponse humanitaire (HRP) 2021), témoignant de grandes disparités régionales et sociales. Le PAM estime que 5,9 M de personnes seraient en situation alimentaire critique, dont 3,9 M de femmes et enfants. De plus, selon des analyses récentes (IPC) 8,6 M personnes feraient face à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire en raison de la Covid-19, du conflit au Nord et de l’inflation.

A l’instar de nombreux pays africains, le régime alimentaire éthiopien est avant tout d’origine végétale[1] mais la production locale est insuffisante pour répondre à ces besoins. Si le taux d’autosuffisance alimentaire[2] s’établit à 100 % pour les denrées d’origine animale, il est de 98 % pour l’ensemble des productions végétales, mais ce score masque de grandes disparités en fonction des produits et des habitudes alimentaires (cf. Annexe 1). Ainsi, sur un besoin annuel de 7,0 MT de blé, la production locale (3,6 MT/an) ne couvrirait que 52 % de la demande. En raison de la prévalence des pratiques d’agriculture vivrière, seulement 19 % de la production totale de blé d’un agriculteur serait mise sur le marché. De plus, alors que les oléagineux représentent le 3ème poste d’exportations du pays (345 MUSD – 11,5 % des exports en 2019/20), 95 % des besoins en huile alimentaire sont couverts par les importations. Par ailleurs, malgré la présence de 13 sucreries d’État (0,4 MT/an), la production locale ne répondrait qu’à 55 % de la demande interne (6-7 MT/an).

En raison de l’insuffisance de la production locale, le gouvernement éthiopien se voit contraint d’importer des denrées alimentaires et s’appuie également sur les programmes de filets sociaux. Le taux de dépendance aux importations s’établit à 6 % pour les productions végétales (contre 13 % en moyenne en Afrique et dans le monde), mais se traduit par des disparités importantes en fonction des produits agricoles (exports de café notamment). Les importations sont réalisées à travers deux agences gouvernementales : l’Ethiopian Trading Businesses Enterprise (ETBE) et la National Disaster Risk Commission (NDRMC), pour une distribution de denrées à prix subventionnés (cf. annexe 1 & 2). A titre d’exemple, 12 % de la demande de blé (7,8 Mq/an) proviendrait des achats de l’ETBC et jusqu’à 10 % de la demande (7 Mq/an) arrive sous forme d'aide alimentaire via le NDRMC. Le reste des besoins seraient couverts par des organisations internationales (PAM, FAO) ou ONGs, notamment via le Programme de filets de sécurité productifs (PSNP, gouvernement et Banque mondiale), qui fournit une assistance pluriannuelle à des millions de ménages ruraux vulnérables.

Une volonté politique de développement des capacités locales de production et transformation

Afin de réduire sa dépendance aux importations alimentaires, le gouvernement éthiopien mène en parallèle trois stratégies visant à (i) superviser les importations pour répondre à la demande, (ii) accroître les capacités de production et de transformation locales, (iii) développer les exportations afin de générer des devises.

Une feuille de route « Exit Strategy » a été mise en place depuis 2018 pour réduire la dépendance du pays aux importations alimentaires. Celle-ci comprend entre autres des (i) mesures de protection de l’économie locale (l’interdiction d'exportation des principales céréales vivrières afin de maintenir des prix locaux abordables), (ii) des mesures d’amélioration de la productivité agricole (approvisionnement en semences et engrais, développement de systèmes d’irrigation) qui permettront d’envisager plusieurs récoltes dans l’année (contre une seule actuellement)[3], et (iii) des incitations fiscales pour encourager le secteur privé à investir dans l'importation ainsi que la fabrication locale de machines agricoles, d'équipements et d’intrants (suppression des droits et taxes sur plus de 400 intrants et équipements agricoles[4], taxes d’accises favorables à l’utilisation de produits agricoles locaux).

Afin d’économiser des devises, de générer des emplois et de produire des produits transformés qui seront utiles au marché local, le gouvernement met en place des initiatives pour favoriser la transformation locale. Depuis février 2019, quatre régions construisent leurs parcs industriels pour développer leurs exportations, attirer des investissements étrangers[5] et ainsi substituer la production locale aux produits importés. Par ailleurs, de nombreuses usines de transformation d’huile ont été mises en place ainsi que la prochaine privatisation des sucreries.

Malgré les mesures du gouvernement pour développer l’autosuffisance alimentaire du pays, des difficultés structurelles persistent. En raison d’une balance commerciale déficitaire, l’Éthiopie se trouve en pénurie structurelle de devises et se voit contrainte d’exporter (majoritairement des denrées primaires agricoles) « à tout prix ». Cette priorisation des exportations entre en concurrence avec la volonté de développer les capacités de transformation locale. Ainsi, la majorité des transformateurs des produits de base fonctionnent en sous capacité en raison de pénuries de produits agricoles de base.

De plus, le manque de standardisation des produits agricoles et de structures d’évaluation et de suivi de la qualité pendant le processus d'agrégation, le manque de structuration des filières (canaux de commercialisation formels, contractualisation) entre les différents maillons de la chaine de valeur agricole (producteurs, transformateurs, distributeurs) entravent la traçabilité et la qualité sanitaire des produits (teneur en aflatoxines notamment) et limitent l‘approvisionnement local, en quantité et qualité, des unités de transformation locales.

Par ailleurs, des industriels du secteur de la transformation agro-alimentaire, ont signalé une interférence importante des autorités régionales sur le marché, qu’il s’agisse de l’allocation des matières premières ou de la fixation de leur prix, tout comme un manque de fiabilité dans les données relatives à l’estimation des quantités produites. La guerre déclenchée au nord de l’Ethiopie en novembre 2020 a pour effet d’accroître la précarité alimentaire des populations en zone de conflit voire de les exposer à un risque de famine. Les récoltes passées et les cultures de la nouvelle saison sont affectées en conséquence.

Figure 1: Régime alimentaire et dépendance aux importations Régime alimentaire et dépendance aux importations

Figure 2 :Répartition des apports protéiques et lipidiques

répartition des apports protéiques et lipidiques

 


[1] 2234 kcal d’origine végétale/pers/j en Ethiopie, soit 96% de l’apport calorifique journalier (contre 92% en Afrique, 82% dans le monde et 68% en France) et 66g de protéines végétales/pers/j, soit 90% de l’apport protéique journalier (78% en Afrique, 60% dans le monde et 40% en France).

[2] Au sens de la satisfaction de tous les besoins alimentaires par la production nationale.

[3] Des projets pilotes de production de blé dans les vallées d'Awash, d'Omo, de Shebelle et dans certaines parties de l'Oromia ont permis de cultiver près de 20 000 ha sous irrigation. De plus, 305 000 ha de blé pourraient être cultivés grâce à l'amélioration des technologies de production. Le riz et l'huile alimentaire sont également envisagés pour la substitution aux importations.

[4] Pour les petits agriculteurs, la suppression des taxes à l’import rend les services de mécanisation agricole plus accessibles. Selon le MoF, sur les 6 derniers mois de 2019/20, 51 nouvelles licences d'importateur/fournisseur de matériel agricole ont été émises.

[5] Daprès lOromia Industrial Parks Development Corporation, le parc agroindustriel Bulbula ACPZ est bientôt achevé. Jusqu’à 32 investisseurs ont manifesté leur intérêt, mais seuls 3 se seraient engagés par un contrat.

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