Politique monétaire : L’Éthiopie lutte contre une inflation préoccupante et une pénurie de devises

L’Éthiopie subit une inflation devenue particulièrement préoccupante depuis juin 2021 et tirée par les prix des produits alimentaires. Les principaux facteurs d’inflation sont la baisse de la production agricole due aux conditions climatiques (sécheresse) et aux conflits internes, et la pénurie de devises et ses conséquences. Le taux de change est administré et la monnaie locale est surévaluée, les autorités mettent donc en œuvre une dévaluation pour atteindre un taux de change flottant défini par les conditions de marché. Pour tenter d’endiguer l’inflation, lutter contre le marché parallèle des changes et remédier à la pénurie de devises, les autorités prennent des mesures restrictives de court terme pour accompagner les réformes structurelles de libéralisation de l’économie.

L’inflation, multifactorielle et tirée par l’alimentaire, est devenue préoccupante depuis 2021

L’inflation s’est établie à 13,8 % en moyenne sur 2010 – 2019[1], avec de très fortes variations, passant de 8,1 % en moyenne annuelle en 2010 à 33,2 % en 2011. Les prix ont fortement augmenté à partir de décembre 2017, année où le taux d’inflation en moyenne annuelle a dépassé les 10 %, sans redescendre sous ce seuil depuis. La crise sanitaire a aussi poussé l’inflation éthiopienne à la hausse, s’établissant en moyenne annuelle à 20,4 % en 2020 contre 15,8 % en 2019 (+4,5 points de pourcentage), et a continué d’augmenter en 2021 (26,8 %, soit +6,4 pdp), du fait des perturbations logistiques et du conflit interne qui ont pesé sur l’inflation alimentaire. Bien que le FMI ait revu à la baisse ses prévisions d’inflation pour 2022 de -0,8 point, l’inflation annuelle moyenne s’élèverait à 33,6 %, enregistrant une hausse de près de 7 pdp par rapport à 2021. En glissement annuel, le taux d’inflation le plus élevé a été enregistré en mai 2022, à 37,3 %. En octobre 2022, il s’établissait à 31,7 %.

Les facteurs d’inflation sont multiples : si les perturbations logistiques dues à la Covid-19, le conflit interne, et les conséquences de la guerre en Ukraine ont entraîné une accélération des prix, des causes structurelles préexistaient, pouvant expliquer une inflation relativement élevée sur le long terme. Un des principaux moteurs de l’inflation est la sécheresse qui touche le sud du pays depuis quatre ans, et les perturbations de l’approvisionnement agricole. Depuis 2015, l’inflation est principalement tirée par les produits alimentaires : la moyenne d’inflation alimentaire sur 2015 – octobre 2022 a été de 18,8 %. Elle a dépassé les 20 % depuis mai 2019, avec un pic à 44,2 % en mai 2022. En octobre 2022, l’inflation alimentaire s’est élevée à 30,7 %.

L’Ethiopie est largement dépendante des importations, notamment pour ses approvisionnements en carburants, produits alimentaires et engrais. Sa balance commerciale est structurellement déficitaire, le pays subit ainsi de l’inflation importée et est tributaire de l’évolution des prix des matières premières. Cette vulnérabilité impacte largement les prix en raison de la crise ukrainienne et de la hausse des prix au niveau mondial : la facture d’importations de carburants du pays a ainsi atteint 3,4 Mds USD en 21/22 (+83 % en g.a.), les céréales 2,2 Mds USD en 21/22 (+63 % en g.a.) et les engrais 1,4 Md USD (+9,8 %). Le gouvernement a en outre commencé à diminuer les subventions publiques, notamment sur le blé et le fuel[2].

Des mécanismes monétaires, actionnés principalement suite à la pénurie de devises, alimentent également cette inflation. La pénurie de devises que connait le pays – moins d’1 mois d’importations de biens et services selon le FMI – pousse les entreprises locales à recourir massivement au marché parallèle du change ou aux quelques entreprises exportatrices locales afin de se fournir en devises et ainsi être en mesure d’importer leurs intrants en l’absence d’obtention de lettres de crédit. Ainsi, les entreprises locales qui se fournissent en devises sur le marché parallèle et auprès des exportateurs sont elles-mêmes une source d’inflation dans la mesure où elles répercutent le premium de taux de change sur les clients finaux. Le marché du change parallèle prend par conséquent une part croissante dans la formation des prix. Le financement du déficit public directement par la Banque centrale, synonyme de création monétaire, renforce également l’inflation. Du fait du retrait des partenaires et de la baisse de l’aide internationale, les autorités ont recours à des sources de financement domestiques : bien que les émissions de T-Bills aient été un succès, cela ne suffit plus à financer les dépenses et la National Bank of Ethiopia (NBE) réalise donc des avances directes au gouvernement. Elle a récemment réinstauré une mesure d’obligation de détention de bons du Trésor par les banques à concurrence de 20 % des prêts qu’elles accordent à l’économie, mesure de nature à réduire le financement monétaire du déficit public, mais comportant un fort effet d’éviction pour le financement du secteur privé.

