Les engrais : un bien de première nécessité pour l’Ethiopie

Ayant longtemps repoussé l’utilisation des engrais, l’Ethiopie devient de plus en plus dépendante du produit, avec un sol qui se dégrade rapidement. En 2024, l’Ethiopie vise à importer 19,4 M t d’engrais pour un coût de 930 MUSD. Cependant, le manque d’efficience des achats réalisés par le gouvernement, ainsi que des facteurs exogènes comme l’insécurité à l’intérieur et l’instabilité à l’extérieur du pays, rendent l’approvisionnement et la distribution plus difficiles. La pénurie d’engrais durant les trois dernières années a réduit le rendement des terres et a conduit à la création d’un marché noir. Le gouvernement a cependant mis en place des réformes permettant une acquisition plus simple des intrants et cherche à atteindre l’autosuffisance à travers le développement de ses propres moyens de production.     

Une demande en hausse

Les engrais chimiques ont été introduits en Ethiopie dans le cadre du programme Freedom from Hunger de la fin des années 60. Bien qu’inférieure à d’autres pays en développement, l’utilisation des engrais a connu une augmentation relativement importante jusqu’aux années 2000 (passage de 3 500 tonnes métriques au début des années 70 à 140 000 tonnes métriques dans les années 90). Le chiffre n’a atteint 650 000 tons métriques qu’en 2012. L’utilisation d’engrais en Ethiopie était de 47,59 kg/ha en 2022 contre 32,47 en 2021, faisant de l’Ethiopie l’un des 5 pays africains sur la voie d’atteindre l’objectif de 50kg/HA de la déclaration d’Abuja pour la révolution verte en Afrique, un objectif initialement fixé pour 2015. Le gouvernement éthiopien (GoE) subventionne l’achat d’engrais à hauteur de 30 %. Si le montant réel de subvention est passé de 21 Mds ETB (367,7 MUSD) en 2023 à 16 Mds ETB (280 MUSD) en 2024 (montant estimé par le gouvernement), ceci est principalement dû à la baisse des prix sur le marché international.

Une chaîne de valeur créatrice de pénurie

L’Ethiopie n’est pas un pays producteur d’engrais mais possède cinq centres de mélange (quatre dans la région Oromia et un au Tigré). Ces derniers ont été construits à un coût total de 1,2 M USD et lancés en 2015 dans le cadre du programme national de mélange d’engrais. Cependant, les 5 unités de mélange sont tombées en panne en 2016 suite à l’importation pour mélange de 75 000 t d’engrais à base de bore de l’entreprise Yara Switzerland, qui ne correspondait pas à la qualité nécessaire, ayant endommagé les machines. Le groupe OCP a tenté de relancer les centres en 2018 mais ils ont finalement cessé leurs activités en 2019. Actuellement, le gouvernement est en discussion avec le même groupe pour redémarrer les opérations.

La période où la demande d’engrais est la plus importante s’étale de février à août et l’engrais doit être acheminé sur place 3 mois avant le début de la période des semis afin d’assurer une meilleure distribution. Dans le cas où le gouvernement importe les matières premières afin de mélanger l’engrais sur place, les intrants doivent être importés 4 à 5 mois à l’avance. Les cultivateurs de céréales (teff, blé, maïs, orge et sorgho) reçoivent 90 % de l’engrais importés tandis que le reste est alloué aux cultures de rente (café, fleurs, oléagineux, légumineuses). L’achat d’engrais est quant à lui réalisé selon une directive qui fait des appels d’offres internationaux le seul moyen d’acheter le produit.

Les plus importants partenaires de l’Ethiopie en termes d’approvisionnement sont le Maroc, l’Égypte, les Emirats Arabes Unis et la Mauritanie, le Maroc détenant la part la plus conséquente. Le groupe OCP, majoritairement détenu par l’Etat marocain, reste le plus grand partenaire de l’Ethiopie en termes d’approvisionnement en engrais. Entre 2010 et 2014, les principaux types d’engrais utilisaient par l’Ethiopie étaient l’urée et le Di-ammonique phosphate (DAP). Suite à l’introduction d’engrais de type NPS (azote, phosphore et soufre) en 2015, le DAP a cessé d’être importé. En 2022, les engrais de type NPS représentaient 61,71 % des importations tandis que la part de l’urée était de 37,05 %. D’autre part, pour l’année fiscale 2024, le ministère de l’agriculture a souhaité commander 2,3 M t d’engrais, un chiffre qui a été réduit à 1,94 M t par le ministère des finances, faute de moyens budgétaires. Parmi les 1,94 M, l’achat de 1,58 M t est déjà conclu, la part d’engrais de type NPS représentant 70,9 % du total, contre 29,1 % d’urée.  