Pour tenter de limiter les pressions inflationnistes, les autorités ont pris des mesures de court terme pour accompagner les réformes structurelles. Ainsi en août 2021, la NBE a relevé le taux de réserves obligatoires pour les banques commerciales de 5 % à 10 % (taux néanmoins réduit à 7 % en juin 2022) et le taux d’intérêt de la facilité de prêt des banques de 13 à 16 %. Elle a également décidé du gel temporaire des prêts accordés sur collatéraux (concrètement, tous les prêts), levé en novembre 2021. De manière plus structurelle, le gouvernement tente depuis 2019[3] de libéraliser son économie et notamment son système financier, jusque-là caractérisé par une forte répression. Les autorités ont lancé les processus pour créer un marché des capitaux domestique et ouvrir le secteur bancaire aux acteurs étrangers. Concernant les privatisations, seul le secteur des télécoms a connu une réelle avancée avec la vente de la première licence privée à Safaricom. Ces processus de libéralisation/privatisation devraient notamment permettre d’injecter des devises étrangères dans l’économie.

L’Ethiopie met péniblement en œuvre une réforme majeure de dévaluation et libéralisation du taux de change

Le Birr (ETB), la monnaie locale éthiopienne, non convertible et soumise à un taux de change administré par la Banque centrale éthiopienne (NBE), est surévalué. La réforme du change a été lancée avec le programme FMI approuvé en décembre 2019 – en partie suspendu en septembre 2021 -, impliquant une dévaluation progressive du Birr qui devait mener à la mise en place d’un taux de change flottant, fixé par les conditions de marché, à l’horizon 2023. Le rythme de la dévaluation a été soutenu et même plus rapide que requis par le programme jusqu’en 2021, avec des taux de dévaluation d’environ 25 % par an. Ce rythme a néanmoins nettement ralenti, à 17,5 % en moyenne sur l’année fiscale 2021/22 et seulement 5,8 % entre janvier et octobre 2022. La cible de 2023 pour l’atteinte d’un taux de change flottant est donc repoussée. De plus, le taux de dévaluation étant désormais bien inférieur à l’inflation (34 % en moyenne sur 21/22), la monnaie suit une dynamique d’appréciation en termes réels.

En raison des restrictions d’accès aux devises mises en place par la NBE, un marché parallèle des changes s’est formé et prend de plus en plus d’importance. S’il est difficile d’estimer la part des échanges réalisés via le marché noir, ils représenteraient au moins 35 % des transactions selon certaines estimations. Le premium de taux de change sur le marché parallèle, qui s’établissait en moyenne autour de 30 % sur les années 2018 à 2020, a atteint plus de 70 % depuis septembre 2022 (voire 100 % pour des grosses sommes échangées dans le cadre d’activités professionnelles).

Les autorités ont également pris des mesures radicales pour tenter de lutter contre le recours au marché parallèle des changes : mesures incitatives aux dénonciations individuelles de transactions illégales réalisées sur le marché noir, reposant sur l’intéressement des dénonciateurs à hauteur de 15 % des montants traités, accompagnées d’une intense campagne de répression des opérateurs et des clients, gel de 391 comptes bancaires. Suite à la mise en place de ces mesures, le ministre des Finances a annoncé le 14 octobre 2022 l’interdiction de délivrance de devises pour toute opération concernant une liste de 38 catégories de produits. Les entreprises dont l’activité génère des devises sont par ailleurs tenues d’en rapatrier 70 % auprès de la Banque centrale depuis janvier 2022 (contre 50 % auparavant) et 10 % auprès des banques commerciales.

 

Inflation et ses principales composantes (GA, %)

Inflation et ses principales composantes (GA, %)

Sources : Institut des statistiques éthiopien

 

Taux de change et marché parallèle

Taux de change et marché parallèle

Sources : NBE, CBE et Service économique

 

Taux de changes

Taux de changes



[1] Selon le WEO d’octobre 2022 (FMI).

[2] Prix à la pompe passés de 31,8 à 36,4 ETB/l en mai 2022 puis à 47,8 ETB en juillet et 57 ETB en octobre pour l’essence, et de 28,8 à 35,4 ETB/l, puis 49 ETB/l et désormais 60 ETB pour le diesel.

[3] Dans le cadre d’un programme signé fin 2019 et depuis mis à l’arrêt en septembre 2021.

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