Une utilisation et une distribution semées d’obstacles

L’Ethiopie connait un appauvrissement et une acidification significatifs de son sol. Ceci est principalement dû à l’érosion, la déforestation, la surexploitation, le surpâturage et la mauvaise gestion des terres cultivées. Ainsi, l’utilisation de l’engrais chimique est importante pour continuer à cultiver la terre. Cependant, les prix internationaux élevés de l’engrais limitent l’approvisionnement en la matière, posant un danger pour la sécurité alimentaire. D’autres part, ces prix internationaux entrainent une augmentation sur le marché local, dissuadant les agriculteurs qui pour la plupart détiennent des terrains de moins d’1 HA d’en acheter. Entre 2021 et 2022, une augmentation des prix de l’engrais d’environ 180 % a été observée, due principalement à la pandémie de covid 19 et la guerre russo-ukrainienne, affectant les deux producteurs mondiaux d’engrais les plus importants. Le gouvernement éthiopien n’a pu s’approvisionner en engrais qu’à hauteur de 626 072,74 t en 2021 contre 1,99 M t en 2020, causant une pénurie massive. Bien que l’importation d’engrais ait doublé en 2022 en passant à 1,27 M t, l’offre était bien inférieure à la demande, comme à nouveau en 2023, lorsque le gouvernement n’a pu importer que 1,39 M t. L’approvisionnement inférieur au besoin aurait entrainé des rendements plus faibles en 2023.   

Un deuxième facteur qui devient une entrave pour la bonne utilisation de l’engrais est l’absence de tests préalables pour déterminer les besoins spécifiques des terrains, sujet d’autant plus sensible dans un pays où la dégradation du sol se fait à un rythme élevé. Une cartographie des besoins en engrais est indispensable pour en assurer une meilleure utilisation, l’absence de celle-là induisant une application aléatoire qui peut réduire le rendement de manière significatif. En outre, la directive concentrant l’importation d’engrais dans les mains du seul gouvernement a eu des répercussions sur l’approvisionnement. L’Etat exerçant un monopole en la matière, la distribution d’engrais se fait souvent en retard et/ou n’est pas suffisante. Enfin, des facteurs exogènes, comme l’instabilité à l’intérieur (guerre au Tigré, conflits en Amhara, insécurité en Oromia et dans le reste du pays) et à l’extérieur du pays (insécurité dans la mer rouge) retardent l’approvisionnement en engrais. De ce fait, pour l’année fiscale 2024, le gouvernement n’a pu distribuer que 102 000 t d’engrais jusqu’en mars 2024. La création d’un marché noir a aussi été constaté sur les 3 dernières années en raison de la pénurie.  


Les nouveaux développements dans le domaine

L’autosuffisance et la substitution à l’importation sont deux priorités désormais affichées régulièrement par le gouvernement. La production d’engrais est pleinement concernée par cette politique comme l’illustre le projet de construction d’une usine de production d’engrais proche de la ville de Dire Dawa, dans l’Est du pays. L’idée initiale était de monter une usine constituée par le groupe OCP en partenariat avec le Chemical Industries Corporation (CIC) qui est une organisation gouvernementale de développement en charge de 5 usines chimiques, pour un coût initialement estimé à 3,7 Mds USD. La capacité annuelle de production s’élèverait à 3,4 M t avec une partie destinée à l’exportation. Cependant, le coût étant élevé, le GoE a décidé de se focaliser sur une production destinée seulement au marché local avec un investissement représentant la moitié du coût initialement envisagé. En plus de l’objectif de monter une usine de production, le GoE souhaite revitaliser les 5 centres de mélanges d’engrais qui ont cessé leur activité en 2019. A cet effet, le GoE travaillera en partenariat avec le groupe OCP.

Le projet, l’une des priorités absolues du gouvernement dans le domaine économique, devait dépendre au départ du gaz extrait de l’Ogaden et potentiellement d’autres intrants domestiques : la potasse issue des mines éthiopiennes et l’hydrogène vert à produire à partir des énergies renouvelables domestiques. Aucun de ces développements amont ne s’est réellement matérialisé pour l’heure, et l’entreprise chinoise Poly GCL chargée de l’exploration et de l’exploitation du gaz de la région somalie éthiopienne, s’est montré jusqu’ici incapable d’engager les travaux en vue de la production. Ce gaz devait du reste être acheminé à Dire Dawa (puis à un terminal de liquéfaction djiboutien hypothétique) par un gazoduc qui reste à financer et construire.

Dans le volet importation d’engrais, le gouvernement a révisé une directive en octobre 2023  permettant d’importer le produit à travers des achats directs, la négociation diplomatique, l’importation par les entités privées ainsi que des appels d’offres restreints. La diversification en approvisionnement devra assurer l’arrivée à temps des engrais pour la saison des semis. Deux entreprises ont été identifiées par le gouvernement pour fournir l’engrais au marché éthiopien : le groupe OCP pour les types NPS et le Korean Samsung C&T Company qui sera en charge de l’approvisionnement en urée. Bien que les entreprises privées aient la possibilité de se lancer dans l’importation d’engrais, le secteur n’est pas ouvert aux entreprises étrangères installées en Ethiopie.

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